Intervention de Jean-Patrick Courtois

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 21 octobre 2009 : 1ère réunion
Conférence de stockholm relative à la lutte contre le crime organisé et la traite des êtres humains — Communication

Photo de Jean-Patrick CourtoisJean-Patrick Courtois :

a indiqué que, dans le cadre de la présidence suédoise de l'Union européenne, la commission de la justice du Parlement suédois avait invité ses homologues des vingt-six autres Etats-membres et des pays candidats à participer à une conférence sur la lutte contre le crime organisé, et plus particulièrement à la question de la lutte contre la traite des êtres humains. Il a rappelé qu'il s'agissait d'une rencontre du type de celle qui avait été organisée au Sénat, sous la présidence de M. Jean-Jacques Hyest, en septembre 2008. Il a précisé que les représentants de vingt-et-un parlements nationaux, ainsi que du Parlement européen et de la Croatie, pays candidat à l'entrée dans l'Union européenne, étaient présents à cette conférence qui a eu lieu à Stockholm les dimanche 11 et lundi 12 octobre 2009 et au cours de laquelle il avait représenté la commission des lois du Sénat, tandis que M. Guy Geoffroy représentait la commission des lois de l'Assemblée nationale.

a rappelé que la tenue de cette conférence s'inscrivait dans le cadre des réflexions qui accompagnent l'élaboration du programme pluriannuel de Stockholm (2010-2014), qui doit, en matière de construction d'un espace de justice, liberté et sécurité, prendre la suite du programme de La Haye (2004-2009). Il a indiqué que ce programme de Stockholm, qui devrait être adopté par le Conseil européen des 10 et 11 décembre prochains, préciserait les orientations de l'Union européenne pour les cinq prochaines années en matière, d'une part, de construction d'un espace de sécurité (avec un accent mis sur la coopération policière entre Etats-membres), d'autre part, d'immigration et d'asile (mise en oeuvre du Pacte européen sur l'immigration et l'asile), et, enfin, de coopération judiciaire civile et pénale.

a indiqué que M. Thomas Bodström, président de la commission de la justice du Parlement suédois, avait introduit la conférence en exprimant le souhait que le programme de Stockholm parvienne à un équilibre entre, d'une part, l'adoption de dispositifs permettant de lutter efficacement contre la criminalité organisée, et, d'autre part, la préservation des droits des individus, faisant notamment référence à la question de la protection des données personnelles ainsi qu'aux droits du prévenu à bénéficier d'une défense publique.

a ensuite évoqué l'intervention d'un représentant de la Commission européenne, M. Jakub Boratynski, chef de l'unité « lutte contre le crime organisé » à la direction Justice et affaires intérieures : après avoir rappelé que le traité de Lisbonne permettrait de donner une force contraignante à la Charte des droits fondamentaux, ce dernier a relevé que, si chacun s'accordait sur la nécessité de lutter contre le crime organisé, la question de l'équilibre entre l'efficacité des dispositifs adoptés et le respect des droits des individus révélait néanmoins des sensibilités très différentes d'un Etat-membre à un autre. Cet intervenant a notamment cité en exemple les réticences de l'Italie, fortement marquée par son passé fasciste, à l'adoption d'un dispositif autorisant les témoins anonymes.

reprenant les éléments relevés par ce représentant de la Commission européenne, a par ailleurs indiqué que tous les rapports des Etats-membres montraient que la criminalité liée à la traite des êtres humains était en plein essor, et que, de plus en plus, elle était le fait d'organisations criminelles fortement structurées, ce qui est relativement nouveau. Il a noté qu'il s'agit d'un trafic qui nécessite beaucoup moins d'infrastructures que celui de la drogue ou celui des armes, et dont les recettes sont facilement recyclées dans d'autres activités criminelles (comme l'adoption illégale par exemple). Il a également mentionné les liens que ces organisations entretiennent avec d'autres organisations criminelles, citant l'exemple de la Camorra qui utilise les prostituées comme indicateurs.

Face à l'essor de cette criminalité, M. Jean-Patrick Courtois a rappelé que la Commission européenne avait proposé, en mars 2009, une proposition de décision-cadre tendant, notamment, à rapprocher les législations en matière de répression de la traite et à octroyer aux victimes un certain nombre de droits inaliénables. Il a indiqué que ce texte tendait à mettre la victime au coeur du dispositif afin de lutter contre le phénomène de « victimisation secondaire », cette expression décrivant les risques encourus par une victime qui porte plainte ou accepte de témoigner dans une procédure. Il a également rappelé que le Gouvernement français apportait tout son soutien à la Commission européenne et à la présidence suédoise pour faire aboutir cette proposition de décision-cadre.

De façon plus générale, M. Jean-Patrick Courtois a indiqué que la Commission européenne soutiendrait tous les efforts tendant à améliorer le recours aux équipes communes d'enquête et à renforcer Europol et Eurojust, qu'elle proposait d'ores et déjà de faciliter les contacts entre les procureurs des différents Etats-membres de l'Union européenne et qu'elle faciliterait toutes les initiatives tendant à renforcer la confiance mutuelle entre les polices et justices des Etats-membres.

a fait observer que l'intervention de ce représentant de la Commission européenne avait été suivie de débats assez riches, qui avaient permis de mettre en lumière les divergences qui existent entre les différents Etats-membres sur ces questions. D'un coté, il a fait référence aux interventions de parlementaires néerlandais ou espagnols se prononçant en faveur d'un renforcement de la coopération entre les polices des Etats-membres ainsi que d'un rapprochement des systèmes juridiques de ces derniers. Il a également indiqué que M. Guy Geoffroy, député, avait évoqué la question de la création d'un Parquet européen. D'un autre coté, il a observé que des parlementaires britanniques avaient estimé que la Convention européenne des Droits de l'Homme était une norme commune suffisante en Europe, que les systèmes juridiques des Etats-membres étaient et demeureraient très différents les uns les autres, et que des instruments tels que le mandat d'arrêt européen ou les bases de données communes pouvaient, certes, présenter un intérêt certain mais qu'ils ne devaient être utilisés que dans le strict respect du principe de proportionnalité.

Enfin, M. Jean-Patrick Courtois a fait référence à l'intervention de M. Guy Geoffroy, député, lequel a indiqué que l'Assemblée nationale avait voté une proposition de loi permettant de faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, insistant sur l'efficacité de ce type de dispositifs pour lutter contre les organisations criminelles. M. Jean-Patrick Courtois a expliqué que, selon les informations communiquées par le représentant de la Commission européenne, cette question de la saisie et de la confiscation des avoirs figurait parmi les priorités de cette dernière, qui procédait actuellement à un réexamen de la législation existante. Elle entamera en 2010 sur ce sujet des discussions qui pourraient aboutir, si une adaptation de la législation s'avère nécessaire, à une proposition de décision-cadre.

a indiqué que le reste de la matinée avait été consacré à des échanges de vues sur le délicat équilibre entre efficacité de la prévention et de la répression du crime organisé, d'une part, et respect des droits fondamentaux, d'autre part, et que les intervenants s'étaient globalement accordés pour considérer que la conciliation de ces deux objectifs passait par un renforcement de la procédure pénale et des garanties offertes aux mis en cause comme aux témoins.

Puis, M. Jean-Patrick Courtois a abordé la seconde partie de la conférence, consacrée à la question plus spécifique de la lutte contre la traite des êtres humains, qui concernerait, selon les estimations les plus fiables, environ 500 000 femmes, enfants et hommes chaque année dans l'Union européenne. Sur ce point, il a indiqué que la Commission européenne souhaitait mettre l'accent sur la prévention de ce type de trafics, et qu'elle avait proposé, de façon non contraignante, que les Etats-membres puissent compléter leur législation par des dispositions pénalisant les utilisateurs de services sexuels, à l'exemple de la législation suédoise. Il a précisé que cette question avait donné lieu à des échanges de vues assez tranchés entre les différents participants. En effet, un certain nombre de pays, dont la Suède, estiment que la lutte contre la traite des êtres humains va de pair avec la lutte contre la prostitution. M. Jean-Patrick Courtois a rappelé que, depuis 1999, la législation suédoise punit de six mois d'emprisonnement et d'une forte amende les acheteurs de services sexuels, ces derniers étant considérés comme soutenant, par le seul fait de faire appel aux services de prostituées, les organisations criminelles qui se livrent à la traite des femmes. D'après la police suédoise, cette loi aurait eu un impact significatif sur le nombre de prostituées, qui aurait fortement diminué en dix ans, permettant ainsi à la Suède de ne plus être considérée comme un marché intéressant pour les organisations criminelles. A contrario, M. Jean-Patrick Courtois a fait référence aux réactions de certains parlementaires, qui ont fait remarquer que ce type de législation ne faisait qu'accroître le risque de voir se développer une prostitution clandestine, encore plus dangereuse pour les femmes qui en sont victimes, ainsi que des phénomènes de tourisme sexuel à la frontière des Etats adoptant ce type de législation. Il a également fait référence à l'intervention d'un député luxembourgeois, pour lequel la prostitution ne se résume pas à la seule question de la traite des femmes. Enfin, il a indiqué que des parlementaires italiens avaient mis en doute l'efficacité de dispositifs réprimant les clients de prostituées dans la lutte contre les organisations criminelles se livrant à la traite des femmes, estimant par ailleurs qu'il n'était pas cohérent de pénaliser le client et non la prostituée elle-même.

a néanmoins constaté que tous les Etats-membres étaient concernés par la traite des êtres humains, qu'ils soient pays d'origine, pays de transit ou pays de destination, et que la nécessité de renforcer la coopération entre les autorités des différents Etats-membres pour lutter contre ce type de trafics avait fait l'objet d'un accord unanime entre les participants.

a conclu en estimant que cette conférence avait permis des échanges de vue assez intéressants, même si peu de propositions concrètes avaient émergé du fait de la divergence des opinions qui s'étaient exprimées. Il a insisté sur le fait que de telles conférences permettaient de prendre la mesure de l'évolution des mentalités et des positions des différents parlements nationaux sur des sujets qui intéressent directement la commission des lois.

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