Intervention de Daniel Jouanneau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 juin 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Daniel Jouanneau ambassadeur de france au pakistan

Daniel Jouanneau, ambassadeur de France au Pakistan :

Plutôt que d'un conflit entre l'Inde et le Pakistan, il faut parler d'une série de conflits. Le premier porte sur l'eau puisque presque tous les affluents de l'Indus trouvent leur source au Cachemire, et deux d'entre eux au Tibet. Il existe un traité sur l'Indus qui a jusqu'ici très bien fonctionné. Le Pakistan prétend que l'Inde « lui vole son eau » en construisant des barrages et en prélevant des volumes pour son agriculture supérieurs à ce que le traité a prévu. La presse pakistanaise a développé sur ce thème une campagne hystérique, à laquelle le gouvernement ne fait rien pour s'opposer, ce qui lui permet de dissimuler son incapacité à arbitrer la très délicate question de la répartition des ressources aquifères entre les provinces pakistanaises. Comme le font remarquer les Indiens, s'il n'y pas assez d'eau au Pakistan, c'est à cause du changement climatique, dont ils ne sont pas responsables, et d'une mauvaise gestion de l'Indus par les autorités fédérales et provinciales pakistanaises.

Le second conflit porte sur les frontières. Les différends sur le glacier Siachen, au Nord, et sur la frontière maritime à l'embouchure de l'Indus (sir Creek) sont négociables.

La question du Cachemire est une véritable cause nationale. Toute proportion gardée, c'est l'Alsace-Lorraine des Pakistanais. L'opinion publique considère qu'en 1947 le Cachemire aurait dû être totalement rattaché au Pakistan du fait de la confession musulmane de sa population. Le non-règlement de la question du Cachemire justifie, depuis que le Pakistan existe, le poids de son armée. Mais les esprits évoluent et de plus en plus de Pakistanais se rendent compte du caractère illusoire d'une réunification. L'idée progresse d'une large autonomie de chacune des régions au sein de son Etat, avec une large ouverture des frontières et la libre circulation des biens et des personnes.

L'Union européenne est considérée comme un marché mais pas comme un acteur politique. Alors que l'Union européenne est le deuxième bailleur de fonds au Pakistan, son aide n'a aucune visibilité, dans un pays où pourtant l'accès aux medias est facile. Certains des programmes de l'UE laissent beaucoup à désirer, par exemple le programme d'assistance européenne en matière de lutte contre le terrorisme (CCBLE : civilian capacity building for law enforcement), confié par EUNIDA à la coopération allemande. Le montant envisagé est de 12 à 15 millions d'euros. Décidé en janvier 2009, il n'a donné lieu jusqu'ici qu'à des missions d'experts très consommatrices de crédits, sans aucun résultat visible sur le terrain. Le programme est très mal conçu depuis l'origine, c'est un programme imposé aux autorités pakistanaises, qui n'ont pas osé le refuser, plus qu'un programme vraiment demandé.

L'aide bilatérale française, avec beaucoup moins de moyens, développe des programmes très appréciés, en particulier celui conçu par le Service de protection des hautes personnalités (SPHP) pour créer une unité de police spécialisée. Les stages organisés à Islamabad, ces derniers mois, par des formateurs français, nous encouragent à continuer l'expérience avec un programme préparé par le GIGN, qui devrait permettre la formation d'unités anti-terroristes dans chaque province.

L'action de l'Union européenne est appréciée par la société civile, les ONG, les associations de juristes et d'avocats, parce qu'elle est le seul partenaire qui soulève systématiquement la question des droits de l'homme dans son dialogue politique avec le Pakistan. La situation des droits de l'homme progresse depuis deux ans, mais il y a encore beaucoup à faire (peine de mort, loi contre le blasphème, discriminations contre les minorités). Il est très important que le Parlement européen maintienne la pression sur le Pakistan sur ce point.

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