Intervention de Joëlle Garriaud-Maylam

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 décembre 2010 : 1ère réunion
Réserves militaires et civiles — Examen du rapport d'information

Photo de Joëlle Garriaud-MaylamJoëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteur :

Au sein des armées, les réserves ont trois fonctions : elles constituent un renfort ponctuel dans des activités programmées : elles permettent de faire face à des situations de pics d'activités ou à des besoins de compétences spécifiques. Les réservistes sont ainsi, par exemple, devenus un élément essentiel, en particulier l'été, du fonctionnement d'une gendarmerie « à géométrie variable » qui fait coïncider au mieux ses effectifs avec ses engagements opérationnels.

En second lieu, les réserves entretiennent un lien entre l'armée et la Nation dans le contexte de la suppression du service national en 1999.

Enfin, elles constituent un complément des forces actives en cas de crise. C'est cette troisième fonction qui nous intéresse. Pourtant, c'est sans doute celle qui a fait l'objet du moins d'attention. Quel bilan peut-on tirer ?

S'agissant des opérations extérieures et des scénarios purement militaires, l'engagement des réservistes dans les unités projetées reste extrêmement limité. En 2008, 771 réservistes ont effectué plus de 50 000 jours en opérations extérieures. Ce n'est pas rien, mais cela reste anecdotique par rapport aux forces d'actives. De plus, ces réservistes, souvent recrutés pour des qualifications spécifiques, ne participent que rarement aux opérations de combat, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis ou en Grande-Bretagne.

Sur le territoire national, qu'en serait-il en cas de crise majeure ? Dans ce type de situation, nos armées seraient aujourd'hui pleinement impliquées. C'est, en effet, le sens du contrat opérationnel de protection des armées approuvé en mai dernier. Ce contrat prévoit une capacité de déploiement de forces terrestres pouvant, si nécessaire, monter jusqu'à 10 000 hommes en quelques jours. Ces hommes pourraient contribuer, au bénéfice de l'autorité civile, à la sécurité des points d'importance vitale, à celle des flux terrestres essentiels pour la vie du pays, ainsi qu'au contrôle de l'accès du territoire.

Comme on l'a vu lors de la tempête Xynthia, les armées sont à la disposition des préfets et interviennent immédiatement avec les moyens stationnés à proximité et avec ceux qui sont maintenus constamment disponibles dans le cadre des différents systèmes d'alerte. Sans les Super-Pumas, par exemple, le nombre de morts lors de cette tempête aurait été beaucoup plus important.

Dans ce cadre, quel rôle pour les réserves ?

Le premier constat est sans surprise : dans les premiers jours d'une crise majeure, la réponse des pouvoirs publics repose d'abord sur les forces de sécurité intérieure et sur les forces de sécurité civile, si besoin renforcées par les forces armées. Au début, les réserves ne jouent qu'un rôle marginal. La France est un pays suffisamment bien doté en moyens pour que la gestion de ces crises soit, dans leurs premières heures, confiées à des professionnels à plein temps.

On nous a même dit que nous disposions avec les forces d'active des moyens de répondre à tous les scénarios, sur le territoire national comme à l'étranger, que le format des armées était conçu pour gérer la simultanéité d'un engagement majeur en opération extérieure à hauteur de 35 000 hommes et un déploiement de 10 000 hommes sur le territoire national.

En matière de protection civile ou d'ordre public, le message est le même : les 250 000 pompiers ainsi que les 120 000 policiers peuvent faire face à toutes les situations. C'est une affirmation rassurante qui est en même temps assez difficile à prouver. Ce sont des chiffres considérables, mais sans doute assez théoriques. Ces forces sont en effet loin d'être mobilisables immédiatement. La durée de la montée en puissance des différents dispositifs est variable. Il n'est pas sûr que l'on sache tout à fait comment, dans la réalité, se passeraient les choses s'il fallait mobiliser toutes nos forces et, encore moins, s'il fallait les faire tenir dans la durée.

Dans les armées, compte tenu de la réduction du budget annoncé pour les prochaines années, on peut même se demander si ces chiffres sont encore d'actualité.

De plus, la question est avant tout celle de la capacité des pouvoirs publics à mobiliser les forces au niveau local, dans des délais les plus courts possible, dans des conditions de transport et de communication dégradées. Il y a là une logique de proximité qui n'est pas négligeable. Dans une période de regroupement des forces et de réduction des effectifs, il y a, de plus, des zones moins bien dotées que d'autres.

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, la première réponse à une crise n'implique pas les réservistes, sauf pour les états-majors de crise. La mission a, en effet, constaté que les réserves militaires jouent un rôle important dans l'armement des états-majors interarmées de zone de défense et de sécurité qui appartiennent à la chaîne dite OTIAD (Organisation Territoriale InterArmées de Défense). Ils constituent un maillon essentiel dans le processus de gestion interministérielle des crises. En cas de crise, ces états-majors sont, en effet, composés à 75 % de réservistes : peu nombreux, mais très motivés, ils occupent des postes sur lesquels ils sont affectés tout au long de l'année. Leur disponibilité leur permet de se dégager rapidement de leurs obligations professionnelles pour répondre à l'appel des officiers généraux de zone de défense et de sécurité.

Cette organisation permet à ces états-majors d'accroître en quelques heures leur taille pour faire face à l'ampleur d'une crise. Au- delà de cet apport quantitatif, ces réservistes, recrutés localement, apportent aux états-majors leur connaissance du terrain, ce qui peut s'avérer essentiel dans une opération de secours. Ce mode d'organisation a fait ses preuves. On le retrouve, au niveau national, au Centre de planification et de conduite des opérations de l'état-major des armées

Passée la période de montée en puissance des forces actives, les réservistes pourraient jouer, dans un deuxième temps, un rôle important pour s'inscrire dans la durée et permettre la relève des effectifs, soit en participant directement aux opérations, soit en remplaçant des militaires d'active dans le fonctionnement des affaires courantes. C'est sans doute le principal intérêt des réserves : pouvoir tenir dans la durée. De ce point de vue, les réservistes seront d'autant plus importants que le format des services de l'État se réduira.

Une troisième phase s'ouvre avec la fin des interventions d'urgence et des secours, dans laquelle les besoins semblent non satisfaits. L'expérience a montré, en particulier lors de catastrophes naturelles, qu'une fois les secours intervenus, qu'une fois les pompiers partis, qu'une fois que les projecteurs des médias tournés vers de nouveaux événements, de nombreuses opérations de déblayage et de soutien aux personnes étaient nécessaires, sans que ces tâches relèvent clairement du secours. Or, à ce moment-là, les pouvoirs publics semblent mal outillés. Les réserves communales de sécurité civile seraient, sans doute, utiles à ces tâches souvent prises en charge par des bénévoles peu structurés ou par des services communaux ou départementaux débordés. Mais leurs effectifs sont aujourd'hui trop limités et pas assez formés pour avoir un impact significatif.

Quelle appréciation peut-on porter sur la contribution des réserves à la gestion des crises passées?

D'après nos interlocuteurs, ce recours a été limité et satisfaisant. Il repose largement sur l'utilisation et la fidélisation d'un nombre limité de réservistes particulièrement motivés, entraînés tout au long de l'année et particulièrement disponibles.

Ce dispositif permettrait-il de faire face à une crise d'une ampleur beaucoup plus importante?

On peut penser à l'ouragan Katrina, qui a mobilisé, outre les forces de secours, plus de 50 000 réservistes américains. D'autres scénarios sont malheureusement envisageables, la crue de la Seine avec des déplacements massifs de population, un tremblement de terre en Guadeloupe, la simultanéité d'attentats terroristes et de troubles dans les banlieues : les scénarios-catastrophes ne manquent pas. D'ailleurs, une des définitions classiques de la crise est qu'on ne peut réellement la prévoir.

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