Intervention de Philippe Séguin

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 octobre 2007 : 1ère réunion
Audition de M. Philippe Séguin premier président de la cour des comptes Mme Rolande Ruellan présidente de la 6e chambre M. Laurent Rabaté rapporteur général sur le rapport annuel de la cour consacré à l'application des lois de financement de la sécurité sociale et M. Maximilien Queyranne auditeur

Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes :

a précisé que ses propos ne porteront pas sur les mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 et seront entièrement consacrés aux analyses et propositions de la Cour qui ont inspiré certains de ses articles.

En vertu de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, la Cour a deux nouvelles obligations : la certification des comptes des caisses nationales et des branches du régime général, présentée à la commission des affaires sociales le 10 juillet 2007 dernier, et l'établissement, dans son rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale, d'un avis sur la cohérence des tableaux d'équilibre.

La situation des comptes de la sécurité sociale est préoccupante : le déficit annuel demeure élevé et le déficit cumulé ne cesse de s'accroître. Comme l'an dernier, la Cour manifeste donc une « vigilance inquiète » à l'égard de l'évolution des comptes sociaux, d'autant que la conjoncture économique joue un rôle positif sur les recettes. A cela s'ajoute l'impact favorable de certaines hausses de taux de cotisations, d'une part, et de la prise en compte de recettes nouvelles non reconductibles pour un montant d'environ 2 milliards d'euros, d'autre part.

Le déficit des régimes obligatoires de base s'est établi, en 2006, à 8 milliards d'euros contre 11 milliards d'euros l'année précédente. Mais il atteint 10,3 milliards d'euros, contre 14,4 milliards d'euros en 2005, si l'on ajoute les besoins de financement du fonds de solidarité vieillesse (FSV) et ceux du fonds de financement des prestations sociales des non-salariés agricoles (Ffipsa).

En ce qui concerne la branche maladie, le dynamisme des recettes a plus que compensé le dépassement de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam). Le dérapage de 1,2 milliard d'euros de l'Ondam s'explique notamment par la sous-estimation de la base de calcul, par la non-réalisation des économies prévues sur les produits de santé et par l'accélération des dépenses de soins de ville constatée au second semestre 2006. A périmètre constant, néanmoins, la croissance des dépenses n'a été que de 3,1 % pour l'ensemble des régimes, soit un niveau inférieur à la hausse en valeur du Pib et la plus faible augmentation constatée depuis 1997.

La réalisation des objectifs initialement fixés pour l'Ondam 2007 paraît difficile. Réuni le 29 juin 2007, le comité d'alerte a d'ailleurs constaté un risque de dépassement de 2 milliards d'euros sur les soins de ville. Le déficit de la branche maladie pourrait ainsi atteindre 6,2 milliards d'euros à la fin de l'année 2007. Au total, les mesures de maîtrise mises en oeuvre depuis 2004 sont nettement insuffisantes pour permettre un retour à l'équilibre à l'horizon 2009.

s'est par ailleurs inquiété de la situation de la branche retraite. La stabilisation du déficit constatée entre 2005 et 2006 est imputable au dynamisme général des recettes, soutenu par une hausse de cotisation de 0,2 point. Toutefois, la forte progression des dépenses se poursuit, provoquant une aggravation du déficit qui devrait encore se poursuivre en 2008.

De surcroît, comme l'an dernier déjà, on peut estimer que le FSV a pour principal effet de dissimuler une partie du déficit de la branche retraite du régime général. Pour sa part, le Ffipsa ne remplit pas sa mission et rien ne permet de croire à son redressement spontané. Ces deux fonds, qui ne sont pas dotés par les pouvoirs publics des moyens nécessaires pour faire face à leurs obligations légales, continuent d'être placés dans une situation juridique intenable.

Il convient toutefois de prendre acte du récent versement au régime général de 5,1 milliards d'euros au titre du remboursement des dettes de l'Etat. Cette opération devrait permettre d'éviter le dépassement du plafond, pourtant très élevé (28 milliards d'euros), d'autorisations d'emprunt qui avait été fixé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, que le projet de loi de financement pour 2008 prévoit d'ailleurs de porter à 36 milliards. Ces montants considérables attestent que ces autorisations d'emprunt n'ont plus rien à voir avec des ajustements de trésorerie infra-annuels et servent à combler des déficits structurels croissants, tout en entraînant des frais financiers de plus en plus élevés pour le régime général (271 millions d'euros en 2006, 700 millions d'euros en 2007 et plus d'un milliard d'euros en 2008).

En définitive, la Cour considère que la priorité absolue doit être d'éviter la constitution de nouveaux déficits, ce qui suppose de fixer des objectifs de dépenses et de recettes à la fois équilibrés et réalistes, accompagnés des mesures permettant de les atteindre. Faire reposer le rééquilibrage spontané des comptes sociaux sur la croissance économique constitue à l'inverse un pari risqué.

Puis M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a fait valoir le caractère nouveau de la notion de tableau d'équilibre. En l'espèce, l'avis de la Cour revêt une portée sui generis : il ne s'agit pas d'un exercice de certification, mais d'un rassemblement de données établies par l'administration à partir des comptes des régimes. Ces tableaux se composent, pour chaque branche du régime général ainsi que pour le FSV et le Ffipsa, de trois lignes : les produits, les charges et le résultat. Ce sont donc des comptes de résultat très simplifiés, destinés à améliorer l'information des parlementaires.

La Cour a vérifié l'absence d'anomalie majeure ainsi que la permanence dans le temps des méthodes de construction de ces tableaux, mais elle a été confrontée à des incertitudes sur la ventilation des données entre les branches, dans les régimes qui en gèrent plusieurs. Enfin, la transmission tardive des informations l'a conduite à travailler sur des données provisoires légèrement différentes des chiffres définitifs.

En ce qui concerne les multiples exonérations, abattements, déductions et réductions aux finalités diverses qui grèvent le produit des prélèvements sociaux, le problème n'est pas tant celui d'une perte de recettes de plusieurs milliards d'euros que du respect des principes d'efficacité et d'équité. En effet, ces dispositifs créent de fortes distorsions selon la taille des entreprises et entre les assurés sociaux en bénéficiant à des catégories peu nombreuses et déjà favorisées. C'est le cas de l'exonération de la plus-value d'acquisition des stock-options qui correspond à une perte de recettes nette évaluée par la Cour à environ 3 milliards d'euros. De même, les indemnités de départ à la retraite ou de licenciement, elles aussi exonérées de cotisations, entraînent une perte de recettes de plus de 4 milliards d'euros.

Il convient par ailleurs de rappeler la demande de la Cour en faveur de l'alignement des taux des contributions des employeurs publics aux branches maladie et famille sur ceux du régime général.

En ce qui concerne les hôpitaux, la Cour et les chambres régionales des comptes ont étudié la fiabilité des comptes et analysé la politique d'achat des médicaments. Elles ont constaté que le respect des principes comptables par les établissements hospitaliers est très inégal et que la pratique consistant à dissimuler des déficits, voire des excédents, semble assez répandue, ce qui peut affecter la sincérité des comptes de l'assurance maladie. De son côté, l'achat de médicaments, qui représente 10 % des charges des hôpitaux publics, n'est pas géré avec le professionnalisme nécessaire.

Par ailleurs, la Cour a consacré une partie importante de son rapport à un premier bilan de la mise en oeuvre de la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie. En ce qui concerne les nouveaux modes de gouvernance, elle porte une appréciation générale positive sur la réorganisation des régimes, tout en préconisant l'introduction de davantage de cohérence entre les pouvoirs respectifs des caisses nationales et de l'union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam).

a ensuite critiqué le transfert excessif de compétences aux professions de santé, qui est intervenu à la faveur de la signature des conventions médicales, dont le champ a été élargi à des questions relevant manifestement de la compétence de l'Etat. Le risque d'une subordination des questions d'organisation des soins sur le territoire aux objectifs de revenus des médecins est bien réel.

Dans le domaine de la démographie médicale, la Cour récuse toute idée de pénurie globale des médecins, y compris dans un avenir proche. Le vrai problème réside dans leur mauvaise répartition entre spécialités et entre territoires, en raison des modalités du numerus clausus et des autres épreuves classantes nationales qui ne garantissent pas la formation d'un nombre suffisant de médecins généralistes. Par ailleurs, les dispositifs d'incitation à l'installation dans les zones sous-médicalisées ne suffiront pas pour améliorer cette situation. La Cour recommande donc de décourager l'installation dans les zones déjà bien dotées en médecins en ayant recours à des mesures dissuasives. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 propose d'habiliter les conventions médicales à traiter cette question, mais les premières réactions des professionnels laissent mal augurer du succès de cette démarche.

Par ailleurs, l'étude des rémunérations des médecins révèle des lacunes importantes dans la connaissance de leurs revenus, salaires ou rémunérations provenant de sociétés d'exercice libéral. Sur la base des données connues par les caisses, le pouvoir d'achat des médecins s'est accru, entre 2000 et 2004, de 1,8 % par an pour les omnipraticiens et de 3,3 % pour les spécialistes, soit sensiblement plus que celui des salariés des secteurs privé et public.

La Cour a également étudié la question des dépassements d'honoraires, notamment ceux des médecins du secteur 2. La fréquence de ce phénomène est très variable selon les spécialités, mais il concerne 80 % des chirurgiens et atteint parfois trois à quatre fois le tarif opposable, ce qui est éloigné du « tact et de la mesure » prescrits par le code de déontologie. Dans certaines zones et pour certaines spécialités, le principe fondamental d'égal accès aux soins se trouve remis en cause : on constate, par exemple, un monopole du secteur 2 pour la chirurgie urologique dans vingt-sept départements, soit 20 % de la population française.

La Cour constate au surplus que l'accélération des gains de pouvoir d'achat des médecins, au cours des dernières années, provient d'une majoration des tarifs et de suppléments forfaitaires qui ont été attribués en contrepartie d'engagements correspondant à des obligations déjà prescrites par le code de déontologie.

Enfin le parcours de soins coordonné a également permis des augmentations substantielles de rémunération des médecins. Cette réforme, mise en oeuvre rapidement et sans dégradation du service rendu aux assurés sociaux, a fait face à des contraintes qui en ont limité l'impact, notamment le paiement à l'acte et le libre choix du patient. In fine, non seulement il en est résulté un maquis tarifaire illisible par l'assuré, mais aussi un coût non négligeable pour les assureurs publics et privés ainsi que les ménages.

Abordant la politique familiale, M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, a indiqué que la Cour a souhaité évaluer l'efficacité des aides publiques aux familles. Le système français, caractérisé par la juxtaposition du quotient familial, de prestations familiales universelles et d'avantages familiaux ciblés sur certaines catégories d'assurés sociaux, paraît assez équilibré du point de vue de l'objectif de compensation du coût de l'enfant. Plusieurs dépenses fiscales pourraient néanmoins faire l'objet d'une remise à plat, notamment certaines demi-parts du quotient familial ou l'exonération d'impôt des majorations de pension pour enfant. Au surplus, la Cour a mis en évidence certains effets d'aubaine apparus à l'occasion de la mise en place de la prestation d'accueil des jeunes enfants (Paje) ainsi que des distorsions dans les taux d'effort des familles, selon le mode de garde retenu, qui sont souvent inversement proportionnels aux revenus des familles.

En ce qui concerne la consommation de médicaments, plusieurs facteurs expliquent son niveau élevé : des critères insuffisamment sélectifs pour l'admission au remboursement, une absence d'évaluation médico-économique de l'intérêt d'un médicament, une formation des médecins encore très dépendante de l'industrie pharmaceutique ainsi qu'une information très insuffisante des patients sur les risques des médicaments et leur coût pour l'assurance maladie.

Enfin, sur la question de l'avenir financier du régime agricole, le rapport de la Cour ne conteste pas le recours à la solidarité nationale et entre les régimes sociaux pour compenser sa situation démographique très dégradée. Mais il considère que les exploitants agricoles doivent aussi fournir un effort contributif accru.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion