Intervention de Antoine Bouvier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 7 juillet 2010 : 1ère réunion
Table ronde sur la défense anti-missiles balistiques

Antoine Bouvier, président de MBDA :

La DAMB est devenue un sujet stratégique majeur, mais c'est aussi la quadrature du cercle. Dans un contexte de forte réduction des budgets de défense, ce n'est pas une priorité opérationnelle aujourd'hui exprimée par les forces. De plus, son articulation conceptuelle avec la dissuasion nucléaire fait encore débat. Enfin, les Etats-Unis d'Amérique dépensent des budgets colossaux pour se doter d'un système de défense anti-missiles, de l'ordre de 10 milliards de dollars par an, et ce depuis des décennies.

Dans ces conditions, que faire ? D'autant que la nouvelle posture de l'administration américaine nous force à prendre position. Mais posons-nous d'abord la question : « que se passerait-il si on ne faisait rien sur la DAMB ? ». Dans ce cas, notre pays en particulier et l'Europe en général n'échapperaient probablement pas à un alignement stratégique sur la politique américaine et, in fine, nous devrions procéder à des achats sur étagères d'équipements américains. Une attitude défensive et dilatoire n'est donc plus de mise.

C'est pourquoi, dés 2008, MBDA, Thales et Safran ont élaboré une feuille de route avec un objectif à la fois réaliste et répondant au principe de souveraineté. Il s'agit d'une approche incrémentale qui part des systèmes existants et développe de nouvelles capacités étape par étape, tout en prenant en compte les contraintes financières des Etats européens. L'objectif est de renforcer le pilier européen de l'Alliance, en complétant le dispositif américain par des capacités européennes qui ne dupliqueraient pas des systèmes américains existants, mais, au contraire, apporteraient une véritable plus-value opérationnelle au système OTAN.

La menace balistique est une réalité. Les missiles de théâtre se développent de plus en plus comme une alternative à l'aviation de combat en particulier dans certains pays du Moyen-Orient. Cette menace est déjà prise en compte par plusieurs nations, pas seulement les Etats-Unis, mais aussi la Russie, le Japon, Israël, la Chine et l'Inde. Si la France veut conserver une capacité de nation-cadre, capable d'entrer en premier sur un théâtre d'opération extérieure, cet élément de la DAMB est essentiel.

Une forte impulsion a été donnée par la nouvelle administration américaine. Le « troisième site » en Europe a été abandonné, de même que les négociations bilatérales relatives à son implantation. Les priorités ont été réorientées vers le déploiement de systèmes d'armes et de senseurs en Europe, dans un cadre OTAN. Il n'en reste pas moins que les Américains font preuve d'une véritable agressivité à l'export et que la DAMB structure désormais les accords de défense conclus par les Etats-Unis. C'est le cas en Asie du sud-est avec le Japon qui est directement menacé par la Corée du nord. C'est le cas pour les pays du GCC qui recherchent la protection des systèmes américains contre la menace balistique iranienne , C'est le cas pour Israël qui se sent menacé par ses voisins, et c'est le cas aussi en Europe.

La nouvelle démarche américaine de la PAA (Phased Adaptive Approach) ne rencontre quasiment pas d'opposition parmi les pays de l'OTAN.

Au demeurant, le calendrier américain en Europe s'est accéléré. L'implantation des armes navales pourrait avoir lieu dès 2011 et celle des armes terrestres en 2015. Il y aurait ensuite, en 2018 et en 2020, le déploiement de systèmes d'armes avec des performances accrues.

La DAMB sera un des sujets importants du sommet de l'OTAN à Lisbonne en octobre prochain. Le problème est que, dans la préparation de ce sommet, la question financière a été complètement escamotée. Les chiffres annoncés sont incohérents. Ce n'est pas avec 200 M€ que l'Europe mettre en place sa contribution aux capacités OTAN déployées sur le territoire européen et répondra à la demande américaine d'un meilleur « partage du fardeau ».

De plus la DAMB constitue un enjeu majeur pour les industriels français. Les performances requises pour l'interception des missiles balistiques -temps de réaction, vitesses et manoeuvrabilité des intercepteurs- tirent le savoir-faire des industriels vers le haut dans les domaines de la détection et de l'alerte, du commandement et de la conduite, de la poursuite et de l'interception. Le développement de ces capacités fournirait un levier de compétitivité pour l'industrie française en lui permettant d'acquérir des technologies génériques plus performantes en maintenant et en enrichissant les compétences actuelles. En termes de marchés et d'exportations, la DAMB sera dimensionnante. La DAMB sera une des locomotives de l'industrie de défense dans les prochaines décennies.

Ce qui ne trompe pas c'est la position des Etats-Unis sur ce sujet qui rappelle ce qui s'est passé sur l'avion de combat JSF - joint strike fighter. Le cofinancement de ce projet a asséché les budgets de recherche et développement européens et donc réduit les capacités de l'Europe à développer un jour la nouvelle génération d'avions de combat, après l'Eurofighter et le Rafale.

Tels sont les enjeux de la DAMB pour les acteurs de la défense.

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