Intervention de Yves Struillou

Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale — Réunion du 25 février 2010 : 1ère réunion
Rendez-vous 2010 pour les retraites — Audition de M. Yves Struillou conseiller d'etat

Yves Struillou :

a expliqué que la pénibilité du travail est un sujet à la fois simple et complexe. Simple, parce que l'existence de travaux plus pénibles que d'autres est une évidence : les individus ne sont en effet pas tous égaux devant les conditions de travail. Complexe, parce que la prise en compte de la pénibilité oblige à opérer des choix de société sur des sujets aussi essentiels que la vie et la mort. Le rapport remis au conseil d'orientation des retraites (Cor) en 2003 portait sur le lien entre pénibilité et système de retraite. Son objectif était, d'une part, d'analyser les motifs pouvant justifier que la pénibilité soit intégrée dans la définition des règles relatives au bénéfice des pensions de retraite et les modalités de cette prise en compte, d'autre part, de suggérer les voies permettant d'articuler prévention et compensation de la pénibilité.

De nombreuses enquêtes ont montré qu'il existe, y compris au sein d'une même catégorie sociale, une corrélation très forte entre les conditions de travail et l'espérance de vie. Dès lors, se pose la question suivante : la société doit-elle chercher à compenser, dans le cadre du système de retraite, tout ou partie des inégalités d'espérance de vie qui sont directement liées à la pénibilité du travail ? Il s'agit assurément d'un choix de société majeur.

Une fois le principe de cette prise en charge par la collectivité accepté, encore faut-il préciser de quelle pénibilité on parle. La pénibilité est en effet une notion complexe car protéiforme. Certaines formes de pénibilité résultent du fonctionnement normal d'une entreprise ou de tout autre organisme employeur (administration, par exemple) ; elles ne peuvent être éliminées sauf à supprimer l'activité professionnelle en cause. C'est le cas des travaux de nuit qui supposent des horaires alternés ou atypiques, du métier d'ouvrier en bâtiment qui implique une exposition à des risques professionnels (port de charges, froid, chaleur...), des activités qui nécessitent un travail à la chaîne comme la production automobile, ou des services publics ouverts 24 heures sur 24 (hôpitaux, services de police...). Toute la question est alors de savoir si la société est prête à accorder un avantage en termes de retraite aux personnes travaillant dans ces secteurs. Il faut néanmoins préciser que toute forme de pénibilité du travail ne justifie pas l'octroi d'un tel avantage. Par exemple, le stress au travail - qui est un sujet de préoccupation majeure actuellement - n'a pas vocation à être compensé par le système de retraite. Si une organisation du travail donnée est facteur de stress, c'est à l'employeur - garant de la préservation de la santé de ses salariés - d'être tenu pour responsable de cette situation.

Avant d'envisager les dispositifs de prise en compte de la pénibilité, il est indispensable de parvenir à la définir. Une loi de 1975 portant notamment sur les retraites ouvrières tentait déjà de dégager des critères de pénibilité comme le travail à la chaîne, le travail en horaires décalés ou les travaux en bâtiment. De nombreux experts - ergonomes, médecins, sociologues - ont proposé des définitions de la pénibilité. Celle-ci est difficile à appréhender dans la mesure où elle englobe à la fois une composante objective et une composante subjective, liée à la perception par les travailleurs eux-mêmes de la pénibilité de leur activité. Des études réalisées par le ministère du travail montrent ainsi que la perception d'un même métier évolue au cours du temps : il y a vingt-cinq ans, les infirmières estimaient qu'elles ne portaient pas de charges lourdes ; aujourd'hui, elles considèrent qu'elles exercent un travail pénible du fait notamment du port de telles charges. Globalement, l'amélioration des conditions de travail dans la seconde moitié du vingtième siècle s'est traduite par une réduction de la pénibilité au travail. Cependant, les situations de travail pénibles persistent encore aujourd'hui. Elles se concentrent essentiellement sur le monde ouvrier et le personnel intérimaire. Les contraintes physiques n'ont pas disparu des sociétés contemporaines, bien que la majorité de la population active travaille dans le secteur des services.

a ensuite abordé la question de l'articulation entre la prévention et la compensation de la pénibilité, en insistant sur le danger que constitue le choix d'un système axé exclusivement sur la réparation. Dans ce cas en effet, rien n'incitera les entreprises et les pouvoirs publics à faire des efforts pour prévenir les situations de travail pénible. In fine, celles-ci perdureront. La solution la plus pertinente consiste donc à combiner un volet compensation, pour gérer le stock, et un volet prévention, pour agir sur le flux. En aucun cas, l'instauration d'un système de réparation ne doit pénaliser les efforts réalisés en matière de prévention : les deux approches sont complémentaires. Agir en amont sur les conditions de travail est du domaine du possible, comme en témoigne la politique de prévention mise en oeuvre par Renault Trucks : l'entreprise a fait appel à une équipe d'ergonomes chargée de coter les postes en fonction de leur degré de pénibilité ; à la suite de cette étude, chaque manager s'est vu confier la mission de diminuer progressivement le nombre de postes considérés comme très ou assez pénibles. Grâce à cette politique, on a constaté un desserrement des contraintes de travail pesant sur les salariés. La mise au point d'une politique de prévention nécessite cependant de répondre à deux questions : comment récompenser les entreprises vertueuses ? Comment pénaliser celles qui ne le sont pas ?

La prise en compte de la pénibilité suppose également de s'interroger sur l'articulation entre l'intervention de l'Etat et le rôle de la négociation interprofessionnelle. Dans l'idéal, il faudrait privilégier une approche de la pénibilité combinant négociation au niveau des branches professionnelles et/ou des entreprises et implication des pouvoirs publics par la voie législative et/ou réglementaire. Il pourrait également être décidé soit de créer un système de bonus-malus à destination de l'ensemble des entreprises, soit de relever leur taux de cotisations retraite et de prévoir une modulation de cette augmentation pour celles qui jouent le jeu de la prévention (dispositif de bonus). Dans l'hypothèse où les partenaires sociaux ne parviendraient pas à un accord, il conviendrait que le législateur reprenne la main, au moins pour définir la pénibilité et en préciser les causes. En tout état de cause, il est grand temps de faire avancer le dossier de la pénibilité qui a déjà pris un retard regrettable.

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