Intervention de Christiane Hummel

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 7 septembre 2010 : 1ère réunion
Dissimulation du visage dans l'espace public — Examen du rapport d'information

Photo de Christiane HummelChristiane Hummel, rapporteur :

J'ai été aidée par les collègues qui sont venus me soutenir la semaine dernière.

Je pensais naïvement que ce texte de loi traiterait de l'interdiction du port de la burqa et du niqab. Or, ce texte présente le double paradoxe d'être entièrement inspiré par l'objectif d'égalité entre les femmes et les hommes sans jamais mentionner les femmes, et de prohiber le port du voile intégral sans jamais mentionner ce dernier.

D'abord un mot des raisons de cette discrétion ; puis, comme il sied au rapporteur de la délégation aux droits des femmes, j'aborderai le coeur de la question sans me voiler la face... car le texte traite essentiellement du sort des femmes musulmanes dans notre société ; j'évoquerai enfin rapidement le dispositif institué par les sept articles adoptés par l'Assemblée nationale.

Tout d'abord, pourquoi l'article 1er du projet de loi interdit-il la dissimulation du visage dans l'espace public ? Un rapport du Conseil d'État sur les possibilités d'interdiction du voile intégral, publié en mars dernier, ne laissait guère de doutes sur les risques d'inconstitutionnalité d'une telle mesure. Ce rapport évoquait en revanche la possibilité juridique d'une interdiction de la dissimulation du visage au nom des valeurs républicaines qui inspirent notre contrat social. Le Gouvernement a choisi de s'engager dans cette voie qui permet d'aboutir aux mêmes effets qu'une interdiction directe du voile intégral.

Ce choix est courageux : les valeurs républicaines, nous dit le Conseil d'État, ne constituent pas à coup sûr un fondement juridique solide pour l'interdiction d'une pratique qui les bafoue pourtant. Il y a un risque contentieux, et donc un risque politique. Mais, comme Jeannette Bougrab, présidente de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), l'a affirmé sans ambages quand je l'ai auditionnée sur ce texte en présence de trois de nos collègues : « La liberté et l'égalité de la femme, la protection de certaines jeunes femmes au nom de nos valeurs communes valent de prendre des risques juridiques ». Oui ! Pour que les promesses d'égalité républicaine qui sont au coeur de notre contrat social soient tenues à l'égard des femmes musulmanes dans notre pays, il vaut la peine de prendre des risques.

Par honnêteté, j'ai tenté de faire le tour des raisons possibles de laisser faire : le phénomène, tout en s'étendant, reste, dit-on, marginal : 2 000 femmes seulement porteraient actuellement le niqab en France. Certaines de ces femmes affirment leur adhésion au niqab dans des termes et avec une argumentation qui ne laissent pas de doute sur l'authenticité de leur libre arbitre. Les deux universitaires que nous avons auditionnées, Mme Michèle Riot-Sarcey et Mme Anne Gotman, ont fait observer qu'il s'agissait avant tout de jeunes femmes d'un réel niveau intellectuel et que certaines femmes diplômées ont déclaré « si on ne le mettait pas, on ne nous écouterait pas ». Ce à quoi Mme Brougrab a répondu « sur ce texte je ne négocie pas ; je déplore de ne pas vivre comme je veux dans certains quartiers car l'État de droit n'est plus appliqué ».

Autre argument : la liberté de s'habiller comme on l'entend n'est-elle pas une liberté élémentaire et la rue n'est-elle pas le lieu où peut s'exercer le mieux cette égalité ? La liberté religieuse, dont nombre de ces femmes se prévalent, n'est-elle pas une liberté essentielle ? Une interdiction n'aura-t-elle pas un effet stigmatisant à l'égard de la communauté musulmane ? Cette même interdiction n'aura-t-elle pas pour effet d'exclure physiquement de l'espace public et de jeter dans un enfermement plus complet encore que celui du voile les femmes qui refuseront de s'y soumettre ?

Quelle que soit la part de vérité qu'ils contiennent, ces arguments n'emportent pas l'adhésion et nous pouvons les réfuter un à un. Quel est, en effet, le libre arbitre qui s'exprimerait par le choix de l'exclusion ? Comme l'a dit Rousseau, « les deux mots esclavage et droit sont contradictoires ». Autrement dit, la tradition républicaine exclut la liberté de ne pas être libre.

Par ailleurs, quelle est la liberté religieuse qui conduirait à cette sorte de négation de soi qu'est le voile intégral ? Comme l'écrivait dans la presse Sihem Habchi, présidente de « Ni putes Ni soumises », « la burqa, c'est le bout du bout de l'exclusion », et comme l'affirmait Jeannette Bougrab au cours de son audition, « au nom d'une liberté religieuse, on ne peut exclure la moitié de l'humanité ».

Comment serait-il possible d'admettre la possibilité d'un sentiment de stigmatisation au sein de la communauté musulmane, alors que le port du voile intégral, importé en Europe par les courants salafistes de l'islam, est manifestement une de ces pratiques sectaires qui atteignent toutes les religions et que le souci de la démocratie oblige à endiguer, quand il en est besoin, sans que la masse des fidèles y voie la moindre attaque contre leur religion ?

De plus, il nous faut tenir compte de l'avis de musulmans français et laïcs tels que le président de la Fédération Mosaïc qui écrit : « Nous disons à ceux qui sont choqués par la burqa qu'ils ont raison de l'être : être choqué par la burqa, c'est respecter l'islam, c'est respecter la femme ». Aucune religion monothéiste ne peut édicter des préceptes et des règles contraires aux droits des femmes et qui asservissent l'individu.

Enfin, comment justifier, par l'argument des possibles effets pervers de la loi sur quelques femmes qui la refuseraient, l'abstention du législateur à l'égard d'une pratique manifestant de façon particulièrement radicale l'enfermement de la femme et son retranchement hors de la communauté citoyenne ? Comment accepter au vu des réactions supposées de quelques femmes - car je doute que beaucoup d'entre elles parlent librement - l'abstention du législateur au regard de la violence symbolique exercée au vu et au su de tous contre l'ensemble des femmes ?

Vous savez aussi qu'Arte a déprogrammé tout récemment « La cité du mâle » suite à des menaces. Il suffit de lire Le Monde du 5-6 septembre 2010 pour comprendre où l'on en est dans certains quartiers. Lorsque le journaliste du Monde interroge Sihem Habchi en lui demandant « Que préconisez-vous ? », elle répond : « Il ne faut surtout pas abandonner les quartiers. Il n'y aura pas de miracle si on ne met pas en oeuvre l'égalité hommes-femmes à tous les niveaux ».

De plus, la société postule l'existence d'une relation entre ses membres et la fluidité de cette relation est une condition de l'harmonie sociale. Dans cette délégation, c'est parce que nous discutons à visage découvert que nous nous comprenons mieux. Les drames, les assassinats, les génocides ont jalonné le siècle passé, lorsque la négation radicale de l'autre en tant que personne digne d'être s'est répandue d'un bout à l'autre de notre continent. C'est pourquoi il faut rejeter ce refus de l'autre que manifeste le port du voile intégral, et lutter pour le maintien du lien élémentaire nécessaire entre les membres de la communauté française.

Par la rupture d'égalité qu'il introduit entre les femmes et les hommes, et par la prééminence d'un religieux sectaire qu'il tente d'imposer, le port du voile intégral ne peut trouver sa place dans la société française. Depuis un peu plus d'un siècle, la France a emprunté un double chemin, celui de l'affirmation de la laïcité de sa République et celui de l'égalité entre les hommes et les femmes. Et ce chemin est ardu. Ce n'est pas sans difficulté que l'humanisme républicain intègre peu à peu dans ses exigences la réalisation concrète et radicale de cette égalité. Le consternant symbole régressif que présente à cet égard la dissimulation du visage des femmes dans l'espace public confirme la nécessité d'éradiquer cette pratique.

Voila pourquoi je recommande avec chaleur à la délégation d'approuver ce projet de loi. Je le fais, non pas en tant que soutien du Gouvernement, mais en tant que femme et, personnellement, je déplore même qu'on ait retiré les cas de polygamie de certain projet de loi à venir.

Le présent texte comporte deux volets. Nous venons de parler du premier, le plus sensible sur le plan politique et symbolique. L'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public est inscrite dans l'article 1er. L'article 2 indique le contenu de la notion d'espace public - les voies publiques et les lieux ouverts au public ou affectés à un service public - et précise aussi les exceptions à la règle, justifiées par des raisons de santé, des motifs professionnels, ou s'inscrivant dans le cadre de pratiques sportives, de fêtes ou de manifestations artistiques ou traditionnelles. L'article 3 prévoit les sanctions de la méconnaissance de l'interdiction.

L'article 4 inaugure le second volet du projet de loi en réprimant les contraintes exercées sur les personnes afin de les amener à dissimuler leur visage en raison de leur sexe. L'article 5 fixe un délai de six mois entre la promulgation de la loi et l'entrée en vigueur de l'interdiction de dissimuler son visage et des sanctions qui l'accompagnent. Enfin, l'article 6 applique la loi sur l'ensemble du territoire français, y compris, par conséquent, à Mayotte, et l'article 7 prévoit la présentation au Parlement d'un rapport sur l'application de la loi dix-huit mois après sa promulgation.

Au terme de cette présentation succincte, je propose à la délégation de se prononcer en faveur de l'adoption du projet de loi et d'exprimer cette approbation dans les recommandations suivantes :

« 1. La délégation aux droits des femmes considère que le projet de loi, en interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public en vue de conforter les règles essentielles à la pérennité du contrat social républicain, présente les meilleures garanties possibles de sécurité juridique au regard de la Constitution et des conventions internationales auxquelles la France est partie.

« 2. Elle considère en outre que, même si le dispositif du projet de loi ne se réfère pas explicitement à l'objectif d'assurer la dignité de la femme et l'égalité entre les femmes et les hommes, l'interdiction de dissimuler son visage dans l'espace public aura bien pour effet de prohiber le port du voile intégral, libérant ainsi les femmes du carcan de la burqa ou du niqab sur le territoire de la République.

« 3. La délégation considère enfin que le dispositif de prohibition mis en place est assorti de modalités de mise en oeuvre - telles que le délai ménagé pour son entrée en vigueur, ou la possibilité pour le juge d'imposer l'obligation d'accomplir un stage de citoyenneté - qui sont de nature à permettre aux femmes concernées d'être pleinement informées des exigences de la loi. Elle insiste sur la nécessité que les structures publiques ou associatives intéressées prennent très vite le relai de la procédure législative afin de faire savoir et d'expliquer les intentions du législateur et les prescriptions de la loi.

« 4. Par ailleurs, la répression de la dissimulation forcée du visage complète très utilement les dispositions pénales hétérogènes permettant jusqu'à présent la répression des pressions exercées sur les femmes afin de les soumettre à l'obligation de porter le voile intégral. Cette disposition aura un effet dissuasif utile sur les comportements répréhensibles. »

Personnellement j'accorde beaucoup d'importance à la troisième recommandation et à la nécessité d'informer les femmes.

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