Intervention de Jean-Luc Romero

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 janvier 2011 : 1ère réunion
Fin de vie — Audition de Mm. Jean-Luc Romero président et philippe lohéac délégué général de l'association pour le droit de mourir dans la dignité admd

Jean-Luc Romero, président de l'ADMD :

L'ADMD, créée il y a plus de trente ans par un universitaire franco-américain, a prospéré au fil des ans. Avec 47 500 adhérents, elle est aujourd'hui l'association la plus importante dans le champ du soutien aux malades et milite non seulement pour la légalisation de l'ultime liberté que constitue l'euthanasie volontaire, mais également pour le développement des soins palliatifs. Notre association, agréée sous le ministère de Xavier Bertrand, représente aussi les usagers de santé. Nous sommes ainsi présents, dans les hôpitaux, au sein des conseils de surveillance et des commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (Cruc). Le dernier rapport Leonetti relève d'ailleurs que nous sommes paradoxalement les seuls à avoir véritablement fait connaître sa loi. De fait, il n'existe aucun autre document public sur ce texte que celui que nous diffusons.

L'ADMD ne bénéficie pourtant d'aucune subvention publique et ne vit que des cotisations de ses adhérents, dont la moyenne d'âge est élevée, autour de soixante et onze ans, même si une délégation jeunesse a pris un certain développement ces dernières années. Beaucoup sont malades, beaucoup voient approcher l'échéance. Preuve que nous ne sommes pas une académie qui agite des discours idéologiques, comme nous en accusent certains. Pour moi, je vis depuis vingt-cinq ans avec le sida, et j'ai récemment flirté avec le cancer : je me sens donc directement concerné par la question de la fin de vie. Nous appartenons de surcroît à une fédération mondiale, qui réunit des associations issues de la planète entière.

On ne meurt plus aujourd'hui comme il y a trente ans. De 70 % à 75 % des décès ont lieu à l'hôpital ou en institution. Cette réalité française n'est pourtant pas une fatalité, ainsi que le montre l'exemple des Pays-Bas où l'on meurt le plus souvent à son domicile. Chez nous, cependant, la mort s'est peu à peu déréalisée : il n'est pas rare aujourd'hui qu'une personne d'âge mûr n'ait jamais vu le décès d'un proche. Assister, comme je l'ai fait du haut de mes treize ans, à la mort de son père est un fait de plus en plus rare. Cela veut aussi dire que l'on meurt de plus en plus seul ; en France, en tout cas, car tel n'est pas le cas général en Europe : seules 24 % des personnes qui meurent à l'hôpital sont accompagnées par les leurs. Une étude menée en 2008 auprès des médecins fait enfin apparaître que pour eux, seulement 36 % des décès ont lieu dans de bonnes conditions. Si la France, enfin, a progressé dans la prise en charge de la douleur - et ce fut l'un des premiers combats de notre association - elle n'est encore classée qu'au douzième rang européen, loin derrière la Belgique ou les Pays-Bas, qui ont aussi été parmi les premiers pays à légaliser l'euthanasie.

La question de l'euthanasie est souvent considérée comme marginale. Il est vrai que, dans l'immense majorité des cas, on meurt sans demander à être aidé. Cependant, aux Pays-Bas, l'euthanasie concerne 2 % des décès. Un tel taux représenterait, si l'euthanasie était légale en France, onze mille personnes, ce qui est loin d'être marginal. Depuis trente ans, les sondages font invariablement apparaître que 80 % à 94 % des Français sont favorables à la légalisation. Et je parle de sondages sérieux. Pas de ceux où la question posée appelle nécessairement une réponse positive : « Souhaitez vous une mort sans douleur ? », par exemple. Les médecins sont favorables à la légalisation à 60 % ou 70 %.

L'ADMD veut sortir du débat médical où l'on a enfermé la question. Car ce débat est avant tout citoyen. N'allons-nous pas tous mourir ? Je suis frappé du décalage entre le discours de certains responsables politiques et le pays réel. Je suis engagé dans beaucoup de combats, contre l'homophobie, pour la lutte contre le sida - dont je suis effrayé de voir le peu d'intérêt qu'elle suscite parmi les élus, dont la présence est rare à des réunions qui en viennent, hélas !, à s'essouffler. Ne s'essoufflent pas, en revanche, les réunions autour du thème de la fin de vie, qui font salle comble. Et je constate que les gens sont déçus par le débat à l'Assemblée nationale et attendent beaucoup du Sénat.

On nous oppose, depuis trop longtemps, que le sujet est délicat, qu'il faut se donner du temps. Nous voulons une législation républicaine maintenant. Les Pays-Bas fêtent les dix ans de leur loi de légalisation - et la jurisprudence autorisait la pratique depuis vingt ans - sans avoir constaté de dérives. En France, au contraire, ainsi que le souligne le dernier rapport Leonetti, l'euthanasie illégale persiste. Nous estimons qu'une telle situation est dangereuse car nous estimons que, dans la décision d'euthanasie, c'est la volonté du patient qui doit s'exprimer, pas celle du médecin ou de l'entourage. Et que l'on ne nous dise pas, ainsi que le fait M. Leonetti, que nous défendons le droit à la mort. Que l'on ne nous présente pas comme quelque confrérie d'adorateurs de la mort. Nous aimons la vie et c'est pourquoi nous militons pour le droit à une mort dans la dignité, qui permet souvent de mieux vivre sa vie, avec plus d'intensité.

Nous voulons une loi qui repose sur ses deux jambes : accès universel aux soins palliatifs et légalisation de l'euthanasie. Je suis le premier à avoir réclamé cet accès universel aux soins palliatifs, qui reste aujourd'hui un vain mot. Trois rapports, celui de la Cour des comptes, celui de Marie de Hennezel - qui n'est guère favorable à l'euthanasie - celui de l'inspection générale des affaires sociales (Igas), relèvent que ces soins ne sont accessibles qu'à 15 % à 20 % de ceux qui en ont besoin. Quant aux lits dédiés, on peut se demander dans quelle mesure ils ne sont pas pur affichage tant sont nombreux les témoignages de responsables qui reconnaissent que ce fléchage reste fictif. Bref, l'effort n'est pas suffisant, surtout quand on constate qu'en Belgique ou aux Pays-Bas, l'accès aux soins palliatifs est quasi universel.

Aussi nécessaires soient-ils, les soins palliatifs ne doivent pas dériver vers l'acharnement palliatif. Le fait est qu'il est des situations où ils sont insuffisants. Il est des êtres qui n'en peuvent plus de souffrance car les soins palliatifs ne soulagent ni certaines douleurs réfractaires, ni la souffrance psychique.

Les propositions de loi soumises à votre examen vont dans le bon sens et je salue MM. Godefroy, Fischer et Fouché qui ont su poser de vraies questions. Certains s'inquiètent de possibles dérives. Mais si dérive il y a, c'est en raison de l'absence de légalisation, lorsque l'on euthanasie des gens qui n'ont rien demandé. Au flou actuel, il faut donc préférer l'institution d'un cadre juridique. Dès lors que sont posées des conditions légales, plus de dérives possibles, si ce n'est sanctionnées par la loi, comme cela est le cas aux Pays-Bas, où huit personnes ont été poursuivies en 2009.

Une telle loi serait une loi de prévention du suicide. La France est, avec le Japon et la Corée du Sud, au sein de l'OCDE, le pays qui connaît le plus fort taux de suicide. On parle beaucoup du suicide des jeunes, toujours dramatique, mais on oublie celui des personnes âgées, que la légalisation de l'euthanasie doit aider à prévenir. Nous avons produit un Livre blanc réunissant des témoignages sur le suicide des seniors et des personnes malades. Ces suicides sont souvent violents : la pendaison et la balle dans la tête prévalent chez les hommes, le saut dans le vide chez les femmes, ce qui est parfaitement insoutenable pour les proches. Et ce geste de désespoir est souvent aussi prématuré lorsque les malades anticipent une situation de santé qui pourrait les empêcher ensuite de provoquer eux-mêmes leur mort. La médecine n'est pas une science exacte.

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