Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 15 février 2007 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • crise

La réunion

Source

La commission a tout d'abord procédé à l'audition de M. Ahmedou Ould-Abdallah, Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest.

Après avoir décrit la carrière de M. Ahmedou Ould-Abdallah avant sa nomination en juillet 2002 comme Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies pour l'Afrique de l'Ouest, M. Robert Del Picchia, président, a souhaité que M. Ould-Abdallah puisse éclairer la commission sur les crises qui affectent cette partie de l'Afrique, comme la Côte d'Ivoire et, plus récemment, la Guinée, et dresse également un tableau de l'état de la jeunesse africaine.

Debut de section - Permalien
Ahmedou Ould-Abdallah

a rappelé que les Guinéens étaient toujours prisonniers du système autarcique, totalitaire et autoritaire qu'avait instauré Sekou Touré lors de l'indépendance du pays, en 1958. Il a constaté que son successeur, le président Lansana Conté, était certes moins sanguinaire, mais poursuivait les mêmes pratiques politiques. A la pauvreté et au chômage s'ajoute, pour les Guinéens, l'humiliation ressentie face au comportement prédateur de leur président. Celui-ci, du fait de son isolement, semble insensible à toute pression.

Puis M. Ahmedou Ould-Abdallah a fait un rapide historique des derniers événements intervenus en Guinée, soulignant qu'en dépit de son extrême pauvreté, une grande majorité de la population guinéenne avait respecté la grève de protestation décrétée par les syndicats au début du mois de janvier 2007. Il estime que, du 10 au 29 janvier, 110 personnes sont mortes par balle, notamment parce que les forces de l'ordre ne disposent d'aucun autre moyen pour se faire obéir. M. Ahmedou Ould-Abdallah a déploré qu'on puisse ainsi tuer à huis-clos, sans que la communauté internationale ne s'en émeuve outre mesure.

Devant la détermination de la population, le président Conté a fini par sembler accepter un compromis, en s'engageant à nommer un Premier ministre d'ouverture. Après un délai de plus de deux semaines, il a fini par désigner son propre directeur de cabinet, ce qui a relancé la protestation populaire. Pour la juguler, il n'a pas hésité à décréter, le 12 février dernier, l'état de siège ; depuis cette date, la répression des manifestations interdites a fait au moins 20 morts. L'armée ne semble pas en être principalement responsable, car le président Conté aurait fait appel à d'anciens miliciens libériens.

Puis M. Ahmedou Ould-Abdallah a évoqué les difficultés des institutions internationales ou régionales à faire pression sur un président totalement indifférent au reste du monde. Il a appelé à une déclaration très ferme du Conseil de sécurité ou de ses membres pris séparément. De plus les chefs d'Etat des pays voisins sont plutôt favorables au président Conté : il entretient des liens d'amitié avec le président Gbagbo, a soutenu la Guinée-Bissau lors de son combat pour l'indépendance contre le Portugal, et a aidé les forces politiques libériennes à se débarrasser de Charles Taylor. La mise en coupe réglée d'un pays qui possède de nombreux atouts économiques lui profite entièrement. Ainsi, l'exploitation du bois est assurée par un ressortissant chinois, la bauxite est extraite par une société russe, et les douanes sont gérées par un Libano-guinéen. Au total, la Guinée est un pays otage d'un homme malade. L'armée guinéenne est dirigée par un de ses compagnons d'armes, comme lui ancien adjudant-chef de l'armée française. Les officiers supérieurs de la génération suivante lui sont moins favorables, mais redoutent qu'un coup d'Etat ne libère des forces qu'ils ne pourraient contrôler.

Au terme de cette présentation, des questions ont été formulées.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

a souhaité savoir si l'actuel sommet France-Afrique réuni à Cannes ne constituerait pas le lieu naturel d'une initiative en direction de la Guinée.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

a estimé qu'on ne pouvait rester dans la position de spectateur impuissant devant un pays dont la population est à ce point dépourvue d'espoir, et qui se trouve dans une Afrique de l'Ouest déjà largement déstabilisée. Il a donc souhaité une intervention de l'ONU.

Debut de section - Permalien
Ahmedou Ould-Abdallah

En réponse, M. Ahmedou Ould-Abdallah a apporté les éléments suivants :

- les pays africains réunis actuellement à Cannes pourraient, en effet, adresser un message de nature à soutenir la population guinéenne, et qui permette aux autorités militaires de ce pays de prendre conscience de la gravité de la situation ;

- le secrétaire général de l'ONU a déjà condamné les violences intervenues en Guinée, et les cinq membres du Conseil de sécurité pourraient utilement relayer cette initiative, car il semble que ni la Russie, ni la Chine ne s'y opposeraient. Cependant, la vision du monde du président Conté n'intègre pas l'existence d'organisations internationales, encore moins celle de l'Union européenne, qui l'a déjà menacé de sanctions. Une démarche ferme, incluant l'hypothèse d'un tribunal international, entreprise par de grandes puissances comme les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France serait seule de nature à être entendue par lui ;

- à l'occasion d'un récent voyage accompli en Guinée le 22 janvier dernier, il s'était entretenu avec des officiers supérieurs, auxquels il avait laissé entendre qu'ils pourraient être passibles de la Cour pénale internationale. Il reste à savoir si cette menace a été prise ou non au sérieux. Au total, la situation en Guinée est déterminée par le caractère atypique de son acteur principal, le président Conté.

Puis M. Ahmedou Ould-Abdallah a évoqué la situation de la Côte d'Ivoire, qui pèse sur l'ensemble de la région. Il a estimé que la France n'avait pas été exempte d'erreurs, par manque de cohérence dans sa politique, particulièrement lors de l'éclatement de la crise, en septembre 2002. Il est incontestable que des messages divergents ont alors été émis par la France. Par ailleurs, il estime que, comme beaucoup d'opposants, le président Gbagbo a éprouvé des difficultés à passer au statut de dirigeant et à assumer les responsabilités du pouvoir, difficultés encore aggravées par ses méthodes de manipulation de la population. Son indépendance financière est garantie par les recettes tirées du gisement de pétrole situé en haute mer, et exploité par une société canadienne dont la taille ne semble pas la soumettre aux mêmes obligations de transparence que les majors. A cela s'ajoutent les revenus tirés du cacao. L'opposition n'est pas non plus sans reproche, car elle se discrédite vis-à-vis de la population ivoirienne par un train de vie très bourgeois. Cette attitude renforce le populisme du président Gbagbo. L'opposant le plus crédible est Guillaume Soro, qui a été formé par Gbagbo lui-même.

La situation actuelle pourrait déboucher sur un apaisement, du fait de la lassitude de la population ivoirienne et de la détermination du médiateur Blaise Campaoré, qui connaît personnellement les éléments de la crise et ses acteurs. La proximité physique du lieu de négociation rend les contacts et les consultations plus faciles. De plus, le président burkinabé connaît parfaitement le président Gbagbo comme Guillaume Soro, et sa détermination est appuyée par la présence de deux à trois millions de ses compatriotes en Côte d'Ivoire. L'ensemble de ces éléments pourrait conduire le pays, qui a été dévasté sur le plan économique, à une pacification qu'appuierait une résolution du Conseil de sécurité, prenant en compte le résultat des négociations, et qui serait suivie d'élections. Il a fait remarquer que la population était parfaitement informée de l'évolution des négociations grâce aux nouvelles technologies (radio, internet...).

a estimé que la crise ivoirienne ressemblait, à bien des égards, à une crise européenne, comme celle qui avait affecté la Bosnie, plus qu'à une crise africaine. La qualité des infrastructures laissées par la colonisation française permettrait une rapide reprise économique en cas de stabilisation politique. Ainsi, même au plus fort des troubles, le port d'Abidjan est resté le plus compétitif de la région. De surcroît, le ressentiment anti-français est limité à l'entourage du président Gbagbo.

Puis M. Ahmedou Ould-Abdallah a évoqué les facteurs de crise qui touchaient l'ensemble de la jeunesse africaine. Il a relevé, en premier lieu, la forte démographie, qui constitue un sujet tabou, et qui alimente l'exode rural au profit des bidonvilles. Certes, cette croissance de la population finira, à terme, par se stabiliser, mais les campagnes se vident, car les jeunes ne veulent plus assumer des tâches agricoles pénibles et peu rémunératrices. L'approvisionnement alimentaire des villes est en péril, alors que les jeunes urbains sont sans travail. Faisant référence à deux études récentes, destinées à analyser les risques nouveaux en Afrique, il a indiqué que le détournement d'une part importante de la production pétrolière, les migrations irrégulières dues au problème démographique et à l'urbanisation constituaient des risques majeurs. De plus, il a estimé que la jeunesse, sans espoir et sans travail, représentait la plus grande menace à la stabilité en Afrique. Les gouvernements ne sont pas sans responsabilité dans cette crise, par les faux espoirs qu'ils entretiennent dans les populations et par un manque de compétence économique.

a regretté qu'une mentalité « administrative » continue à prévaloir dans nombre de pays francophones, au détriment de la nécessaire émergence d'une volonté de production. L'ensemble de ces éléments conduit les jeunes au désespoir et à l'émigration clandestine, avec les drames qui s'y attachent.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

s'est interrogé sur la dégradation observée entre le gouvernement malien et les tribus touareg.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

a fait état de la crise traversée par le Tchad, lié par un accord de coopération militaire à la France, qui y maintient le dispositif « Epervier ».

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

a évoqué les décisions récemment prises par les Etats-Unis pour renforcer leur présence en Afrique, et les motivations de la Chine dans sa pénétration du continent.

Debut de section - Permalien
Ahmedou Ould-Abdallah

En réponse, M. Ahmedou Ould-Abdallah a apporté les éléments suivants :

- le gouvernement malien fait des efforts importants pour tâcher d'intégrer la population touareg, mais ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour y parvenir. En effet, les Touaregs restent un groupe à part, qui a beaucoup perdu avec l'indépendance : ils constituaient antérieurement des tribus seigneuriales qui régnaient sur des vassaux noirs et arabes. Cet antagonisme est aggravé par l'absence d'activité économique présente dans le sud-saharien : seules les mines mauritaniennes constituent une insuffisante source d'emplois ;

- le Tchad a toujours été instable depuis l'indépendance, de même que la République centrafricaine. Leurs tensions avec le Soudan sont nées du passage au pouvoir à Khartoum d'Hassan Al Tourabi, islamiste radical qui s'est brouillé avec l'ensemble des gouvernements frontaliers du Soudan. Il a enfin évoqué la « malédiction des ressources minières », qui vient aggraver l'instabilité ;

- il ne faut pas ignorer la « volonté d'expansion » de toute institution militaire, en particulier, aux Etats-Unis, visant à consolider son personnel et son budget. De plus, du fait de l'importance des entreprises privées impliquées dans le budget de la défense aux Etats-Unis, la guerre intéresse financièrement tout le monde. A cet élément général, s'ajoute l'existence de nombreuses crises en Afrique, qui constituent autant de motifs pour étendre son influence. Cependant, les caractéristiques propres à l'armée américaine suscitent immanquablement des oppositions à sa présence. Elle a donc envisagé de s'installer à Sao Tomé et Principe, du fait du caractère excentré de ce petit pays. Mais les militaires américains ont des projets plus vastes, et envisagent d'établir en Afrique deux types de bases, permanentes et temporaires, dont la localisation n'est pas encore fixée ;

- la présence de la Chine en Afrique est irrésistible, car elle répond à des besoins importants des populations africaines pour des produits à bas coût. Les Chinois envisagent également d'édifier des infrastructures et, à plus long terme, de se constituer un réseau d'obligés qui les appuieraient, par leur vote, dans les institutions internationales.

La commission a procédé à l'audition de M. Richard Banégas, chercheur à l'université Paris I, directeur de la revue « Politique africaine », sur la situation en Côte d'Ivoire.

Debut de section - Permalien
Richard Banégas, chercheur à l'université Paris I, directeur de la revue « Politique africaine

a tout d'abord souligné que la situation ivoirienne avait beaucoup évolué au cours de la période récente.

L'adoption de la résolution 1721 du Conseil de sécurité des Nations unies, le 1er novembre 2006, n'a pas permis d'avancées notables. Elle est même apparue, aux yeux de certains, comme un semi échec de la diplomatie française. Au lendemain de son adoption, le président ivoirien Laurent Gbagbo a clairement affiché sa détermination à ne rien céder et à faire primer les termes de la constitution ivoirienne sur les résolutions internationales. Cette détermination est à l'oeuvre depuis le début des négociations, elle a été clairement réaffirmée.

a indiqué que le Premier ministre, M. Charles Konan Banny, avait échoué politiquement et juridiquement dans sa tentative d'affirmer son pouvoir au sein des institutions, le pouvoir présidentiel ayant réaffirmé sa prééminence, récemment manifestée par la réintégration dans leur fonction des personnes impliquées dans le scandale du déversement de déchets toxiques à Abidjan.

Il a rappelé que le président Gbagbo avait pris l'initiative d'un dialogue direct sur le fondement de propositions très éloignées de celles de la communauté internationale et qui comprennent, notamment, une loi d'amnistie, l'instauration d'un service civique et le démantèlement de la zone de confiance. Ce dialogue a cependant été entériné par la communauté internationale comme une option possible et le groupe de travail international (GTI) a reconnu officiellement, en janvier 2007, l'échec de facto de la résolution 1721. La France a également soutenu cette initiative ainsi que la communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union africaine, qui accompagnent ce dialogue direct, et la médiation du président burkinabé, Blaise Campaoré.

a signalé que, sur le plan interne, tous les acteurs ivoiriens s'étaient officiellement rangés à cette initiative. Cependant, on observe une réticence des partis d'opposition qui ont été marginalisés dans ce processus, dans la mesure où le président Gbagbo a choisi son interlocuteur, M. Guillaume Soro, en laissant de côté d'autres acteurs. Dans l'hypothèse où le dialogue déboucherait sur un accord formel, M. Richard Banégas n'a pas exclu que les autres partis manifestent leur mécontentement.

Il a souligné que, paradoxalement, les pourparlers de Ouagadougou avaient été lancés sur la base des propositions du président ivoirien, mais qu'ils marquaient, de fait, une réappropriation des propositions de la résolution 1721.

Evoquant l'identification et le désarmement, M. Richard Banégas a rappelé qu'ils constituaient, depuis le début, les points d'achoppement de la crise. Il a souligné que l'enjeu dépassait les stricts aspects techniques et touchait à la conception ivoirienne de la citoyenneté. Il a précisé que la présence des étrangers n'était pas tant contestée que celle des citoyens d'origine étrangère ou, plus précisément, celle des citoyens ivoiriens nés de parents ivoiriens, mais dont le patronyme évoquait une origine étrangère. Il a considéré qu'il était plus aisé actuellement d'être un étranger en Côte d'Ivoire qu'un Ivoirien à la nationalité contestée.

Il a rappelé que la polémique sur « l'usurpation de citoyenneté » était ancienne et s'était envenimée récemment. Sous la présidence de Félix Houphouët Boigny, la Côte d'Ivoire avait une conception très large de la citoyenneté et le pouvoir s'inscrivait dans une logique d'alliance privilégiée avec les immigrés, ces derniers étant instrumentalisés dans le combat électoral. Lors des élections de 1995, des pièces d'identité ont ainsi largement été délivrées. M. Richard Banégas a noté que le FPI de M. Laurent Gbagbo avait été le premier à contester ce système qui est entré en crise dans les années 1990 et s'est traduit par la destruction de nombreuses pièces d'identité par les forces de police. Il a souligné qu'actuellement le nombre de personnes dépourvues de pièces d'identité s'élevait à plusieurs millions et que, par conséquent, le processus d'identification ne pouvait se borner à une simple actualisation des listes électorales. Il s'agit d'un renversement de perspective entre une conception très large de la citoyenneté et une conception fermée conçue comme une appartenance à un terroir largement fantasmé. Il a ainsi fait état du système mis en place pour permettre aux personnes de prouver leur nationalité. Les commissions villageoises s'appuient sur le patronyme et le confrontent au village dont est issu le lignage de la personne, alors que ce « terroir », largement imaginaire, est dénué de pertinence sur le plan sociologique, compte tenu de la circulation des personnes et de l'urbanisation. Cet état d'esprit est fortement ancré chez les fonctionnaires et les aménagements apportés au code électoral ne suffiront pas à renverser cette tendance.

S'agissant du désarmement, M. Richard Banégas a considéré que l'intégration des forces nouvelles dans l'armée régulière devrait pouvoir être réalisée, mais que le devenir de toute une série de forces supplétives restait problématique. Il a observé que la société ivoirienne était marquée par une militarisation faisant coexister un ensemble complexe de forces supplétives, des milices villageoises d'autodéfense, des milices urbaines et des groupes de jeunes patriotes. Cet ensemble d'acteurs témoigne d'un fait sociologique majeur, celui de l'affirmation de la jeunesse dans l'espace public, dans et par la violence. Il a indiqué que les milices auxquelles le gouvernement avait fait appel pour arrêter la rébellion dans l'ouest du pays étaient assez bien identifiées, mais qu'elles coexistaient avec une nébuleuse de groupes d'autodéfense constitués sur le modèle des « jeunes patriotes » d'Abidjan. Dans la perspective du désarmement, les membres de ces groupes revendiquent la qualité d'ancien combattant et l'on observe un processus d'intégration de ces milices dans les corps constitués et la délivrance de cartes d'identification. En outre, ces milices rurales se sont vu reconnaître des fonctions sociales politiques et économiques. Elles ont conduit des opérations d'expropriation et, dans la perspective des élections, procèdent à une forme d'épuration partisane employant des stratégies de terreur.

Dans les zones urbaines, les groupes de patriotes pour la paix (GPP) sont le principal corps armé à Abidjan et restent actifs en dépit des démantèlements successifs en constituant des réseaux fragmentés mais toujours opérationnels. Aux côtés des GPP, le mouvement des « jeunes patriotes » suit désormais, suivant la consigne du pouvoir, une ligne politique assez modérée. M. Richard Banégas a souligné que la capacité de mobilisation de ces groupes restait forte et qu'en cas de blocage politique, ou de différend sur la mise en oeuvre des accords de Ouagadougou, il était à craindre que les arbitrages ne se fassent dans la rue. Il a observé que ces structures avaient montré leurs capacités à quadriller le territoire et à se structurer en de multiples forums, appelés « parlement ou agora » à l'exemple de « la Sorbonne du plateau ». Ces réseaux sont souples et efficaces comme en témoignent leurs capacités à monter très rapidement des barrages en ville.

a indiqué que l'opposition avait également pris conscience de la nécessité de pouvoir mobiliser la rue. En juillet 2006, les « jeunes patriotes » ont été mis en déroute pour la première fois sur ce terrain. La mobilisation informelle de l'opposition s'effectue via la fédération des « grins » qui sont historiquement des lieux de sociabilité, mais où l'on observe une politisation croissante.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Bret

A M. Robert Bret qui l'interrogeait sur la place de la France dans le processus de Ouagadougou et sur son échec dans la gestion de la crise, M. Richard Banégas a indiqué que la France était certainement présente mais que son influence était difficile à apprécier de l'extérieur. Il a observé que la gestion de la crise avait été marquée par une grande maladresse et par l'incapacité de la France à faire le choix du multilatéral et à s'y tenir. Il a souligné que la France avait fait montre de son impuissance et avait conduit à plusieurs reprises à une rebilatéralisation des relations avec la Côte d'Ivoire.

Debut de section - PermalienPhoto de André Dulait

a souhaité savoir si l'accord conclu à la suite de l'affaire des déchets toxiques bénéficierait réellement aux populations et si la France avait pu tirer un quelconque bénéfice moral de la gestion de cette affaire.

Debut de section - Permalien
Richard Banégas, chercheur à l'université Paris I, directeur de la revue « Politique africaine

a convenu qu'il était permis d'en douter, mais que le président Gbagbo avait pris des engagements dans ce sens. Quant au bénéfice à tirer de la crise, l'opportunité n'a pas été saisie par l'opposition, alors que le choc moral a été tel que la légitimité du pouvoir a été très fortement ébranlée. Globalement, l'image d'une Afrique réceptacle des déchets de l'Occident a cependant prédominé.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Guerry

s'est interrogé sur la situation économique en Côte d'Ivoire et sur le mode de financement des milices.

Debut de section - Permalien
Richard Banégas, chercheur à l'université Paris I, directeur de la revue « Politique africaine

a insisté sur le fait que l'argument financier n'était pas déterminant dans la mobilisation des « jeunes patriotes ». Les subsides qu'ils perçoivent sont d'ailleurs infimes si l'on excepte les dirigeants. La mobilisation est avant tout idéologique et les milices sont aussi un lieu de socialisation. Le discours antifrançais entre en résonance avec les préoccupations individuelles des jeunes et avec une logique d'émancipation sociale, notamment à l'égard de leurs familles. Quant au financement des milices, il est difficile à mettre en évidence. Les réseaux de financement et d'armement englobent la présidence mais aussi l'argent du cacao, du café et du pétrole. Paradoxalement, la situation économique n'est pas désastreuse et il faut souligner que le pétrole est devenu la première ressource de la Côte d'Ivoire. S'agissant des forces nouvelles, celles-ci ont une logique de prédation vis-à-vis des ressources à leur disposition : coton, diamant et cacao.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

En réponse à M. Robert Del Picchia, président, qui l'interrogeait sur la façon dont étaient perçus les Français de Côte d'Ivoire, M. Richard Banégas a estimé qu'ils ne rencontraient pas d'animosité particulière et que si la France était stigmatisée pour sa politique en tant qu'Etat, les ressortissants français n'étaient pas l'objet de menaces particulières. De la même manière, seule une fraction marginale de la population souhaite voir les investissements français quitter le pays. En revanche, on observe une volonté de remettre à plat les relations franco-ivoiriennes et franco-africaines en général dans un souci de partenariat plus équilibré et dans une logique de concurrence internationale. Il a considéré que la France devait intégrer cette logique de globalisation qui met fin, à tous égards, aux situations de rente.