Depuis la chute du régime de Milosevic en octobre 2000 et l'arrivée au pouvoir du Président Boris Tadic en 2004, la Serbie a fait de l'adhésion à l'Union européenne la première priorité de sa politique étrangère.
Comme nous avons pu le constater lors de nos entretiens au Parlement serbe, tous les partis de la coalition actuellement au pouvoir, qui va des autonomistes hongrois de Voïvodine aux socialistes de l'ancien parti de Milosevic, sont favorables à l'adhésion à l'Union européenne.
Même les représentants des partis nationalistes, membres de l'opposition, qui sont opposés à l'adhésion pour des raisons tenant à la souveraineté nationale, nous ont déclaré qu'ils étaient favorables au rapprochement avec l'Union européenne car ils y voyaient un levier pour la modernisation du pays.
La Serbie a d'ailleurs déposé officiellement sa candidature à l'adhésion le 21 décembre 2009. La Commission européenne devrait rendre son avis sur cette candidature à l'été 2011 et le Conseil décidera ensuite s'il accorde ou non à la Serbie le statut de pays candidat.
Que faut-il penser de l'état de préparation de la Serbie ?
Comme l'a reconnu la Commission européenne, dans son dernier rapport de suivi du 9 novembre 2010, la Serbie a réalisé ces dernières années d'importants efforts sur la voie de son rapprochement avec l'Union européenne.
Ainsi, après avoir été bloquée en 2009 par le Parlement néerlandais, au motif que les autorités serbes ne faisaient pas assez d'efforts pour appréhender les deux derniers fugitifs recherchés par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), Radko Mladic et Goran Hadzic, l'Union européenne a finalement décidé, après plusieurs rapports positifs du procureur Serge Brammertz, de lancer le processus de ratification de l'accord de stabilisation et d'association avec la Serbie. Notre assemblée devrait être saisie prochainement du projet de loi autorisant sa ratification.
La pleine coopération avec le TPIY reste cependant une condition essentielle du rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne.
Par ailleurs, l'Union européenne a décidé de lever, depuis décembre 2009, l'obligation de visas pour les ressortissants serbes qui souhaitent effectuer un court séjour dans l'espace Schengen. La Serbie a également largement normalisé ses relations avec ses voisins, même si plusieurs questions restent en suspens.
Le Parlement serbe a adopté en mars 2010 une déclaration condamnant le massacre commis à Srebrenica et appelant à arrêter et juger tous les criminels de guerre. Le Président serbe s'est lui-même rendu à Srebrenica et à Vukovar. Grâce notamment à la médiation de la Turquie, la Serbie a amélioré ses relations avec la Croatie et avec la Bosnie-Herzégovine, ainsi qu'avec l'Albanie.
Reste le cas du Kosovo, dont la Serbie n'a pas reconnu l'indépendance, proclamée en février 2008, et qui est reconnue à ce jour par 72 Etats dont 22 des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne (tous à l'exception de l'Espagne, de Chypre, de la Grèce, de la Roumanie et de la Slovaquie).
Saisie par la Serbie, la Cour internationale de justice a rendu le 22 juillet 2010 un avis consultatif d'après lequel la déclaration d'indépendance du Kosovo n'était pas contraire au droit international. Le 9 septembre 2010, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté par consensus une résolution proposée conjointement par la Serbie et l'Union européenne prenant acte de cet avis et ouvrant la voie à des nouvelles discussions entre Serbes et Kosovars sous l'égide de l'Union européenne.
Ce « dialogue » entre Belgrade et Pristina devrait permettre de résoudre les difficultés pratiques rencontrées par les citoyens (comme la reconnaissance des documents par exemple) et faciliter le travail de la mission EULEX de l'Union européenne déployée au Kosovo, la question de l'accès aux monastères orthodoxes, mais aussi régler le problème du Nord du Kosovo, où vivent une majorité de serbes, ainsi que des enclaves serbes au Sud.
Comme nous l'a confirmé le directeur de cabinet du ministre serbe des affaires étrangères, qui est chargé des négociations pour la partie serbe, « Belgrade est prête au dialogue et c'est maintenant à Pristina de faire preuve de sa bonne volonté ».
La Serbie n'est certes pas disposée à reconnaître l'indépendance du Kosovo, mais notre interlocuteur a fait preuve d'une réelle bonne volonté et d'une grande ouverture concernant ce dialogue avec Pristina, avec l'objectif de parvenir in fine à une « normalisation » des relations. Comme il nous l'a indiqué, la Serbie est prête à faire preuve d'une « ambigüité constructive » concernant le statut.
D'après certains observateurs, l'objectif de Belgrade serait d'obtenir à terme, soit une partition du Nord du Kosovo, majoritairement peuplé de serbes, soit un échange de territoires avec la vallée de Presevo au Sud de la Serbie, où vivent une majorité d'albanais.
Même la publication, quelques jours avant notre visite, du rapport du député suisse Dick Marty, dans le cadre du Conseil de l'Europe, qui accuse la guérilla albanaise de l'UCK et le Premier ministre kosovar Hashim Thaçi, de s'être livré à un trafic d'organes sur des prisonniers serbes au cours du conflit, a suscité une réaction plutôt mesurée de la part des autorités serbes, qui se sont déclarées disposées à poursuivre le dialogue avec Pristina.
Sur le plan intérieur, depuis la chute de Milosevic en octobre 2000, la Serbie a entamé une difficile transition politique, économique et sociale, qui n'est toujours pas achevée. Elle subit encore le poids des années de guerre et d'isolement.
En matière politique, de nombreux progrès restent à accomplir, notamment concernant l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement et l'exécutif, la liberté de la presse, le retour des réfugiés ou encore la réforme de la justice. Ainsi, lors de nos entretiens à l'Assemblée nationale de Serbie, nous étions alors mi-décembre, nous avons eu la surprise d'apprendre que le projet de budget pour 2011 n'avait toujours pas été présenté par le Gouvernement et que le Parlement ne disposerait que de quelques jours pour l'adopter.
Nous avons également été très surpris par le mode d'élection des députés. En effet, le système électoral actuel est basé sur un scrutin proportionnel de liste. Les électeurs votent pour un parti qui désigne ensuite les députés élus sur la liste des candidats, sans tenir compte ni de leur rang, ni de leur base territoriale. En outre, la possibilité prévue par la Constitution pour les partis politiques de demander aux députés une démission en blanc est une pratique très répandue. Une réforme du mode d'élection est actuellement à l'étude.
De manière générale, le Parlement serbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens, ce qui peut poser des difficultés en matière de reprise de l'acquis communautaire. Le Parlement serbe serait d'ailleurs très désireux de nouer une coopération administrative avec le Parlement français, notamment en matière européenne, et le délégué de l'Union européenne nous a indiqué qu'un appel d'offres européen serait lancé prochainement sur ce sujet.
En matière économique, la Serbie est loin d'être considérée comme une économie de marché viable capable de faire face aux pressions concurrentielles. Le PNB par habitant est d'environ 10 000 dollars, soit moitié moindre que celui de la Croatie et représente un tiers de la moyenne européenne. Enfin, comme le relève la Commission européenne, les capacités administratives et judiciaires restent encore très insuffisantes et la corruption demeure un problème sérieux.
En dépit de ces obstacles, la Serbie reste un pays clé de la région, du fait de sa position géographique, de son poids démographique, de son potentiel économique et administratif et de son influence sur les pays voisins.
Dans ce contexte, quelle doit être la politique de la France à l'égard de la Serbie ?
Le sentiment que nous retirons de notre déplacement est que la France doit soutenir la Serbie dans sa volonté de rapprochement avec l'Union européenne et encourager ses efforts de modernisation.
Comme nous avons pu le mesurer au cours de notre visite, la France jouit d'un capital important de sympathie en Serbie. Le souvenir de la fraternité des armes lors de la première et lors de la deuxième guerre mondiale demeure, en dépit du souvenir douloureux des bombardements de l'OTAN sur Belgrade et de la reconnaissance par la France de l'indépendance du Kosovo, comme en témoigne notamment le monument à la gloire de la France, situé dans le parc Kalemegdan, en plein centre de la ville.
Cette relance de nos relations pourrait être formalisée par la signature d'un « partenariat stratégique » entre la France et la Serbie, à l'image des accords signés avec d'autres pays d'Europe centrale et orientale, et par un renforcement de notre coopération bilatérale dans tous les secteurs, en particulier en matière économique.
Notre coopération culturelle s'appuie sur le centre culturel français de Belgrade, situé au coeur de la ville et qui joue un rôle essentiel sur la scène culturelle, comme nous avons pu le constater lors d'une visite, ainsi que sur ses deux antennes situées à Nis et à Novi-Sad. La Serbie est aussi membre observateur de l'Organisation internationale de la francophonie.
Malgré la concurrence de l'anglais, l'enseignement du français progresse (9,5 % des élèves apprennent notre langue). Face à l'engorgement de l'école française, la création d'un lycée franco-serbe à Belgrade destiné à accueillir quelque 700 élèves est à l'étude. Il existe également une coopération bilatérale dans le domaine de la santé, de la justice, de la police et en matière militaire.
Notre coopération bilatérale souffre toutefois de la forte réduction de nos moyens budgétaires, avec une baisse de l'ordre de 20 % sur deux ans. Surtout, en matière économique, notre pays occupe une place encore très modeste.
La part de marché de la France est faible avec seulement 3,4 % en 2009. La France est le 6e fournisseur, après la Russie, l'Allemagne, l'Italie et la Chine et le 12e client de la Serbie.
La présence économique française est modeste, avec deux grandes usines Michelin et Lafarge, une dizaine de PME, et est surtout concentrée dans le système bancaire, l'agroalimentaire et les services. Le montant cumulé des investissements français s'élève à environ 500 millions d'euros, sur un total de l'ordre de 12 milliards d'euros d'investissements étrangers. La France enregistre la 8e position, loin derrière l'Autriche, la Grèce, la Norvège et l'Allemagne.
Une nouvelle chambre de commerce franco-serbe a été créée en octobre 2009, dont nous avons rencontré les principaux représentants, et qui devrait permettre d'attirer davantage d'entreprises françaises.
En particulier, un « grand » projet pourrait intéresser les entreprises françaises : la construction du métro léger de Belgrade.
En tout état de cause, il existe une forte attente de la Serbie à l'égard de la France et je crois qu'il va de notre devoir mais aussi de notre intérêt d'y répondre.