Intervention de Hugues Portelli

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 octobre 2007 : 1ère réunion
Lutte contre la corruption — Examen du rapport

Photo de Hugues PortelliHugues Portelli, rapporteur :

Enfin, la commission a procédé, sur le rapport de M. Hugues Portelli, à l'examen du projet de loi n° 28 (2007-2008), adopté par l'Assemblée nationale, relatif à la lutte contre la corruption.

a indiqué que le projet de loi tendait à compléter notre législation pénale pour respecter quatre engagements internationaux, à savoir trois textes signés dans le cadre du Conseil de l'Europe et une convention des Nations unies contre la corruption adoptée le 31 octobre 2003. Il a précisé que cette réforme s'inscrivait dans la continuité de deux lois antérieures, l'une de 2000, l'autre de 2005 (ayant transposé une décision-cadre de l'Union européenne de juillet 2003).

Après avoir souligné l'importance de la corruption, phénomène mondial, néfaste au développement économique et démocratique, il a observé que celle-ci touchait de nombreux secteurs : le monde de l'entreprise, mais aussi les acteurs publics (classe politique, administration, justice) de nombreux Etats.

Le rapporteur a rappelé les incriminations consacrées par notre droit en matière de corruption, citant :

- les deux formes de la corruption : passive, qui est le fait du corrompu et active, qui est le fait du corrupteur ;

- le trafic d'influence -appréhendé dans ses deux dimensions active et passive- et défini comme une relation triangulaire dans laquelle une personne dotée d'une influence réelle ou supposée sur certaines personnes échange cette influence contre un avantage fourni par un tiers qui souhaite profiter de cette influence.

Il a exposé les trois principaux cas de corruption et de trafic d'influence :

- la corruption et le trafic d'influence d'agents publics nationaux, punis respectivement de dix et cinq ans d'emprisonnement et 150.000 et 75.000 euros d'amende, signalant que les auteurs de ces délits pouvaient également être passibles de peines complémentaires telles que l'interdiction des droits civils, civiques ou de famille pour une durée de cinq ans.

Le rapporteur a indiqué que la corruption était une infraction complexe à prouver compte tenu de son caractère occulte. Il a ajouté que la recherche de preuves bien souvent habilement dissimulées était particulièrement délicate, ce qui avait conduit, ces dernières années, les magistrats à requalifier des faits de corruption en infraction voisine (abus de biens sociaux, recel d'abus de biens sociaux), plus facile à matérialiser ;

- la corruption d'agents publics étrangers ou internationaux, incriminée depuis la loi du 30 juin 2000 ; le droit en vigueur distingue deux hypothèses : la corruption (active et passive) d'agents exerçant une fonction publique à l'intérieur de l'Union européenne dont le champ d'application est très large et la corruption active des agents publics d'un Etat étranger ou d'une organisation internationale situés hors de l'Union européenne dont le champ d'application se borne aux transactions commerciales internationales.

a signalé que 17 procédures concernant des faits de corruption d'agents publics étrangers exerçant hors du cadre communautaire touchant à des opérations commerciales étaient en cours, précisant qu'aucune n'avait encore été jugée. Il a annoncé toutefois qu'une affaire serait prochainement jugée par le tribunal de grande instance de Pontoise.

Il précisé les principaux domaines exposés à la corruption : l'industrie de l'armement, les sociétés pétrolières et les entreprises de télécommunications. Il a indiqué que lors des auditions, les magistrats avaient signalé les difficultés soulevées par l'exécution des commissions rogatoires internationales et relevé que la coopération avec certains Etats (dont le Royaume-Uni) était difficile, voire quasiment impossible avec certains Etats d'Afrique ou d'Amérique centrale.

Après avoir rappelé qu'à partir des années 1970, le gouvernement français avait toléré les commissions ou frais commerciaux versés aux fonctionnaires étrangers et avait admis leur déductibilité fiscale, le rapporteur s'est félicité de ce que la loi de 2000 ait mis un terme à ces pratiques choquantes.

Le régime strict de prescription (délai de trois ans qui court à compter de la commission de l'infraction) donne lieu à une jurisprudence qui l'a assoupli en reportant le point de départ du délai de prescription dans certaines circonstances ;

- la corruption d'agents du secteur privé, dont le champ a été élargi par la loi du 4 juillet 2005 au-delà de la seule relation employeur-employé et qui est punie de cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.

Il a souligné que de nombreux acteurs spécialisés étaient mobilisés dans la lutte contre la corruption.

Le rapporteur a en particulier cité le service central de prévention contre la corruption et les juridictions régionales et interrégionales spécialisées chargées de poursuivre, d'instruire et de juger les délits économiques et financiers. Il a précisé que le tribunal de grande instance de Paris -saisi de 16 procédures en cours- concentrait la quasi-totalité des affaires de corruption internationale.

Il a également mis en avant l'appui apporté aux autorités judiciaires par les services d'enquête spécialisés qui existent au sein de la police nationale (division nationale d'investigations financières et enquêteurs spécialisés au sein des directions interrégionales de police judiciaire) et de la gendarmerie nationale (400 enquêteurs spécialisés).

a également évoqué le soutien apporté par plusieurs organes communautaires qui constituent d'utiles relais pour les autorités judiciaires et policières françaises. Il a souligné l'action de l'office européen de lutte anti-fraude (OLAF) chargé de lutter contre les fraudes et de protéger les intérêts financiers de l'Union européenne. Il a également relevé le rôle du Groupe d'Etats contre la corruption (GRECO) -créé en mai 1999- qui suit attentivement la mise en oeuvre par les Etats des recommandations et des normes adoptées par le Conseil de l'Europe. Il a enfin signalé l'impact positif de l'unité Eurojust, qui contribue à faciliter l'exécution des commissions rogatoires internationales au sein de l'espace européen.

Puis, il a présenté les nouvelles obligations imposées à la France par les nouveaux engagements qu'elle a conclus.

Le rapporteur a expliqué que la convention pénale du Conseil de l'Europe du 27 janvier 1999 invitait les Etats parties à incriminer la corruption passive et active d' agents publics (y compris les personnes exerçant une fonction judiciaire) nationaux, étrangers ou exerçant dans une organisation internationale, de parlementaires nationaux ou étrangers, de membres d'assemblées parlementaires internationales et de personnes du secteur privé. Après avoir rappelé la date d'entrée en vigueur de ce texte, à savoir le 1er juillet 2002, il a précisé que la France l'avait signé en septembre 1999 pour en autoriser la ratification six ans après, en adoptant la loi du 11 février 2005. Il a ajouté que le gouvernement français attendait l'adoption de la présente loi pour déposer les instruments de ratification. Il a indiqué que 43 autres membres du Conseil de l'Europe et 3 Etats non membres avaient également signé ce texte, dont 36 l'avaient ratifié.

Il a précisé que la France avait fait usage de la faculté de réserve prévue par cette convention en vue de :

- ne pas incriminer le trafic d'influence d'agents publics étrangers ou de membres d'assemblées publiques étrangères ;

- n'établir sa compétence juridictionnelle territoriale qu'à certaines conditions lorsque les infractions ont été commises hors du territoire national ; il a expliqué que cette réserve traduisait le souci de la France de conserver le principe de la double incrimination.

Après avoir précisé que certaines des obligations prévues par la convention pénale sur la corruption étaient déjà prises en compte dans notre droit, il a évoqué les trois modifications qu'elle induisait :

- l'incrimination de tous les faits de corruption, y compris passifs, d'agents publics étrangers ou exerçant dans une organisation internationale, qu'ils relèvent ou non du cadre communautaire ;

- l'incrimination du trafic d'influence passif et actif des seuls agents appartenant à une organisation internationale publique, compte tenu de la réserve annoncée par le gouvernement français ;

- l'extension des techniques d'investigation spéciales aux délits de corruption et de trafic d'influence d'agents publics (nationaux ou internationaux), qui ne s'appliquent actuellement qu'aux formes les plus graves de criminalité organisée et à certaines infractions commises en bande organisée (escroquerie par exemple).

Il a signalé l'apport du protocole additionnel à la convention du 15 mai 2003 qui étend le champ d'application de la convention aux arbitres nationaux et étrangers, imposant ainsi d'actualiser notre droit au regard de la distinction entre un arbitre français et un arbitre étranger.

Il a abordé l'impact de la convention civile sur la corruption de novembre 1999, en précisant que la plupart des obligations qu'elle impose étaient déjà satisfaites dans notre droit, à l'exception des mesures de protection des salariés à l'origine d'une dénonciation d'un fait de corruption.

Il a enfin évoqué la quatrième convention -la convention anti-corruption des Nations unies adoptée le 31 octobre 2003 dite convention de Mérida- transcrite dans notre droit par le projet de loi. Il a signalé que de nombreuses mesures obligatoires étaient déjà inscrites dans notre législation, deux points nécessitant toutefois une adaptation au regard de :

- certaines incriminations d'entrave au bon fonctionnement de la justice (subornation de témoin et faux témoignages, menaces et actes d'intimidation envers le personnel judiciaire) dont le champ d'application se limite actuellement à des faits visant à perturber le cours de la justice française ;

- la mise en oeuvre des techniques d'enquête spéciales, la convention de Mérida préconisant d'étendre ces mesures opérationnelles aux infractions qu'elle vise.

Il s'est félicité de ce que le projet de loi complète notre arsenal répressif pour répondre aux impératifs internationaux. Après avoir proposé d'adopter le texte dans sa version issue de l'Assemblée nationale sans modification, il a formulé deux observations.

D'une part, il a regretté le manque de moyens mis à la disposition de la justice pour traiter les affaires de corruption. Il a notamment mis en avant le nombre très insuffisant d'assistants spécialisés chargés d'apporter une assistance technique aux magistrats spécialisés.

D'autre part, il a mis l'accent sur la nécessité de renforcer les obligations déontologiques de certains membres d'autorités administratives indépendantes (AAI) comme le Conseil de la concurrence, l'autorité des marchés financiers ou encore l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes, composées notamment de représentants du monde de l'entreprise et d'établissements financiers. A cet égard, le rapporteur a suggéré de renforcer la rigueur des règles de contrôle de leur patrimoine et le régime d'incompatibilités.

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