Les 4 et 5 octobre dernier, nous nous sommes rendus, avec Mme Escoffier, à Bruxelles, à l'invitation de la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, dite « commission LIBE », pour une réunion sur l'espace Schengen, consacrée au contrôle démocratique de l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Le but était de discuter ensemble des moyens d'évaluer et de mieux contrôler l'action d'Europol, d'Eurojust et de Frontex, et de réfléchir au droit de regard des parlementaires nationaux et européens sur l'espace de Schengen.
Outre les membres de la commission LIBE, des représentants de vingt-sept parlements nationaux issus de dix-huit Etats-membres étaient présents à cette réunion. Les débats ont été riches et de qualité. Rappelons que le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a aboli la structuration en trois piliers de la législation de l'Union européenne : désormais, tout ce qui concerne la coopération policière et judiciaire pénale relève, sauf exception, du droit commun de l'Union européenne - pouvoirs accrus de la Commission, contrôle de la Cour de Justice et pouvoir de codécision du Parlement européen - alors que ces matières relevaient auparavant du troisième pilier, intergouvernemental. Du fait de dispositions transitoires, les attributions de la Cour de Justice et de la Commission n'entreront toutefois en vigueur que le 1er décembre 2014.
Les pouvoirs de la Commission et de la Cour demeurent inchangés en matière de politiques des visas, de l'asile, de l'immigration et de la libre circulation des personnes, qui figuraient déjà dans le premier pilier depuis le traité d'Amsterdam.
Outre ce pouvoir de codécision dont dispose désormais le Parlement européen, le traité de Lisbonne, en plaçant l'idée de citoyenneté européenne au coeur du projet européen, a renforcé le droit de regard des parlementaires européens et nationaux sur les politiques ayant trait à l'espace de liberté, de justice et de sécurité : d'une part, les parlements nationaux se sont vu reconnaître la possibilité de faire respecter le principe de subsidiarité, le cas échéant en saisissant la Cour de Justice, d'autre part, le Parlement européen et les parlements nationaux doivent désormais être associés au contrôle d'Europol et d'Eurojust.
Je rappelle que s'agissant des politiques mises en oeuvre en matière de liberté, de justice et de sécurité, la coopération entre Etats-membres s'est traduite notamment par la création d'agences chargées d'organiser la coordination entre les services compétents : Europol en matière de coopération policière, Eurojust en matière de coopération judiciaire pénale, l'Agence des droits fondamentaux pour ce qui concerne les droits fondamentaux et la lutte contre les discriminations, Frontex dans le domaine du contrôle des frontières extérieures de l'Union, et, tout récemment, le Bureau européen d'appui en matière d'asile.
C'est sur le droit de regard des parlementaires européens et nationaux sur l'action de ces agences qu'ont porté l'essentiel des débats lors de cette réunion début octobre. En effet, le traité de Lisbonne a institué un contrôle parlementaire sur Eurojust et Europol - revendication portée depuis longtemps par le Sénat pour cette dernière, comme en témoigne l'adoption, sur mon rapport, en 2007, d'une résolution européenne en ce sens.
A l'heure actuelle, la Commission européenne ne prévoit pas de proposition législative visant à permettre ce contrôle parlementaire avant 2013, ce qui suscite l'irritation du Parlement européen, qui réclame pour sa part une proposition pour la mi-2011. De son côté, la Commission européenne considère que les agences n'assurent qu'un rôle de coopération opérationnelle et que le contrôle du Parlement européen doit avant tout porter sur l'élaboration du programme politique de l'Union en matière de justice, de liberté et de sécurité. La Commission considère en outre que s'agissant de matières mettant en jeu des aspects essentiels de la souveraineté des Etats- membres, le contrôle démocratique doit être décentralisé à leur niveau. L'ensemble des participants à la réunion a toutefois exprimé le souhait que ce contrôle parlementaire soit mis en place au plus vite, invitant la Commission européenne à accélérer son calendrier de travail.
J'en viens aux débats consacrés à Frontex, l'Agence européenne créée en 2004 pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des Etats-membres de l'Union européenne, opérationnelle depuis 2005. Elle est notamment chargée de coordonner la coopération des États-membres en matière de gestion des frontières extérieures, de les assister pour la formation des garde-frontières nationaux et de leur fournir l'appui nécessaire pour organiser des opérations de retour conjointes. La Commission européenne a récemment proposé d'apporter certaines modifications au règlement portant création de cette agence, afin de lui permettre notamment d'acquérir des équipements, de disposer d'une équipe de garde-frontières et de mieux définir les modalités de sa coopération avec les autres agences et organes de l'Union ainsi qu'avec les pays tiers.
Nous avons entendu M. Ikka Laitinen, directeur exécutif de Frontex, qui a souligné que la situation aux frontières extérieures de l'Union, n'étant pas statique, nécessitait une adaptation permanente des moyens mobilisés. Entre 2009 et 2010, le nombre de migrants a diminué de 20%, mais on constate une concentration et une redéfinition des routes utilisées par les réseaux de migrants, la pression se déplaçant de la frontière maritime à la frontière terrestre, principalement à l'est de l'Europe. M. Laikinnen a appelé à un approfondissement de la coopération entre Etats-membres, par une coordination de l'ensemble des services concernés - douanes, services sociaux, etc... - la mise en oeuvre de traitements de données à caractère personnel centralisés et un accroissement des moyens propres alloués à l'Agence. Dans l'ensemble, il a appelé à la définition d'un équilibre entre le respect des droits des voyageurs de bonne foi et la lutte contre les réseaux de migrants illégaux et ceux liés à la criminalité organisée.
Le rapporteur de la commission LIBE en charge de la révision du mandat de Frontex, M. Busuttil, a pour sa part invité à s'interroger sur l'avenir de l'Agence : doit-elle demeurer une simple agence de coordination, sans capacités d'action propres, ou devenir au contraire un organe de protection des frontières intégré, disposant de compétences et de moyens propres ?
M. Hunko, un membre du Bundestag appartenant au parti Die Linke, a quant à lui recentré le débat sur la question des droits de l'homme, critiquant violemment les opérations menées en mer par Frontex en dehors des eaux nationales et a souhaité que cette agence ne devienne pas une « super autorité de refoulement ». Après avoir relevé que le budget de Frontex avait été multiplié par près de dix en l'espace de quelques années, passant de 6 millions d'euros en 2005 à 88 millions en 2009, il s'est prononcé en faveur d'un contrôle parlementaire accru sur les opérations menées par cette agence.
Ces prises de position ont bien évidemment suscité de nombreuses réactions, parmi lesquelles je mentionnerai l'appel de plusieurs parlementaires nationaux en faveur d'une meilleure définition de la politique d'immigration et d'intégration de l'Union. Il a également été souligné qu'il n'appartenait pas à Frontex de lutter contre la criminalité organisée - tâche qui relève de la compétence d'Europol.
Sur cette dernière agence, nous avons entendu M. Wainwright, son directeur, qui la qualifie de « bras de protection de l'Union européenne ». Je rappelle qu'Europol est chargée de faciliter les échanges de renseignements entre autorités policières des Etats-membres en matière de lutte contre les formes les plus graves de criminalité et de terrorisme. Elle dispose de 650 experts et coordonne environ 14 000 opérations transfrontalières chaque année.
M. Wainwright s'est réjoui de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui permettra d'accroître le contrôle parlementaire et, de ce fait, la légitimité de l'action menée par Europol, le cas échéant en concertation avec d'autres agences telles que Frontex.
Les débats qui ont suivi se sont principalement concentrés sur la question du contrôle parlementaire d'Europol : la majorité des intervenants se sont ainsi prononcés en faveur d'une présentation rapide, par la Commission européenne, d'une proposition législative permettant de mettre en oeuvre ce contrôle avant la fin de la période transitoire fixée au 1er décembre 2014. Plusieurs parlementaires ont par ailleurs estimé souhaitable qu'Europol et Eurojust soient soumises aux mêmes procédures de contrôle, dans un souci de lisibilité de l'action de l'Union européenne, et tout particulièrement du Parlement européen.
La question de la création d'un parquet européen a également été évoquée. Je rappelle à ce sujet que le traité de Lisbonne a ouvert la possibilité de créer un parquet européen, qui serait compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne, ainsi que de certains crimes particulièrement graves présentant une dimension transnationale -terrorisme, traite des êtres humains, trafic de drogue, etc. En attendant, Eurojust, qui n'est actuellement dotée que de pouvoirs de coordination, s'est vu reconnaître la possibilité par le traité de Lisbonne de proposer le déclenchement des poursuites, qui ne dépend à l'heure actuelle que des seules autorités nationales.
La création d'un parquet européen n'est pour l'instant qu'une simple faculté de l'Union : il paraît nécessaire, au préalable, de renforcer les compétences d'Europol ainsi que les modalités de sa coopération avec Eurojust.