rapporteur. - Tout d'abord, qu'il me soit permis de remercier notre administrateur et le colonel Benoit Trochu pour leurs conseils et l'aide qu'ils nous ont apportée durant ces longs mois de travail que vous nous aviez confié, monsieur le Président, en janvier 2010, sur l'utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure.
Le Livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale a lancé de nombreux chantiers afin d'améliorer notre capacité à répondre à la fois à des crises internationale et nationales afin d'accroître la capacité du pays, de la société française et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d'une agression ou d'une catastrophe majeure.
Depuis, de nombreuses mesures ont permis d'améliorer notre dispositif de gestion de crise. Une des caractéristiques marquantes de ces réformes a été l'accent mis sur la gestion interministérielle des crises : c'est un volet du « continuum sécurité défense », d'où la création du centre de gestion interministériel des crises, place Beauvau, sous la responsabilité du ministre de l'intérieur et du renforcement des prérogatives des préfets de zone de défense.
Dans ce contexte, vous nous avez confié, Monsieur le Président, la mission d'étudier la contribution des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure.
Le passage de l'armée de conscription à une armée professionnelle s'est accompagné de la mise en place d'une nouvelle réserve militaire. A la réserve de masse, issue de la mobilisation, comme en 1914 ou en 1939, les pouvoirs publics ont souhaité que succède une réserve d'emploi, plus disponible, plus réactive, mieux intégrée aux forces actives. C'était l'ambition de la loi de 1999 sur les réserves, modifiée par la loi de 2006, dont notre collègue André Dulait a été rapporteur.
Dix ans après, cette réserve comporte aujourd'hui environ 60 000 réservistes sous contrat. Son recrutement a été diversifié. Aujourd'hui, 35 % des réservistes viennent directement de la société civile, sans aucune expérience militaire, sans même avoir effectué un service militaire. Cette réserve a été récemment complétée par des réserves civiles : la réserve de la police nationale, les réserves communales de sécurité civile, la réserve sanitaire et même la réserve pénitentiaire. Il y a donc là un mouvement assez général qui ne concerne pas seulement les forces armées.
L'Etat diminue le format de certains de ses services, mais cherche, avec les réserves, à conserver une capacité à faire face à des pics d'activité, voire à des crises majeures. Les pouvoirs publics se tournent vers ceux de nos concitoyens qui souhaitent s'engager, pour la collectivité, dans des réserves professionnalisées.
Dix ans après la mise en place des réserves militaires, nouvelle manière, quelques années après la mise en place de réserves civiles, nous avons d'abord souhaité faire le bilan de la montée en puissance des réserves, faire le point sur leur doctrine d'emploi et sur l'efficacité de leur organisation. Nous avons surtout cherché à savoir dans quelle mesure les pouvoirs publics pourront s'appuyer sur les réserves militaires et civiles et dans quelle mesure ces réserves peuvent prolonger et amplifier la capacité de l'État à faire face, à intervenir et à protéger la population. C'est là une des principales raisons d'être des réserves : renforcer les forces d'active et contribuer à la continuité de l'État en situation de crise.
Pour mener à bien cette réflexion, la mission est partie du Livre blanc. La France doit pouvoir faire face à plusieurs types de crise : des scénarios purement militaires comme un conflit régional impliquant une projection massive et des implications sur la sécurité intérieure. Mais également des scénarios impliquant des actes terroristes majeurs, comme les attentats 11 septembre 200l, ou encore une pandémie ou une catastrophe naturelle mettant en difficulté la continuité des services publics, comme les ouragans de 1999 ou, plus récemment, Xynthia.
Ces crises majeures exigent la mobilisation de moyens exceptionnels : elles sont, en effet, par leur intensité ou leur durée, au niveau d'une zone de défense et de sécurité ou du territoire national tout entier, susceptibles de saturer, de façon ponctuelle ou durable, les capacités des forces de sécurité et des services de secours mobilisés et des forces d'active des armées.
Nous avons commencé par dresser un état des lieux des réserves actuelles, chacune ayant des spécificités propres dues à leur métier et à leur environnement administratif.
Il s'est agit, d'abord, de cerner à quel moment, pour quelles tâches, ces différentes réserves pouvaient être sollicitées dans la gestion des crises et de savoir si le profil des réserves correspondait bien aux besoins des pouvoirs publics. Il convenait ensuite de mesurer la disponibilité réelle des réservistes et de savoir dans quelle mesure la qualité des relations avec les entreprises et les administrations employant des réservistes permettait de les mobiliser.
Il a également été nécessaire d'apprécier si l'appartenance éventuelle de réservistes à des services publics mobilisés en temps de crise, comme la police ou les pompiers, à des plans de continuité d'activité au sein d'opérateurs d'importance vitale, comme France Télécom ou EDF, ou leur appartenance simultanée à plusieurs réserves pouvaient constituer un obstacle important à leur emploi dans ces périodes critiques. Nous nous sommes enfin interrogés sur la réactivité des réservistes lors du déclenchement de la crise et sur le cadre juridique de leur convocation.
Il s'agissait, en définitive, de mesurer quelle serait la contribution réelle des réserves à ce que le Livre blanc a appelé la résilience de la Nation : c'est-à-dire la capacité des pouvoirs publics à résister aux conséquences d'une agression ou d'une catastrophe majeure puis à rétablir rapidement leur fonctionnement normal.
Ce faisant, la mission a souhaité poursuivre la réflexion du Livre blanc sur la nécessité de mieux coordonner les acteurs et les moyens militaires et civils en matière de planification et de gestion de crise.
Nous nous sommes interrogés sur la proposition du Livre blanc de créer une réserve de sécurité nationale. Le Livre blanc indique, en effet, qu' « une gestion commune des réserves relevant de différents ministères sera mise en place, afin de répondre de façon coordonnée aux besoins liés à des crises aiguës sur le territoire national ».
Nous avons auditionné une cinquantaine de personnes, à Paris, à Bordeaux pour la zone de défense Sud ouest, au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) et dans un état-major interarmées de zone de défense. Nous avons interrogé des responsables du ministère de la défense et des autres ministères, des réservistes, des délégués aux réserves, des chefs de corps. Vous trouverez dans le rapport une centaine de pages de comptes rendus. Nous avons, par ailleurs, travaillé conjointement avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour les aspects juridiques.
Je ne m'étendrai pas longtemps sur la situation des réserves. Les réserves militaires sont aujourd'hui, de loin, les mieux organisées et les plus nombreuses. Forte de plus de 60 000 hommes, gendarmerie comprise, la réserve opérationnelle des armées nous est apparue, au fil des auditions, comme une force bien intégrée aux armées, mais aussi comme un dispositif présentant certaines fragilités. La gestion des réserves suppose, en effet, un souci constant de fidélisation, ce qui a été souligné par les réservistes eux-mêmes. Dans une société qui demande plus aux jeunes adultes tant sans leur vie professionnelle que familiale, l'engagement au profit de la communauté est aujourd'hui plus rare, plus difficile qu'hier.
Composée de volontaires qui, à tout moment, peuvent rompre leur engagement, voire refuser les missions qui leur sont confiées, la réserve dépend de la qualité des relations que les armées sauront entretenir avec les entreprises et la société française.
Les réserves, ce sont aussi aujourd'hui des réserves civiles. Les modalités de fonctionnement et le statut de la réserve de la police nationale semblent directement inspirés de ceux de la gendarmerie : elle comporte aujourd'hui 4 000 personnes pour plus de 100 000 journées d'activité. Avec l'adoption par le Parlement de la LOPSSI II, cette réserve, aujourd'hui exclusivement composée d'anciens policiers, va s'ouvrir à la société civile comme l'a fait la réserve militaire.
La réserve sanitaire est composée d'une réserve d'intervention destinée aux opérations extérieures, comme à Haïti, et d'une réserve de renfort composée de professionnels de santé retraités et d'étudiants des filières médicales ou paramédicales. Cette réserve permet de faire face à des crises sanitaires majeures. Elle reste cependant très embryonnaire et semble avoir encore du mal à s'imposer. Il en est de même pour les réserves communales de sécurité civile : créées à l'initiative des conseils municipaux, ces réserves composées de bénévoles non rémunérés couvrent le champ de la protection civile. Malheureusement, ce dispositif a connu des débuts extrêmement timides depuis sa création en 2004.