Voilà plusieurs mois que nous travaillons au sein de cette commission et de la Mecss sur la situation de notre système de retraite et les moyens d'assurer sa pérennité. Le moment est venu d'examiner la réforme présentée par le Gouvernement et adoptée il y a quelques jours par l'Assemblée nationale.
Je ne retracerai pas l'histoire des régimes de retraites ni ne reviendrai sur les causes de la situation actuelle, analysées en détail dans le rapport de la Mecss. Disons seulement que malgré les réformes importantes déjà engagées, notre système de retraite reste gravement menacé par des déséquilibres financiers qui imposent d'urgence une réforme. Les évolutions démographiques, marquées par l'arrivée à l'âge de la retraite des générations de l'après-guerre et l'accroissement continu de l'espérance de vie, ont été aggravées par la crise économique qui a privé la sécurité sociale d'une partie importante de ses recettes. Si nous ne faisons rien, le besoin de financement des régimes de retraite de 38 à 40 milliards demain passera entre 72 et 115 milliards à l'horizon 2050.
Nous pouvons tous nous retrouver sur le constat qu'une telle perspective n'est pas acceptable et qu'il faut agir sans attendre.
Le projet de loi adopté par l'Assemblée nationale s'articule autour de quatre axes : relèvement de l'âge d'ouverture des droits à la retraite et de l'âge du bénéfice d'une pension à taux plein ; mise en place d'une structure de pilotage des régimes de retraite et renforcement du droit à l'information des assurés ; convergence des différents régimes ; prise en compte de la pénibilité du travail et réforme de la médecine du travail.
Ces dispositions seront complétées par un volet financier qui figurera dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et dans le projet de loi de finances. Il est difficile pour le Parlement d'appréhender globalement une réforme d'une telle ampleur alors même que tous les éléments ne figurent pas dans le même texte. S'il est logique que les dispositions relatives aux recettes figurent dans les textes financiers, il faudra peut-être songer à assortir les réformes essentielles, aux implications financières considérables, de projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale rectificatifs.
La mesure emblématique de ce texte est le relèvement à soixante-deux ans de l'âge d'ouverture des droits à la retraite et à soixante-sept ans de celui de l'annulation de la décote accompagnés d'un relèvement de tous les âges et durées de services dans la fonction publique. Ces mesures sont équilibrées : l'espérance de vie à soixante ans a progressé de plus de quatre ans depuis l'instauration de la retraite à soixante ans ; la plupart des pays développés ont relevé leurs âges de départ à la retraite dans des proportions variables, de sorte que la France est l'un des derniers pays de l'OCDE où l'âge de la retraite reste fixé à soixante ans ; surtout, le Gouvernement, conformément aux préconisations de la Mecss, a assorti cette mesure d'une prise en compte de la pénibilité du travail, de mesures en faveur de l'emploi des seniors, enfin d'une prolongation et d'un élargissement du dispositif de retraite anticipée pour carrière longue qui permet aux salariés ayant commencé à travailler très tôt de prendre leur retraite avant d'atteindre l'âge de liquidation des droits.
Certes, d'autres choix auraient été possibles, comme maintenir la retraite à soixante ans tout en l'assortissant d'une décote qui aurait été nécessairement élevée. Mais une telle solution, outre qu'elle n'aurait fait que complexifier encore un système de retraite qui ne brille pas par sa simplicité, aurait également conduit à une diminution du niveau des pensions, ce que nous ne voulons pas.
Je souhaite néanmoins que le comité de pilotage des régimes de retraites et le Cor s'attachent à suivre attentivement les effets du relèvement de ces bornes d'âge. Il faudra s'assurer que chacun assume bien ses responsabilités et que les seniors qui devront partir plus tard en retraite ne finissent pas pour autant au chômage.
Il est également essentiel que le relèvement progressif des bornes d'âge n'ait pas pour effet de laisser sans ressources, pour une période plus ou moins longue, des chômeurs en fin de droits. Le Premier ministre a récemment évoqué le problème : il est souhaitable que des réponses soient apportées avant l'adoption du projet de loi, notamment en ce qui concerne l'éventuelle prolongation de l'AER, l'allocation équivalent retraite. Cette question est pour nous essentielle, et nous attendons du Gouvernement qu'il s'emploie, en liaison avec les partenaires sociaux, à éviter tout effet pervers de la réforme.
De même, nous devons être particulièrement attentifs à la borne d'âge d'annulation de la décote. La population prenant aujourd'hui sa retraite à soixante-cinq ans parce qu'elle n'a pas la durée d'assurance requise est extrêmement hétérogène, ainsi que le détaille le rapport écrit. Elle comprend notamment bon nombre de femmes dont la situation a été largement évoquée ces derniers jours. Le rapport du Cor sur les avantages familiaux et conjugaux montre pourtant que la durée d'assurance des femmes rattrapera, et même dépassera dans quelques années, celle des hommes, du fait des majorations liées à la maternité. Toutefois, les chiffres divergent sur le moment où s'effectuera ce rattrapage. Certains parlent de la génération née 1954 tandis que d'autres retiennent celle de 1964, ce qui change substantiellement les données du problème. Il faut travailler à préciser ces données, afin de déterminer quelles mesures doivent être prises. Si l'on ne peut écarter le risque que des mesures favorables réservées aux femmes ne fassent l'objet de contestations au niveau européen, je souhaite néanmoins que l'on progresse sur ce sujet dès à présent.
Comme l'a souligné Mme Panis, la principale inégalité entre les hommes et les femmes tient aux salaires, avec son effet corrélatif sur le montant des pensions. Je crains que la pénalité de 1 % de la masse salariale imposée aux entreprises non couvertes par un accord sur l'égalité professionnelle ne reste, à cet égard, insuffisante.
Pour remédier à l'éclatement institutionnel du dispositif d'assurance vieillesse, le texte crée un comité de pilotage des régimes de retraite dont la mission consistera à veiller au respect des objectifs du système : niveau de vie des retraités, pérennité financière, équité... Afin de renforcer le caractère opérationnel de ce comité et éviter toute confusion avec le Cor, qui conserve toutes ses missions, je vous proposerai de le charger d'un rôle d'alerte comparable à celui que joue le comité d'alerte de l'Ondam. Je vous soumettrai également un amendement visant à inscrire dans le code de la sécurité sociale les principes essentiels qui fondent l'assurance vieillesse, en particulier le choix de la retraite par répartition.
Enfin, je vous proposerai de compléter ces dispositions pour prévoir l'engagement, à compter de 2014, d'une réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d'une réforme systémique de la prise en charge collective du risque d'assurance vieillesse. Si nous ne sommes pas prêts aujourd'hui pour une telle réforme, qui doit reposer sur un large consensus, je crois néanmoins que le moment est venu de prévoir cette réflexion, dont l'organisation sera confiée au comité de pilotage et au Cor, selon un calendrier propre. L'engagement d'un tel processus figurait comme un élément essentiel parmi les conclusions du rapport de la Mecss sur le rendez-vous 2010. La réforme que nous conduisons aujourd'hui est nécessaire face à l'urgence financière. Elle ne doit pas nous empêcher de conduire également une réflexion plus prospective sur notre système de retraite.
J'en viens au droit à l'information, créé par la loi de 2003, qui permet aux assurés de recevoir périodiquement un relevé de situation individuelle puis, à partir de cinquante-cinq ans, une estimation indicative globale du montant futur de leur pension. Le projet de loi renforce ce droit en prévoyant un entretien individuel à la demande de l'assuré. Je vous proposerai d'aller plus loin en prévoyant la communication aux assurés de simulations de leur niveau de retraite dès l'âge de quarante-cinq ans, à l'image de ce qui a cours en Allemagne.
Dans la continuité de la loi Fillon de 2003, le projet de loi contient plusieurs mesures de convergence entre les règles en vigueur dans la fonction publique et celles du secteur privé : alignement progressif en dix ans du taux de cotisations des fonctionnaires sur celui des salariés du privé ; fermeture du dispositif de départ anticipé pour les fonctionnaires parents de trois enfants ayant effectué quinze ans de services - sachant que le dispositif initial a été aménagé à l'Assemblée nationale pour tenir compte des inquiétudes qu'il avait suscitées ; rapprochement des règles applicables au minimum garanti de la fonction publique de celles qui régissent le minimum contributif dans le secteur privé.
A l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a complété ces dispositions en ramenant de quinze à deux ans la condition de durée de services nécessaire pour bénéficier d'une pension de retraite dans la fonction publique. Une telle évolution mettra fin aux difficultés des agents quittant la fonction publique sans remplir la condition de quinze ans et qui sont alors affiliés rétroactivement au régime général et à l'Ircantec. J'avoue que je ne comprends pas pourquoi les militaires sont exclus de ce dispositif. Je vous proposerai des amendements et sur ce point, et de simplification de l'architecture des régimes - la fusion, par exemple, des régimes complémentaires d'assurance vieillesse des artisans et des commerçants.
Autre sujet : la situation des polypensionnés, qui reste souvent, en matière de retraite, très défavorable. La présidente de la Cnav et vous-même, monsieur le ministre, nous avez indiqué qu'un calcul de la pension sur les vingt-cinq meilleures années tous régimes confondus ferait beaucoup de perdants. Il faut que les explorations sur cette question progressent rapidement. Les difficultés que rencontrent les polypensionnés rendent d'autant plus nécessaire, me semble-t-il, une réflexion sur la mise en place d'un régime de base aussi universel que possible.
Le texte comporte aussi des mesures destinées à assurer un meilleur suivi individuel en matière de pénibilité, indispensables à une politique de prévention et de réparation. Il donne en outre une base législative aux trois critères retenus par les partenaires sociaux dans leur projet d'accord de 2008 : contraintes physiques marquées, environnement agressif, rythmes de travail. Sont également pris en compte les effets immédiats, c'est-à-dire ceux qui sont observables au moment où l'assuré décide de liquider sa retraite. Le projet de loi institue un dispositif à deux étages : le premier permet aux assurés qui présentent une incapacité permanente d'au moins 20 % au titre d'une maladie professionnelle ou d'un accident du travail ayant entraîné des lésions identiques, de partir à la retraite à soixante ans et de liquider leur pension au taux plein ; le second, ajouté à l'Assemblée nationale, ouvre la possibilité aux assurés qui justifient d'une incapacité permanente d'au moins 10 % en vertu des mêmes critères de bénéficier de ces mêmes droits à condition que leur dossier soit validé par une commission pluridisciplinaire territoriale.
L'Assemblée nationale a en outre prévu la création, à titre expérimental, d'un dispositif visant à constituer un cadre pour la conclusion d'accords collectifs d'allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles. Enfin, une pénalité de 1 % de la masse salariale sera infligée aux entreprises non couvertes par un accord ou un plan d'action relatif à la prévention de la pénibilité.
Ces dispositions ont été complétées, toujours à l'Assemblée nationale, par une réforme importante de la médecine du travail, portant en particulier sur la définition des missions et de la composition des équipes des services de santé au travail, sur la gouvernance de ces services et sur la couverture des catégories professionnelles dont la santé au travail est encore insuffisamment suivie.
L'introduction de ces dispositions a suscité de nombreuses incompréhensions. Je vous proposerai plusieurs amendements destinés à lever toute ambiguïté quant au rôle et à l'indépendance des médecins du travail. Je vous proposerai en outre, dans un souci de cohérence, de réorganiser cette partie du texte, afin de mieux distinguer entre prévention et réparation. De même, je vous soumettrai un amendement visant à articuler les missions du nouveau comité scientifique avec celles de l'observatoire de la pénibilité.
La question de la pénibilité relève avant tout des conditions de travail et de l'organisation du temps de travail. Néanmoins, compte tenu du temps que mettent les politiques de prévention à produire leurs effets, le débat sur la prise en compte de la pénibilité à effets différés mérite d'être poursuivi : je vous proposerai que le rapport prévu sur le bilan des mesures adoptées s'empare de la question.
Le texte contient plusieurs mesures relevant de la solidarité : prolongation de l'assurance veuvage au-delà du 31 décembre 2010 ; prise en compte des indemnités journalières de maternité dans le salaire annuel de référence pour le calcul du droit à pension ; création d'une pénalité financière pour les entreprises qui ne soumettraient pas au comité d'entreprise un plan d'action en vue d'assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ; exclusion du capital de l'exploitation agricole de l'assiette du recouvrement sur succession de l'allocation de solidarité aux personnes âgées. Reste que nous n'échapperons pas à une remise à plat de l'ensemble de ces mécanismes de solidarité, dont nous ne mesurons pas clairement si leurs effets redistributifs vont bien dans le sens recherché.
Rien n'est encore prévu dans le projet de loi pour améliorer la situation des personnes handicapées, qui peuvent certes prétendre à une pension de retraite à cinquante-cinq ans, mais dans des conditions très restrictives - un taux d'incapacité permanente de 80 % pendant toute la durée d'assurance, soit trente et un ans. Outre qu'il leur est très difficile de fournir les justificatifs, est-il vraiment juste d'exiger ce taux de handicap sur toute la période pour ouvrir droit à retraite anticipée ? Sans compter que le calcul de la pension sur la base des vingt-cinq meilleures années leur est très défavorable eu égard aux fréquentes interruptions dans leur vie professionnelle, notamment dans le cas de maladies invalidantes.
Monsieur le Ministre, je souhaiterais savoir quelles améliorations vous envisagez d'apporter à ce dispositif. J'attends que nous puissions, dès aujourd'hui, progresser, au travers des amendements que je propose à ce texte.
J'en viens à l'épargne retraite sur laquelle l'Assemblée nationale a introduit plusieurs articles visant principalement à favoriser le Perco comme outil de son développement. Je vous ferai également quelques propositions sur ce point, en soulignant que l'épargne retraite a vocation à rester un simple complément à côté de la retraite par répartition obligatoire et qu'elle mériterait une réforme d'ensemble, eu égard à sa complexité et à sa faible diffusion dans les PME.
Dernier point : l'équilibre financier de la réforme. Selon les projections du Gouvernement, les régimes de retraite devraient être globalement équilibrés en 2018 même si tous ne le seront pas individuellement. La présidente de la Cnav a ainsi fait état d'un besoin de financement du régime général de 4 milliards d'euros environ à cette date.
Les mesures d'âge et de convergence entre les régimes devraient permettre de couvrir un peu plus de la moitié des besoins. A quoi s'ajoutent : l'engagement de l'Etat employeur de maintenir son effort annuel net à 15,6 milliards ; la perspective d'un basculement progressif des cotisations d'assurance chômage vers l'assurance vieillesse à compter de 2015 ; le traitement des déficits cumulés de 2011 à 2018 par l'utilisation de la ressource et des avoirs du fonds de réserve des retraites ; la mobilisation, enfin, de recettes nouvelles dès 2011 : hausse d'un point de la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, taxation supplémentaire des stock-options et des retraites chapeaux, majoration des prélèvements sur les revenus du capital et du patrimoine, annualisation du calcul des allègements généraux de charges patronales...
Nous aurons l'occasion d'examiner plus en détail ce volet, dont nous ne connaissons pas tous les détails, lors de l'examen des textes financiers. Il suscite plusieurs interrogations, par exemple quant à la pérennité du rendement des recettes prévues. Je regrette d'ailleurs, Monsieur le Ministre, que nous n'ayons pu obtenir de réponse précise à nos demandes d'information et de compléments sur le plan de financement de la réforme. C'est sans doute sur cette question des recettes que la réforme est la moins en phase avec les propositions formulées par la Mecss, qui privilégiait d'autres pistes que celle d'une ponction sur le fonds de réserve des retraites.
Telles sont, mes chers collègues, les dispositions essentielles du projet de loi qui nous est soumis. Je souhaite à présent que le Sénat prenne toute sa part dans la discussion et l'amélioration d'une réforme indispensable pour préserver notre système de retraite par répartition.