Intervention de Guy Fischer

Réunion du 17 juillet 2008 à 15h00
Démocratie sociale et temps de travail — Exception d'irrecevabilité

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Cette conception d’une économie au service des hommes, qui se construit par solidarité et non dans l’opposition, qui se construit sur le collectif et non sur l’individuel, nous la nommons société de progrès.

Avec ce projet de loi, vous voudriez poursuivre votre politique de déstructuration, faisant comme si l’économie et le social étaient pour le moins dissociables ou, pis, comme si le social devait reculer devant l’économie. Les exigences sont pourtant celles de la construction d’une société de partage et de solidarité, d’une société qui protège les droits et les développe. Tel était le sens du préambule de 1946.

Le projet de loi dont l’examen nous réunit aujourd’hui est, vous en conviendrez, à mille lieues des préoccupations des constituants de 1946. Il est même contradictoire avec l’esprit des rédacteurs du préambule, notamment avec le cinquième alinéa de celui-ci, qui instaure une forme de démocratie sociale que vous avez, par vos pratiques, scandaleusement méprisée.

Comme si de rien n’était, vous trahissez les organisations syndicales signataires de la position commune sur le principal engagement.

On avait déjà pu observer votre sens très particulier du dialogue social lors de la discussion du projet de loi portant modernisation du marché du travail, et encore avec les pressions exercées sur les organisations syndicales lors de l’élaboration de l’accord national interprofessionnel, l’ANI.

En réalité, monsieur le ministre, vous soufflez constamment le chaud et le froid, décidez quand débute et quand se conclut une négociation, décidez des sujets sur lesquels elle portera et des conclusions qui en découleront.

Cette conception du dialogue social propre à votre gouvernement donne d’ailleurs des ailes à votre majorité, puisqu’a été adopté un amendement déposé par un député UMP tendant à insérer un alinéa qui précise que les organisations syndicales déterminent avec les employeurs les sujets devant faire l’objet de négociation.

Il est tout de même assez inique de demander à l’employeur l’autorisation d’entamer une négociation !

Ce projet de loi semble même contradictoire avec les déclarations du candidat-Président qui, découvrant les usines et Jaurès, disait vouloir reconnaître et encourager la France qui « se lève tôt » !

Votre projet de loi, ne vise qu’à asseoir la suprématie de l’économie sur les besoins humains, et nous vous démontrerons en présentant cette motion, comme dans la suite de nos débats, combien cette loi est un outil supplémentaire entre les mains du patronat – il s’ajoute à une panoplie de six outils existants – pour la flexibilité.

Pour valider votre discours de culpabilisation des salariés, vous faites des salariés aux 35 heures les responsables de l’appauvrissement de la France sous prétexte qu’ils ne travailleraient pas assez.

Avec cet habile écran de fumée, vous évitez un vrai débat sur la politique industrielle de notre pays, sur l’absence d’investissements nouveaux, sur les politiques de trappes à bas salaires qui se généralisent, sur l’institutionnalisation de la précarité et sur la recherche perpétuelle des moindres coûts.

Demain, les salariés seront contraints de négocier individuellement non seulement leur contrat de travail – nous sommes là au cœur de votre projet : l’individualisation de la négociation –, mais aussi leur rémunération – nous l’avons vu avec les contrats de portage –, l’organisation et la durée de leur travail et, pourquoi pas, leurs droits à la protection sociale ! Avec vous, c’en est fini de notre société de solidarité et d’égalité.

Ainsi, de manière insidieuse, vous satisfaites à une demande ancienne et récurrente du patronat et du MEDEF : mettre fin à toute conception collective du travail pour renvoyer la relation de travail à la seule relation individuelle entre employeur et salarié.

Dans cette relation très déséquilibrée, nous le savons tous, le salarié est toujours perdant !

Il est tout de même contradictoire d’annoncer vouloir renforcer le dialogue social, tout en utilisant tous les moyens possibles pour marginaliser les organisations syndicales dans les entreprises ! Car, personne n’ignore que le syndicalisme se construit précisément sur l’exigence de défense collective d’intérêts qui, collectifs, le sont tout autant.

Nous aurons l’occasion de le dire au cours de nos débats, ce projet de loi témoigne d’un recul considérable. Vous mettez officiellement, et insidieusement, fin à la durée légale du travail. Jusqu’alors, le progrès social était à la diminution de la durée légale du temps de travail, considérant que le temps de repos était tout aussi noble que le temps de travail ; considérant que le temps de repos était une contrepartie légitime à la force de production offerte par le travailleur et au savoir-faire mis à disposition par le salarié ; considérant enfin qu’il permettait l’épanouissement de la vie familiale.

Mais, aujourd’hui, notre pays prend le chemin du recul social. Vous ne faites pas mystère de votre volonté d’allonger considérablement la durée légale de cotisations pour ouvrir droit à la retraite.

Vous dites vouloir généraliser les heures supplémentaires, comme si cela se décrétait.

Mais, pire encore, avec la directive européenne, vous portez la durée du temps de travail à douze heures par jour, autant dire un recul considérable si l’on compare cette directive avec la loi du 23 avril 1919, dite loi des « 8 heures » qui, comme son nom le laisse deviner, avait limité la durée maximale du travail quotidien à huit heures par jour.

La loi, vous la voulez pour servir l’économie et non plus pour satisfaire les besoins humains et sociaux. Elle est un outil de dérégulation, alors même que les constituants de 1946 et de 1958 l’ont élaborée comme une protection des plus faibles.

La généralisation à tous les salariés des forfaits en jours ou en heures s’inscrit dans cette démarche de minoration des besoins humains. Vous ne voulez plus d’une loi générale et applicable à tous qui fasse écran aux exigences démesurées des employeurs.

Je voudrais vous rappeler une récente étude qui indique que l’amplitude horaire d’une journée de cadre varie entre onze heures et treize heures de travail par jour. Vous savez que de telles conditions de travail suscitent de plus en plus de réactions de la part des cadres. Le lien et la qualité de la relation entre le cadre et l’employeur se distend, on l’a vu chez Renault, au cours de ces dernières années et de ces derniers mois. Et à quel prix !

Mais qu’importe le stress au travail, les cadences infernales, les suicides sur les lieux de travail ! Vous n’en avez cure ! Ce qui importe c’est de répondre, encore et encore, aux diktats de l’économie libérale qui exige toujours plus de « disponibilité », c'est-à-dire toujours plus de précarité.

Ainsi, les cadres pourront demain effectuer pas moins de 282 jours de travail sur 365. Faites le calcul, retirez les 52 jours de week-end, le 1er mai et les 30 jours de congés payés, et c’en est fini des jours de RTT ! C’est la consécration d’un fameux slogan, mais légèrement modifié: « Travailler plus, pour gagner pareil et s’user au travail » !

Et votre gouvernement, qui est très inégalitaire dés lors qu’il s’agit de partager les richesses – je vous renvoie à la loi TEPA, d’août 2007 – se découvre une fibre égalitariste dés lors qu’il s’agit de partager les mauvais coups, puisque cette déréglementation sauvage s’imposera à tous les salariés disposant d’une réelle autonomie.

Vous créez une nouvelle catégorie de salariés, ces derniers cumulant les inconvénients, flexibilité imposée, charge de travail importante, pression accrue, et ne percevant pas le seul avantage auquel ils auraient droit, une rémunération accrue, corollaire légitime de ce que vous nommez « réelle autonomie » !

Mais il y a plus. Outre l’individualisation, avec ce projet de loi, vous inversez également la hiérarchie des normes. Ce qui était jadis l’exception – l’accord individuel ou la convention d’entreprise – vous en faites la règle. Aujourd’hui, on ne soupçonne pas encore toutes les conséquences que cela aura.

Et, inversement, ce qui était la règle, les accords de branche et les conventions collectives, vous en faites l’exception. Cette inversion des normes ne vise, ni plus ni moins, qu’à instaurer une forme de dumping social interne, sans compter que la suppression de la référence aux accords de branche étendus est un véritable élément de dumping social cette fois européen.

Ne tentez pas de nous faire croire que les salariés auront quoi que ce soit à gagner dans cette concurrence entre entreprises !

Le marché du travail est tel que ce ne sont plus les salariés qui font valoir leurs droits, ce sont les employeurs qui imposent leurs exigences. Et il ne fait pas de doute, que, profitant de cette inversion des normes, le patronat parviendra toujours à s’organiser pour proposer le moins-disant, le moins favorable aux salariés, comme il sait faire s’entendre les patrons pour proposer les offres les moins intéressantes aux consommateurs. Quand il s’agit de gros sous, on peut leur faire confiance !

En généralisant les forfaits en jours et en heures à tous les salariés, en augmentant le contingent annuel d’heures supplémentaires, en individualisant les relations de travail et en inversant la hiérarchie des normes, vous prenez le contresens, de ce qui pour nous est fondamental : le préambule de la Constitution de 1946.

Celui-ci dessinait une société de progrès pour tous. Vous construisez au contraire une société de précarité généralisée. Vous entrez en contradiction non pas seulement avec une norme constitutionnelle, mais bien avec l’esprit constitutionnel tout entier. Votre nom, monsieur le ministre, restera attaché à cette réforme !

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