Vous m'interrogez sur la vision de l'observatoire sur les questions soulevées par vos trois propositions de loi.
A la suite du rapport de votre groupe de travail, l'observatoire, qui vient d'être créé, a dressé un état des lieux des connaissances fournies par la recherche sur l'euthanasie et le suicide assisté. Nous avons synthétisé les publications scientifiques et invité des chercheurs, l'objectif du séminaire étant de développer la recherche sur ces questions afin d'alimenter le débat. Cette réunion, fort intéressante, a souligné la faiblesse des connaissances scientifiques, en particulier dans notre pays, alors que la Hollande ou la Belgique ont mené des études. Nous sommes bien en peine de dire la réalité, quantitative et qualitative, des demandes d'euthanasie et de suicide assisté, faute d'études rigoureuses.
De tels travaux nécessitent des compétences en recherche qualitative, ce qui n'est guère une tradition française. Il faut croiser plusieurs types de travaux qualitatifs, sur la base d'une analyse des certificats de décès ; c'est ce que nous faisons avec l'institut national d'études démographiques (Ined), en nous appuyant sur la méthodologie suivie en Belgique. Nous devrions avoir des résultats intéressants d'ici le milieu de l'année.
Les travaux menés par le professeur Deliens en Belgique font état de la rareté des cas d'euthanasie : ceux-ci représentent moins de 1 % des décisions médicales de fin de vie. Combien de demandes d'euthanasie ? Qu'y a-t-il derrière ? Que deviennent-elles ? Il faut se donner les moyens pour pouvoir argumenter.
L'observatoire a été créé à la suite du rapport de la mission d'évaluation sur la loi Leonetti. Je suis par ailleurs chargé de la coordination du programme national de développement des soins palliatifs. Le progrès en matière de santé a pour conséquences l'augmentation du nombre de personnes qui vivront longtemps avec des maladies graves, et donc celui du nombre de personnes vulnérabilisées. La notion même de fin de vie évolue ; elle ne se réduit plus à la toute fin de la vie. Il faut mesurer la réalité de l'offre et du vécu.
Les questions soulevées par les propositions de loi sont complexes. Ainsi, on ne peut réduire les soins palliatifs à la fin de vie. Il faut distinguer la douleur physique, qui doit recevoir une réponse antalgique, et la souffrance morale, spirituelle, existentielle. Nombre des demandes d'euthanasie sont liées à une douleur non contrôlée : ce n'est pas normal ! En revanche, il faut prendre en compte l'expression d'une souffrance existentielle, qui touche au sens de la vie. De plus en plus de demandes d'euthanasie seraient liées au sentiment d'indignité, d'être une charge pour les proches, dans une vision « utilitariste » de la vie. L'euthanasie doit-elle permettre de supprimer la souffrance ? Nous sombrons dans une réflexion abyssale... Je ne saurais le dire... Vivre, c'est parfois souffrir et pour moi, la souffrance est consubstantielle à la vie. Il faut mieux évaluer l'impact des soins palliatifs et de l'accompagnement de la souffrance avant de conclure que pour supprimer la souffrance, il faudrait supprimer la vie.
Des personnes dont la vie est prolongée par la médecine peuvent être à ce point vulnérabilisées qu'elles ne peuvent exprimer leur souhait de poursuivre ou non leur traitement. Comment appréhender la volonté d'une personne qui ne peut l'exprimer ? C'est toute la question de la décision pour autrui.
La loi du 21 avril 2005 tente de donner les moyens de respecter la volonté exprimée, mais dans les faits, les cliniciens sont confrontés à la variabilité de la demande du patient au fur et à mesure que son mal progresse - le désir de mort alternant sans cesse avec l'envie de vivre. C'est pourquoi il faut nourrir le débat et produire les connaissances dont nous ne disposons pas aujourd'hui, préalable, me semble-t-il, à toute décision.