Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a entendu une communication de Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale, sur « l'Etat locataire ».
a présenté les résultats du contrôle qu'elle a mené, au premier semestre 2009, en application de l'article 57 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), sur la gestion par l'Etat des baux qu'il supporte, en Ile-de-France, pour des immeubles de bureaux. Elle a rappelé que, dès le 5 novembre 2008, elle avait fait à la commission une communication sur ce thème, en présentant alors les éléments réunis à partir d'états établis par le service France Domaine. Au premier semestre 2009, elle a procédé à treize contrôles sur pièces et sur place dans Paris, et à une quinzaine d'auditions au total. Les faits constatés lors de ces contrôles lui ont semblé constituer un reflet exact de la situation de « l'Etat locataire » en général. Elle a toutefois mis à part le cas des locations prises à l'étranger, en recommandant que la foncière chargée de la gestion des biens de l'Etat situés hors de France, dont la création se trouve encore à l'étude, intègre cette dimension du sujet.
S'en tenant au territoire national, elle a tout d'abord indiqué que le parc de bureaux loués par l'Etat pour ses services demeure mal connu. Ainsi, France Domaine se trouve aujourd'hui dans l'incapacité d'estimer le coût global que représente l'ensemble des loyers supportés par l'Etat. En effet, l'information centralisée nécessaire au pilotage des baux pris par l'Etat reste, dans une large mesure, à élaborer. En particulier, il a fallu plusieurs semaines à France Domaine, en 2008, pour constituer l'information demandée sur les locations de bureaux de l'Etat en Ile-de-France, et les états fournis se sont révélés, à l'occasion des contrôles sur pièce et sur place, grevés d'erreurs ou d'approximations. Dans de telles conditions, le suivi des baux de l'Etat se trouve laissé à la diligence de chaque administration. La situation peut conduire à des dysfonctionnements du type de celui qui a affecté le renouvellement, fin 2007, du bail du pôle financier du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, dont les circonstances ont donné lieu à une audition de la commission, le 9 avril 2008.
Un début de réforme a récemment été enclenché par France Domaine. Des directives ont été adressées aux services déconcentrés, par le service central, leur imposant pour l'avenir la tenue de tableaux qui, dans chaque département, devraient recenser les baux souscrits par l'Etat et mentionner leurs conditions essentielles. Il ne s'agit, toutefois, que d'un « embryon de tableau de bord » de « l'Etat locataire », qu'il faudrait exploiter au sein d'un système d'information ad hoc. Pour Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale, l'absence d'un tel outil est à l'origine d'un certain nombre des situations les plus coûteuses qu'elle a constatées.
Elle a signalé que les immeubles loués par l'Etat dans Paris s'avèrent, même à des niveaux de loyer comparables, d'une qualité variable. D'une part, certains bâtiments, en dépit d'un loyer élevé, ne sont pas fonctionnels, à l'exemple des locaux qui abritent les services du Médiateur de la République. D'autre part, de nombreux immeubles présentent des ratios d'occupation des surfaces sensiblement éloignés de la norme cible de 12 m2 par agent fixée par le Gouvernement. Cet aspect, cependant, est à apprécier selon les besoins concrets des administrations. Par exemple, les 43 m2 par agent dont dispose l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) sont justifiés par le besoin en salles de réunion de cette institution qui doit accueillir de nombreux chercheurs, alors que les 27 m2 par agent dont dispose la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), qui n'a pas vocation à recevoir de public, semblent disproportionnés. Cependant, elle a admis que, dans certains cas, les contraintes architecturales rendent difficile l'application de la norme.
En tout état de cause, l'Etat se présente comme un locataire relativement dispendieux, qui supporte des loyers parfois « déraisonnables ». Ainsi, à la mi-juin 2009, on a pu dénombrer, dans Paris, 72 baux pris par l'Etat pour la location de bureaux, pour un montant individuel supérieur à 500 000 euros (hors taxes et hors charges). Ces baux représentaient un total de 189,5 millions d'euros de loyers annuels, soit un loyer moyen de 2,6 millions d'euros, pour une surface utile brute globale de 383 580 m2, induisant un coût moyen de près de 494 euros du mètre carré. En fonction de l'importance du montant du loyer annuel rapporté à la surface utile brute, les dix premières locations de cette liste correspondent, dans l'ordre, à :
- l'immeuble qui héberge la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT), le Conseil national consultatif d'éthique et le Haut Conseil à l'intégration, rue Saint-Georges dans le IXe arrondissement, avec un loyer de 998,6 euros/m2 (2,1 millions d'euros par an, pour 2 124 m2) ;
- trois immeubles relevant du ministère de la justice : la direction des affaires civiles et du Sceau, boulevard de la Madeleine dans le VIIIe arrondissement, avec un loyer de 995 euros/m2 (3,1 millions d'euros par an, pour 3 184 m2), les bureaux de la Cour de cassation situés boulevard Saint-Germain, dans le VIe arrondissement, avec un loyer de 865,3 euros/m2 (4,2 millions d'euros par an, pour 4 904 m2), et le pôle financier du TGI de Paris, rue des Italiens dans le IXe arrondissement, avec un loyer annuel de 751,8 euros/m2 (5,5 millions d'euros, pour 7 384 m2) ;
- la HALDE, rue Saint-Georges dans le IXe arrondissement, avec un loyer de 706,3 euros/m2 (1,5 million d'euros par an, pour 2 126 m2) ;
- l'AERES, rue Vivienne dans le IIe arrondissement, avec un loyer de 695,6 euros/m2 (près de 2,1 millions d'euros par an, pour 3 003 m2) ;
- le commissariat du IIIe arrondissement, situé rue aux Ours, faisant supporter à la préfecture de police un loyer de 686,8 euros/m2 (2,4 millions d'euros par an, pour 3 513 m2) ;
- un immeuble relevant de l'ancien ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (MEEDDAT), rue du général Camou dans le VIIe arrondissement, avec un loyer de 675,8 euros/m2 (770 500 euros par an, pour 1 140 m2) ;
- la direction des personnels et de l'adaptation de l'environnement professionnel (DPAEP) du ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique, place des Vins-de-France dans le XIIe arrondissement, avec un loyer de 647,8 euros/m2 (près de 6,6 millions d'euros par an, pour 10 176 m2) ;
- enfin, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), quai André Citroën dans le XVe arrondissement, avec un loyer de 643 euros/m2 (4,4 millions d'euros par an, pour 6 882 m2).
a précisé que ces baux semblent respecter les prix du marché, selon le quartier et le moment de la conclusion du bail. Cependant, il existe un soupçon que l'identité du locataire - l'Etat ait empêché de tirer le meilleur parti des négociations avec les bailleurs.
En outre, elle a fait observer qu'une augmentation parfois très forte, dans la période récente, a affecté les loyers indexés sur l'évolution de l'indice du coût de la construction. Elle a d'ailleurs rappelé que le nouvel indice des loyers commerciaux, défini par la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008, ne peut pas bénéficier aux baux des locaux à usage exclusif de bureaux. C'est ainsi que le loyer du pôle financier du TGI de Paris a fait l'objet, pour 2009, d'une réévaluation de 8,85 % par rapport à son niveau en 2008, soit une hausse automatique de l'ordre de 500 000 euros. Il lui est donc apparu opportun que les baux conclus par l'Etat, lorsque le loyer fait l'objet d'un mécanisme d'indexation, prévoient systématiquement une clause de plafonnement de la réévaluation, d'autant que l'Etat, locataire toujours solvable, devrait être en position de force dans la négociation des baux.
Néanmoins, elle a constaté certains efforts de réduction des coûts.
Ainsi, en premier lieu, il a été mis fin à des baux particulièrement onéreux. Le bail de l'immeuble de la MILDT, du Conseil national consultatif d'éthique et du Haut Conseil à l'intégration a été dénoncé par les services du Premier ministre et, alors qu'il arrive à échéance fin 2009, ne sera pas renouvelé. De même, le ministère de l'éducation nationale a résilié le bail qu'il détenait en 2008, rue Auber dans le IXe arrondissement de Paris, et qui représentait un loyer de 644 euros/m2 (1,1 million d'euros par an, pour 1 776 m2).
En outre, des baux très coûteux ont été renégociés. De la sorte, alors que le loyer du Médiateur de la République, en 2009, devait s'établir à environ 2,2 millions d'euros et 698 euros/m2, les conditions renégociées ont permis de le faire baisser à 1,62 million d'euros, soit 514,6 euros/m2. De même, le secrétariat d'Etat aux sports a renégocié les conditions du bail pris pour l'immeuble abritant son administration centrale, avenue de France dans le XIIIe arrondissement de la capitale ; couplée à une réduction des surfaces louées, la renégociation du loyer a permis de faire passer le loyer pour 2009 d'un montant théorique de 745 euros/m2 au montant de 428 euros/m2, soit, compte tenu de l'importance des surfaces en cause, une économie de 7,7 millions d'euros par an.
Plus généralement, le service France Domaine s'est déclaré sur le point de mettre en place une politique de renégociation systématique, qui doit viser le plus grand nombre de baux de l'Etat, en mettant à profit les opportunités de marché actuelles. L'opération doit être réalisée sous l'impulsion des services déconcentrés de France Domaine, mais avec l'appui de prestataires privés afin de garantir une négociation professionnelle.
Cependant, de telles entreprises de rationalisation s'avèrent encore récentes et exceptionnelles. Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale, a fait valoir qu'à plus long terme, les améliorations à apporter à la gestion de « l'Etat locataire » sont d'ordre structurel. Il s'agit d'organiser les conditions d'une gestion active, par l'Etat, de son parc de locations. Cette organisation doit non seulement reposer sur la mise en place des outils de pilotage adéquats au sein de France Domaine, mais aussi et d'abord sur une doctrine qui reste, en la matière, à élaborer, ainsi que sur la responsabilisation des administrations.
La doctrine de « l'Etat locataire » doit porter sur la motivation des prises à bail et le choix des implantations locatives de l'Etat.
Sur le premier point, elle a exposé que le choix d'une prise à bail devrait, en principe, être réservé aux administrations éphémères ou aux situations transitoires. Les administrations à vocation pérenne devraient être logées dans un immeuble domanial. Pourtant, dans la pratique, il ne semble pas que ce principe soit souvent respecté. D'une part, des raisons historiques peuvent expliquer le recours à la location, par exemple en ce qui concerne le ministère de la justice, dont les implantations domaniales dans Paris sont peu nombreuses. D'autre part, des raisons budgétaires peuvent empêcher l'acquisition des immeubles nécessaires. C'est ainsi que, malgré une opportunité d'achat en 2005, la préfecture de police n'a pas pu acquérir l'immeuble loué pour le commissariat du IIIe arrondissement de la capitale. Enfin, des raisons d'urgence se révèlent souvent à l'origine du choix locatif : le cas de l'AERES en constitue une illustration.
A cet égard, Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale, a préconisé que la création de nouvelles entités administratives soit désormais conçue en lien avec les scénarios de leur implantation immobilière. D'ailleurs, France Domaine assure veiller, aujourd'hui, à ce que toute nouvelle prise à bail par un ministère soit précédée d'une libération de surface équivalente.
En ce qui concerne le choix des implantations locatives, elle a relevé que les administrations, à Paris, se montrent souvent réticentes à quitter le centre pour la périphérie. C'est en fonction des besoins et des contraintes de chaque administration que le choix, en ce domaine, doit être arrêté. Par exemple, le pôle financier du TGI de Paris ne peut pas quitter la capitale, et le commissariat du IIIe arrondissement, par nature, est tenu de se trouver dans cet arrondissement. En revanche, les services centraux des ministères ou les autorités administratives indépendantes, en général, pourraient délaisser le centre de Paris, voire s'installer en banlieue, sans dommage pour le bon accomplissement de leurs missions. Elle a notamment cité, dans cette perspective, le cas de l'AERES, du CSA, de la HALDE et du Médiateur de la République. De même, elle a observé que le maintien de la Cour de justice de la République dans son immeuble actuel n'est pas nécessaire au bon fonctionnement de l'institution, dans la mesure où les séances de jugement où siègent les parlementaires qui en sont membres se tiennent nécessairement à l'extérieur, faute de place.
Elle a également signalé « l'interférence », occasionnelle, de décisions « intuitu personae » prises à l'échelon politique et pouvant conditionner, indépendamment de la rationalité administrative, le choix de tel ou tel site.
Afin de favoriser une plus grande responsabilisation des acteurs, elle a préconisé de mobiliser les services gestionnaires, qu'il s'agisse des administrations locataires ou de France Domaine, et de mieux impliquer le Conseil de l'immobilier de l'Etat et le Parlement en tant qu'organes de contrôle.
Elle a d'abord recommandé que les administrations locataires mettent en place une veille active et, en particulier, anticipent la fin de leur bail au moins dix-huit mois à l'avance, afin d'éviter un renouvellement sous la contrainte, réduisant leur capacité de négociation. A cet effet, elle a souhaité que la gestion des baux fasse l'objet d'une prise en compte renforcée dans le cadre des schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI) des ministères et, quand ces documents leur seront étendus, des opérateurs de l'Etat.
Elle a souligné que cette mobilisation passe par le développement du rôle rempli par le service France Domaine auprès des administrations locataires. En effet, d'après ses constatations, toutes les administrations hébergées dans un immeuble locatif de l'Etat ne bénéficient pas du même degré d'accompagnement de la part de France Domaine, dont l'intervention se borne souvent à l'avis domanial préalable à la conclusion du bail. Par exemple, en partie pour des raisons d'ordre institutionnel, mais non par réelle obligation, les autorités administratives indépendantes contrôlées sur pièces et sur place n'ont pas bénéficié d'un appui de France Domaine. A l'inverse, la renégociation du bail du secrétariat d'Etat aux sports a été réalisée en étroite collaboration avec ce service.
Elle a défini la mission que ce dernier, en la matière, doit, selon elle, assurer au niveau déconcentré, consistant dans le suivi de chaque bail pris par l'Etat, et au besoin l'alerte des administrations locataires, le conseil de ces administrations, et un rôle d'accompagnateur actif dans la recherche d'implantations alternatives aussi bien que dans la négociation de clauses des baux. Elle a estimé que l'autorité de France Domaine, en ce qui concerne le contrôle de la rationalisation des coûts et des surfaces, sera d'autant mieux perçue et respectée que le service s'efforcera de mettre en oeuvre cette mission. Cependant, il convient que les administrations locataires développent, de façon réciproque, leur pratique du recours à France Domaine.
Par ailleurs, France Domaine devrait être mis à même de faciliter le dialogue interministériel qui peut s'avérer nécessaire. Ainsi, elle a estimé opportun que le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur règlent ensemble la situation du laboratoire photographique de la police actuellement implanté dans l'immeuble abritant la Cour de cassation, diminuant d'autant les surfaces disponibles pour celle-ci.
S'agissant des organes de contrôle, elle a formulé deux préconisations.
La première consiste à clarifier les conditions de saisine, pour avis, du Conseil de l'immobilier de l'Etat (CIE). En effet, le Premier ministre a décidé que cette institution ne sera pas consultée sur chaque importante opération immobilière de l'Etat, dont les prises à bail les plus coûteuses, mais seulement sur les opérations ayant un impact direct, du fait de leur envergure, sur la stratégie immobilière de l'Etat. Néanmoins, cette « doctrine d'emploi » n'a pas été objectivée dans les textes réglementaires, et il s'ensuit un risque d'instrumentalisation de l'institution, le Gouvernement pouvant, en effet, ne la saisir que de projets incontestables.
La seconde préconisation vise à la prise en compte des locations de l'Etat au sein de l'annexe aux projets de loi de finances initiale que le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique s'est engagé à créer, lors de la séance du Sénat du 1er avril 2009, pour retracer l'ensemble des opérations immobilières de l'Etat dans le but d'une meilleure information du Parlement. Mme Nicole Bricq, rapporteure spéciale, a estimé ce document d'autant plus nécessaire qu'elle s'est récemment trouvée confrontée à des difficultés pour obtenir l'information qu'elle avait demandée au Gouvernement, les délais de réponse observés étant anormalement longs.
Elle a conclu en invitant l'ensemble de ses collègues rapporteurs spéciaux, dans leurs domaines respectifs de compétence, à mener, sur ce sujet, toutes les investigations utiles.