Intervention de Colette Mélot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 9 février 2011 : 1ère réunion
Installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale — Examen du rapport

Photo de Colette MélotColette Mélot, rapporteur :

La présente proposition de loi a été déposée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste, dont certains sont membres de notre commission. Elle vise à compléter la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, en précisant que les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération peuvent être complétés d'une traduction en langue régionale. La défense des langues régionales est un sujet passionnant qui mobilise le Parlement, quels que soient les courants politiques. En témoignent les propositions de loi qui se multiplient au Sénat comme à l'Assemblée nationale - celle que M. Navarro a déposée le 25 janvier dernier, celle de M. Alduy, celle de M. le député Marc Le Fur. Le débat est vif, comme en attestent huit questions orales ou écrites posées en 2010. Cette mobilisation fait suite à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : le nouvel article 75-1 de la Constitution reconnaît que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.

Loin de s'attaquer à la question très générale de la promotion des langues régionales, la présente proposition de loi vise à traiter une question très précise et circonscrite : la signalisation des entrées et sorties de ville. L'objectif est de transcrire en droit positif ce qui n'est pas interdit, et ce qui est d'ailleurs pratiqué dans de nombreux endroits en France. Nous avons tous déjà constaté que de nombreuses communes ont fait le choix d'installer des panneaux bilingues, en langue française et en langue régionale. Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française permet aux communes d'installer des panneaux d'entrée d'agglomération en langue régionale. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 juillet 1994, a précisé que « la loi relative à l'emploi de langue française prescrit, sous réserve de certaines exceptions, l'usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l'enseignement et la communication audiovisuelle; qu'elle n'a toutefois pas pour objet de prohiber l'usage de traductions lorsque l'utilisation de la langue française est assurée ». Les langues régionales peuvent donc figurer sur les panneaux d'entrée de ville, mais à condition qu'il s'agisse d'une signalisation bilingue comprenant le nom en langue française. C'est d'ailleurs cette réponse qui a été régulièrement donnée aux parlementaires.

On peut donc se demander si cette proposition de loi est utile, puisqu'elle autorise une pratique qui n'est pas proscrite. L'élément décisif pour M. Courteau a été une très récente décision du tribunal administratif de Montpellier qui a enjoint à une commune, Villeneuve-lès-Maguelone, d'enlever des panneaux portant la transcription en occitan du nom de la commune. J'insiste sur le fait que le juge administratif n'a pas pris sa décision sur le fondement du bilinguisme, dont il a au contraire rappelé la possibilité pour les panneaux posés sur la voie publique. C'est pour deux autres motifs que le tribunal administratif a rendu ce jugement. Le premier est que les panneaux litigieux ne respectaient pas les règles de sécurité routière édictées par l'arrêté du 24 novembre 1967 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes : plus grands que les panneaux d'entrée d'agglomération et ne portant pas le nom usuel de celle-ci, ils prêtaient à confusion et pouvaient être une cause d'insécurité routière. Il est vrai que le juge a considéré que le Ò avec un accent grave ne pouvait figurer sur un panneau, ce signe diacritique n'étant répertorié dans aucune des annexes de l'arrêté de 1967. La deuxième raison évoquée par le juge était l'absence de fondement historique de la traduction occitane. La commune visée n'a pas été en mesure d'invoquer l'existence d'un usage local suffisamment ancien et constant de la toponymie employée. Dès lors, selon le juge, aucune circonstance particulière ou tenant à l'intérêt général ne justifiait l'installation de ces panneaux. Ce dernier point est très important, car cette nouvelle condition d'intérêt général ou de circonstance particulière pourrait être à la source d'une interprétation restrictive de la permission d'installer des panneaux bilingues, dans le cadre de contentieux à venir. Il serait dommage de revenir sur une pratique autorisée jusqu'à aujourd'hui par la loi et le juge constitutionnel. C'est ce qui, à mon sens, peut justifier que l'on soutienne cette proposition de loi. Elle assiérait une pratique déjà courante, sans toutefois être révolutionnaire.

La rédaction de l'article unique soulève toutefois deux problèmes majeurs sur lesquels je vous proposerai de revenir dès la semaine prochaine, à l'occasion de l'examen des amendements extérieurs. Le premier tient au champ d'application, puisque le texte mentionne « les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d'une agglomération », sans plus de précision. Pourtant le titre de la proposition de loi mentionne bien les « panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération ». Il est indispensable de revenir sur cet oubli rédactionnel, sous peine de favoriser la prolifération des panneaux qui mentionneraient le nom d'une agglomération à côté d'autres inscriptions, et pollueraient nos paysages. Notre commission a soutenu fermement notre collègue Ambroise Dupont dans son combat contre l'affichage publicitaire extérieur excessif et les pré-enseignes dérogatoires dans le cadre du Grenelle II ; n'ouvrons pas une nouvelle brèche. En outre, il convient de garantir la clarté et l'intelligibilité de la signalisation, pour une sécurité routière maximale.

En second lieu, il faut corriger le terme « traduction », afin d'éviter que chacun se mettre à traduire le nom de sa commune, pourquoi pas en l'inventant, sans aucun fondement historique : le tribunal administratif de Montpellier nous a justement avertis sur ce point. Notre objectif doit être de préserver le patrimoine de la France, pas de l'inventer. Je rappelle que c'est la formulation du toponyme en français qui est historiquement une traduction du nom en langue régionale, et non l'inverse : Castel Nòu d'Ari (« Château neuf d'Ary ») a précédé l'appellation Castelnaudary, et Brageirac ne s'appelle Bergerac que depuis peu : les vieilles chartes, les cartes, les cadastres et la littérature en témoignent. Vous l'aurez compris, il me semble que la commission pourrait se prononcer en faveur de cette proposition de loi sous réserve de modifications incontournables.

Les nouvelles règles de procédure nous conduisent à ne pas toucher au texte de cette proposition de loi - sauf accord de ses auteurs - qui sera donc présentée telle quelle en séance. Je vous propose de ne pas adopter de texte aujourd'hui, tout en donnant un avis favorable au cours de l'examen en séance, sous réserve de deux amendements, l'un limitant la disposition aux panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération, l'autre revenant sur le terme de « traduction » afin de viser le patrimoine toponymique des agglomérations. Je vous les soumettrai la semaine prochaine.

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