Intervention de Édouard Courtial

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 10 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Audition de M. Edouard Courtial secrétaire d'etat chargé des français de l'étranger

Édouard Courtial, secrétaire d'Etat :

Voila quarante-trois jours que le Président de la République et le Premier ministre m'ont fait l'honneur de me charger des affaires relatives aux Français de l'étranger auprès de M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes.

Voilà quarante-trois jours que je suis constamment au contact des Français de l'étranger, au ministère et surtout sur le terrain, au plus près des réalités. Je me suis d'abord rendu à Maurice pour représenter notre pays à la Conférence de l'Océan indien, puis dans une dizaine de pays. J'effectuerai la semaine prochaine un déplacement aux Etats-Unis.

Mon apprentissage a été rapide. Je me suis expliqué sur des prises de position antérieures qui ne traduisaient pas une bonne approche de ma part, tant en matière de bi-nationalité que de fiscalité. Je n'ajoute rien aux regrets que j'ai présentés. Si j'évoque ce point, ce n'est pas pour raviver inutilement la controverse, mais pour souligner que l'idée qui m'animait reflétait un sentiment assez répandu chez nos compatriotes à l'égard des Français qui ont fait le choix de vivre hors de France.

Car, lorsqu'on demande à nos compatriotes ce qu'ils pensent des Français de l'étranger, ils répondent le plus souvent que ce sont des privilégiés à la vie facile et dorée alors qu'eux sont confrontés aux duretés de l'existence. C'est d'ailleurs aussi l'image que véhiculent les documentaires télévisés sur les diplomates.

Je m'en rends compte chaque jour davantage à la faveur de mes contacts avec les Français que je rencontre lors de mes déplacements. Pour avoir passé plus de la moitié de mon temps hors de France depuis ma prise de fonction, je connais mieux maintenant la réalité des rues de Shanghai, de Manille ou de Port-au-Prince. Elle est bien différente de ce qu'on imagine habituellement.

Dans ce contexte, mon rôle est double : d'abord, faire prendre conscience que les Français de l'étranger font partie intégrante de la nation, qu'ils sont confrontés à des difficultés de vie quotidienne comme tout le monde, avec des contraintes différentes selon le pays où ils vivent. Si vous ouvrez un manuel de géographie sur la France, vous constatez qu'on y parle à peine des Français d'Outre-mer et encore moins des Français de l'étranger. Or, Français de France, Français d'outre-mer et Français de l'étranger forment tous le peuple français. Il serait temps qu'on prenne la mesure d'une situation pourtant évidente à mes yeux.

Je veux ensuite mobiliser les Français de l'étranger autour de l'idée qu'ils sont aux avant-postes de la mondialisation, qu'ils sont aussi des acteurs du développement, du rayonnement et de l'influence de la France. Les Français de l'étranger ne sont pas une poignée d'originaux, à la vie facile, partis au loin courir l'aventure. Ils représentent désormais une masse dont il faut prendre la mesure et définir en leur faveur une véritable politique.

Il y avait au 1er janvier 2010, 1 504 000 inscrits au registre des Français établis hors de France, c'est-à-dire entre deux et deux millions et demi de Français puisqu'une grande partie d'entre eux, pour toutes sortes de raison, ne juge pas utile de se faire connaître de l'autorité consulaire.

Le nombre des Français établis hors de France a augmenté de 14,06 % de 1990 à 2000 et de 50 % de 2000 à 2010. Les conditions de l'expatriation ont considérablement évolué en 50 ans. L'intensification des échanges, les perspectives professionnelles, la possibilité de suivre un cursus universitaire ou une formation hors de France conduisent un nombre croissant de Français à s'expatrier non plus définitivement mais pour quelques années, dans des pays différents, en alternance avec des retours en France. Les séjours à l'étranger se banalisent et deviennent l'élément valorisant d'un curriculum vitae.

Les Français de l'étranger ne sont plus simplement des Français qui vivent hors de France. La vie à l'étranger leur confère un particularisme, variable selon le lieu de résidence. Ce particularisme doit être pris en compte par une intervention interministérielle afin de mettre en place une véritable politique. Ils ont besoin au Gouvernement d'un interlocuteur attentif et privilégié. C'est ce qu'ils me disent lors de mes déplacements car ils ressentent la nomination d'un membre du Gouvernement chargé des Français de l'étranger comme une marque d'intérêt significative à leur égard.

Mon rôle de secrétaire d'Etat chargé des Français de l'étranger ne consiste pas à faire des coups, ni à vouloir attacher mon nom à une loi ou à me lancer dans des réformes qui ne verraient pas le jour avant la présidentielle et les législatives.

En outre, je n'ai que peu de moyens propres. Je n'ai comme soutien administratif que les directions et services du ministère des affaires étrangères, mis à ma disposition, « en tant que de besoin », en particulier la direction des Français de l'étranger et de l'administration consulaire et le centre de crise. Je peux évidemment recourir au concours des services des autres ministères. Mon cabinet comporte le minimum de membres prévu par le Premier ministre, soit six collaborateurs. Je ne dispose d'aucun crédit de fonctionnement propre.

Ma véritable force réside dans mon action de terrain : je veux être un ministre de proximité et agir hors de France, comme je le fais dans ma commune ou ma circonscription, pour avoir une perception directe des préoccupations des Français de l'étranger en allant voir, chez eux, à Wuhan, ceux qui me racontent leur première expérience de l'expatriation, ou à Manille - où aucun ministre français ne s'était rendu depuis 2006 - des jeunes Français qui ont créé une boulangerie, ou à Singapour, les élèves de l'ESSEC. Je rencontre aussi les représentants d'associations, d'entreprises, les sénateurs et les membres de l'Assemblée des Français de l'étranger mais aussi les consuls, les consuls généraux et leurs collaborateurs dont je salue la très haute qualité. Je m'attacherai à préserver leurs moyens, afin qu'ils puissent travailler dans de bonnes conditions parmi leurs compatriotes, leur apporter des services administratifs mais aussi contribuer à maintenir un lien social, un lien avec leurs racines, avec leur culture, avec en définitive, leur civilisation.

Tous ces contacts me servent à établir un état des lieux et à travailler pour l'avenir. La sécurité, la protection sociale et les aides à la scolarité sont les trois préoccupations majeures de nos compatriotes. J'ai d'ailleurs tenu à les faire figurer comme telles dans mon décret d'attributions. Publié hier au Journal officiel, ce texte met l'accent de façon explicite sur le rôle qui m'est attribué au sein du Gouvernement, sous l'autorité du ministre d'Etat.

A ces trois grands chapitres, je souhaite ajouter des champs d'actions prioritaires : je veux dresser un état général de toutes les dispositions juridiques applicables aux Français de l'étranger. Résider hors du territoire national ne leur confère aucun privilège et ne les soustrait à aucun de leurs devoirs, mais ne les écarte pas non plus du bénéfice des droits reconnus à tout Français. Cependant, peu de textes spécifiques leur sont consacrés. Dans la plupart des cas, ils sont inclus dans le champ d'application de textes plus généraux.

En second lieu, je veux avoir une meilleure approche de la vie et des préoccupations des Français dans les grandes régions du monde, en m'appuyant sur l'AFE. J'ai d'ailleurs demandé à ses membres de me faire parvenir les propositions de simplifications administratives qui, à coût constant, dépoussiéreraient certaines formalités ou procédures. Je sais que la Commission européenne a déjà travaillé sur ces sujets et je lui demanderai d'établir un panorama de la vie des Français dans les pays de l'Union en mettant en évidence les difficultés.

Je souhaite aussi travailler en tables rondes géographiques lors des sessions de l'AFE. Une première expérience de ce genre, une table ronde « Europe », a été menée à l'occasion de la session plénière de septembre.

En troisième lieu, nous devrons réfléchir à des politiques d'ensemble, notamment en matière sociale.

A l'écoute de tous les Français de l'étranger, je veux être celui qui porte leurs préoccupations au sein du Gouvernement. Je souhaite avoir une action interministérielle concrète en travaillant directement avec mes collègues pour trouver des pistes et des solutions afin de faciliter la vie de nos compatriotes expatriés.

J'ai annoncé à l'AFE que j'avais une ambition pour les Français de l'étranger : je souhaite qu'ils s'affirment en France et dans le monde. L'année prochaine, la participation électorale aux deux grandes échéances démocratiques sera déterminante. En votant, les Français de l'étranger enverront un message à la Nation. Ils diront leur fierté de faire ce geste civique et républicain, ils diront qu'ils ont conscience de faire partie d'une même et seule nation en dépit de leur éparpillement sur la surface du globe, ils diront qu'ils sont chacun une parcelle du peuple français. Au-delà des résultats proprement dits, c'est-là que réside à mes yeux un des véritables enjeux de 2012.

Je souhaite aussi mobiliser leur énergie, leur force et leur dynamisme au service de la France dans le contexte de la globalisation économique. J'ai en mémoire deux phrases prononcées devant des communautés françaises, la première par le Président de la République, à Washington, le 6 novembre 2007 : « Je veux vous dire une chose : on a besoin de vous. Votre pays a besoin de vous parce qu'ici vous êtes au contact du monde ». La deuxième, par le Premier ministre, à Abidjan, le 14 juillet dernier : « Chaque Français doit se souvenir que la France est une grande Nation, mais que cette grandeur n'existe pas sans effort et sans vertu individuelle. Chacun de nous doit se demander ce qu'il peut faire pour son pays, parce que son avenir ne dépend pas seulement de l'Etat ou des responsables politiques, il dépend aussi du courage, du civisme, de la générosité qui doivent inspirer chaque individu ».

Ces deux citations orientent ma réflexion.

Les Français de l'étranger ressentent directement les vibrations du monde. Au contact de réalités, profondément différentes de la France métropolitaine ou d'outre-mer, ils voient le monde et la France avec un regard particulier, sous un angle plus aigu et plus critique, relativisant et replaçant à leur juste proportion les événements de la vie. Avec le recul qu'impose l'éloignement, mais confrontés au mouvement du monde, ils mesurent et soupèsent avec lucidité les forces et faiblesses de la France.

Si les Français de l'étranger sont une force, cette force doit être mobilisée. Mais il faut également leur montrer que la France les apprécie et compte sur eux : nous devons les valoriser et non pas les stigmatiser en faisant d'eux des nantis. L'étranger n'est pas un Eldorado, c'est un champ de compétition où il faut être excellent pour réussir car la confrontation avec un univers différent est, au départ, une source de difficultés plus qu'un avantage.

C'est à cette prise de conscience collective que je veux oeuvrer. (Applaudissements à droite)

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