Je parlerai donc en premier, pour me féliciter, tout d'abord, d'avoir pu travailler en parfaite intelligence avec M. Yves Rome. Nos points de vue ont convergé sur un grand nombre de sujets.
Dans un premier temps, je présenterai, de façon très synthétique, ma position sur les crédits alloués à l'audiovisuel extérieur de la France : j'estime que, dans le contexte de restrictions budgétaires que nous connaissons tous, la fin de l'augmentation des crédits alloués à la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (- 3,9 %) se justifie à double titre. Premièrement, cette trajectoire budgétaire s'inscrit dans la logique de la réforme de l'audiovisuel extérieur : l'augmentation continue des dotations était prévue pour soutenir le lancement de la nouvelle société holding. Aujourd'hui, nous sommes dans une deuxième phase où doivent se manifester les effets positifs des synergies mises en place et une capacité de mobilisation de ressources publicitaires. Il s'agit donc d'une démarche cohérente. Le ralentissement des dotations budgétaires, dès lors que la phase initiale d'investissement arrive à son terme, est d'ailleurs une évolution qui était prévisible et a été anticipée par les responsables concernés.
Deuxièmement, si beaucoup de critiques ont été adressées à l'AEF, je tiens à rappeler deux éléments de contexte dont on ne peut se départir. Le premier est qu'on recense aujourd'hui plus de 27 000 chaînes de télévision dont 57 chaines d'information : qui pourrait croire qu'une nouvelle réorganisation de l'audiovisuel extérieur pourrait permettre, par un simple « coup de baguette magique », de diminuer une pression concurrentielle inédite et qui rend plus difficile que jamais l'accès aux ressources publicitaires ? J'ajoute qu'il faut être attentif aux réflexions en cours sur la réforme de l'audiovisuel extérieur : ne risquent-elles pas de nous faire revenir en arrière en dispersant des entités que l'on a légitimement voulu regrouper pour leur donner une cohérence d'ensemble ? Deuxièmement, le rôle de l'État dans cette affaire est difficile : voyez le tollé de protestations qui s'élève lorsqu'il est soupçonné d'intervenir dans l'audiovisuel, alors que, dans le même temps, laisser indéfiniment croître les financements publics serait irresponsable ! J'attire votre attention, mes chers collèges, sur un point important : plutôt que de céder à la frénésie législative et à l'instabilité juridique qui en découle, laissons le temps à la réforme d'aboutir et de produire ses effets. En revanche, il convient de réfléchir attentivement aux ajustements susceptibles de conforter TV5 Monde.
J'en viens à la présentation de la seconde partie de ce rapport pour avis budgétaire. J'insisterai sur les trois principaux enjeux que sont la situation des vecteurs du rayonnement français que sont France 24, RFI et TV5, les perspectives de synergie et la contribution de la réforme de l'audiovisuel extérieur au rayonnement de la France. Tout d'abord, je souhaite insister sur le contexte concurrentiel très difficile dans lequel évolue l'AEF. Selon le dernier rapport de l'Inspection des finances, la France investit dans son outil audiovisuel extérieur un niveau de ressources publiques comparable à ceux du Royaume-Uni et de l'Allemagne. En revanche, les ressources propres représentent un peu plus de 5 % des produits d'exploitation de l'AEF, ce qui constitue un « ratio » comparable à celui de Deutsche Welle, mais trois fois inférieur à celui de BBC Global News.
Ce rapport atteste que la mutation rapide de l'AEF s'est accompagnée de « belles réussites » et il ressort de l'ensemble des analyses de l'Inspection des finances que l'AEF reste, dans son architecture actuelle, un outil suffisamment performant pour conserver des chances non négligeables de succès face à la concurrence très rude qui caractérise le secteur audiovisuel au niveau international.
Sans entrer dans le détail des objectifs et des modalités du déménagement de RFI à Issy les Moulineaux dans un immeuble contigu à celui de France 24, je signale que le coût de cette opération est estimé a priori à 24,5 millions d'euros et il pourrait être majoré, essentiellement si un éventuel retard amène à acquitter un double loyer. Cette évolution se déroule, en effet, dans un climat social tendu : le 31 août dernier, le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a demandé une expertise sur les projets de fusion juridique et de réorganisation opérationnelle sur lequel les tribunaux doivent bientôt statuer. Ma principale suggestion résulte des échanges que nous avons pu avoir en commission sur le nombre de langues de diffusion qui semble avoir atteint un seuil minimal. Je relève avec satisfaction que le rapport de l'Inspection générale des finances consacré à l'audiovisuel extérieur estime également que la poursuite de la réduction du nombre de langues de diffusion est désormais une piste de réforme à écarter : il en subsiste douze à RFI contre 27 à la BBC et 28 à la Deutsche Welle. Notre capacité à diffuser dans plusieurs langues est essentielle, non seulement pour accroître notre audience, mais aussi et surtout dans une perspective de défense de la diversité culturelle et linguistique qui est l'une des valeurs phares de la francophonie. Dans cette perspective, il importe de favoriser le recours au sous-titrage d'émissions diffusées en français. En revanche, je reste perplexe quant à l'intérêt, pour la France et la francophonie, d'un certain nombre d'émissions diffusées en anglais sur France 24, dont les contenus semblent calqués sur l'audiovisuel anglo-saxon et ne reflètent pas suffisamment un angle de vue « à la française ».
S'agissant de l'analyse de l'évolution et des perspectives de France 24, je souligne un fait essentiel, qui résume la problématique budgétaire -du coté des ressources- de l'AEF : entre 2007 et 2010, les recettes publicitaires de France 24 ont progressé dix fois moins que son audience (+ 20 % contre + 200%). Le bilan des audiences établi pour 2010 a permis de quantifier celle de France 24 à 29,9 millions de téléspectateurs hebdomadaires, dont 19,5 millions en Afrique, 6,9 millions en Afrique du Nord/Moyen-Orient (y compris 3,2 millions en langue arabe) et 3 millions en Europe.
Par ailleurs, il convient de rappeler que TV5 monde est unanimement appréciée et reconnue comme le pilier de notre audiovisuel extérieur. Cependant, en droit des sociétés, comme en droit de la famille, il y a toujours, à un moment ou à un autre, des craintes sur la répartition des flux financiers. A notre demande, l'évolution des moyens financiers de TV5 Monde en 2012 a fait l'objet d'une réponse précise de l'autorité de tutelle lors de son audition par la commission : en dépit de la diminution globale des ressources allouées à l'audiovisuel extérieur, les financements TV5 Monde devraient être, au minimum, préservés. Je vous propose de soutenir cette chaîne emblématique non seulement par un hommage appuyé, mais par une prise de position très concrète. En effet, le rapport de l'Inspection des finances, contient une recommandation tendant à diminuer les coûts de diffusion de TV5 monde. Or, comme l'a très bien rappelé la directrice générale des médias et des industries culturelles, Mme Laurence Franceschini, lors de son audition, la diffusion c'est « le nerf de la guerre » de l'audiovisuel. C'est sur ce point précisément que ce rapport me semble avoir été un peu au-delà des limites qui lui étaient assignées. On peut admettre que certaines économies de gestion sont envisageables, mais il est important de distinguer l'« intendance » de « l'essentiel ». Or amputer la diffusion, c'est s'attaquer aux leviers fondamentaux du rayonnement audiovisuel et il s'agit d'une décision hautement stratégique qui ne relève pas d'un audit « organisationnel ».
Enfin, la tutelle de l'AEF est aujourd'hui interministérielle, puisque partagée entre le ministère de la culture, le ministère des affaires étrangères et les ministères des finances (direction du budget, agence des participations de l'État). Comme le souligne le rapport de l'IGF, cet éclatement est probablement déresponsabilisant pour les administrations concernées et n'est sans doute pas étranger au fait que la direction de l'AEF a eu tendance à développer un dialogue direct avec le cabinet du Premier ministre. Constatant que la multi-tutelle suscite, quasiment dans tous les domaines et de façon récurrente, des difficultés, je vous propose de préconiser de s'en tenir à la logique selon laquelle le rayonnement audiovisuel de la France relève par nature du ministère en charge des affaires étrangères
Avant de passer la parole à mon co-rapporteur Yves Rome, je conclurai mon intervention par une observation plus générale : compte tenu de la présentation relativement cloisonnée des crédits budgétaires, nous ne nous interrogeons pas assez souvent sur le meilleur arbitrage possible entre les différents « vecteurs » de la langue et de l'influence française tels que l'audiovisuel extérieur mais aussi l'enseignement du français à l'étranger ou l'action culturelle extérieure.
Chacun s'accorde à reconnaître que le nouveau contexte technologique impose aux dirigeants de l'audiovisuel d'homogénéiser les contenus entre internet, le téléphone mobile, la radio et la télévision et, pour ma part, je préconise une approche encore plus transversale. Il s'agit notamment d'intégrer la problématique de l'influence française par le canal de l'écrit et, en particulier, de la diffusion du livre. Une autre dimension qui doit, à mon sens, faire l'objet d'une attention soutenue est celle du rôle d'internet. N'oublions pas que, dans certains pays, l'accès à l'audiovisuel public français est soit inaccessible pour des raisons juridiques, soit onéreux puisqu'il est conditionné à la souscription à des abonnements : il est donc essentiel de le diffuser sur internet pour en permettre l'accès libre.
Je rattache cette problématique à la question que nous avons soulevée, la semaine dernière, de l'articulation entre l'audiovisuel extérieur et l'Institut français présidé par Xavier Darcos, et je suggère à la commission d'encourager les efforts consentis à cet égard.