Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale

Réunion du 25 février 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • espérance
  • pénibilité

La réunion

Source

La mission a procédé à l'audition de M. Yves Struillou, conseiller d'Etat, dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.

Debut de section - Permalien
Yves Struillou

a expliqué que la pénibilité du travail est un sujet à la fois simple et complexe. Simple, parce que l'existence de travaux plus pénibles que d'autres est une évidence : les individus ne sont en effet pas tous égaux devant les conditions de travail. Complexe, parce que la prise en compte de la pénibilité oblige à opérer des choix de société sur des sujets aussi essentiels que la vie et la mort. Le rapport remis au conseil d'orientation des retraites (Cor) en 2003 portait sur le lien entre pénibilité et système de retraite. Son objectif était, d'une part, d'analyser les motifs pouvant justifier que la pénibilité soit intégrée dans la définition des règles relatives au bénéfice des pensions de retraite et les modalités de cette prise en compte, d'autre part, de suggérer les voies permettant d'articuler prévention et compensation de la pénibilité.

De nombreuses enquêtes ont montré qu'il existe, y compris au sein d'une même catégorie sociale, une corrélation très forte entre les conditions de travail et l'espérance de vie. Dès lors, se pose la question suivante : la société doit-elle chercher à compenser, dans le cadre du système de retraite, tout ou partie des inégalités d'espérance de vie qui sont directement liées à la pénibilité du travail ? Il s'agit assurément d'un choix de société majeur.

Une fois le principe de cette prise en charge par la collectivité accepté, encore faut-il préciser de quelle pénibilité on parle. La pénibilité est en effet une notion complexe car protéiforme. Certaines formes de pénibilité résultent du fonctionnement normal d'une entreprise ou de tout autre organisme employeur (administration, par exemple) ; elles ne peuvent être éliminées sauf à supprimer l'activité professionnelle en cause. C'est le cas des travaux de nuit qui supposent des horaires alternés ou atypiques, du métier d'ouvrier en bâtiment qui implique une exposition à des risques professionnels (port de charges, froid, chaleur...), des activités qui nécessitent un travail à la chaîne comme la production automobile, ou des services publics ouverts 24 heures sur 24 (hôpitaux, services de police...). Toute la question est alors de savoir si la société est prête à accorder un avantage en termes de retraite aux personnes travaillant dans ces secteurs. Il faut néanmoins préciser que toute forme de pénibilité du travail ne justifie pas l'octroi d'un tel avantage. Par exemple, le stress au travail - qui est un sujet de préoccupation majeure actuellement - n'a pas vocation à être compensé par le système de retraite. Si une organisation du travail donnée est facteur de stress, c'est à l'employeur - garant de la préservation de la santé de ses salariés - d'être tenu pour responsable de cette situation.

Avant d'envisager les dispositifs de prise en compte de la pénibilité, il est indispensable de parvenir à la définir. Une loi de 1975 portant notamment sur les retraites ouvrières tentait déjà de dégager des critères de pénibilité comme le travail à la chaîne, le travail en horaires décalés ou les travaux en bâtiment. De nombreux experts - ergonomes, médecins, sociologues - ont proposé des définitions de la pénibilité. Celle-ci est difficile à appréhender dans la mesure où elle englobe à la fois une composante objective et une composante subjective, liée à la perception par les travailleurs eux-mêmes de la pénibilité de leur activité. Des études réalisées par le ministère du travail montrent ainsi que la perception d'un même métier évolue au cours du temps : il y a vingt-cinq ans, les infirmières estimaient qu'elles ne portaient pas de charges lourdes ; aujourd'hui, elles considèrent qu'elles exercent un travail pénible du fait notamment du port de telles charges. Globalement, l'amélioration des conditions de travail dans la seconde moitié du vingtième siècle s'est traduite par une réduction de la pénibilité au travail. Cependant, les situations de travail pénibles persistent encore aujourd'hui. Elles se concentrent essentiellement sur le monde ouvrier et le personnel intérimaire. Les contraintes physiques n'ont pas disparu des sociétés contemporaines, bien que la majorité de la population active travaille dans le secteur des services.

a ensuite abordé la question de l'articulation entre la prévention et la compensation de la pénibilité, en insistant sur le danger que constitue le choix d'un système axé exclusivement sur la réparation. Dans ce cas en effet, rien n'incitera les entreprises et les pouvoirs publics à faire des efforts pour prévenir les situations de travail pénible. In fine, celles-ci perdureront. La solution la plus pertinente consiste donc à combiner un volet compensation, pour gérer le stock, et un volet prévention, pour agir sur le flux. En aucun cas, l'instauration d'un système de réparation ne doit pénaliser les efforts réalisés en matière de prévention : les deux approches sont complémentaires. Agir en amont sur les conditions de travail est du domaine du possible, comme en témoigne la politique de prévention mise en oeuvre par Renault Trucks : l'entreprise a fait appel à une équipe d'ergonomes chargée de coter les postes en fonction de leur degré de pénibilité ; à la suite de cette étude, chaque manager s'est vu confier la mission de diminuer progressivement le nombre de postes considérés comme très ou assez pénibles. Grâce à cette politique, on a constaté un desserrement des contraintes de travail pesant sur les salariés. La mise au point d'une politique de prévention nécessite cependant de répondre à deux questions : comment récompenser les entreprises vertueuses ? Comment pénaliser celles qui ne le sont pas ?

La prise en compte de la pénibilité suppose également de s'interroger sur l'articulation entre l'intervention de l'Etat et le rôle de la négociation interprofessionnelle. Dans l'idéal, il faudrait privilégier une approche de la pénibilité combinant négociation au niveau des branches professionnelles et/ou des entreprises et implication des pouvoirs publics par la voie législative et/ou réglementaire. Il pourrait également être décidé soit de créer un système de bonus-malus à destination de l'ensemble des entreprises, soit de relever leur taux de cotisations retraite et de prévoir une modulation de cette augmentation pour celles qui jouent le jeu de la prévention (dispositif de bonus). Dans l'hypothèse où les partenaires sociaux ne parviendraient pas à un accord, il conviendrait que le législateur reprenne la main, au moins pour définir la pénibilité et en préciser les causes. En tout état de cause, il est grand temps de faire avancer le dossier de la pénibilité qui a déjà pris un retard regrettable.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

a d'abord insisté sur le fait que mettre en place des dispositifs de compensation n'exonère pas de traiter aussi le problème de la prévention. Puis elle a demandé des précisions sur la loi de 1975 traitant des retraites ouvrières. Que prévoyait-elle en matière de prise en charge de la pénibilité ? S'agissant de la question de la responsabilité des entreprises, quels sont les outils qui permettraient de les inciter à lutter, en amont, contre la pénibilité ? Force est de constater qu'actuellement, nombre d'entre elles se séparent de leurs travailleurs considérés comme inaptes au travail en les mettant d'office à la retraite ou en les licenciant. Quelle forme pourrait prendre un système de bonus-malus ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

a dit craindre que la charge financière de la réparation soit reportée sur la collectivité, alors que celle-ci devrait être prioritairement assumée par les entreprises. En effet, ce sont elles qui sont responsables des situations de travail pénible, en raison de l'organisation du travail qu'elles mettent en place et les employeurs ont trop tendance à vouloir s'exonérer de cette responsabilité. Il a ensuite souhaité avoir des précisions sur la pénibilité qui touche le monde ouvrier et le personnel intérimaire. Aujourd'hui, les emplois atypiques sont le lot commun d'un grand nombre de travailleurs.

Debut de section - Permalien
Yves Struillou

Sur l'articulation prévention-réparation, M. Yves Struillou a indiqué que l'approche compensatrice n'empêche pas l'approche préventive ; la première stimule même la seconde. La mise en place d'un système de bonus-malus pour la prévention de la pénibilité, voire d'un simple dispositif de bonus, représenterait un progrès considérable. La prise en compte de la pénibilité nécessite aussi de déterminer le critère pertinent pour la mesurer. Faut-il prendre en compte l'espérance de vie « brute » - seraient alors exclus les postes où les personnes sont exposées à des contraintes physiques entraînant des troubles musculo-squelettiques qui ne réduisent pas l'espérance de vie mais peuvent fortement handicaper ceux qui en sont victimes - ou l'espérance de vie sans incapacité - seraient alors pris en compte les travaux susceptibles de provoquer de tels troubles - ?

La mise en place d'un dispositif de compensation collective coûterait non seulement très cher à la collectivité, mais risquerait aussi de faire l'objet de restrictions a posteriori. Ainsi la mesure « carrières longues » prévue par la loi de 2003 portant réforme des retraites, initialement très généreuse, a été progressivement durcie afin d'en limiter l'incidence financière. C'est pourquoi il vaut mieux concentrer le système de réparation sur la population qui en a le plus besoin, c'est-à-dire les travailleurs confrontés à une pénibilité qui affecte leur espérance de vie sans incapacité. Pour autant, il n'est pas question de négliger les autres formes de pénibilité ; celles-ci appellent simplement des réponses différentes.

Concernant la loi de 1975, celle-ci prévoyait un abaissement de l'âge légal de départ à la retraite à soixante ans pour l'exercice d'un travail à la chaîne, de nuit, ou nécessitant une exposition à des intempéries. Par ailleurs, inciter les entreprises à participer activement à la politique de prévention de la pénibilité suppose de jouer sur le levier financier. Le mécanisme idéal consisterait en l'instauration d'un bonus-malus, sachant toutefois que le malus peut entraîner des effets pervers et aller à l'encontre des objectifs poursuivis. Une autre option, moins ambitieuse, serait de mettre en place un simple bonus sous la forme d'une modulation du relèvement du taux des cotisations retraite au profit des entreprises qui font des efforts en matière de prévention. Pourquoi ne pas également réformer le régime d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP) en y intégrant les conditions de travail ? Il serait alors possible de moduler les taux de cotisations AT-MP en prévoyant, d'un côté, des majorations pour les entreprises peu impliquées, de l'autre, des ristournes pour les plus vertueuses.

En réponse à la demande de précisions de Guy Fischer, M. Yves Struillou a expliqué que les intérimaires sont souvent des ouvriers, généralement des hommes travaillant dans l'industrie ou le bâtiment. Ce sont les plus jeunes d'entre eux qui sont victimes d'accidents du travail en raison d'un manque de formation aux consignes de sécurité. Les entreprises ont également leur part de responsabilités dans ces drames car elles affectent fréquemment les jeunes ouvriers aux postes les plus pénibles.

La mission a procédé à l'audition de M. Jean-Marie Spaeth, président du conseil d'administration de l'Ecole nationale supérieure de sécurité sociale (EN3S), dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Spaeth

a tout d'abord rappelé que, pour des raisons historiques, le système de retraite français s'est construit sur la base de multiples régimes de base en dépit des projets du conseil national de la résistance. Par la suite, ont été créés les principaux régimes complémentaires pour permettre l'octroi de droits au-delà du plafond de la sécurité sociale : association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) en 1947, association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco) en 1961 ; ces régimes ont été rendus obligatoires un peu plus tard. En 2003, un régime complémentaire a également été créé pour les fonctionnaires.

Par ailleurs, des mécanismes de compensation, puis de surcompensation, ont été mis en oeuvre entre les différents régimes.

Enfin, les principaux paramètres des différents régimes ont été harmonisés avec la fixation de l'âge minimal de départ à la retraite à soixante ans, qui existait depuis 1946 pour certaines catégories, avec l'alignement, plus récent, des durées de cotisation prévues par les régimes et avec l'indexation des pensions liquidées sur les prix.

Le seul point essentiel qui n'a fait l'objet d'aucune harmonisation est celui du rendement des différents régimes. Ainsi, dans le régime des mineurs, en voie d'extinction, chaque assuré paye un pourcentage de cotisations et tout le monde reçoit une retraite de base uniforme. A l'inverse, dans les régimes spéciaux, les pensions n'ont aucun lien avec les cotisations versées mais représentent une fraction du salaire servi au cours des six derniers mois d'activité. Le régime général se situe entre les deux. Quant au régime de l'Agirc-Arrco, il se caractérise par la possibilité de faire varier plusieurs paramètres : le taux d'appel des cotisations, la valeur d'achat ou la valeur de service du point.

La question qui se pose aujourd'hui est celle de la soutenabilité financière et de l'équité du système de retraite. Deux types d'équité ou de solidarité doivent être pris en considération : la solidarité intergénérationnelle est assurée par la répartition qui consiste à opérer un prélèvement sur la richesse du pays pour payer les retraites actuelles ; la solidarité interprofessionnelle est également importante et suscite aujourd'hui une inquiétude sur l'avenir des services publics. Dans les régimes des trois fonctions publiques, les cotisations patronales constituent le paramètre d'ajustement du système. Or, pour la fonction publique d'Etat, la cotisation patronale est en réalité composée d'une subvention d'équilibre de l'ordre de 60 % du montant des pensions versées. Pour les deux autres fonctions publiques, il existe une caisse de retraite. Dans quelques années, les cotisations patronales devront probablement être augmentées, ce qui impliquera une hausse des impôts locaux pour les fonctionnaires territoriaux et des versements de l'assurance maladie pour les fonctionnaires hospitaliers. Une telle situation, dans un contexte où s'exprime une certaine forme de populisme, pourrait conduire à utiliser le débat sur les retraites comme un moyen de remettre en cause les services publics.

Par ailleurs, il convient de garder à l'esprit que les facteurs qui influencent le plus l'évolution des régimes de retraite et leur équilibre sont l'âge d'entrée dans la vie active et l'âge de cessation d'activité. Or, alors que l'entrée dans la vie active est de plus en plus tardive, les comportements en matière d'âge de cessation d'activité ne se sont que peu modifiés malgré l'augmentation continue de l'espérance de vie, et de l'espérance de vie en bonne santé. Les évolutions sur ces questions sont lentes et impliquent d'adapter certains emplois aux seniors, dès lors que les capacités ne sont plus tout à fait identiques à soixante ans qu'à cinquante. En outre, pendant longtemps, les retraites ont été utilisées comme élément de restructuration industrielle, par l'utilisation massive des préretraites.

Abordant alors la réforme du système de retraite, M. Jean-Marie Spaeth a estimé que deux difficultés doivent être surmontées. D'une part, certaines décisions ne font sentir leurs effets qu'après un temps très long, d'autre part la réussite de la réforme ne dépend pas seulement de la modification de paramètres mais surtout d'évolutions des mentalités. L'heure est désormais venue de modifier en profondeur le système pour créer un régime universel. Pour ce faire, le Parlement devrait adopter une loi-cadre définissant le cahier des charges du futur régime tout en procédant aux ajustements paramétriques immédiatement nécessaires, qu'il s'agisse de la modification des durées de cotisation ou de la fixation d'un nouvel âge pivot. La loi devrait définir les conditions de passage de l'ancien au nouveau régime sans remettre en cause les droits acquis jusqu'alors. Ce nouveau système devrait comporter des éléments susceptibles d'influencer les comportements relatifs à l'entrée dans la vie active et à la cessation d'activité. A cette occasion, le mode de financement de la protection sociale pourrait être réexaminé. Ainsi, la politique familiale reste aujourd'hui financée par la masse salariale, ce qui n'est pas totalement cohérent au regard des objectifs de cette politique. Les cotisations destinées à financer cette politique pourraient être prélevées sur l'ensemble des revenus, ce qui pourrait permettre de dégager des marges autorisant le transfert des cotisations vers le financement de la retraite. La transition entre l'ancien et le nouveau système nécessitera en effet des recettes supplémentaires pendant quelques années.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

a souhaité avoir des précisions sur la notion de régime universel de retraite et s'est interrogée sur la prise en compte de la pénibilité et des inégalités devant l'espérance de vie.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Spaeth

a souligné que l'incapacité des partenaires sociaux à parvenir à un accord sur la pénibilité n'est pas un hasard. Cette notion est en effet particulièrement difficile à cerner de manière précise et surtout évolutive. La pénibilité aujourd'hui n'est pas la même qu'il y a cinquante ans et ne se trouve pas toujours là où on s'attend naturellement à la trouver. Dans ce contexte, la mise en place d'un régime universel fonctionnant plutôt selon une technique de points permettrait beaucoup plus facilement de prendre en considération la pénibilité que le système par annuités actuel. Les conditions de prise en compte de la pénibilité pourraient évoluer de manière souple sans recréer des régimes spéciaux pour des catégories entières. Quant à l'inégalité face à l'espérance de vie, il est souhaitable que la technique du nouveau système soit conçue de manière à permettre de réaliser les arbitrages individuels et collectifs intégrant ces écarts.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

s'est déclaré inquiet face au risque d'une attaque frontale contre les régimes de retraite et plus particulièrement ceux des fonctionnaires dans un contexte où les déficits publics sont mis en avant pour justifier une remise en cause des services publics. Il s'est demandé si le rendez-vous 2010 ne conduira pas à une prise en compte minimale de la pénibilité.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Spaeth

a tout d'abord souligné que la réforme la plus lourde de conséquences pour les retraites, à savoir l'indexation sur les prix des pensions et des salaires reportés au compte, a été réalisée en catimini en 1993 sans que personne n'ait conscience des conséquences de cette évolution sur les futures retraites. De la même manière, on peut avoir des craintes pour les régimes des fonctions publiques car, dans quelques années, il sera nécessaire d'augmenter les cotisations de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Une augmentation des impôts locaux ou de la CSG destinée à financer les retraites des fonctionnaires, même si elle est légitime, risque de susciter une forte incompréhension et de conduire alors à une véritable attaque contre ces régimes. Dans ces conditions, il est nécessaire de maintenir les acquis mais aussi d'inscrire, pour l'avenir, l'ensemble des salariés du public et du privé dans un régime universel, en faisant en sorte que tous les droits reposent sur une solidarité commune.

La question du déficit public reste posée et peut être traitée, en fonction de choix qui appartiennent aux politiques, en intervenant sur les dépenses ou sur les recettes. En ce qui concerne les régimes de retraite, l'ajustement se fait toujours par le biais des cotisations avec une possibilité d'intervenir sur la répartition de ces cotisations entre l'employeur et le salarié. Enfin, il est souhaitable que le débat sur les retraites soit l'occasion d'une discussion sur le contenu du travail, à l'entrée et à la sortie de la vie active. Le législateur prend des mesures depuis des années pour maintenir les seniors au travail, mais les évolutions sont particulièrement lentes.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

a souhaité des précisions sur les changements préconisés pour le régime de retraite des fonctionnaires territoriaux.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Spaeth

a constaté que la CNRACL va connaître de graves difficultés lorsqu'elle devra augmenter les cotisations patronales qui, en l'espèce, ne sont rien d'autre que des impôts locaux ou des contributions de l'assurance maladie. Il est donc préférable, sans remettre en cause les droits acquis, que les fonctionnaires territoriaux rejoignent, comme tous les salariés, le futur régime universel, à l'intérieur duquel s'exercera une solidarité interprofessionnelle complète.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Le Menn

a relevé que, dans le futur système, les collectivités territoriales resteraient l'employeur des fonctionnaires territoriaux et continueraient à verser des cotisations patronales, de sorte que le changement n'apparaît pas considérable.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Spaeth

a souligné que l'intérêt de cette évolution est de faire disparaître tout risque de conflit entre catégories de salariés. Les nouveaux droits seraient universels, donc identiques pour tous en fonction des sommes cotisées. Ce système permettra de clarifier les choix de la société en matière de solidarité et d'assurer une harmonisation du rendement des régimes en évitant les conflits intergénérationnels et interprofessionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

a souhaité savoir s'il demeure possible de conserver un âge minimum de départ à la retraite à soixante ans, compte tenu des évolutions intervenues en matière d'espérance de vie.

Debut de section - Permalien
Jean-Marie Spaeth

a relevé que certaines études ont montré qu'à long terme, le décalage de l'âge minimum de retraite a les mêmes effets sur l'équilibre financier que l'augmentation de la durée de cotisations réalisée sans modification de l'âge légal. En revanche, le décalage de l'âge minimum a un effet immédiat non négligeable. En définitive, la principale différence réside dans le fait que la modification de l'âge pénalise prioritairement les salariés qui ont des carrières longues et sont entrés tôt sur le marché du travail, alors que l'augmentation de la durée de cotisations pèse prioritairement sur ceux qui ont commencé plus tardivement à travailler, ce qui paraît plus juste. Le futur régime universel devrait reposer sur une durée de cotisations et un âge pivot, sans que celui-ci ait le rôle de couperet qu'il exerce dans le système actuel. Les techniques de fonctionnement du système de retraite doivent être conçues pour influencer les comportements relatifs à l'entrée sur le marché du travail et à la cessation d'activité.

La mission a enfin procédé à l'audition de M. Antoine Bozio, chercheur à l'Institute for fiscal studies (IFS) de Londres, dans le cadre du rendez-vous 2010 pour les retraites.

Debut de section - Permalien
Antoine Bozio

Avant d'évoquer ses propositions et le sujet de la pénibilité, M. Antoine Bozio a dressé un état des lieux du système de retraite en France. Celui-ci est soumis à deux chocs démographiques distincts, dont les conséquences en termes d'équité sont différentes : d'une part, une tendance lente et progressive à l'augmentation de l'espérance de vie, d'autre part, l'arrivée à l'âge de la retraite de la génération du baby-boom. En outre, le système français revêt une complexité paradoxale, dès lors que les systèmes publics par répartition ont en principe l'avantage d'être plus simples et moins coûteux en termes de gestion que les systèmes par capitalisation. Les régimes de base et complémentaires sont multiples et morcelés et ils obéissent à des règles de solidarité parfois divergentes. Au total, les Français ont plus l'impression de payer un impôt que d'acquérir des droits pour l'avenir. D'un côté, les gestionnaires du système peinent à évaluer les conséquences d'une modification de paramètres ; de l'autre, tant les personnes proches de l'âge de la retraite que les jeunes appréhendent mal le niveau de leur future pension. Enfin, le système est largement défaillant en termes d'équité : il combine plusieurs formes de redistribution, dont les effets sont souvent mal évalués, ce qui amène en définitive à s'interroger sur son but final. Ainsi, la prise en compte des vingt-cinq dernières années de carrière pour le calcul du salaire de référence a des effets redistributifs importants, qui conduisent à pénaliser les personnes connaissant des carrières longues et uniformes.

Dans ce contexte, toute réforme doit être envisagée sur le long terme, c'est-à-dire sur une période de quarante ou cinquante ans, et n'utiliser que des éléments paramétriques conduirait à multiplier les ajustements tous les trois ou quatre ans ; cela ne ferait que renforcer les incertitudes et affaiblir in fine l'ensemble du dispositif. L'objectif de toute réforme doit donc consister à unifier, rendre plus transparent et simplifier. De ce point de vue, un passage à des comptes notionnels, comme l'a fait la Suède, serait bénéfique. Les cotisations sont en effet accumulées sur un compte virtuel permettant de mesurer les droits à pension et sont revalorisées chaque année en appliquant un rendement garanti, qui correspond au taux de croissance des salaires. Le système n'est pas uniquement contributif, puisque la solidarité nationale vient abonder un fonds de réserve permettant de financer à la fois les accidents de carrière personnels et les chocs économiques conjoncturels. Surtout, le niveau des pensions prend mécaniquement en compte l'évolution de l'espérance de vie des générations. En conséquence, ce système intègre en permanence les contraintes budgétaires, évite la brutalité des réformes et est compréhensible pour la population.

Il est vrai que le passage d'un système à un autre pose un problème important de transition. C'est pourquoi il est nécessaire de prendre le temps de redéfinir l'ensemble des paramètres et des éléments redistributifs avant d'adopter un nouveau régime. La Suède a pris ce temps nécessaire de mise en place, contrairement à l'Italie qui a réalisé sa réforme trop rapidement. Par ailleurs, la France connaît un système qui prend en compte les revenus jusqu'à un niveau très élevé, ce qui est rare pour un système public obligatoire. En ce qui concerne le secteur public, les pensions sont aujourd'hui souvent considérées comme une rémunération différée et il serait utile de mieux les distinguer en vue d'unifier les régimes. Enfin, la mise en place d'un système à comptes notionnels ne règle pas en lui-même les dettes du passé ; il sera toujours nécessaire de financer la génération du baby-boom. En revanche, les comptes notionnels permettraient de gérer plus aisément des chocs futurs. Afin de conforter la confiance de la population dans la stabilité du système, il serait utile d'identifier clairement cette dette et d'affecter à son financement des prélèvements obligatoires spécifiques, distincts des cotisations.

En ce qui concerne la pénibilité, il n'est pas certain que ce soit de la responsabilité du système de retraite de traiter cette question. Elle devrait d'abord être réglée par le niveau des rémunérations, comme c'est par exemple le cas pour les personnels affectés sur des plates-formes pétrolières. Elle devrait ensuite être abordée sous l'angle des conditions de travail : sa prise en compte dans le calcul des pensions reviendrait d'une certaine manière à subventionner la pénibilité plutôt que de lutter contre. Surtout, il serait extrêmement difficile d'identifier précisément, tout au long de la vie, les métiers concernés et le niveau de la prise en compte par le système.

Debut de section - PermalienPhoto de Christiane Demontès

a relevé que les propositions qui viennent d'être présentées apparaissent cohérentes et entraînent une différence structurelle avec le système en vigueur, permettant de sortir d'une simple évolution paramétrique. En ce qui concerne les comptes notionnels, de quelle manière la solidarité nationale peut-elle intervenir en cas d'accident de carrière et comment prendre en compte les inégalités individuelles devant l'espérance de vie ? Par ailleurs, comment envisager la période de transition en cas de changement de système ?

Alors que les Français sont particulièrement inquiets sur l'avenir du système et que les précédentes réformes ont vu leurs effets limités par des hypothèses de base qui se sont révélées inexactes, comment s'assurer que les paramètres qui seront retenus seront fiables ?

Debut de section - Permalien
Antoine Bozio

a précisé que dans un système en comptes notionnels, une éventuelle absence de points due à un accident de carrière est compensée par la solidarité nationale dans une mesure prédéfinie. Le financement est alors assuré par des prélèvements obligatoires différents des cotisations sociales. Par ailleurs, les inégalités d'espérance de vie doivent être prises au sérieux mais posent des problèmes considérables, car elles ne relèvent pas toujours des conditions de travail mais parfois de la responsabilité individuelle et des choix de vie. De plus, leur mesure reste actuellement mal évaluée au-delà de catégories socioprofessionnelles très larges. Dans ces conditions, il est difficile de faire des propositions robustes sur cette question. Finalement, l'actuelle complexité du système renforce la difficulté de le faire évoluer sensiblement et justifie le temps pris à le réformer. En outre, face à la nécessaire progressivité de toute réforme, il est important de garantir certaines conditions à ceux qui partiront en retraite dans les années à venir. La période de transition doit alors être suffisamment longue pour que la réforme soit correctement mise en oeuvre, mais elle ne doit pas l'être trop pour conserver son objectif de justice et d'efficacité. Une période proche de dix ans paraît raisonnable.

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Fischer

a relevé que dans un système en comptes notionnels, il existe un lien entre le niveau de pension et le taux de croissance des salaires. Or, on constate aujourd'hui une tendance à l'écrasement des rémunérations et des retraites, ce qui pose un problème d'équité. Ainsi, dans le secteur public, les salaires ont très peu augmenté ces dernières années.

Debut de section - Permalien
Antoine Bozio

a rappelé que la mesure la plus importante de la réforme conduite en 1993 a consisté à indexer les pensions, mais aussi les salaires portés au compte de chaque assuré, sur les prix et non plus sur les salaires. Une telle modification a été très efficace en termes financiers mais n'a fait l'objet d'aucun débat public et ne renforce pas la transparence du système. Un régime en comptes notionnels permet a contrario de donner des perspectives claires, à la fois collectivement et individuellement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Vasselle

a souhaité avoir des précisions sur les modalités du financement de la dette relevant du passé lors de la transition vers un système en comptes notionnels. Un choix politique doit en effet être opéré entre le financement des retraites, de la dette existante et des autres charges publiques. Par ailleurs, si la question de la pénibilité relève de la politique salariale des entreprises et des conditions de travail, comment la prendre en compte pour les salariés qui sont d'ores et déjà en fin de carrière et ont exercé des tâches pénibles ?

Debut de section - Permalien
Antoine Bozio

a confirmé que la part de la richesse nationale consacrée aux retraites relève d'un choix politique et social, et non de celui des experts. En effet, tout peut être imaginé mais les conséquences doivent être durablement pesées ; c'est ce que permet d'ailleurs plus aisément le mécanisme des comptes notionnels. Par ailleurs, alors que la création d'un système par répartition à la fin de la Seconde Guerre mondiale répondait clairement à une question de justice entre générations du fait des pertes patrimoniales massives des Français, le financement de la dette actuelle, qui correspond à l'arrivée en retraite de générations moins frappées par des événements dramatiques, ne devrait-il pas être partagé entre les actifs et ces nouveaux retraités ? Enfin, un système en comptes notionnels permettrait d'attribuer des points liés à la pénibilité pour les personnes partant en retraite dans les années à venir, à condition de prévoir les ressources financières nécessaires.