Intervention de Richard Banégas

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 février 2007 : 1ère réunion
Situation en côte d'ivoire — Audition de M. Richard Banégas chercheur à l'université paris i directeur de la revue « politique africaine »

Richard Banégas, chercheur à l'université Paris I, directeur de la revue « Politique africaine :

a tout d'abord souligné que la situation ivoirienne avait beaucoup évolué au cours de la période récente.

L'adoption de la résolution 1721 du Conseil de sécurité des Nations unies, le 1er novembre 2006, n'a pas permis d'avancées notables. Elle est même apparue, aux yeux de certains, comme un semi échec de la diplomatie française. Au lendemain de son adoption, le président ivoirien Laurent Gbagbo a clairement affiché sa détermination à ne rien céder et à faire primer les termes de la constitution ivoirienne sur les résolutions internationales. Cette détermination est à l'oeuvre depuis le début des négociations, elle a été clairement réaffirmée.

a indiqué que le Premier ministre, M. Charles Konan Banny, avait échoué politiquement et juridiquement dans sa tentative d'affirmer son pouvoir au sein des institutions, le pouvoir présidentiel ayant réaffirmé sa prééminence, récemment manifestée par la réintégration dans leur fonction des personnes impliquées dans le scandale du déversement de déchets toxiques à Abidjan.

Il a rappelé que le président Gbagbo avait pris l'initiative d'un dialogue direct sur le fondement de propositions très éloignées de celles de la communauté internationale et qui comprennent, notamment, une loi d'amnistie, l'instauration d'un service civique et le démantèlement de la zone de confiance. Ce dialogue a cependant été entériné par la communauté internationale comme une option possible et le groupe de travail international (GTI) a reconnu officiellement, en janvier 2007, l'échec de facto de la résolution 1721. La France a également soutenu cette initiative ainsi que la communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et l'Union africaine, qui accompagnent ce dialogue direct, et la médiation du président burkinabé, Blaise Campaoré.

a signalé que, sur le plan interne, tous les acteurs ivoiriens s'étaient officiellement rangés à cette initiative. Cependant, on observe une réticence des partis d'opposition qui ont été marginalisés dans ce processus, dans la mesure où le président Gbagbo a choisi son interlocuteur, M. Guillaume Soro, en laissant de côté d'autres acteurs. Dans l'hypothèse où le dialogue déboucherait sur un accord formel, M. Richard Banégas n'a pas exclu que les autres partis manifestent leur mécontentement.

Il a souligné que, paradoxalement, les pourparlers de Ouagadougou avaient été lancés sur la base des propositions du président ivoirien, mais qu'ils marquaient, de fait, une réappropriation des propositions de la résolution 1721.

Evoquant l'identification et le désarmement, M. Richard Banégas a rappelé qu'ils constituaient, depuis le début, les points d'achoppement de la crise. Il a souligné que l'enjeu dépassait les stricts aspects techniques et touchait à la conception ivoirienne de la citoyenneté. Il a précisé que la présence des étrangers n'était pas tant contestée que celle des citoyens d'origine étrangère ou, plus précisément, celle des citoyens ivoiriens nés de parents ivoiriens, mais dont le patronyme évoquait une origine étrangère. Il a considéré qu'il était plus aisé actuellement d'être un étranger en Côte d'Ivoire qu'un Ivoirien à la nationalité contestée.

Il a rappelé que la polémique sur « l'usurpation de citoyenneté » était ancienne et s'était envenimée récemment. Sous la présidence de Félix Houphouët Boigny, la Côte d'Ivoire avait une conception très large de la citoyenneté et le pouvoir s'inscrivait dans une logique d'alliance privilégiée avec les immigrés, ces derniers étant instrumentalisés dans le combat électoral. Lors des élections de 1995, des pièces d'identité ont ainsi largement été délivrées. M. Richard Banégas a noté que le FPI de M. Laurent Gbagbo avait été le premier à contester ce système qui est entré en crise dans les années 1990 et s'est traduit par la destruction de nombreuses pièces d'identité par les forces de police. Il a souligné qu'actuellement le nombre de personnes dépourvues de pièces d'identité s'élevait à plusieurs millions et que, par conséquent, le processus d'identification ne pouvait se borner à une simple actualisation des listes électorales. Il s'agit d'un renversement de perspective entre une conception très large de la citoyenneté et une conception fermée conçue comme une appartenance à un terroir largement fantasmé. Il a ainsi fait état du système mis en place pour permettre aux personnes de prouver leur nationalité. Les commissions villageoises s'appuient sur le patronyme et le confrontent au village dont est issu le lignage de la personne, alors que ce « terroir », largement imaginaire, est dénué de pertinence sur le plan sociologique, compte tenu de la circulation des personnes et de l'urbanisation. Cet état d'esprit est fortement ancré chez les fonctionnaires et les aménagements apportés au code électoral ne suffiront pas à renverser cette tendance.

S'agissant du désarmement, M. Richard Banégas a considéré que l'intégration des forces nouvelles dans l'armée régulière devrait pouvoir être réalisée, mais que le devenir de toute une série de forces supplétives restait problématique. Il a observé que la société ivoirienne était marquée par une militarisation faisant coexister un ensemble complexe de forces supplétives, des milices villageoises d'autodéfense, des milices urbaines et des groupes de jeunes patriotes. Cet ensemble d'acteurs témoigne d'un fait sociologique majeur, celui de l'affirmation de la jeunesse dans l'espace public, dans et par la violence. Il a indiqué que les milices auxquelles le gouvernement avait fait appel pour arrêter la rébellion dans l'ouest du pays étaient assez bien identifiées, mais qu'elles coexistaient avec une nébuleuse de groupes d'autodéfense constitués sur le modèle des « jeunes patriotes » d'Abidjan. Dans la perspective du désarmement, les membres de ces groupes revendiquent la qualité d'ancien combattant et l'on observe un processus d'intégration de ces milices dans les corps constitués et la délivrance de cartes d'identification. En outre, ces milices rurales se sont vu reconnaître des fonctions sociales politiques et économiques. Elles ont conduit des opérations d'expropriation et, dans la perspective des élections, procèdent à une forme d'épuration partisane employant des stratégies de terreur.

Dans les zones urbaines, les groupes de patriotes pour la paix (GPP) sont le principal corps armé à Abidjan et restent actifs en dépit des démantèlements successifs en constituant des réseaux fragmentés mais toujours opérationnels. Aux côtés des GPP, le mouvement des « jeunes patriotes » suit désormais, suivant la consigne du pouvoir, une ligne politique assez modérée. M. Richard Banégas a souligné que la capacité de mobilisation de ces groupes restait forte et qu'en cas de blocage politique, ou de différend sur la mise en oeuvre des accords de Ouagadougou, il était à craindre que les arbitrages ne se fassent dans la rue. Il a observé que ces structures avaient montré leurs capacités à quadriller le territoire et à se structurer en de multiples forums, appelés « parlement ou agora » à l'exemple de « la Sorbonne du plateau ». Ces réseaux sont souples et efficaces comme en témoignent leurs capacités à monter très rapidement des barrages en ville.

a indiqué que l'opposition avait également pris conscience de la nécessité de pouvoir mobiliser la rue. En juillet 2006, les « jeunes patriotes » ont été mis en déroute pour la première fois sur ce terrain. La mobilisation informelle de l'opposition s'effectue via la fédération des « grins » qui sont historiquement des lieux de sociabilité, mais où l'on observe une politisation croissante.

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