Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 12 janvier 2011 : 1ère réunion
Lutte contre la prolifération des armes de destruction massive — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de André DulaitAndré Dulait, rapporteur :

L'Assemblée nationale a adopté le 25 novembre dernier à l'unanimité - et pratiquement sans aucune modification - le projet de loi sur la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive présenté par le ministre de la défense.

Ce texte trouve son origine dans la résolution 1540, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies le 28 avril 2004.

La résolution 1540 constitue une réponse de la communauté internationale aux cheminements nouveaux qu'empruntent, depuis une vingtaine d'années, les diverses formes de prolifération, du fait de la mondialisation des échanges, de la diffusion des technologies et du rôle des acteurs non étatiques. La mise à jour des activités du réseau dirigé par le scientifique nucléaire pakistanais Abdul Qader Khan en a donné l'illustration la plus emblématique. Ce réseau privé comportait des intervenants sur tous les continents et utilisait de multiples intermédiaires, de sorte qu'il était impossible à nombre de fournisseurs de soupçonner la véritable utilisation finale des biens ou services qu'ils vendaient.

Face à ce type d'agissements, le renforcement des contrôles étatiques sur la fabrication et les transferts d'équipements sensibles est indispensable.

C'est l'objet de la résolution 1540 qui prescrit aux Etats membres la mise en oeuvre d'un véritable plan d'action visant à lutter contre le rôle des acteurs non étatiques dans la prolifération.

A cet effet, elle demande aux Etats :

- de se doter d'une législation interdisant et réprimant les activités d'acteurs non étatiques liées aux armes de destruction massive et à leurs vecteurs ;

- de mettre en place des dispositifs intérieurs de contrôle destinés à prévenir la prolifération de ces armes, notamment la comptabilisation des produits concernés, leur protection physique, des contrôles aux frontières pour détecter et combattre les trafics, des contrôles de l'exportation et du transbordement de ces produits, des contrôles destinés à identifier l'utilisateur final des produits ;

- d'agir avec l'aval de leurs autorités judiciaires et dans le respect du droit international pour empêcher le trafic d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

La résolution crée un comité auprès du Conseil de sécurité, appelé comité 1540, qui est chargé d'en suivre la mise en oeuvre. Ce comité analyse les rapports sur les mesures d'application nationales que les Etats membres sont tenus de remettre régulièrement.

La France, comme l'Union européenne dans son ensemble, ont soutenu l'adoption de la résolution et s'efforcent de la mettre en oeuvre de manière aussi complète que possible.

En 2006, le Premier ministre a confié au Secrétariat général de la défense nationale le soin d'effectuer un diagnostic interministériel sur l'ensemble de notre arsenal juridique au regard de la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.

Ce travail s'est achevé à l'été 2008 et a conclu à la nécessité de rendre notre règlementation plus complète et plus cohérente.

Notre dispositif actuel résulte de strates successives liées à l'adoption de plusieurs instruments internationaux. Une loi de 1972 a été prise pour l'application de la convention d'interdiction des armes biologiques. Le régime de contrôle des matières nucléaires a été instauré en 1980, à la suite de la signature de la convention de l'Agence internationale de l'énergie atomique sur la protection physique des matières nucléaires. La législation la plus récente, et la plus complète, date de 1998 et concerne les armes chimiques, en application de la convention d'interdiction de ces armes, signée en 1993.

Les services du gouvernement ont identifié quatre axes d'amélioration :

- mettre en cohérence, notamment en ce qui concerne les sanctions pénales, les dispositions qui régissent les différents domaines biologique, chimique et nucléaire ;

- combler certaines lacunes, notamment l'absence d'incrimination du financement des activités liées à la prolifération, comme cela existe par exemple pour le terrorisme ;

- instaurer un régime pénal spécifique, plus sévère, pour les activités menées en bande organisée ou dans le but avéré de réaliser une arme biologique, chimique ou nucléaire ; il s'agit ici de cibler plus efficacement les réseaux par lesquels passe la prolifération, en les distinguant des agissements isolés ;

- enfin, en matière de procédure pénale, prévoir une centralisation des poursuites et des jugements au tribunal de grande instance de Paris, sur le modèle des magistrats spécialisés dans les affaires de terrorisme.

Comme je l'indiquais, ce projet de loi a recueilli un vote unanime à l'Assemblée nationale. La majorité des articles ont été adoptés sans aucune modification. Huit articles ont fait l'objet d'amendements d'ordre rédactionnel de la part de la commission ou du Gouvernement.

Il s'agit d'un texte au contenu très technique, de nature essentiellement pénal.

Il présente, à mon sens, un double intérêt.

Au plan national, il nous dote d'un dispositif très complet permettant de réprimer efficacement tous les actes en lien avec la prolifération. En pratique, ces affaires sont extrêmement rares. Sur les dix dernières années, on recense une seule condamnation pour un cas de trafic d'uranium enrichi, qui provenait vraisemblablement de Russie. Il n'en demeure pas moins nécessaire de ne pas se trouver dépourvus de moyens juridiques, le jour où des cas plus graves ou plus complexes se présenteraient.

Au plan international, l'adoption de ce projet de loi mettra la France en conformité avec les obligations qui découlent de la résolution 1540, chaque Etat faisant l'objet d'un examen régulier par le comité spécial institué auprès du Conseil de sécurité. Surtout, la mise en place d'une législation complète et efficace a vocation à servir d'exemple et de référence, vis-à-vis des pays moins bien outillés. Il s'agit en quelque sorte de promouvoir les meilleurs standards et les meilleures pratiques en la matière. Nous avions nous même des lacunes à combler, notamment pour la prise en compte de la dimension financière des circuits de prolifération. D'autres pays pourront s'inspirer de notre législation.

J'ajoute qu'au plan européen, la situation est encore assez disparate. Comme nous, la plupart des pays n'avaient pas de législation d'ensemble, mais plutôt une stratification de dispositions adoptées au fil du temps, en fonction de l'adhésion à des instruments internationaux. Les régimes de sanctions pénales sont également très variables. Il faut toutefois souligner que l'Union européenne est engagée en tant que telle dans une stratégie de lutte contre la prolifération. Elle a notamment adopté en 2000 et actualisé en 2009 une règlementation sur les biens à double usage, civil et militaire, destinée à harmoniser les pratiques des Etats membres. L'Europe concentre une grande partie des technologies et équipements sensibles au regard de la prolifération. Il est indispensable d'adopter une approche coordonnée en la matière.

Je considère donc que ce projet de loi, en dépit de son caractère technique, constitue une avancée positive et c'est pourquoi je vous propose de l'approuver, à la suite de l'Assemblée nationale.

Je fais toutefois observer qu'il ne couvre pas un volet à mon sens très important de la prévention du terrorisme de masse, à savoir le risque de réalisation de bombes radiologiques, ce que l'on appelle les « bombes sales », par utilisation d'éléments radioactifs, par exemple d'origine médicale. Il ne s'agit pas à proprement parler d'armes de destruction massive, au sens où on l'entend généralement. A l'Assemblée nationale, le gouvernement a annoncé l'élaboration d'un projet de loi sur la protection des sources radioactives qui répondra à cette préoccupation.

Je voudrais maintenant évoquer très rapidement les dispositions du projet de loi.

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