Intervention de Yves Rome

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission médias livre et industries culturelles - programme action audiovisuelle extérieure - examen du rapport pour avis

Photo de Yves RomeYves Rome, co-rapporteur pour avis :

Je vous présenterai quelques remarques sur les crédits consacrés à l'audiovisuel extérieur dans le projet de loi de finances pour 2012 pour vous éclairer sur le sens du vote que je vous propose.

Nous aurions pu nous étendre longuement sur les difficultés relationnelles et les problèmes récurrents de management au sein de la société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (AEF), comme la presse d'ailleurs a pu s'en faire l'écho à de nombreuses reprises. Nous avons cependant pris le parti de nous poser les questions essentielles pour que la voix de la France à l'étranger soit mieux entendue : le Parlement est-il en mesure, cette année encore, d'apprécier avec une précision suffisante où va la dotation allouée à l'AEF ? Je ne le crois pas. Le Gouvernement lui-même semble partager ces inquiétudes, sinon ces certitudes, puisqu'il s'est vu dans l'obligation de diligenter une inspection de l'Inspection des finances, dont les conclusions ont été mises en ligne, il y a quelques jours à peine, mais ne nous ont jamais été communiquées. Nous aurons l'occasion de revenir sur l'objet même de ce rapport.

Comme vous le savez, la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, dite LOLF, est gouvernée par le principe de sincérité budgétaire dont le but est de permettre aux parlementaires de se prononcer en toute connaissance de cause sur les crédits. Je rappelle également que, dans certains programmes, la justification des crédits va très loin dans le détail : par exemple, dans le « bleu budgétaire » n° 185 consacré à la diplomatie culturelle, certains crédits consacrés à l'audiovisuel sont explicités à 20 000 euros près.

En revanche, s'agissant du programme 115 que j'ai l'honneur de rapporter, il est demandé au Parlement d'approuver une dotation globale exprimée en un seul chiffre : 150,1 millions d'euros auxquels s'ajoutent les crédits issus du produit de la contribution à l'audiovisuel public (166,8 millions d'euros). Au total, pour 2012, il est donc proposé d'allouer à la société holding Audiovisuel Extérieur de la France et, à travers elle, à France 24, RFI et TV5 Monde, une dotation totale de ressources publiques de 315,2 millions d'euros, contre 327,5 en 2011 soit une baisse de 3,9 %. Cette diminution est considérée par les trois opérateurs de l'AEF comme une « double injustice » : leurs représentants nous ont indiqué, au cours des entretiens, d'une part, que cette évolution ne prenait pas en compte les efforts fournis par chacun depuis trois ans (en termes d'audience, de distribution, de réorganisation -nouvelle politique des langues, la fermeture de filiales, le plan social à RFI) et, d'autre part, qu'elle se traduisait par un traitement moins favorable de l'audiovisuel extérieur que de l'audiovisuel national. Certes, le chemin budgétaire suivi depuis 2004 montre que l'AEF a fait l'objet d'efforts soutenus, mais France 24 (avec une hausse de 66 % de ses moyens entre 2007 et 2011) a absorbé l'essentiel des augmentations de crédits alloués à l'AEF. Au cours de la même période, ceux de RFI ont stagné et ceux de TV5 monde ont augmenté de 22 %. On peut donc non seulement s'interroger sur la pertinence du rapprochement entre France 24 et RFI, mais aussi se demander si TV5 Monde reste une priorité pour la direction de l'AEF, alors que la chaîne francophone demeure le principal outil audiovisuel de rayonnement mondial de la France (220 millions de foyers raccordés, 50 millions de téléspectateurs par semaine, 830 millions annuels de nuitées d'hôtel et 8 millions de connections par mois).

Pour 2012, la répartition des financements entre les différentes sociétés de la holding n'est pas disponible. Dans le cas de l'audiovisuel, la loi contrebalance cette relative opacité par l'obligation de communiquer au parlement le contrat d'objectif et de moyens. Je souligne qu'il s'agit ni plus ni moins que d'éclairer les choix et la stratégie sous-jacents à cette subvention : cette obligation légale est donc une composante essentielle de l'information du Parlement. Or depuis 2009, les documents, rapports et avis budgétaires se succèdent et se ressemblent pour annoncer la conclusion imminente d'un COM.

Toujours rien depuis, et on nous renvoie désormais à février 2012. Le Gouvernement semble donc lui-même perplexe puisqu'il a jugé utile de clarifier cette situation en demandant à l'Inspection générale des finances un rapport. Annoncé au Sénat par le ministre en charge de la Culture au printemps dernier, ce rapport qui devait permettre d'apporter des éclaircissements sur l'emploi des crédits publics depuis n'a pas, dans un premier temps, été publié, ni même communiqué aux rapporteurs, ce qui ne plaide pas pour une réelle transparence et peut nous amener à nous interroger sur les motivations véritables dudit rapport.

Le « voile » a été levé in extremis sur les résultats de cet audit alors que commençaient à circuler un certain nombre de rumeurs. Une rapide analyse de ce rapport amène à formuler deux principales observations. Tout d'abord, certaines de ses préconisations semblent contestables : en particulier, comme l'a indiqué Mme Joëlle Garriaud-Maylam, l'Inspection des finances consacre des développements à la diminution des coûts de diffusion et de distribution de France 24 et de TV5 Monde, qui sont des dépenses productives, donc stratégiques pour l'image de la France, sur lesquelles bien entendu les économies ne doivent pas être réalisées, au risque de fragiliser la Charte signée avec les partenaires de la France. Ensuite, il est vrai que ce rapport porte un jugement globalement nuancé sur le bilan de la mise en oeuvre de la réforme de l'audiovisuel extérieur et suggère que l'exacerbation de la concurrence dans le secteur audiovisuel est une donnée incontournable. Mais, au-delà de ces appréciations subjectives, ce document fait état d'irrégularités concernant des contrats passés ou des versements réalisés par l'AEF ; je les cite : absence de transmission de certains contrats au contrôle général économique et financier, défaut de mise en concurrence des prestataires préalablement à l'attribution de certains marchés et absence de contrat à l'appui de prestations ayant fait l'objet de paiements. Le rapport ne comporte toutefois aucune indication supplémentaire sur la gravité et sur les conséquences envisageables de telles irrégularités. A l'évidence, ces dernières, qui s'ajoutent à l'absence de COM et aux dysfonctionnements de la gouvernance, amènent également à s'interroger sur l'efficacité de l'exercice de la tutelle.

Quelle conclusion tirer de ces constats ? Je rappelle que l'obligation de COM n'est pas sanctionnée juridiquement. Par ailleurs rien n'oblige le commanditaire d'un rapport à le publier en temps utile. Tout ceci place donc le Parlement face à ses responsabilités et à l'exercice de son pouvoir de sanction politique.

J'ajoute que la Gouvernance de l'AEF a beaucoup fait parler d'elle, mais ses éclats -si je puis dire- ne contribuent pas médiatiquement au « rayonnement » de la France. J'ai donc souhaité introduire dans le rapport écrit des développements très précis sur le cadre juridique applicable à la gouvernance de l'AEF, pour tenter d'y repérer des outils permettant de se prémunir contre les risques de dysfonctionnements. Je rappelle ainsi que la désignation du premier président de l'AEF n'a pas été soumis aux commissions parlementaires mais que la « donne » juridique a changé : conformément à la réforme constitutionnelle, la prochaine nomination du président directeur général de la Société en charge de l'audiovisuel extérieur de la France (le mandat de l'actuel président prendra fin le 23 avril 2013) ne pourra s'exercer qu'après avis public de la commission de la culture de chaque assemblée, le président de la République ne pouvant procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions. Au strict plan budgétaire, cette gouvernance semble aussi s'accompagner de dépenses et de provisions relatives à divers contentieux qui ne paraissent pas correspondre à l'emploi optimal des fonds publics. L'influence de la France doit demeurer la priorité absolue de l'audiovisuel extérieur et je crains que les querelles de personnes ou la volonté de rationaliser la gestion de l'AEF ne brouillent cet objectif essentiel.

J'ajoute, du point de vue financier, que l'AEF semble avoir, pour l'instant, perdu son principal pari. En effet, l'augmentation de l'audience de France 24 n'a pas fait affluer les recettes publicitaires escomptées : le schéma initial était donc sinon un peu simpliste, du moins exagérément optimiste. Il n'a, en tous cas, pas suffisamment pris en compte la transformation majeure de l'audiovisuel et du marché publicitaire, alors qu'en 2008, la « révolution numérique » était déjà largement amorcée.

Pour toutes ces raisons, comment émettre un avis favorable sur une dotation globale destinée à financer une réforme qui ne répond pas aux critères essentiels de transparence et de clarté, de respect de la légalité et qui n'a toujours pas atteint l'objectif d'efficacité qui lui était assignée ?

Je m'interroge également sur les perspectives d'avenir de l'audiovisuel extérieur de la France. La recherche de synergies et de mutualisations n'a eu que peu d'effets, sans doute parce qu'il n'y a de vraie synergie qu'entre ceux qui ont suffisamment d'affinités pour vivre ensemble harmonieusement. Partageant avec la Mission d'information de l'Assemblée nationale dont nous attendons les conclusions, je me demande si le mariage entre une chaine d'information France 24, une radio généraliste RFI et une chaine généraliste TV5 Monde est viable à long terme et s'il ne faudrait pas envisager la dissolution ou le réaménagement de l'AEF pour trouver des partenaires adéquats à certaines de ses composantes.

Je crois particulièrement utile de réfléchir à de nouvelles perspectives pour TV5 monde, qui a un actionnariat spécifique et une vocation particulière puisqu'elle est francophone et multilatérale. L'Etat finance, avec la Belgique, la Suisse et le Canada cette chaine qui remplit de façon très satisfaisante, et avec des moyens limités sa mission. Il m'a d'ailleurs paru intéressant de suggérer que TV5 puisse, encore plus qu'avant, favoriser le rayonnement des collectivités territoriales de la France qui développent de plus en plus des actions de jumelages, de coopération et de promotion des centres d'intérêt de notre pays.

Pour sécuriser et pérenniser le pilotage de l'audiovisuel extérieur de la France, il m'apparaît enfin de plus en plus indispensable, sinon impératif, qu'il soit très rapidement rattaché au ministère des affaires étrangères.

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