Intervention de Adrien Gouteyron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 8 novembre 2006 : 2ème réunion
Contrôle budgétaire — Gestion de la crise au liban - communication

Photo de Adrien GouteyronAdrien Gouteyron, rapporteur spécial :

a tout d'abord indiqué qu'il avait effectué une mission au Liban, du 15 au 18 octobre 2006, après avoir préalablement auditionné le directeur des Français à l'étranger en France et des étrangers en France. Quelques semaines après la fin de la guerre au Liban, il a souhaité tirer les premiers enseignements du dispositif d'assistance au retour volontaire de nos compatriotes, mis en oeuvre par les administrations du 17 juillet au 17 août 2006 et dresser un bilan de la gestion de la crise libanaise.

Le rapporteur spécial a tenu à rendre hommage, au préalable, à la mobilisation de femmes et d'hommes remarquables, en poste au Liban, mais aussi à Paris et à Chypre, qui avaient, jour et nuit, durant un long mois, donné une image « admirable » de notre pays et de notre administration. Il a insisté sur l'aide qu'ils avaient non seulement apportée à nos ressortissants, mais aussi à la population libanaise. Il a tenu à saluer le courage physique manifesté par les agents présents au Liban, à Beyrouth, mais plus encore à Nabatiyé, au Sud Liban. Par ailleurs, il a évoqué un point méconnu, à savoir l'action exemplaire de notre poste de Haïfa, en Israël, en soutien à nos ressortissants mis en danger par les tirs de roquette du Hezbollah, rappelant qu'il y avait environ 20.000 ressortissants français au Liban, contre 70.000 en Israël.

a ensuite présenté les enseignements à tirer de la gestion de la crise libanaise. Il a souligné, tout d'abord, que la France avait aidé, à un niveau jamais connu à ce jour, ses ressortissants, mais aussi ceux des autres pays, dans un dispositif d'évacuation inédit. Il a rappelé que, s'agissant de la crise ivoirienne, 8.000 Français avaient été rapatriés par le ministère de la défense, pour un coût total de 5 millions d'euros, alors qu'au Liban le dispositif mis en place par la France avait permis, du 17 juillet au 17 août, le départ de 13.800 personnes, dont 10.800 Français. Il a indiqué que le rapatriement avait concerné essentiellement des personnes « de passage », plutôt que des résidents, ces derniers étant en effet restés, dans leur quasi-totalité, au Liban.

Il a précisé que plus de 320 personnes (agents du ministère des affaires étrangères, du ministère de l'intérieur, de la défense, de la santé, personnels de la Croix-Rouge) avaient été dépêchées en renfort afin d'accompagner et de soutenir les rapatriés et que 19 rotations maritimes avaient été organisées entre le Liban et le port chypriote de Larnaca, ainsi que vers le port turc de Mersin. Il a également souligné que des vols spécialement affrétés par le ministère des affaires étrangères avaient ensuite assuré le transfert des ressortissants français et européens jusqu'à Paris.

Le rapporteur spécial s'est félicité d'un effort sans comparaison avec celui accompli par les autres pays étrangers. Il a observé que ceux-ci avaient le plus souvent eu recours à une évacuation par voie terrestre, jusqu'à Damas, et que certains pays avaient même envisagé de « facturer » à leurs ressortissants les frais de rapatriement, avant finalement d'y renoncer. Il s'est étonné que très peu d'entre eux aient organisé un véritable « rapatriement » de leurs ressortissants jusqu'à chez eux, limitant leur action à une « exfiltration » en dehors du Liban vers un pays sûr, en l'occurrence la Syrie, Chypre ou la Turquie.

a estimé que ces éléments manifestaient l'exceptionnel effort que notre pays avait accompli pour nos compatriotes bloqués au Liban. Au total, il a indiqué que l'effort financier de la France envers les 13.800 personnes rapatriées avait représenté 9,3 millions d'euros ouverts par un décret pour dépenses accidentelles en date du 3 octobre 2006. Il a précisé que ces dépenses avaient concerné le transport, à hauteur de 7,8 millions d'euros (se répartissant en 5,9 millions d'euros pour le transport aérien et 1,9 million d'euros pour le transport maritime), la logistique des postes pour 700.000 euros (Nicosie, Beyrouth, Ankara), le financement des missions des partenaires pour 450.000 euros (Croix-Rouge et sécurité civile), tandis que les dépenses de plateau téléphonique s'étaient élevées à 300.000 euros.

Il a remarqué que, compte tenu de la nécessité d'agir dans des conditions d'urgence, la gestion financière de la crise avait été très satisfaisante, dès lors qu'il avait été décidé, au plus haut niveau de l'Etat, que la France mettrait tout en oeuvre pour venir en aide à ses ressortissants.

a ensuite estimé que deux enseignements pouvaient être tirés de la gestion de la crise en termes de communication.

En premier lieu, il a rappelé que notre poste à Beyrouth avait été débordé dans les tous premiers jours de la crise par l'afflux de Français souhaitant être rapatriés d'urgence et se présentant avec leurs valises aux portes de l'ambassade. Il a déploré que celle-ci n'ait pas été informée préalablement, avant son annonce dans les médias, de la mise en place d'un mécanisme aérien et maritime d'aide au départ des ressortissants. A cet égard, il a recommandé qu'à l'avenir les annonces soient faites une fois les moyens dégagés et l'anticipation de l'impact de l'annonce complètement analysée.

En second lieu, il a jugé que le choix des mots avait une importance majeure en gestion de crise, des termes inadéquats pouvant susciter la panique des personnes concernées. Il a souhaité, qu'à l'avenir, soit mise en place une coordination de la communication de crise, par la mise en commun d'éléments de langage afin d'éviter les hésitations dans le choix des mots entre « rapatriement », « évacuation » et « aide au retour volontaire » (terme finalement retenu) qui n'adressaient pas le même message politique et n'avaient donc pas les mêmes implications concrètes.

Ensuite, M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, a fait part de ses inquiétudes rétrospectives quant à l'absence d'outils pour gérer la crise. Il a observé que, lors de ses contacts à Beyrouth, il avait été surpris de découvrir le contraste entre le professionnalisme des agents ayant géré la crise au quotidien et la pénurie d'outils pour l'affronter. Il a déploré que le Quai d'Orsay manque ainsi de moyens de gestion de crise dans ses postes à l'étranger et que ceux-ci aient dû affronter les crises de manière très « artisanale », alors que le Quai s'était doté d'une cellule de crise, à Paris, qui avait fonctionné dans des conditions très satisfaisantes. A cet égard, il a relevé que le poste ne disposait pas, le 13 juillet 2006, au moment du déclenchement de la crise, de logiciels ad hoc, et de système organisé pour enregistrer les appels et recenser les besoins de nos ressortissants. De même, il n'avait pas davantage été en mesure de connaître le nombre de ressortissants français présents au Liban, nombre d'entre eux disposant de la double nationalité et ayant pénétré sur le territoire libanais avec un passeport libanais.

Il a précisé qu'il faudrait désormais permettre aux voyageurs et touristes français d'enregistrer en ligne leurs coordonnées, sur le site internet du ministère des affaires étrangères, afin qu'ils puissent être joints par nos ambassades, en cas de difficulté. Il a indiqué que le Quai d'Orsay avait provisionné 650.000 euros dans son budget pour 2007 afin de mettre en oeuvre ce dernier projet informatique.

Parallèlement, il a estimé que le plan de sécurité élaboré par l'ambassade selon les directives de l'administration centrale s'était avéré très largement inutile, les scénarios envisagés ne s'étant pas réalisés. Enfin, il a regretté qu'au moment de l'évacuation des ressortissants, jusqu'à la cinquième rotation du ferry Iera Petra, le poste à Beyrouth ait été confronté au « casse-tête » de l'établissement des listes de passagers, de la gestion des priorités, et de la transmission de ces listes à Chypre afin d'organiser les rotations aériennes ultérieures, faute de logiciel informatique. Il a indiqué que c'était l'arrivée d'un détachement de l'état-major de la 1ère brigade logistique, ayant constitué une cellule dite CRER (centre de regroupement et d'évacuation de ressortissants), dotée de moyens performants fondés sur l'utilisation systématique d'ordinateurs portables en réseau, qui était venu « au secours » des agents du Quai d'Orsay.

Il a donc jugé déterminante la coopération interministérielle dans la gestion de crise et souligné que le travail en équipe entre les agents du ministère des affaires étrangères et ceux du ministère de la défense s'était révélé excellent. Il a néanmoins insisté sur la nécessité de mieux organiser la coopération interministérielle, et ce dès le début des crises. Il a observé que le Quai d'Orsay, du moins notre ambassade, ignorait l'existence du CRER, au moment du déclenchement de la crise. Il a souhaité, maintenant celle-ci passée, que le Quai d'Orsay évite de dupliquer en son sein le CRER. Il a préconisé, dans cette période de calme relatif, de définir les modalités de travail en commun entre les deux ministères et cela, dès le déclenchement d'une crise.

En définitive, il a estimé le travail restant à accomplir au Quai d'Orsay dans la gestion des crises encore très important, pour que ses agents puissent les affronter le plus sereinement possible. Il a relevé que la formation des agents restait une priorité et a jugé indispensable de mieux organiser, en amont, le recrutement de volontaires susceptibles de partir en renfort, immédiatement, pour gérer une crise. Il a alors proposé qu'une « réserve » du Quai d'Orsay puisse être constituée dans cette perspective, afin de mieux formaliser et de préparer l'engagement des agents volontaires en cas de crise.

Au terme de cette communication, M. Adrien Gouteyron a voulu faire part d'une interrogation, qui ne concernait pas seulement le ministère des affaires étrangères. Dans ces circonstances exceptionnelles et compte tenu du dévouement infini dont ont fait preuve un grand nombre d'agents, il s'est demandé comment la République, et son administration pouvaient récompenser le mérite. Il a indiqué que des médailles des affaires étrangères seraient décernées et que quelques personnels ayant fait preuve d'un courage hors du commun seraient proposés « aux ordres nationaux ». Il a ajouté que les recrutés locaux pourraient recevoir une prime et a vivement regretté que rien de tel ne soit prévu pour les fonctionnaires. Il a constaté que, faute de souplesse dans la gestion des personnels, en l'absence d'une rémunération au mérite des agents de l'Etat, la France ne savait pas témoigner, du moins sur un plan financier, sa gratitude à ceux qui devraient la recevoir.

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