Commission des affaires économiques

Réunion du 5 décembre 2007 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • OMC
  • législatif
  • ouverture
  • paquet
  • échange

La réunion

Source

Debut de section - Permalien
Pascal Lamy

Au cours d'une seconde séance tenue l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

En préambule, M. Jean-Paul Emorine, président, a tenu à remercier M. Pascal Lamy de sa présence. Rappelant qu'il avait eu l'opportunité d'être présent lors des négociations de l'OMC à Seattle, il a indiqué que M. Lamy avait déjà été auditionné par la commission des affaires économiques pendant son mandat de commissaire européen, entre 1999 et 2004, et a jugé particulièrement intéressant de pouvoir bénéficier de la vision d'un haut fonctionnaire français ayant atteint un tel degré de responsabilité internationale.

Debut de section - Permalien
Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation mondiale du commerce

a souligné tout l'intérêt que présentait cet échange avec des parlementaires très au fait des questions internationales et européennes. Il a annoncé que son exposé se centrerait sur l'examen de la situation actuelle de l'OMC et de ses perspectives, en particulier dans le cadre des négociations lancées à Doha en 2001. Ayant rappelé que l'OMC comptait 151 Etats membres, pour lesquels il était acquis que l'ouverture aux échanges extérieurs pouvait être bénéfique pour leurs économies, il a présenté les quatre fonctions de l'OMC, à savoir :

- la négociation : l'OMC est un législateur commercial international, cette activité législative étant aujourd'hui la plus visible ;

- la surveillance : l'OMC vérifie la bonne application des engagements internationaux dans le cadre des accords commerciaux passés entre les Etats membres ;

- le contentieux : il s'agit d'une activité spécifique à l'OMC dans le système international, puisqu'à travers le mécanisme de règlement des différends, au terme d'une procédure judiciaire, on peut trancher un conflit commercial en imposant une solution ayant force contraignante, ce qui est inédit dans le système westphalien ;

- l'assistance technique aux pays en développement : l'OMC aide ces pays à s'insérer dans le commerce mondial, en apportant une expertise technique.

Il a ensuite fait observer que l'ouverture aux échanges se faisait, aujourd'hui, essentiellement à travers la négociation de « paquets législatifs », lors des « cycles de négociation » pendant lesquels l'ensemble des 151 participants se doivent de dégager un consensus. Il a souligné que cette procédure politique, dans laquelle « il n'y a d'accord sur rien tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout », était connue sous le nom de « principe de l'engagement unique ». Il a précisé que chaque paquet législatif faisait l'objet d'un ordre du jour particulier négocié âprement entre les membres participants, rappelant à cet égard l'exemple du cycle de Doha de 2001, pour lequel l'ordre du jour associait une vingtaine de sujets, dont la réduction de droits de douane agricoles et industriels et celle de subventions agricoles, l'ouverture des services, ou encore l'amélioration des procédures anti-dumping. Puis il a indiqué que si les questions agricoles, industrielles et de service étaient importantes, elles ne représentaient toutefois qu'une partie des paquets législatifs. Il est ensuite revenu sur les six années écoulées depuis le lancement du cycle de Doha, en indiquant qu'elles avaient été l'occasion de procéder à des investigations et de dégager des positionnements de négociation afin de parvenir à un consensus. Il a tenu à faire remarquer la grande différence entre cette procédure longue et complexe fondée sur le consensus et la procédure de décision communautaire fondée sur le système majoritaire.

Il a ensuite indiqué que, depuis juillet 2007, l'OMC avait entamé le dernier stade des négociations, à savoir l'élaboration des compromis qui appartient aux présidents des groupes de négociations. Il a, à cet égard, dressé un parallèle entre ce processus et le travail accompli par les commissions parlementaires lors de l'examen d'un texte législatif. Il a précisé que cette phase finale devrait aboutir à la mise au point d'un compromis global en deux parties : la première consacrée aux subventions et aux tarifs agricoles, ainsi qu'aux droits de douane industriels, et, la seconde, consacrée aux autres sujets.

a par ailleurs souligné que les sujets étaient complexes et que le compromis final devait reposer sur un consensus politique entre les grandes puissances commerciales traditionnelles (Etats-Unis, Union européenne, Japon) et les grands pays émergents, tels que la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie et l'Egypte. Il a précisé que les pays les plus pauvres étaient aujourd'hui bien présents dans les négociations commerciales internationales, même si leur part dans le commerce mondial restait modeste. Il s'est félicité de ce que les pays en développement contribuent désormais à la formation des règles de l'OMC, situation qui contraste avec des pratiques observées depuis 1947 dans les huit cycles de négociations précédents. Il a estimé que le processus d'élaboration du compromis global serait enclenché vers la fin du mois de janvier prochain, en espérant qu'une conclusion finale puisse intervenir avant la fin de l'année 2008.

Rappelant ensuite qu'en matière commerciale la Commission européenne négociait au sein de l'OMC au nom de l'ensemble des Etats membres, il a indiqué qu'il appartenait au commissaire européen en charge du commerce de conduire ces négociations, en vertu d'un mandat du Conseil européen.

a précisé que les intérêts défensifs de l'Union européenne se concentraient sur les questions agricoles (subventions et droits de douane). S'agissant des autres sujets, il a estimé que les intérêts de l'Union européenne étaient offensifs, notamment sur les services, les disciplines anti-dumping ainsi qu'en matière d'environnement.

Puis il a remarqué qu'en dépit de l'éventuelle conclusion de ces négociations, les autres activités de l'OMC ne cesseraient pas pour autant. Il a en outre estimé que d'autres chantiers de négociations pourraient s'ouvrir dans les années à venir, notamment en raison des évolutions technologiques, de la croissance considérable des flux commerciaux ainsi que de l'augmentation des obstacles réglementaires reflétant des choix sociaux propres aux différents pays.

a enfin indiqué que certaines questions pourraient être soulevées au sein de l'OMC dans le futur :

- la question du choix entre le mécanisme des accords par paquets législatifs ou celui des accords sectoriels dans la conduite des négociations ;

- la question de la relation entre les accords multilatéraux, qui impliquent un consensus global et les accords bilatéraux ;

En conclusion, M. Pascal Lamy a tenu à souligner que la question de l'aide au commerce avait donné l'occasion à l'OMC de se coordonner avec l'ensemble des institutions de la famille des Nations unies ainsi qu'avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, dans le but de favoriser l'accès des pays en développement aux marchés mondiaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

A la suite de cet exposé, M. Jean-Paul Emorine, président, a remercié M. Pascal Lamy pour la qualité de son intervention, soulignant que les membres de la commission des affaires économiques avaient bien pris toute la dimension du rôle de l'OMC dans la dynamique des échanges économiques. Il a également rappelé toute l'importance du travail de pédagogie à conduire auprès des organisations professionnelles sur la question des négociations commerciales au sein de l'OMC.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bécot

A l'issue de cette présentation, M. Michel Bécot a tenu à savoir si l'Organe de règlement des différends (ORD) faisait vraiment preuve d'indépendance vis-à-vis des grandes puissances commerciales. Il s'est ensuite interrogé sur la pertinence du principe « il n'y a d'accord sur rien tant qu'il n'y a pas accord sur tout » dans la conduite des négociations commerciales internationales. Puis il a demandé s'il ne serait pas souhaitable d'inviter les syndicats à participer aux négociations internationales de l'OMC. Il a exprimé des doutes quant à l'efficacité de la tactique européenne de négociation en matière agricole face aux positions américaines. Il a enfin désiré savoir si les aspects « Services » et « Industrie » des négociations, qui ne devaient pas être abordés avant que le volet « Agriculture » ait été réglé, avaient progressé.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Le Cam

a demandé ce qu'il en était vraiment de la tentative d'adaptation de la PAC aux règles de l'OMC, notamment pour l'OCM vitivinicole. Il s'est ensuite demandé s'il n'existait pas une contradiction entre l'abaissement généralisé des droits de douane et la préservation de la souveraineté alimentaire des pays en développement. Il s'est enfin interrogé sur la pertinence des objectifs actuels de l'OMC, et de la nécessité de les revoir, compte tenu notamment de la création de l'Organisation mondiale de l'agriculture (MOMA) et de l'intérêt stratégique de l'agriculture en matière de développement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Pastor

Soulignant la nature éminemment politique du poste de directeur général de l'OMC, M. Jean-Marc Pastor a interrogé l'intervenant sur la conciliation, par son organisation, des enjeux propres aux pays du Sud avec les exigences des pays industrialisés.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

a souhaité connaître l'impact de la hausse du cours des produits agricoles sur les négociations au sein de l'OMC. Il s'est demandé si l'organisation conduisait une réflexion sur la corruption et s'est interrogé sur la place prise par les organisations non gouvernementales (ONG) se faisant rémunérer par des pays en voie de développement en échange de conseils et d'assistance technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Darniche

s'est enquis de la façon dont l'OMC entendait réduire l'écart croissant séparant les pays en développement des pays émergents.

Debut de section - PermalienPhoto de Yolande Boyer

a interrogé l'intervenant sur l'action de l'OMC en matière de pêche.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

s'est interrogée sur les moyens dont disposait l'OMC pour prendre en compte les disparités qui s'accroissent au sein des pays industrialisés mais aussi des pays émergents, entre les publics les plus pauvres et les plus riches.

Leur répondant, M. Pascal Lamy, directeur général de l'OMC, a apporté les éléments de précision suivant :

- l'organe de règlement des différends de l'OMC, structure récente dont l'activité a jusqu'à présent été couronnée de succès, est considéré par l'ensemble des praticiens et commentateurs comme indépendant et impartial. Il est constitué d'une juridiction de première instance formée d'experts, ainsi que d'une juridiction d'appel de sept juges choisis par un comité de sélection ;

- la méthode des « paquets » législatifs, consistant à n'arrêter un accord global que lorsque des accords partiels ont été préalablement finalisés, est une technique de négociation lourde, d'autant plus que le nombre de pays négociateurs et de sujets de discussion a doublé depuis une vingtaine d'années. Cependant, le passage à une logique de négociation sectorielle, comme dans d'autres instances de régulation internationale, poserait des difficultés, tout étant affaire de compromis entre efficacité et légitimité ;

- les relations entre l'OMC et l'Organisation internationale du travail (OIT) constituent un des aspects d'une problématique beaucoup plus générale sur la structuration de la gouvernance internationale. Celle-ci s'est en effet développée, au lendemain des deux guerres mondiales, conformément au principe de souveraineté des Etats-nations selon lequel les pays membres des différentes organisations internationales s'engagent envers chacune d'elles et y négocient indépendamment des autres engagements internationaux auxquels ils ont déjà souscrits. Cette indépendance est revendiquée tant par les pays développés que les pays émergents, ces derniers craignant que ne leur soient imposées des règles minimales à respecter en matière sociale ou environnementale. La coopération qui existe cependant entre les organisations internationales reste conduite par les seuls membres. Les Etats-membres de l'Union européenne ont une vision particulière des systèmes de régulation et de gouvernance internationale, car ils sont accoutumés au sein de l'Union à un haut degré d'intégration politique ;

- s'agissant de la tactique européenne de négociation, il a rappelé que ses fonctions le contraignaient à rester neutre dans ses propos. Il a toutefois ajouté que l'Union européenne et les Etats-Unis négociaient de façon très différente : là où la première a adapté sa politique agricole au cours du temps selon ses propres intérêts, avant de faire valider auprès de l'OMC, et contre certaines compensations, les avancées dont elle avait pris l'initiative, les seconds n'ont modifié la leur que sous la contrainte internationale ;

- le coton, sujet aussi important que délicat politiquement, confronte l'Union européenne et les Etats-Unis aux pays africains. Si les groupes d'influence sur ce thème sont extrêmement présents aux Etats-Unis et dans certains membres de l'Union, les pays africains sont désormais unis pour défendre un dossier auquel ils sont très attachés ;

- la négociation et l'accord sur les volets « Industrie » et « Services » constituent un préalable à la discussion du « paquet final », regroupant, en-dehors de l'agriculture, les autres sujets de négociation ;

- la réforme de l'OCM vitivinicole ne concerne pas directement l'OMC, si ce n'est dans la mesure où l'Union européenne devra respecter, en matière de subventions, des plafonds globaux fixés à l'OMC ;

- le principe de souveraineté alimentaire n'est pas clair. L'objectif d'une autosuffisance alimentaire par pays peut même être considéré comme « régressif » dans sa version la plus radicale, mais on peut considérer que l'agriculture remplit d'autres fonctions qu'économiques, de nature environnementale ou territoriale par exemple, ce qui justifie un traitement particulier au sein de l'OMC. Il a mis en garde contre les mesures protectionnistes qui provenaient le plus souvent de pays dont les avantages comparatifs seraient remis en cause par une ouverture du commerce de produits agricoles ;

- les pays en voie de développement, représentant désormais les deux tiers des Etats membres de l'OMC, sont en mesure, au-delà de leurs différences intrinsèques, de faire valoir avec vigueur leurs intérêts lors des négociations ;

- l'augmentation du cours des matières premières agricoles, qui s'explique par des motifs structurels (augmentation du pouvoir d'achat moyen dans les pays en voie de développement) et conjoncturels (accidents climatiques, faiblesse des stocks, concurrence entre productions alimentaires et non alimentaires), n'a pas eu pour le moment d'influence significative sur les négociations. Cette hausse des prix devrait se ralentir du fait de l'ajustement progressif de l'offre ;

- la corruption ne fait pas partie du champ règlementaire de l'OMC, aucun Etat membre n'en n'ayant pris l'initiative. Cependant, des formes de « régulation douce », telles que les conventions des Nations unies et de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) se mettent en place. Par ailleurs, certains aspects des négociations en cours, tels que la facilitation, la transparence et l'automatisation des procédures douanières ont des conséquences positives sur ce problème ;

- certaines ONG se sont effectivement spécialisées dans l'appui aux pays en voie de développement, ce qui n'est pas sans soulever des difficultés, leur activité de conseil étant parfois perçue comme orientée par leurs propres préoccupations. Du fait de leur globalisation, rendue notamment possible par un usage judicieux d'Internet, elles ont acquis une influence significative sur les gouvernements et la formation de l'ordre du jour des négociations ;

- l'accroissement du différentiel de développement entre pays riches et pays pauvres, mais aussi au sein des pays eux-mêmes, est très présent dans leurs stratégies de négociation. La grande pauvreté dans laquelle demeure confinée une grande partie des populations dans les pays émergents justifie un traitement spécial et différencié à leur profit. Beaucoup de pays étant parvenus à s'extraire de la pauvreté l'ont fait à travers leur bonne insertion dans le commerce international, laquelle ne s'est bien évidemment pas faite sans conséquences négatives sur certaines catégories de leur population. Ainsi, si l'ouverture des échanges a engendré plus d'effets positifs que négatifs à un niveau global, ce n'est en revanche pas toujours le cas à un niveau plus local. L'OMC peut certes s'assurer que les règles des échanges internationaux sont justes ; il n'est cependant pas de sa compétence de réguler la façon dont les gains de croissance permis par l'ouverture de ces échanges sont redistribués au sein des pays membres ;

- les subventions à la pêche ont été intégrées dans les négociations de l'OMC car elles ont pour conséquence, en soutenant ce secteur d'activité, de réduire à un niveau préoccupant les ressources halieutiques. L'Union européenne, qui possède un système de régulation des prises à travers les quotas de pêche, doit le conserver et le développer, car il la met en position de force dans les négociations internationales.