s'est interrogée sur les moyens dont disposait l'OMC pour prendre en compte les disparités qui s'accroissent au sein des pays industrialisés mais aussi des pays émergents, entre les publics les plus pauvres et les plus riches.
Leur répondant, M. Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, a apporté les éléments de précision suivant :
- l'organe de règlement des différends de l'OMC, structure récente dont l'activité a jusqu'à présent été couronnée de succès, est considéré par l'ensemble des praticiens et commentateurs comme indépendant et impartial. Il est constitué d'une juridiction de première instance formée d'experts, ainsi que d'une juridiction d'appel de sept juges choisis par un comité de sélection ;
- la méthode des « paquets » législatifs, consistant à n'arrêter un accord global que lorsque des accords partiels ont été préalablement finalisés, est une technique de négociation lourde, d'autant plus que le nombre de pays négociateurs et de sujets de discussion a doublé depuis une vingtaine d'années. Cependant, le passage à une logique de négociation sectorielle, comme dans d'autres instances de régulation internationale, poserait des difficultés, tout étant affaire de compromis entre efficacité et légitimité ;
- les relations entre l'OMC et l'Organisation internationale du travail (OIT) constituent un des aspects d'une problématique beaucoup plus générale sur la structuration de la gouvernance internationale. Celle-ci s'est en effet développée, au lendemain des deux guerres mondiales, conformément au principe de souveraineté des Etats-nations selon lequel les pays membres des différentes organisations internationales s'engagent envers chacune d'elles et y négocient indépendamment des autres engagements internationaux auxquels ils ont déjà souscrits. Cette indépendance est revendiquée tant par les pays développés que les pays émergents, ces derniers craignant que ne leur soient imposées des règles minimales à respecter en matière sociale ou environnementale. La coopération qui existe cependant entre les organisations internationales reste conduite par les seuls membres. Les Etats-membres de l'Union européenne ont une vision particulière des systèmes de régulation et de gouvernance internationale, car ils sont accoutumés au sein de l'Union à un haut degré d'intégration politique ;
- s'agissant de la tactique européenne de négociation, il a rappelé que ses fonctions le contraignaient à rester neutre dans ses propos. Il a toutefois ajouté que l'Union européenne et les Etats-Unis négociaient de façon très différente : là où la première a adapté sa politique agricole au cours du temps selon ses propres intérêts, avant de faire valider auprès de l'OMC, et contre certaines compensations, les avancées dont elle avait pris l'initiative, les seconds n'ont modifié la leur que sous la contrainte internationale ;
- le coton, sujet aussi important que délicat politiquement, confronte l'Union européenne et les Etats-Unis aux pays africains. Si les groupes d'influence sur ce thème sont extrêmement présents aux Etats-Unis et dans certains membres de l'Union, les pays africains sont désormais unis pour défendre un dossier auquel ils sont très attachés ;
- la négociation et l'accord sur les volets « Industrie » et « Services » constituent un préalable à la discussion du « paquet final », regroupant, en-dehors de l'agriculture, les autres sujets de négociation ;
- la réforme de l'OCM vitivinicole ne concerne pas directement l'OMC, si ce n'est dans la mesure où l'Union européenne devra respecter, en matière de subventions, des plafonds globaux fixés à l'OMC ;
- le principe de souveraineté alimentaire n'est pas clair. L'objectif d'une autosuffisance alimentaire par pays peut même être considéré comme « régressif » dans sa version la plus radicale, mais on peut considérer que l'agriculture remplit d'autres fonctions qu'économiques, de nature environnementale ou territoriale par exemple, ce qui justifie un traitement particulier au sein de l'OMC. Il a mis en garde contre les mesures protectionnistes qui provenaient le plus souvent de pays dont les avantages comparatifs seraient remis en cause par une ouverture du commerce de produits agricoles ;
- les pays en voie de développement, représentant désormais les deux tiers des Etats membres de l'OMC, sont en mesure, au-delà de leurs différences intrinsèques, de faire valoir avec vigueur leurs intérêts lors des négociations ;
- l'augmentation du cours des matières premières agricoles, qui s'explique par des motifs structurels (augmentation du pouvoir d'achat moyen dans les pays en voie de développement) et conjoncturels (accidents climatiques, faiblesse des stocks, concurrence entre productions alimentaires et non alimentaires), n'a pas eu pour le moment d'influence significative sur les négociations. Cette hausse des prix devrait se ralentir du fait de l'ajustement progressif de l'offre ;
- la corruption ne fait pas partie du champ règlementaire de l'OMC, aucun Etat membre n'en n'ayant pris l'initiative. Cependant, des formes de « régulation douce », telles que les conventions des Nations unies et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se mettent en place. Par ailleurs, certains aspects des négociations en cours, tels que la facilitation, la transparence et l'automatisation des procédures douanières ont des conséquences positives sur ce problème ;
- certaines ONG se sont effectivement spécialisées dans l'appui aux pays en voie de développement, ce qui n'est pas sans soulever des difficultés, leur activité de conseil étant parfois perçue comme orientée par leurs propres préoccupations. Du fait de leur globalisation, rendue notamment possible par un usage judicieux d'Internet, elles ont acquis une influence significative sur les gouvernements et la formation de l'ordre du jour des négociations ;
- l'accroissement du différentiel de développement entre pays riches et pays pauvres, mais aussi au sein des pays eux-mêmes, est très présent dans leurs stratégies de négociation. La grande pauvreté dans laquelle demeure confinée une grande partie des populations dans les pays émergents justifie un traitement spécial et différencié à leur profit. Beaucoup de pays étant parvenus à s'extraire de la pauvreté l'ont fait à travers leur bonne insertion dans le commerce international, laquelle ne s'est bien évidemment pas faite sans conséquences négatives sur certaines catégories de leur population. Ainsi, si l'ouverture des échanges a engendré plus d'effets positifs que négatifs à un niveau global, ce n'est en revanche pas toujours le cas à un niveau plus local. L'OMC peut certes s'assurer que les règles des échanges internationaux sont justes ; il n'est cependant pas de sa compétence de réguler la façon dont les gains de croissance permis par l'ouverture de ces échanges sont redistribués au sein des pays membres ;
- les subventions à la pêche ont été intégrées dans les négociations de l'OMC car elles ont pour conséquence, en soutenant ce secteur d'activité, de réduire à un niveau préoccupant les ressources halieutiques. L'Union européenne, qui possède un système de régulation des prises à travers les quotas de pêche, doit le conserver et le développer, car il la met en position de force dans les négociations internationales.