Intervention de Adrien Gouteyron

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 juin 2008 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire — Action culturelle à l'étranger - communication

Photo de Adrien GouteyronAdrien Gouteyron, rapporteur spécial :

a rendu compte de son contrôle sur pièces et sur place de l'action culturelle à l'étranger. Il a indiqué que ce travail succédait à un grand nombre de rapports, dont celui de son collègue Louis Duvernois rédigé, en 2004, au nom de la commission des affaires culturelles, intitulé « Pour une nouvelle stratégie de l'action culturelle extérieure de la France : de l'exception à l'influence ».

a jugé qu'une démarche « lolfienne » d'évaluation de la performance et de l'efficience de notre activité culturelle à l'étranger était aujourd'hui nécessaire. Il a rappelé qu'il avait fait adopter, au cours des dernières années, plusieurs amendements relatifs à l'action culturelle à l'étranger et qu'après ces différentes initiatives, il avait souhaité conduire une approche plus globale.

a expliqué par ailleurs qu'un article de l'édition européenne du « Time magazine » sur la mort supposée de la culture française l'avait conduit à s'interroger sur notre « rayonnement culturel ». Il a donc effectué des déplacements dans un échantillon de pays et de villes, où il y a eu traditionnellement un « appétit de culture française » : Tokyo, Kyoto, Buenos Aires, Hambourg, Varsovie, Le Caire, New York, San Francisco, et a organisé une vingtaine d'auditions au Sénat, avec les administrations, mais aussi et surtout avec des personnalités culturelles, qui l'ont amené aux constats suivants.

Tout d'abord, contrairement à une idée largement répandue, nous consacrons des moyens très substantiels à l'action culturelle, scientifique et universitaire à l'étranger, de l'ordre de plus d'1 milliard d'euros en 2007.

a indiqué que la tendance actuelle n'étant pas de regrouper l'ensemble de ces crédits sur une seule mission, mais au contraire de les répartir sur un nombre croissant de budgets : l'audiovisuel extérieur (20 % du total) a ainsi été intégré dans une holding et sorti du périmètre du Quai d'Orsay. De son point de vue, ce phénomène correspond à un problème de légitimité du ministère des affaires étrangères dans le pilotage stratégique de l'action culturelle à l'étranger.

Il a insisté sur deux questions :

- tout d'abord, les crédits sont très importants par rapport à nos partenaires européens. La France disposait ainsi en 2007 de 60 centres culturels dans les pays développés, et de 85 dans les pays émergents ou en développement, auxquels il faut ajouter des instituts, soit un total de 145 centres ou instituts. 220 alliances françaises sont dirigées par un agent de l'Etat expatrié et 255 autres alliances françaises bénéficient de financements plus modiques de la part de nos postes à l'étranger. Si l'on considère que 158 pays accueillent une ambassade française à l'étranger, on parvient à 3,9 centres culturels ou alliances françaises par pays où nous sommes présents.

Il a précisé que les alliances françaises étaient autofinancées, comme les centres culturels l'étaient parfois, mais de manière très variable.

a tenu à mettre en perspective ces données avec le budget total de l'institut Cervantès, subventionné à 88,7 % par l'Etat espagnol (89,4 millions d'euros en 2007). Il a indiqué qu'en Allemagne, un montant de 680 millions d'euros était consacré en 2008 à l'action culturelle à l'étranger, dont 180 millions d'euros pour les instituts Goethe, 117 millions d'euros pour les écoles, et 120 millions d'euros pour la coopération universitaire. De même, le British Council dispose de 183 millions de livres en 2006-2007.

Il en a conclu que la France se situait dans les mêmes ordres de grandeur que ses partenaires, pour le budget des centres culturels. Il a observé que notre pays s'enorgueillissait d'avoir le premier réseau culturel au monde : mais certains de nos partenaires (Espagne par exemple), qui n'avaient pas la même antériorité, étaient en croissance, alors que la France vivait la tendance inverse. Elle était revenue de 173 centres culturels en 1996 à 144 en 2008.

s'est alors interrogé sur les résultats de l'action culturelle à l'étranger, par nature difficiles à évaluer.

S'il n'est pas évident de qualifier « le rayonnement culturel français aujourd'hui, » comme celui d'ailleurs de la plupart des autres cultures, il a jugé que la France n'était ni en déclin, ni, ce que de nombreux diplomates appelaient, par autosatisfaction, « une puissance économique moyenne et une hyperpuissance culturelle ».

Il a précisé que quelques chiffres appelaient à plus de « modestie » : si le cinéma français est « la première cinématographie mondiale en termes de marché à l'export » après la cinématographie américaine, au Royaume-Uni, sa part de marché est de 1,8 % en 2007, contre 67 % pour le cinéma américain et 28,5 % pour le cinéma britannique. Aux Etats-Unis, la France représente 50 % des films étrangers, mais seulement 2 % du marché en 2006.

Il a expliqué que la langue française continuait à être parlée dans le monde entier, mais qu'elle était, soit enseignée le plus fréquemment, et même en Europe, en troisième langue, (après l'anglais et une grande langue régionale), soit comme une « langue de niche », grâce à d'excellentes sections bilingues. En revanche, il a jugé que dans les pays non francophones, il y avait un tassement général, voire un repli inquiétant en Europe et en Afrique du Nord-Moyen Orient. 9 % des élèves scolarisés apprenaient le français dans les pays non francophones d'Europe en 1994, contre 6 % en 2002.

Enfin, il a rappelé qu'il existait un contraste entre l'ouverture internationale de la scène artistique française et la faible présence des artistes français à l'étranger. Ainsi, entre 2001 à 2005, aucun artiste français contemporain n'a bénéficié d'une exposition monographique au MOMA de New York, à la Tate Modern de Londres, au Stedeljik Museum d'Amsterdam ou à la Hamburger Bahnhof de Berlin, sur la quinzaine d'expositions monographiques en moyenne dédiées à des artistes contemporains non nationaux par chacune de ces institutions. S'agissant des collections permanentes, il a constaté qu'en 2005, la Tate Modern n'exposait qu'un seul artiste de la scène française contemporaine, tandis que le Centre Reina Sofia n'en exposait que deux, parmi la cinquantaine (Tate Modern) ou la trentaine (Reina Sofia) d'artistes contemporains non nationaux. Les indicateurs synthétiques montrent des résultats équivalents : le nombre des artistes français classés au sein des 100 premiers artistes du « Kunst Kompass » diminue encore entre 2000 et 2006, revenant de 5 à 4 artistes.

Il a considéré que notre action culturelle à l'étranger ne pouvait prétendre qu'à une responsabilité marginale dans ses résultats. Elle n'a évidemment pas une part déterminante dans les succès de « La môme » à l'étranger, ou de Michel Houellebecq, mais pas davantage non plus dans les insuccès de certains de nos auteurs à l'étranger. S'il a souligné l'absence d'impact déterminant du réseau, il n'en a pas pour autant conclu qu'il était inutile, évoquant par exemple l'audience indéniable de RFI ou TV5.

Il a indiqué qu'il faudrait mesurer la valeur ajoutée de ce réseau : les tableaux de bord étaient absents dans nos postes à l'étranger. Ainsi, l'évolution du nombre d'inscrits aux cours de langue dans nos centres culturels n'est pas connue au-delà d'une antériorité de deux à trois ans.

a remarqué que notre réseau culturel à l'étranger fonctionnait « à l'aveugle », et s'est interrogé sur le rôle stratégique du ministère des affaires étrangères dans ce domaine, sur le métier de conseiller culturel et l'adaptation du « modèle centre culturel » à notre temps. Il a noté qu'il n'avait pas trouvé de modèle étranger très pertinent.

Il a expliqué que le contraste entre les moyens publics consacrés au soutien à la création en France et son rayonnement à l'étranger trouvait pour une part sa source dans un « Yalta » remontant à André Malraux : au ministère de la culture la culture en France ; au ministère des affaires étrangères le monopole de la culture à l'étranger. Malgré quelques modifications, cette distinction demeure ce qu'il a considéré comme « déraisonnable » : la politique culturelle française à l'étranger n'est pas une variante de la diplomatie française, et doit être une partie intégrante de la politique nationale de soutien à la création et à la diffusion culturelles.

Ce constat est encore plus évident en ce qui concerne l'internationalisation des universités, et le développement de leurs programmes d'échange d'étudiants et de chercheurs.

L'action culturelle étant d'abord un service rendu à la création française, il en découle plusieurs conséquences.

Il faut en premier lieu envisager trois visions stratégiques émanant de trois pilotes distincts, s'agissant de l'enseignement supérieur (pour les universités), de la recherche (pour la recherche) et de la culture (pour l'action artistique et les industries culturelles).

Il a fait valoir que la direction de la coopération scientifique, universitaire et de recherche de la direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) « doublonnait » avec la direction des relations internationales du ministère de l'enseignement supérieur, par ailleurs très active. Il a souhaité que le monopole de la direction de la coopération culturelle et du français soit aménagé par une montée en puissance du ministère de la culture.

Il a appelé à créer les agences CulturesFrance et CampusFrance vraiment interministérielles, avec un pilotage paritaire et a considéré que l'on n'avait pas besoin aujourd'hui de deux politiques d'extraduction (traduction du français vers l'étranger), l'une gérée par le ministère de la culture, l'autre par le ministère des affaires étrangères et européennes. Il faut rationaliser les résidences d'artistes : le ministère des affaires étrangères et CulturesFrance en gèrent certaines à l'étranger, le ministère de la culture administrant de son côté, avec son budget, la Villa Médicis. Il a donc proposé une politique unique des résidences d'artistes, avec une réflexion globale sur les artistes que la France soutient, sur les pays où il faut désormais les envoyer, et une seule autorité de tutelle : CulturesFrance.

S'il a admis que les conseillers culturels à l'étranger restent rattachés au quai d'Orsay, il a appelé à une sélection conjointe de ces personnels par le ministère des affaires étrangères et européennes et à un rattachement des conseillers de recherche et des attachés universitaires directement auprès de l'ambassadeur.

Il a regretté que la fonction de conseiller culturel n'ait jamais été considéré comme un vrai métier : les titulaires de ces postes sont le plus souvent des autodidactes, certes de grande qualité, et les formations prévues sont insuffisantes : 5 jours, sans aucun contact avec des représentants de métiers du livre, du cinéma, de l'audiovisuel, que les conseillers culturels ont pourtant pour mission d'épauler à l'international. Il a donc souhaité une professionnalisation du métier de conseiller culturel.

Il a regretté que les actions culturelles à l'étranger parviennent difficilement au-delà du premier cercle de nos ambassades : les partenaires habituels, les personnes francophones, les amoureux de la France, etc. Il a appelé à toucher ceux qui ne connaissaient pas notre pays et sa culture, et à faire donc preuve de souplesse dans les partenariats.

a considéré que le rôle des conseillers culturels était à la fois modeste et essentiel. Ils ne sont pas eux-mêmes des créateurs et n'ont pas vocation à monter une programmation culturelle, mais il faut les laisser agir dans leur domaine, les soutenir financièrement, et vérifier que nos services ne développent pas une action concurrente sur les mêmes fonds publics.

Les conseillers culturels doivent être des « passeurs culturels », et mettre en relation les institutions et industries culturelles de notre pays avec celles du pays qui accueille leur action.

Il a fait part de ses doutes quant à l'intérêt des « centres culturels », notamment dans les pays de l'OCDE, où il existait déjà des industries culturelles et des institutions artistiques puissantes. En Afrique francophone, son analyse est complètement différente, car ces centres sont souvent la seule institution culturelle de référence.

s'est inquiété que les grands pays occidentaux, et en particulier en Europe, confondent centre culturel français et présence culturelle : on peut avoir une présence culturelle, avec un conseiller artistique dynamique, sans aucun centre.

Les Allemands, Américains ou Japonais ont le même mode de consommation culturel que les Français : ils ne viennent pas dans nos centres culturels, dont les salles d'exposition sont inadaptées, et les salles de spectacle de petite taille, mais dans leurs lieux culturels habituels, où il faut programmer de la culture française, au sens large. Il a aussi souhaité que les intellectuels soient plus présents dans les universités ou dans les medias que dans les centres culturels français.

Il a donc appelé à une politique « hors les murs ».

S'agissant des employés locaux des centres culturels, au nombre de 3.400, il a précisé qu'ils ne rentraient pas dans le plafond d'emploi du ministère et que leur masse salariale était très dynamique, car il y avait eu dans les débuts des années 2000 des recrutements importants. Comme pour tout opérateur, les effectifs des centres culturels entrent désormais dans le plafond d'emploi prévu par la LOLF, ce qui donnera plus de liberté aux gestionnaires pour les redéploiements d'effectifs.

a indiqué qu'il était conscient que les préoccupations d'efficience pourraient encore conduire à la fermeture de plusieurs centres culturels. Cela ne doit pas être dramatisé, en particulier par les communautés françaises à l'étranger, et par les syndicats, car il s'agit du moyen de redéployer des crédits vers des « actions hors les murs », plus efficaces.

Enfin, il a souhaité préciser les priorités géographiques en matière culturelle vers les pays prescripteurs : Etats-Unis, Japon, Chine, Royaume-Uni (en ce qui concerne par exemple l'industrie musicale), Allemagne (en pointe par exemple dans le domaine des arts plastiques). Il a jugé qu'il y aurait des redistributions d'enveloppes à opérer entre pays africains, en fonction de nos priorités culturelles. De la même manière, en Europe, il a relevé un tropisme italien : si l'on ajoute les enveloppes de la Villa Médicis à celles du conseiller culturel à Rome, on parviendrait à des montants sans proportion avec les budgets alloués aux autres pays européens : il faut donc combattre « l'héliocentrisme » culturel français.

Un débat s'est ensuite engagé.

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