Intervention de Jean-Luc Romero

Commission des affaires sociales — Réunion du 12 janvier 2011 : 1ère réunion
Fin de vie — Audition de Mm. Jean-Luc Romero président et philippe lohéac délégué général de l'association pour le droit de mourir dans la dignité admd

Jean-Luc Romero, président de l'ADMD :

Monsieur le rapporteur, je ne vois pas de contradiction, d'abord, à ce que l'opinion, si l'on en croit les sondages, soit favorable aux soins palliatifs et à une législation pour l'euthanasie. J'ai été l'un des premiers à le dire et je ne cesse de le répéter depuis des années : il faut rendre universel l'accès aux soins palliatifs et autoriser l'euthanasie, les deux sont complémentaires. Dans le livre-témoignage que je vous ai cité, des médecins belges responsables d'une unité de soins palliatifs reconnaissent que la pratique les a fait abandonner leur vision quelque peu dogmatique d'hostilité à l'euthanasie et que, après neuf ans d'expérience, les morts assistées leur paraissent même les plus sereines. La perte d'un proche est toujours une douleur et il faut bien mesurer que, dans trois cas sur quatre, on meurt à l'hôpital, seul : les soignants et les familles témoignent que la mort volontaire, où l'on s'entoure de ses proches à qui l'on dit au revoir, est préférable parce qu'elle est plus sereine.

Nous sommes habitués, à l'ADMD, aux attaques dogmatiques, à la mauvaise foi, et je subis depuis longtemps les préjugés des autres, dès lors que j'ai dit être homosexuel et catholique. Et comme les deux tiers des catholiques, je suis favorable à une légalisation de l'euthanasie.

L'accès aux soins palliatifs doit être universel. Or, c'est loin d'être le cas puisque seulement 20 % de ceux qui en auraient besoin en bénéficient effectivement. Ce chiffre n'est pas de moi, vous trouverez les données que je vous cite dans le rapport de la Cour des comptes, dans le livre de Marie de Hennezel ou encore dans le rapport de l'Igas.

Ensuite, la Suisse n'est pas mon modèle parce que je préfère une loi positive, qui est la meilleure garantie pour les citoyens, en particulier pour les plus faibles. C'est la tâche du législateur, et c'est d'autant plus la vôtre qu'au Sénat, vous avez le temps de la réflexion et que vous avez déjà accompli des travaux importants sur les questions de société. Une loi complète protègerait donc mieux nos concitoyens, d'autant qu'elle n'imposerait aucune obligation et qu'elle préserverait entièrement le choix même de ceux qui ne veulent pas être aidés à mourir.

Nos voisins belges et hollandais ont adopté une loi sur l'euthanasie depuis dix ans, sans bouleversement pour la société, et personne aujourd'hui, et surtout pas les médecins, ne demande son abrogation. Chaque fois, le débat parlementaire a été difficile, les divisions y ont été bien plus fortes que dans l'opinion ; mais une fois la loi adoptée, aucun parti politique qui se réclame de la démocratie n'a demandé à y revenir. En Espagne, le débat se fait jour, et en Grande-Bretagne un tournant jurisprudentiel vient tout juste d'être pris : la France sera bientôt isolée parmi ses voisins, restant la seule à refuser toute légalisation de l'euthanasie, mis à part le cas de l'Italie dont chacun comprend les spécificités.

Je crois, ensuite, que ce n'est pas au juge ni aux jurés de décider qu'une euthanasie était justifiée, donc excusable. La justice a chaque fois acquitté ceux qui ont répondu au voeu de mourir exprimé par un proche, mais ce n'est pas une raison pour ne rien changer, comme le dit par exemple M. Bernard Debré. Morten Jensen a été acquitté après avoir écourté de quelques jours la mort certaine de sa femme plongée dans le coma, mais l'attente de son procès a été un véritable chemin de croix qui a duré plusieurs années et il a ensuite quitté la France, où il vivait depuis de nombreuses années. Marie Humbert a bénéficié d'un non-lieu, mais au terme de poursuites judiciaires éprouvantes, devant lesquelles il lui a été interdit pendant deux ans de quitter la région Nord-Pas-de-Calais et où des experts psychiatriques sont allés jusqu'à lui demander si elle avait éprouvé du plaisir à injecter dans les veines de son fils tétraplégique d'importantes doses de barbiturique ! Au nom de quoi faut-il faire subir de telles épreuves à ceux qui, par compassion, ont aidé à mourir la personne qu'ils aimaient le plus et qui les en suppliaient ? Je crois, très profondément, que c'est au législateur qu'il revient d'en décider, que c'est à vous de dire la loi !

Monsieur Fouché, l'ADMD compte 48 000 adhérents contre 5 000 pour les associations d'accompagnement des soins palliatifs, les chiffres sont dans le rapport Leonetti. Ces associations ont reconnu avoir perdu 40 % de leurs adhérents ; à l'inverse, nous en avons nous-mêmes accueillis, comme cette ancienne bénévole de l'association « Jusqu'à la mort, accompagner la vie » (Jalmalv) qui ne pouvait plus supporter les limites du discours apaisant sur l'au-delà, face à des personnes qui demandent à partir, après avoir dit au revoir à leurs proches et souhaitent ne plus vouloir souffrir. Je trouve effectivement anormal que notre association, avec quarante-huit mille adhérents, se voit refuser la reconnaissance d'utilité publique, ainsi que toute subvention et qu'elle ne soit pas associée à l'observatoire national sur la fin de la vie, alors que des associations bien plus petites sont largement soutenues, pour la simple raison qu'elle sont contre l'euthanasie. Le mouvement contre l'euthanasie est dogmatique et je trouve anormal qu'il ait tant de place dans notre république laïque.

M. Fischer a évoqué la situation de l'hôpital public, qui nous préoccupe tous, avec le chiffre de 20 % d'accès aux soins palliatifs seulement, et nous savons, à travers notre service d'écoute téléphonique ADMD-Ecoute, combien la demande insatisfaite est forte. Mais nous savons aussi que, même avec un accès universel, il y aurait encore des demandes d'aide à mourir dans la dignité.

La loi Leonetti représente un progrès, mais son dispositif est méconnu, rien n'est fait pour le faire connaître. Avec l'ADMD, nous nous retrouvons parfois les seuls, à l'hôpital même, pour informer le public. On nous félicite pour notre travail, je suis consulté directement par les autorités, mais rien ne suit. Le fichier national des directives anticipées est resté lettre morte. Nous en avons constitué un de notre côté : il compte 9 700 directives, dont la moitié proviennent de non-adhérents. Le fichier national est nécessaire, les urgentistes le réclament unanimement. L'ADMD, enfin, a souhaité être agréée association représentant les usagers de santé, nous sommes présents dans les hôpitaux, non pour promouvoir l'euthanasie mais les droits que les patients ont obtenus avec la loi Leonetti.

Cette loi, cependant, est insuffisante, elle a été faite pour les médecins beaucoup plus que pour les patients. Prenez le cas d'une personne qui aurait indiqué son choix d'euthanasie dans une directive anticipée, qui aurait désigné une personne de confiance et qui tomberait dans le coma : une procédure collective est désormais possible, mais la décision demeure entre les mains du seul médecin, quelle que soit la décision anticipée du patient et le voeu de la famille. Ce n'est pas notre conception du respect de la décision de chacun devant la mort ! Nous voulons que la décision de chacun, vaille jusque devant la mort.

Monsieur Barbier, vous m'indiquez que mon association n'a réuni que cent trente-cinq personnes lors de notre assemblée dans le Jura ; j'avais plutôt noté cent quatre-vingts présents sur les deux cent dix-neuf adhérents de l'ADMD de ce département, ce qui n'est pas négligeable. Je n'ai pas l'habitude de mâcher mes mots, ni de pratiquer la langue de bois : je ne m'en prends certainement pas aux médecins, mais aux mandarins, ceux que j'appelle les « voleurs de liberté », et j'en ai trouvé y compris à l'Assemblée nationale !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion