La commission procède à l'audition de M. Xavier Darcos, président de l'Institut français, conjointement avec la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Bienvenue à notre ancien collègue Xavier Darcos. Vous savez l'intérêt que portent nos deux commissions à l'action culturelle extérieure de la France : outre le rapport que j'ai cosigné avec le président Jacques Legendre, le Sénat a beaucoup travaillé sur le projet de loi relative à l'action extérieure de l'État, rapporté par MM. Joseph Kergueris et Louis Duvernois. Le 30 décembre 2010 a été publié le décret créant l'Institut français, qui s'est substitué à CulturesFrance au 1er janvier. Nous sommes impatients d'entendre son nouveau président.
Nous sommes heureux de recevoir M. Xavier Darcos. Cela fait longtemps que nous réclamions la création d'un Institut français ; je vous renvoie aux rapports de M. Yves Dauge sur l'avenir du réseau culturel français. Il faut veiller au dynamisme de la coopération intellectuelle, culturelle et linguistique, à la vigueur de nos réseaux culturels. Après tout, c'est la France qui a inventé la diplomatie culturelle, à la fin du XIXème siècle.
Je compte sur M. Xavier Darcos pour promouvoir le français à l'étranger et rattraper le retard que nous avons pris en nous reposant sur une conception élitiste de la diffusion de la langue. L'Institut Cervantès a appuyé son succès sur les technologies, alors que nous composons avec des moyens limités. Pourtant, la demande de français subsiste, il faut pouvoir y répondre. J'attends beaucoup de l'Institut français, de la politique qu'il conduira avec nos centres culturels. Nous sommes impatients de vous entendre, et souhaitons le plus grand succès à votre mission.
Le Sénat s'est particulièrement intéressé à la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État, et notamment à la question du nom de l'Institut. Je salue le travail de MM. Joseph Kergueris et Louis Duvernois.
Je suis, depuis le 1er janvier, administrateur provisoire de l'Institut français, le conseil d'administration n'étant pas encore constitué. Les actifs et personnels de CulturesFrance, dissoute le 30 décembre 2010, ont été reversés à l'Institut. Depuis le 27 juillet, nous avons avancé rapidement, avec le soutien du Quai d'Orsay, ministère de tutelle. J'ai depuis septembre deux collaboratrices de premier plan, venues l'une de la diplomatie, l'autre de la culture.
La loi fixe notre feuille de route. Premier principe, la fusion, dans les postes diplomatiques, des services culturels déconcentrés et des instituts en une seule structure, qui devrait être achevée d'ici 2012. Ensuite, la mise en place d'un opérateur unique, l'Institut français, qui sera l'interlocuteur des différents ministères et instances concernés. L'Institut français apporte le concours de la culture à la stratégie diplomatique française : il est sous la tutelle unique du Quai d'Orsay. Troisième axe : l'instauration d'une marque unique, « Institut français », aussi reconnaissable que le British Council ou le Goethe Institut. Enfin, l'expérimentation du rattachement d'établissements locaux à l'Institut français. L'idée est qu'à terme, tous les instituts français soient des succursales de l'Institut de Paris. Pour l'heure, étant donné la complexité administrative et réglementaire, la diversité des structures culturelles, nous menons une expérimentation dans treize pays. Nous ferons tout pour que cela fonctionne.
L'Institut français est un établissement public industriel et commercial (EPIC). Son budget, stabilisé pour trois ans, s'établit à 45 millions d'euros, le double de celui de CulturesFrance. Les appels d'offre et appels à projets représentent environ 166 millions. L'Institut aura donc les moyens d'agir.
L'équipe pourra compter jusqu'à deux cents personnes. La semaine prochaine, nous serons déjà cent cinquante : quatre vingt dix neuf venus de CulturesFrance, une quarantaine du ministère des affaires étrangères, une dizaine de l'Éducation nationale, une dizaine de la culture. Nous nous installerons dans quelques semaines rue de la Fédération, dans des locaux loués sous le contrôle de France Domaine.
Nous ne partons pas de rien. Le réseau culturel français est puissant et ancien - selon Marc Fumaroli, il aurait été créé en 1883, pour compenser la défaite de 1870... Il faut aujourd'hui moderniser son image et ses moyens d'actions. Les médiathèques, par exemple, manquent d'outils et de moyens techniques, l'accès au cinéma patrimonial est fragile : il faut mettre en place des plateformes numériques.
L'Institut compte parmi ses nouvelles compétences : le cinéma, avec le Fonds Sud, la formation des personnels, le débat d'idées, avec une présence dans les think tanks européens, la volonté de faire connaître nos intellectuels, nos idées. La culture est un vecteur de valeurs, d'une conception de l'homme, du développement, des droits de l'homme...
L'action culturelle, c'est d'abord la langue française, avec l'ouverture aux élites locales, la traduction de nos auteurs, une présence lors des grandes rencontres internationales. C'est ensuite des lieux d'échange autour de la culture française, avec un grand projet de rénovation des médiathèques. C'est enfin l'activité culturelle au sens classique : concerts, expositions, cinéclubs, etc.
Nous pouvons compter sur l'immense réseau des alliances françaises, avec lesquelles nous allons conclure une convention pour harmoniser notre politique. Le président de Launoit a parfaitement compris l'intérêt de cette union.
Avec un seul et même opérateur, la gestion de la politique culturelle à l'étranger sera facilitée. Il s'agit de vérifier que les impulsions données sont mises en application, de définir des stratégies communes, de mutualiser les moyens, d'introduire une culture d'évaluation, avec un service dédié. Parmi les projets emblématiques, citons la plateforme de téléchargement de films, UniversCiné, et la bibliothèque numérique, Culturethèque.
Nous voulons tisser des liens avec les autres opérateurs culturels, notamment les collectivités territoriales, pour mener des actions concertées. J'ai rencontré les présidents des grands instituts européens ; nous nous sommes entendus sur les moyens d'agir au plan européen. Nous sommes aussi en relation avec les réseaux d'intellectuels, d'universitaires, et d'éditeurs, qui s'inquiètent de la « googleisation ».
Un regret : que la loi n'ait pas précisé nos relations avec l'audiovisuel extérieur. Sans doute pourrons-nous progresser : il n'y a pas d'objection de principe de la part de France 24 ou de TV5. Je compte sur les élus pour faciliter les rapprochements.
Dans la guerre des influences, le soft power, nous sommes face à une terrible concurrence. Les réseaux de diffusion culturelle sont américains. La Chine a constitué en très peu de temps un réseau puissant : il y a aujourd'hui plus d'instituts Confucius que d'instituts français ! La stratégie d'influence est un enjeu majeur ! Vous le savez, mais l'opinion publique n'en est pas toujours consciente. C'est une stratégie décisive dans le contexte de la mondialisation, de l'indifférenciation des cultures, de l'américanisation des savoirs. La création de l'Institut français contribuera à nous rendre plus compétitifs.
Vous avez souligné à juste titre le problème de la liaison avec l'audiovisuel extérieur, instrument essentiel de diffusion culturelle. Nous avons préconisé dans plusieurs rapports qu'il y ait au niveau gouvernemental un responsable de la francophonie, des relations culturelles extérieures et de l'audiovisuel extérieur.
Si l'Institut français est en charge du cinéma patrimonial, la diffusion du cinéma français actuel relève quant à elle d'Unifrance, qui s'inquiète du respect de son rôle...
En effet, Unifrance, qui émane de la profession, s'est inquiétée des compétences que le décret nous attribuait en matière de cinéma. J'ai rencontré le président de Clermont-Tonnerre, les craintes ont été levées et nous allons signer prochainement une convention pour éviter toute querelle. À l'Institut français le cinéma patrimonial et le soutien éventuel aux producteurs ou aux diffuseurs, à Unifrance la vente des films français actuels dans le monde. Les conseillers « audiovisuel » dans les ambassades, agents de l'action cinématographique, continueront à jouer tout leur rôle.
La Haute Assemblée s'est beaucoup intéressée à cette réforme, qui comporte plusieurs aspects positifs. La réaffirmation de l'ambition de la France en matière d'action culturelle à l'étranger était d'autant plus nécessaire que le réseau est de grande qualité. Le choix de l'unité d'action au sein de chaque poste diplomatique est une bonne chose. Je salue également la prise en compte des besoins de formation ; encore faudra-t-il que les moyens suivent.
Je m'interroge toutefois sur la recentralisation des initiatives. Quelle sera l'articulation entre une structure parisienne, bureaucratique, et des « filiales » à l'étranger ? Ne risque-t-on pas de se priver de la diversité et des initiatives locales ? Les contextes locaux ne se ressemblent pas : il faudra adapter les politiques.
Avez-vous une vision « exportatrice » de la mission de l'Institut, autour de grandes opérations comme des tournées de la Comédie française, ou plutôt une optique d'échange avec les pays d'accueil, qui me semble plus porteuse qu'une centrale de diffusion ?
Comment se traduira le pilotage par le ministère des affaires étrangères ? Le livre blanc sur la politique étrangère en fait la contrepartie du transfert aux opérateurs.
Enfin, je ne suis pas certaine qu'il faille donner à l'Institut français la responsabilité de l'audiovisuel extérieur. Elle relève du Quai d'Orsay, et je regrette qu'elle ait été marginalisée pour des raisons extérieures à la politique audiovisuelle extérieure.
Ces sujets dialectiques sont bien identifiés. J'assume la recentralisation, mais rationaliser la politique extérieure française ne signifie pas imposer la même chose à tout le monde ! Les antennes locales répondent à nos appels à projet en faisant des propositions. Nous en avons reçu environ 1200 : vous imaginez la diversité des projets ! Les pays retenus pour l'expérimentation sont on ne peut plus divers : l'Inde, Singapour, la Syrie, le Koweit, les Emirats arabes unis, le Sénégal, le Ghana, le Chili, le Danemark, la Serbie, le Cambodge, la Géorgie et le Royaume-Uni.
Notre mission n'est pas seulement d'exporter la culture française, mais aussi d'accueillir les cultures extérieures. L'année du Mexique, portée par l'Institut français, comptera 380 opérations en France. Nous nous inscrivons résolument dans un esprit d'échange. Nous serons en discussion avec CampusFrance sur l'accueil d'étudiants et d'intellectuels étrangers.
Nous travaillons en très bonne entente avec le Quai d'Orsay. Les rapports avec les fonctionnaires du ministère sont excellents ; les ambassadeurs approuvent la loi de juillet et doivent désormais s'approprier la réforme. Jusqu'ici, le climat est excellent.
Je vous souhaite tout succès dans votre mission, mais vous devez faire face à des vents contraires, à commencer par la révision générale des politiques publiques. En supprimant des postes, l'État se prive de moyens humains de qualité. Pour intensifier le rayonnement de notre culture à l'étranger, il faudrait d'abord lui rendre sa place dans notre propre pays ! Les artistes ont toujours joué un rôle important dans le dialogue entre les civilisations, qu'il faut plus que jamais promouvoir. La France est l'un des rares pays à avoir sa propre industrie cinématographique et musicale ; nos dispositifs peuvent intéresser les pays qui souhaitent défendre la diversité face au soft power uniformisant des États-Unis.
Dans un entretien au Figaro, vous dites que l'Institut français n'a pas uniquement vocation à organiser des expositions et à subventionner le spectacle vivant. Mais qui mieux que les artistes et les créateurs peut donner « envie de France » ?
J'ai lu dans la presse que Marin Karmitz, délégué général du Conseil de la création artistique, a emmené des intellectuels à New York dire que la culture française n'existe plus... Craignez-vous que ce Conseil, mis en place par le Président de la République, ne vienne parasiter votre action ?
Il n'y a pas de conflit avec la RGPP, qui est une politique nécessaire. L'Institut français procède d'une logique de rationalisation, de mutualisation, de recherche de l'efficacité. On peut réduire la voilure dès lors que l'action est concentrée. En tout état de cause, l'Institut français jouit d'un budget convenable, grâce à l'action de Bernard Kouchner, qui plus est garanti sur trois ans. Dans le contexte actuel, nous sommes ménagés.
J'ai dit au Figaro que nous n'étions pas là uniquement pour faire tourner artistes et créateurs. La politique extérieure de la France relève d'une stratégie diplomatique ; il faut identifier notre intérêt à agir, savoir quelles actions laissent ou non des traces. Un recentrage n'est pas inutile, même si nous continuerons bien entendu à soutenir les artistes et créateurs.
Je n'ai pas de commentaires à faire sur la mission de M. Karmitz. Les propos tenus à New York n'ont pas fait très bon effet auprès des lecteurs informés, mais peut-être est-ce imputable à la présentation qu'en a faite le Monde ?
En attendant qu'il soit remis de l'ordre à France 24, peut-être pourriez-vous appuyer notre demande que TV5 Monde soit diffusée sur la TNT ? La France est le seul pays francophone à n'avoir pas accès à cette chaîne ! Idem pour RFI, que nous sommes contraints d'écouter sur Internet ! Comment comprendre les crises tunisienne et égyptienne si l'on ne sait rien de la réalité de ces pays ?
Vous dites avoir les moyens de travailler correctement à Paris, mais quid du terrain ? Les coupes budgétaires du Quai d'Orsay portent essentiellement sur le réseau culturel. Les contractuels, les recrutements locaux disparaissent. Certains sont payés mais pas employés, car il faudrait alors les titulariser ! Or c'est sur ces personnels que repose l'action sur le terrain !
Participerez-vous à la révision de la carte des établissements culturels et de leur format ? Certaines politiques sont aberrantes : à Stockholm, l'établissement a déménagé trois fois en huit ans, et s'est vu ôter, puis rendre, puis à nouveau ôter la charge des cours de français !
Ma dernière question s'adresse au secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences morales et politiques. À ce titre, vous émettez un avis sur la nomination du directeur de l'École normale supérieure. Que pensez-vous de l'interdiction d'expression dont a récemment été frappé Stéphane Hessel, ambassadeur de France, par l'ENS ?
Je ferai entendre la même voix que vous sur TV5.
Cela fait plus de dix ans que l'on réduit le réseau de contractuels. Je suis allé à la rencontre de très grands réseaux comme celui du Maroc. Les gens se plaignent, bien sûr, mais reconnaissent avoir appris à travailler autrement, à mieux échanger entre instituts, à mutualiser. La rationalisation n'empêche pas l'action.
Nous serons associés à la révision de la carte des réseaux. Avec une structure unique, les errements de Stockholm ne pourront se reproduire !
Enfin, comme je l'ai dit à l'Assemblée nationale, je considère qu'un intellectuel qui souhaite s'exprimer a sa place à l'École normale supérieure, quitte à ce que l'on puisse contester ses propos.
La gestion des ressources humaines et la formation des agents du réseau culturel est l'une des lacunes de notre diplomatie culturelle. La loi a prévu que l'Institut serait « associé » à la politique de gestion des ressources humaines ; comment comptez-vous mettre ces dispositions en pratique ?
Comment concevez-vous les relations avec les entreprises et les organismes publics et privés chargés de favoriser l'exportation de biens culturels, notamment Unifrance, compte tenu de la nature juridique différente de vos partenaires ?
Comment envisagez-vous les relations avec la société chargée de l'audiovisuel extérieur et ses opérateurs, notamment RFI et TV5 Monde ? Je partage la position de Mme Cerisier-Ben Guiga sur la question de la diffusion en France ; on connaît les intérêts en jeu... Peut-on envisager des conventionnements particuliers ? Les responsables de TV5 Monde ont déjà des outils, des relations avec les diffuseurs de langue française ; on doit pouvoir agir rapidement.
Sur ces domaines, nous en sommes au prodrome de notre action.
La formation est l'une des missions essentielles de l'Institut français. Il faut trouver les personnes compétentes, négocier avec l'Éducation nationale, le Centre international d'études pédagogiques, les acteurs culturels. Nous allons mettre en place un protocole de formation, organiser un séminaire cet été ; nous y verrons plus clair dans quelques mois. En tant que doyen de l'inspection générale, j'ai vu les drames que pouvaient constituer le retour d'anciens attachés culturels se retrouvant professeurs de collège...
S'agissant de l'exportation des biens culturels, nous proposerons une lettre d'intention commune avec Ubifrance, qui est la structure compétente. Le sujet est complexe, et dépasse les compétences de l'Institut. Nous travaillons avec des opérateurs privés, des partenaires. Un comité des mécènes a été mis en place pour l'année du Mexique. Nous négocierons au quotidien des soutiens pour nos opérations.
J'ai répondu sur TV5 et RFI. Il faut que les turbulences se calment ; nous pourrons alors trouver un modus vivendi.
La loi du 27 juillet fait du Quai d'Orsay l'unique tutelle de l'Institut mais prévoit une participation importante du ministère de la culture. Quel est son apport, sur le plan financier et en matière de ressources humaines ?
Quels efforts consacrez-vous à la diversification des ressources de l'Institut français ? Quelles sera votre ambition en termes de mécénat ? Quelles articulations avec les collectivités territoriales et les organisations de la francophonie ? L'université est un lieu privilégié du débat d'idées, et l'Agence universitaire de la francophonie est un vecteur d'influence. La France est le premier bailleur de fonds de la francophonie, mais n'obtient pas toujours le retour sur investissement espéré !
Vous avez fait appel aux élus pour vous aider à vous rapprocher de l'audiovisuel extérieur, dans un contexte que nous savons conflictuel. Est-ce une façon de reconnaître l'impuissance de l'administration ? Ce problème devrait relever de l'exécutif !
Le ministère des affaires étrangères est notre unique tutelle, mais le contrat d'objectifs et de moyens ainsi que la lettre de mission seront cosignés par le ministre de la culture. La rue de Valois doit nous transférer huit emplois, ce qui ne se fait pas sans mal. Sa participation financière est modeste : 1 million d'euros. Nous allons concerter notre action avec celle des grands établissements publics, dont j'ai rencontré les présidents. Le Louvre a ses propres stratégies internationales, le ministère de la culture conduit ses propres actions, qui feront l'objet de discussions et de synergies. Tout cela se fait petit à petit.
Le ministère de la culture contribue aux actions de formation. Il est très bien représenté au sein des conseils d'administration et d'orientation, et nous dialoguons beaucoup.
Le mécénat est facilité par le statut d'EPIC de l'Institut. J'ai créé une direction du mécénat et des partenariats, et nous sommes à la recherche d'une personne compétente pour l'animer ; beaucoup d'entreprises comprennent l'intérêt de partenariats dans les pays où elles ont des projets économiques. Je vous présenterai d'ici un an le bilan des participations extérieures.
Quant à la francophonie, c'est évidemment un sujet qui m'intéresse - j'ai moi-même été ministre en charge de ce dossier -, mais la France n'est qu'un des membres de l'Organisation internationale de la francophonie. Je dois rencontrer son Secrétaire général, M. Abdou Diouf, la semaine prochaine. L'Agence universitaire de la francophonie est aussi un instrument précieux, mais nous n'avons pas encore formalisé notre partenariat.
Enfin, lorsque je faisais appel aux élus, je ne laissais pas entendre que l'administration du Quai d'Orsay n'était pas capable de régler ses problèmes elle-même. Mais nul n'ignore les tensions qui traversent aujourd'hui France 24. Nous ne pourrons collaborer utilement avec la chaîne que si le calme est revenu en son sein.
Beaucoup de choses ont été dites, mais je veux apporter un témoignage. Je ne suis pas spécialiste de l'action culturelle extérieure, mais chaque fois que je me rends en mission à l'étranger, je suis frappé par le dynamisme de nos centres culturels. J'étais récemment au Laos et au Cambodge, avec notre groupe d'amitié parlementaire : ces pays encore très francophones sont confrontés à un environnement où l'anglais progresse rapidement. Là comme à Iaþi en Roumanie, où le bail de l'établissement arrive à expiration, le personnel est inquiet de la baisse des moyens, contraire à la volonté politique qui s'exprime dans notre assemblée.
Dans tous les pays que j'ai visités, j'ai constaté comme vous l'immense bonne volonté des agents de notre réseau culturel, qui font face aux difficultés immédiates avec un remarquable esprit d'initiative. Certains regrettent les diminutions d'emplois, mais tous saluent la naissance d'un opérateur unique, leur seul interlocuteur désormais. Espérons que ceci compensera cela.
Vous avez dit vouloir travailler avec les collectivités territoriales, tout en restant assez elliptique. Dans bien des pays, l'apport des collectivités est deux fois plus important que celui de l'Etat. Comment articuler ces actions ?
Beaucoup d'initiatives sont prises, et des fédérations de coopération décentralisée existent, comme Cités Unies. Mais on manque de visibilité : le président de l'Association des régions de France, M. Alain Rousset, s'en plaint lui-même. Les collectivités s'administrent librement, mais il serait utile que nous connaissions leurs projets à l'avance pour pouvoir les accompagner. Quand j'étais ministre de la coopération et déjà élu aquitain, je me suis aperçu par hasard, en déplacement à Bobo-Dioulasso, que la région Aquitaine soutenait localement les écoles maternelles... Les très grandes villes, de leur côté, poussent au bout la logique du jumelage. Il nous faudra rencontrer fréquemment les associations de collectivités. Je vous rappelle que la moitié de nos 150 centres culturels sont situés en Europe : il est heureux que d'autres projets existent en Asie du Sud-Est ou en Afrique ! Une vingtaine de conventions de cofinancement ont déjà été signées avec des collectivités.
Ma mission m'impose d'être ambitieux. D'ailleurs, les moyens dont nous disposons sont loin d'être négligeables.
Sachez que vous avez ici des alliés, et tenez-nous informés de vos projets, afin que nous puissions aider à leur réussite. Merci et bonne chance.
- Présidence de M. Ambroise Dupont, vice-président -
La commission examine le rapport de Mme Colette Mélot sur la proposition de loi n° 136 (2010-2011) relative à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération en langue régionale.
La présente proposition de loi a été déposée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste, dont certains sont membres de notre commission. Elle vise à compléter la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française, en précisant que les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération peuvent être complétés d'une traduction en langue régionale. La défense des langues régionales est un sujet passionnant qui mobilise le Parlement, quels que soient les courants politiques. En témoignent les propositions de loi qui se multiplient au Sénat comme à l'Assemblée nationale - celle que M. Navarro a déposée le 25 janvier dernier, celle de M. Alduy, celle de M. le député Marc Le Fur. Le débat est vif, comme en attestent huit questions orales ou écrites posées en 2010. Cette mobilisation fait suite à la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : le nouvel article 75-1 de la Constitution reconnaît que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.
Loin de s'attaquer à la question très générale de la promotion des langues régionales, la présente proposition de loi vise à traiter une question très précise et circonscrite : la signalisation des entrées et sorties de ville. L'objectif est de transcrire en droit positif ce qui n'est pas interdit, et ce qui est d'ailleurs pratiqué dans de nombreux endroits en France. Nous avons tous déjà constaté que de nombreuses communes ont fait le choix d'installer des panneaux bilingues, en langue française et en langue régionale. Comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française permet aux communes d'installer des panneaux d'entrée d'agglomération en langue régionale. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 juillet 1994, a précisé que « la loi relative à l'emploi de langue française prescrit, sous réserve de certaines exceptions, l'usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l'enseignement et la communication audiovisuelle; qu'elle n'a toutefois pas pour objet de prohiber l'usage de traductions lorsque l'utilisation de la langue française est assurée ». Les langues régionales peuvent donc figurer sur les panneaux d'entrée de ville, mais à condition qu'il s'agisse d'une signalisation bilingue comprenant le nom en langue française. C'est d'ailleurs cette réponse qui a été régulièrement donnée aux parlementaires.
On peut donc se demander si cette proposition de loi est utile, puisqu'elle autorise une pratique qui n'est pas proscrite. L'élément décisif pour M. Courteau a été une très récente décision du tribunal administratif de Montpellier qui a enjoint à une commune, Villeneuve-lès-Maguelone, d'enlever des panneaux portant la transcription en occitan du nom de la commune. J'insiste sur le fait que le juge administratif n'a pas pris sa décision sur le fondement du bilinguisme, dont il a au contraire rappelé la possibilité pour les panneaux posés sur la voie publique. C'est pour deux autres motifs que le tribunal administratif a rendu ce jugement. Le premier est que les panneaux litigieux ne respectaient pas les règles de sécurité routière édictées par l'arrêté du 24 novembre 1967 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes : plus grands que les panneaux d'entrée d'agglomération et ne portant pas le nom usuel de celle-ci, ils prêtaient à confusion et pouvaient être une cause d'insécurité routière. Il est vrai que le juge a considéré que le Ò avec un accent grave ne pouvait figurer sur un panneau, ce signe diacritique n'étant répertorié dans aucune des annexes de l'arrêté de 1967. La deuxième raison évoquée par le juge était l'absence de fondement historique de la traduction occitane. La commune visée n'a pas été en mesure d'invoquer l'existence d'un usage local suffisamment ancien et constant de la toponymie employée. Dès lors, selon le juge, aucune circonstance particulière ou tenant à l'intérêt général ne justifiait l'installation de ces panneaux. Ce dernier point est très important, car cette nouvelle condition d'intérêt général ou de circonstance particulière pourrait être à la source d'une interprétation restrictive de la permission d'installer des panneaux bilingues, dans le cadre de contentieux à venir. Il serait dommage de revenir sur une pratique autorisée jusqu'à aujourd'hui par la loi et le juge constitutionnel. C'est ce qui, à mon sens, peut justifier que l'on soutienne cette proposition de loi. Elle assiérait une pratique déjà courante, sans toutefois être révolutionnaire.
La rédaction de l'article unique soulève toutefois deux problèmes majeurs sur lesquels je vous proposerai de revenir dès la semaine prochaine, à l'occasion de l'examen des amendements extérieurs. Le premier tient au champ d'application, puisque le texte mentionne « les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d'une agglomération », sans plus de précision. Pourtant le titre de la proposition de loi mentionne bien les « panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération ». Il est indispensable de revenir sur cet oubli rédactionnel, sous peine de favoriser la prolifération des panneaux qui mentionneraient le nom d'une agglomération à côté d'autres inscriptions, et pollueraient nos paysages. Notre commission a soutenu fermement notre collègue Ambroise Dupont dans son combat contre l'affichage publicitaire extérieur excessif et les pré-enseignes dérogatoires dans le cadre du Grenelle II ; n'ouvrons pas une nouvelle brèche. En outre, il convient de garantir la clarté et l'intelligibilité de la signalisation, pour une sécurité routière maximale.
En second lieu, il faut corriger le terme « traduction », afin d'éviter que chacun se mettre à traduire le nom de sa commune, pourquoi pas en l'inventant, sans aucun fondement historique : le tribunal administratif de Montpellier nous a justement avertis sur ce point. Notre objectif doit être de préserver le patrimoine de la France, pas de l'inventer. Je rappelle que c'est la formulation du toponyme en français qui est historiquement une traduction du nom en langue régionale, et non l'inverse : Castel Nòu d'Ari (« Château neuf d'Ary ») a précédé l'appellation Castelnaudary, et Brageirac ne s'appelle Bergerac que depuis peu : les vieilles chartes, les cartes, les cadastres et la littérature en témoignent. Vous l'aurez compris, il me semble que la commission pourrait se prononcer en faveur de cette proposition de loi sous réserve de modifications incontournables.
Les nouvelles règles de procédure nous conduisent à ne pas toucher au texte de cette proposition de loi - sauf accord de ses auteurs - qui sera donc présentée telle quelle en séance. Je vous propose de ne pas adopter de texte aujourd'hui, tout en donnant un avis favorable au cours de l'examen en séance, sous réserve de deux amendements, l'un limitant la disposition aux panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération, l'autre revenant sur le terme de « traduction » afin de viser le patrimoine toponymique des agglomérations. Je vous les soumettrai la semaine prochaine.
La proposition de loi vise les panneaux routiers ordinaires, et il me semble inutile de préciser qu'il s'agit des panneaux d'entrée et de sortie de ville. Sur la traduction, nous pouvons nous en remettre aux associations locales. Je suis moi-même originaire du Béarn, mais je vis en Dordogne : Bergerac est le nom occitan reconnu de tous, quelles qu'aient pu être par le passé les différences phonétiques ou graphiques. En Occitanie, toutes les communes ont un nom occitan. Je suis heureux que Mme le rapporteur ne soit pas hostile à cette proposition de loi ; discutons ensemble d'éventuels amendements.
Je suis favorable à l'installation de panneaux d'entrée et de sortie de ville en langue régionale, mais il faut préciser le champ d'application du texte. En outre, pour éviter qu'un tribunal administratif ne demande l'enlèvement d'un panneau, il faut s'assurer que le nom régional ait un fondement historique. Encore une fois, c'est le nom français qui est une traduction.
Ce texte vise à combler un vide législatif, puisque la loi n'autorise pas expressément les panneaux en langue régionale. Son objet est très circonscrit, car nous n'avons pas voulu attendre un grand débat sur les langues régionales. Nous avons en tête les panneaux réglementaires. En Bretagne, une signalétique bilingue a été mise en place depuis longtemps déjà : Quimper s'appelle aussi Kemper, ce qui en breton signifie « confluent ». Toutes les communes qui veulent installer un panneau de ce type doivent passer une convention avec l'Office culturel régional de la langue bretonne, qui certifie l'authenticité du nom ; du gallo, du glazik et du léonard, c'est le gallo qui a été retenu, comme dans les écoles Diwan.
Il y a un an, Mme Rama Yade avait répondu à l'une de mes questions orales qu'aux termes de la Constitution, les langues régionales appartenaient au patrimoine de la Nation, qu'il était envisageable de mettre en place une signalétique urbaine et routière en langue régionale, et que les actes officiels des collectivités territoriales, notamment les actes d'état-civil, pouvaient être publiés en langue régionale s'ils l'étaient aussi en français. La question ne concerne donc pas seulement les panneaux d'entrée et de sortie de ville. En Bretagne, le nom des bâtiments publics peut aussi être affiché dans les deux langues.
Mais le titre de la proposition de loi vise bien les panneaux d'entrée et de sortie d'agglomération. Le temps n'est pas encore venu d'un large débat sur les langues régionales. A l'origine, je n'étais pas favorable à ce texte, car il me semblait superflu de légiférer sur une pratique autorisée. Mais M. Courteau m'a convaincue que la décision du tribunal administratif de Montpellier pouvait faire jurisprudence, et que de nombreuses communes pourraient être assignées en justice. Il faut préciser les choses, et c'est bien pourquoi je souhaite que ce texte soit précis.
Moi qui suis Normand, j'en viens à regretter de n'avoir à ma disposition que le français...
Je vis tout à côté de Villeneuve-lès-Maguelone. La commune a été attaquée par le « Mouvement républicain de salut public », en réalité par un opposant à la municipalité. Il n'était pourtant pas bien difficile de comprendre le sens de l'inscription « Vilanòva-de-Magalona » ! A Béziers une signalisation bilingue existe depuis longtemps et n'a jamais posé le moindre problème.
La question des langues régionales touche au plus profond de l'être humain : tout dépend de la manière dont chacun a été élevé. Il était inacceptable de rebaptiser « Septimanie » la région Languedoc-Roussillon, comme le voulait son ancien président, sans rencontrer beaucoup d'opposition. Revendiquer notre culture régionale, ce n'est pas nous désolidariser des autres ! L'histoire de chaque région appartient au patrimoine commun. Inscrire le nom des villes en langue régionale peut aiguiser la curiosité des gens, voire encourager le tourisme. Si du nord au sud nous avions tous le même accent, les mêmes goûts, le même fromage, serait-ce bien gai ? Mais nous sommes Français avant tout.
La langue française est d'ailleurs celle de l'unité. ( Mme Marie-Thérèse Bruguière acquiesce)
J'approuve cette proposition de loi. Mais les deux noms seront-ils inscrits sur le même panneau, ou sur deux panneaux ?
Pour répondre aux objections de Mme le rapporteur, il suffirait de ne mentionner que les panneaux « réglementaires », et d'écrire qu'ils « peuvent être complétés d'une inscription de ce nom en langue régionale ». Comme elle l'a justement dit, le nom français est en général la traduction du nom en langue régionale. Je n'insisterai pas sur les spécificités limousines de l'occitan...
Je suis d'accord avec Mme le rapporteur : il faut cibler les panneaux d'entrée et de sortie de ville, car les panneaux de direction sur les routes et autoroutes pourraient aussi bien être concernés.
Sans doute les langues régionales appartiennent-elles au patrimoine national, mais l'un des mérites de la Révolution française fut de propager la langue française et de mettre fin à l'esclavage linguistique : un Breton pourrait désormais aller travailler à Marseille. Je crains le réveil du communautarisme.
Les écologistes soutiennent cette proposition de loi. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous sommes solidaires des Occitans et des Bretons ; nous avons nous-mêmes quelques noms de ville picards, et dans le Nord, certaines communes comme Godewaersvelde ou Wormhout ont toujours refusé de voir leur nom traduit en français.
En Alsace, il existe de nombreux panneaux bilingues, et pas seulement à l'entrée ou à la sortie des villes. Cette proposition de loi ne règlerait rien : si le tribunal administratif a enjoint à la commune de Villeneuve-lès-Maguelone de retirer ses panneaux, c'est d'abord pour des raisons de sécurité, parce que le panneau était trop grand : à Souffelweyersheim, si le nom de la commune était traduit, un automobiliste n'aurait plus le temps de lire le panneau... Ensuite, le tribunal a estimé que le nom occitan n'avait aucun fondement historique. Mais en Alsace, l'office linguistique régional ne s'occupe pas de certifier les noms, et chaque commune retient la graphie de son choix, en se fondant sur la prononciation dialectale. Si la loi impose une traduction, il faudra décider qui traduit ! Nous ne sommes pas à l'abri d'un autonomiste puriste qui attaquerait la dénomination choisie par une commune... Enfin, si l'on se met à légiférer pour autoriser ce qui n'est pas interdit, ne faudra-t-il pas le faire pour les noms de rues ? L'intention est noble, mais il faut au moins réécrire ce texte, pour qu'il serve à quelque chose.
Si le tribunal administratif a condamné Villeneuve-lès-Maguelone, c'est, me semble-t-il, parce que les deux panneaux étaient superposés, au lieu que l'un soit installé un peu arrière de l'autre.
Dans le Bas-Rhin, il existe un village du nom de Krautergersheim. Faudra-t-il l'appeler « Chouville » ? On est vraiment en train de chercher la petite bête !
La commission décide, à ce stade, de ne pas établir de texte.