Intervention de Françoise Laborde

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 10 juin 2010 : 1ère réunion
Violences au sein des couples et protection des victimes — Examen du rapport d'information

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

En préambule, je rappellerai que les violences au sein du couple ont été une réalité longtemps occultée et qu'il est essentiel que le domicile conjugal - au sens large, ce qui inclut les formes de cohabitation hors mariage - ne soit plus un lieu de non-droit, en particulier pour les femmes. J'ajouterai qu'il est de notre devoir de soutenir les associations d'aide aux victimes et de rendre hommage à leur dévouement. Mais notre mission, plus que jamais, est aussi de veiller au réalisme et à la simplicité des normes que nous adoptons.

La première partie du rapport que je vous soumets est à la fois historique et très actuelle. J'y rappelle comment notre délégation a pu, depuis sa création, contribuer à l'émergence d'un droit nouveau, en France, qui a eu un effet « déclencheur » de révélation des violences conjugales. J'ajoute qu'à l'occasion de la réforme du divorce, nous avions, en 2001 et en 2003, souligné la nécessité de renforcer les pouvoirs du juge civil, notamment pour évincer le conjoint violent du domicile, et de préserver dans le code civil la notion essentielle de répétition des violences verbales, tout en insistant sur l'accroissement du nombre de couples non mariés. L'ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement au sein des couples se situent dans la lignée de ces recommandations.

Le rapport détaille ensuite les dispositions de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs et qui est issue de l'initiative sénatoriale. Cette loi a provoqué un « déclic » à la fois social, judiciaire, et législatif. A l'Assemblée nationale, la mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes a formulé en juillet 2009 soixante cinq propositions de nature législative, dont l'essentiel a été repris dans une proposition de loi, cosignée par Mme Danielle Bousquet, M. Guy Geoffroy et soutenue par l'ensemble des membres de la mission. A travers l'extrême diversité des données recueillies à l'occasion de ces travaux, je me contenterai ici d'en citer une seule: le faible taux de révélation des violences conjugales qui est estimé à 10 % par l'Observatoire national de la délinquance (OND). Il ne faut donc pas s'alarmer outre mesure de la hausse statistique de 30 % depuis 2004 des violences conjugales puisqu'elle résulte de celle du taux de plainte.

La seconde partie du rapport analyse le contenu et les répercussions envisageables de la nouvelle étape que le Parlement s'apprête à franchir dans le perfectionnement du droit des violences conjugales.

Le Sénat devra se prononcer sur la base de deux propositions de loi.

La première, présentée par M. Roland Courteau, reprend certaines de ses suggestions qui n'avaient pas été retenues par les lois du 4 avril 2006 ou du 5 mars 2007 et comporte un volet relatif aux enfants. Plus concise que le texte adopté par l'Assemblée nationale cette proposition se compose de cinq articles auxquels s'ajoute un gage financier.

Pour l'essentiel, ses préoccupations sont susceptibles d'être satisfaites par les trente cinq articles du texte adopté par L'Assemblée nationale. Je relève toutefois qu'un certain nombre d'hommes sont également victimes de violences et qu'à cet égard, l'intitulé de la proposition sénatoriale est plus neutre que celui qui a été retenu par l'Assemblée nationale.

Le dispositif adopté par nos collègues députés modifie neuf codes en vigueur. Il manifeste ainsi la volonté très positive de traiter les violences conjugales selon une approche générale. Par souci de réalisme, je vous proposerai cependant de relever les risques et les effets pervers qu'induit nécessairement une telle complexité.

J'insisterai ici sur cinq aspects ponctuels du texte adopté par l'Assemblée nationale.

L'article premier prévoit la création d'une ordonnance de protection des victimes : c'est la mesure la plus innovante. Elle s'inspire de l'outil phare de la politique espagnole et je note que, dans ce pays, l'ordonnance est délivrée par le magistrat de permanence après que la victime a rempli un simple imprimé. La transposition pure et simple d'un tel dispositif paraissait cependant mal adaptée au droit français et au principe du contradictoire qui en demeure un de ses piliers fondamentaux. Si 90 % des victimes n'osent pas porter plainte, c'est, en grande partie, parce qu'elles craignent les conséquences possibles de cette démarche en matière de logement, de garde des enfants ou de régularité du séjour pour les femmes étrangères. Pour répondre à ces difficultés, l'article premier prévoit d'accorder à la victime le temps nécessaire pour décider de la suite à donner à cette première étape sur le plan civil ou pénal : le juge peut prendre trois séries de mesures tendant à assurer la sécurité de la victime, faciliter son logement ou son relogement et se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale ainsi que sur la contribution aux charges du ménage.

L'article 2 bis (nouveau), qui résulte de l'adoption par l'Assemblée nationale d'un amendement présenté par le Gouvernement, prévoit un dispositif de surveillance électronique mobile applicable à titre expérimental, pendant une durée de trois ans. Au cours des auditions, il est apparu que le bilan pratique que peuvent tirer les magistrats de la surveillance électronique est, pour le moins, nuancé : le déclenchement intempestif des alarmes provoque d'abord un « stress » important et mobilise des moyens dont le coût peut être supérieur à une journée de détention. Ensuite, pour un meurtrier déterminé à passer à l'acte, le bracelet n'est pas un obstacle majeur puisqu'il peut être arraché. De plus, ces contraintes obligent le condamné à avoir un domicile stable, ce qui soulèverait des difficultés pour les auteurs de violences conjugales faisant l'objet d'une mesure d'éloignement et qui se trouvent sans domicile fixe pour une période indéterminée.

Sur ce point, je propose à la délégation de constater que les magistrats en charge de l'application des peines partagent pleinement l'objectif qui consiste à mieux protéger les victimes potentielles. Cependant leurs observations de bon sens méritent d'être prises en compte, ne serait-ce que pour progresser de façon crédible dans la voie des alternatives à l'incarcération : il conviendrait donc de remédier, d'urgence, aux imperfections techniques de la surveillance électronique qui la rendent difficilement opérationnelle à l'heure actuelle.

Un mot sur l'article 8 qui modifie la définition du délit de dénonciation calomnieuse. Notre délégation a été alertée à de nombreuses reprises sur les difficultés que rencontrent des femmes victimes de violences menacées par cette « infraction boomerang ». La nouvelle rédaction prévoit de ne plus considérer qu'il y a calomnie lorsque le juge prononce la relaxe de l'agresseur supposé au bénéfice du doute. Il s'agit donc d'éviter les plaintes systématiques pour dénonciation calomnieuse et de libérer la parole des victimes.

L'article 17 crée un délit de violences psychologiques : pour l'essentiel, sa rédaction s'inspire de l'article 222-33-1 du code pénal qui définit le harcèlement moral au travail et l'adapte aux relations de personnes ayant eu une relation de couple.

Ce n'est pas une révolution juridique puisque, depuis 1892, la jurisprudence admet que les violences peuvent ne pas se limiter à des atteintes physiques et prend en compte celles qui sont « de nature à provoquer une sérieuse émotion ». De façon plus spécifique, le fait de harceler autrui au téléphone constitue d'ores et déjà le délit d'appels téléphoniques malveillants réitérés à l'article 222-16 du code pénal.

Il s'agit cependant d'une innovation majeure qui soulève deux principales inquiétudes sur son applicabilité. En premier lieu, le représentant de l'Association nationale des juges d'application des peines (ANJAP) a fait observer que le harcèlement moral était d'ores et déjà difficile à prouver dans le cadre professionnel : il risque de le devenir encore bien plus dans les relations de couple qui se développent le plus souvent à l'abri des regards extérieurs et en l'absence de témoins objectifs. Les classements sans suite des plaintes risquent de se multiplier, faute de caractérisation suffisante, et, devant les tribunaux, le doute profitera à la personne poursuivie.

Une seconde objection formulée par certaines associations de femmes concerne les risques d'utilisation abusive de ce dispositif par des conjoints violents qui tenteraient de se présenter eux-mêmes comme victimes de harcèlement conjugal. En même temps, elles ont rappelé l'utilisation fréquente du mutisme comme instrument de violence psychologique et on peut effectivement s'interroger sur la difficulté de prendre en compte le silence d'un conjoint au niveau juridique.

Le maintien de cette nouvelle incrimination se justifie néanmoins, à mon sens, sur la base de trois arguments. Il s'agit tout d'abord d'adresser un message particulièrement clair à la fois aux auteurs et aux victimes de harcèlement sur l'anormalité des comportements qu'ils infligent ou qu'elles subissent. En second lieu, il a été observé, notamment au Canada, que l'aggravation de la sanction des violences physiques se traduisait par une augmentation de la pression psychologique au sein des couples : le législateur doit donc fixer un nouveau palier de protection adapté à l'évolution des comportements. Enfin, la mise en oeuvre de tous les moyens permettant de pacifier les relations de couples se justifie, en fin de compte, par le devoir de protection des enfants témoins, dont le sort est trop souvent passé sous silence.

Nous pourrions donc recommander au Sénat de parier que cette mesure pénale aura plus d'effets bénéfiques que d'inconvénients.

Symétriquement, il m'a semblé logique, à partir du moment où nous transposons la notion de harcèlement moral du monde de l'entreprise aux relations de couple, de rappeler que, du coté de la prévention, un certain nombre de stages de « gestion des conflits » ont fait la preuve de leur efficacité dans les relations de travail. Je propose de s'en inspirer afin de créer ou de perfectionner les outils permettant à chacun de maitriser ses émotions et de réguler les comportements de couple. Nous amènerions ainsi un éclairage utile et concret à l'article 11 A (nouveau) qui précise que l'enseignement de l'éducation civique ainsi que la formation initiale et continue délivrée aux enseignants, doivent intégrer des éléments portant sur l'égalité entre les femmes et les hommes et des actions de sensibilisation aux violences faites aux femmes.

Plus globalement, la loi n'est jamais autant dans son rôle que lorsqu'elle protège le faible contre le fort. Tel est bien l'objet des deux propositions de loi soumises à l'examen du Sénat, puisque, présentées en parallèle, et en « rafale », elles prévoient en faveur des victimes de violences au sein des couples : une nouvelle procédure accélérée, l'aide juridictionnelle, des soins médico-psychologiques à l'agresseur ou son placement sous surveillance électronique, des espaces de rencontres sécurisés, un titre de séjour permettant de travailler, un accès prioritaire au logement social ou universitaire, la formation de tous les personnels susceptibles de leur venir en aide, un contrôle renforcé du contenu des medias, une nouvelle définition du harcèlement de couple, une mobilisation des moyens publics contre les mariages forcés et la confection de plusieurs rapports de contrôle.

Cette énumération suffit à elle seule à justifier la conformité de ces textes au principe de rééquilibrage de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Résultant de l'initiative parlementaire - avec pour l'un d'entre eux, un vote unanime à l'Assemblée nationale - ces textes ne sauraient être, du point de vue politique, affaiblis dans leur portée. Du point de vue technique, leurs dispositions n'ont cependant pas toutes été soumises aux « filtres » juridiques qui entourent la confection des projets de loi : leur insertion harmonieuse dans l'ordre juridique français mérite d'être affinée par la commission des Lois.

Les conditions d'application concrètes de l'ensemble de ces dispositifs de secours, qui relèvent principalement de la solidarité nationale seront à court terme déterminantes. A moyen terme, la mobilisation de leur volet répressif ou curatif doit et peut être réduit par un effort de prévention et d'éducation énergique, global et efficace.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

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