Intervention de amiral Pierre-François Forissier

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 27 janvier 2010 : 1ère réunion
Audition de l'amiral pierre-françois forissier chef d'état-major de la marine

amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine :

L'amiral Pierre-François Forissier, chef d'état-major de la marine, s'est réjoui de la tenue de cette audition le jour même où un marin, l'amiral Guillaud, a été nommé chef d'état-major des armées et où le tir de validation du missile balistique M51 a connu un total succès.

Il a indiqué que les orientations du Livre blanc sur la sécurité et la défense, comme celles du Livre bleu, visent à prendre en compte un monde nouveau en l'organisant afin qu'il soit viable. Le Président de la République avait souligné que le Livre blanc était celui de la mondialisation. Il est celui d'une reprise de conscience de la « maritimisation » du monde. Car, à bien y regarder, ce phénomène n'est pas si nouveau : l'histoire maritime du XVIIIe siècle, par exemple, peut déjà se lire en termes de conquête des routes de l'Inde et de lutte pour le contrôle des voies d'approvisionnement, avec deux visions fondamentales : une vision de souveraineté et une vision commerciale, qui demeurent parfaitement d'actualité dans un contexte marqué par une information mondialisée. La guerre froide avait masqué cette façon de voir : pendant cette période, le monde liquide a été gelé entre deux blocs immobiles qui géraient leurs frottements, et dont la politique visait à maintenir un équilibre. La chute du mur de Berlin a fait fondre la glace et oblige à s'adapter à un monde redevenu liquide. Dans ce contexte, les marins ont l'opportunité de partager quelques principes de vie et de pensée qui leur sont propres.

Pour la première fois dans l'histoire de la France, défense et sécurité sont associées et constituent deux domaines d'égale importance et indissociables l'un de l'autre. La maritimisation du monde oblige à transposer les principes de vie sur terre à un espace dont la caractéristique fondamentale est d'être un tout global, aux caractéristiques radicalement différentes de la terre ferme. La terre est en effet le milieu de la propriété privée et de la sectorisation, le monde de la souveraineté, de l'ancrage et de la vie : c'est le domaine du déterminisme. Au contraire, la mer est un espace en mouvement permanent où l'on ne peut stationner, où il n'y a pas de propriété privée ; c'est le monde de l'éphémère, de l'incertitude et du probabilisme. Les exemples de l'écrasement de l'Airbus d'Air France Rio de Janeiro-Paris, celui de la perte du sous-marin Minerve il y a quarante ans, jamais retrouvé, ou celui de la disparition de l'avion d'Antoine de Saint-Exupéry, montrent bien que la mer reste un espace très mal connu. On estime que 80 % de la biodiversité marine est encore à découvrir.

Compte tenu des caractéristiques fondamentales du milieu marin, la politique maritime ne peut être un décalque de la politique menée à terre. En matière de défense et de sécurisation, le contrôle et la surveillance de l'ensemble de l'espace maritime sont impossibles. Le seul contrôle réaliste repose sur la présence de bâtiments sur place à un moment donné. Même avec l'aide des satellites, l'espace maritime ne peut être totalement surveillé. La mer ne peut pas être comparée à l'espace aérien. Le contrôle des avions est assez facile sur terre, où entre leur point de départ et celui d'arrivée, ils évoluent dans un milieu totalement transparent ; mais la disparition du vol AF447 a récemment montré qu'il n'y avait plus de réel contrôle lors du survol des océans. Il est impossible de suivre les déplacements sur mer et a fortiori en dessous. Les principes de fonctionnement du marché mondial des matières premières permettent d'ailleurs aux navires de changer de destination et de choisir le lieu et même la date de déchargement en fonction du meilleur prix de vente et du bénéfice maximum : l'arrivée simultanée de plusieurs pétroliers dans le port de Rotterdam pourrait par exemple aboutir à une chute des cours. Les armateurs se montrent donc parfois opposés à déclarer les positions de leurs navires pour des raisons économiques.

Par rapport aux autres milieux, la présence en mer n'est jamais le fruit du hasard mais résulte d'un choix libre et motivé poursuivant un objectif précis et très sectorisé. En matière de politique maritime, nous devons faire en sorte de réguler ce monde en évitant notamment les actes de piraterie, en limitant la rencontre des intérêts divergents des Etats qui peuvent faire de la mer un lieu de confrontation et en assurant la sécurité et l'assistance en cas d'accident : nous devons nous rendre capables de couvrir tout le spectre de la sécurité des activités humaines.

Le milieu marin est un espace probabiliste, impossible à contrôler et désertique. L'une des problématiques fortes du Livre bleu est celle du recueil de l'information et de sa corrélation au niveau national comme au niveau international : la présence humaine est rare en mer, et il serait précieux de récupérer les informations que les divers pratiquants ont pu engranger. C'est ce partage et ce traitement pertinent de l'information qui contribueront de façon efficace au renforcement de la sécurité, en priorité dans les zones sous notre responsabilité.

S'agissant des moyens, l'amiral Pierre-François Forissier a indiqué qu'il était stérile de poser le problème en termes de nombre et de se lancer dans une estimation quantitative des besoins : une telle approche amènerait à conclure qu'il n'y en aura évidemment jamais assez. Il y a en ce moment dans l'océan Indien plus de cinquante navires de combat en permanence et, pourtant, le système n'est pas assez étanche pour éviter les actes de piraterie. Plus que le renforcement quantitatif, c'est l'utilisation optimale des divers moyens (navires, avions, satellites, hélicoptères....) et leur coordination qui contribuent à la sécurité maritime. A titre d'exemple, l'installation de radars à Mayotte a permis d'améliorer considérablement l'efficacité et la rentabilité de la lutte contre l'immigration illégale en provenance des Comores en rendant les missions des bateaux de la marine efficaces à coup sûr. A contrario, sur les côtes métropolitaines, les hélicoptères de la sécurité civile qui sont affectés au sauvetage des biens et des personnes ne partagent pas les informations précieuses qu'ils peuvent recueillir au cours de leurs vols et qui n'intéressent pas leur coeur de métier. Nous devons nous forcer à récupérer toutes les données recueillies par les différents usagers de la mer et à les mettre en commun.

Le recueil, le traitement et le partage de l'information sont un des grands enjeux du Livre bleu. Toutefois, il est évident que le foisonnement du renseignement maritime n'a d'intérêt que si l'on dispose des analystes capables de les corréler et de faire des prévisions. L'amiral Pierre-François Forissier a indiqué que l'une de ses principales craintes était de connaître un jour un 11 septembre maritime. En 2001, les différents services de renseignement des Etats-Unis d'Amérique disposaient des indices qui auraient peut-être pu permettre de prévenir l'attaque d'Al Qaïda, mais ils n'étaient pas organisés et équipés pour recouper et analyser ces informations. L'objectif est de sortir de cette cécité et d'essayer d'être le plus anticipatif possible en analysant et corrélant ces signaux. L'exemple français de décider, à la suite des attentats du 11 septembre, de renforcer la surveillance des grands ports français, illustre déjà l'intérêt d'un dispositif de recoupement des informations.

Puis un débat a suivi l'exposé de l'amiral Pierre-François Forissier.

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