Intervention de André Vantomme

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission aide publique au développement programmes 110 et 209 - examen du rapport pour avis

Photo de André VantommeAndré Vantomme, co-rapporteur pour avis :

Mon collègue Christian Cambon vous exposera les principales évolutions de la mission Aide publique au développement. Pour ma part, j'analyserai l'effort global de la France en faveur du développement.

Cet effort est retracé dans les annexes du projet de loi de finances, dans le document intitulé « document de politique transversale » dont nous reparlerons.

Avant cela, je voudrais dire qu'après l'adoption par le Gouvernement du document-cadre, dont nous avons débattu en séance publique, le 4 novembre dernier, le budget de la coopération doit désormais s'inscrire dans cette stratégie.

La version finale de cette stratégie a intégré un cadrage budgétaire par zones géographiques que nous avions réclamé. Je m'en félicite. Ce n'est d'ailleurs pas la seule préconisation qui a été retenue. Je crois pouvoir dire que le travail que nous avons effectué à porté ses fruits.

Les cibles de répartition de l'aide bilatérale française prévues par le document-cadre sont les suivantes :

- 60 % pour l'Afrique subsaharienne, dont 50 % des subventions pour les 14 pays pauvres prioritaires ;

- 20 % pour les pays méditerranéens ;

- 10 % au plus pour les pays émergents ;

- et 10 % pour les pays en crise.

Je regrette, en revanche, que les documents budgétaires n'aient pas intégré ces cibles dès cette année. Telle qu'elle figure dans le document de politique transversale, la présentation du budget de l'aide au développement ne permet pas de comprendre si la programmation budgétaire se situe dans l'épure de la stratégie.

Je vous propose donc de demander à ce que le document de politique transversale qui accompagne le bleu budgétaire soit revu cette année pour y intégrer ces indicateurs.

J'en viens à l'évolution globale de l'effort français en faveur du développement.

Le projet de loi de finances pour 2011 et le triennat 2011/2013 prévoient une stabilisation des crédits de l'aide au développement.

Dans le contexte actuel de diminution globale de 10 % des crédits d'intervention, c'est un résultat plutôt satisfaisant qui dénote un effort pour préserver les crédits de la coopération. Mais cet effort ne permettra pas à la France d'atteindre, en 2015, un taux d'effort de 0,7 % du revenu national brut. Les projections jusqu'en 2013, où le taux d'effort devrait se situer entre 0,41 % et 0,49 %, montrent clairement que nous n'atteindrons pas 0,7 % en 2015. Pour le dire autrement, il est improbable que l'APD française passe de 10 milliards en 2013 à 17 milliards en 2015. Il faut savoir que la fin d'une vague d'annulation de dettes et le début des remboursements des très nombreux prêts consentis ces dernières années vont mécaniquement diminuer notre APD déclarée.

Pour la petite histoire, ces projections n'étant pas réjouissantes, l'administration des finances a jugé qu'il valait mieux ne plus faire figurer le taux d'effort français dans les projections budgétaires du document de politique transversale.

Je vous propose de souligner qu'un indicateur de politique publique ne doit pas disparaître ou apparaître selon que son évolution est jugée favorable ou non.

À un moment où la France préside le G20 et souhaite miser sur une diplomatie d'influence, à un moment où la France se veut initiatrice de politiques publiques mondiales en matière de santé ou de climat, cette situation n'est pas satisfaisante. Comme l'a souligné le comité pour l'aide au développement de l'OCDE, qui a effectué ce qu'on appelle la revue à mi-parcours de la France, nous aurions dû établir, dès 2007, une feuille de route budgétaire qui nous aurait permis de définir une stratégie crédible pour arriver à notre objectif. C'est ce qu'a fait la Grande-Bretagne qui ne manque pas d'ailleurs de le faire savoir dans les sommets internationaux, comme en septembre à l'ONU.

Cet engagement n'est pas le seul engagement que la France a pris ces dernières années, toutes majorités confondues. Nous retraçons dans le rapport écrit l'ensemble des engagements pris par la France. Le bilan, pour être pudique, est très inégal. Mais il faut voir que nous nous sommes globalement engagés pour des milliards que nous n'avons pas. C'est une habitude qui a été prise. Elle va finir par nuire à la crédibilité de notre parole.

Cette année encore, la France, par la voix de son Président, s'est engagée :

- à augmenter de 420 millions les dépenses de lutte contre le réchauffement climatique, c'était à Copenhague ;

- de consacrer 100 millions additionnels à la lutte contre la mortalité infantile et maternelle, c'était à Muskoka en juin ;

- d'augmenter de 60 millions d'euros notre contribution au fonds Sida, c'était à New York en septembre.

C'est une chance que l'année ne fasse que douze mois...

Dans une période de restrictions budgétaires, ces promesses ne sont pas faciles à financer. Et d'ailleurs, nous le verrons, il n'est pas facile de retrouver leur trace dans le budget.

Un mot sur la composition de notre aide : nous déclarons à l'OCDE 9 milliards d'aide au développement. Sur ces 9 milliards, 18 % sont des dépenses qui ont un rapport très indirect avec l'aide au développement. Nous le soulignons chaque année. La France respecte globalement les règles de l'OCDE, mais a une interprétation large de ces règles qui fait l'objet de critiques récurrentes.

Je ne vais pas vous abreuver de chiffres, mais il y a 600 millions déclarés au titre de l'accueil des étudiants étrangers, 200 millions au titre de l'accueil des réfugiés, 400 millions au titre des dépenses en faveur de Mayotte et Wallis et Futuna. Il faut espérer qu'en 2011 nous arrêterons de déclarer les dépenses en faveur du département français de Mayotte au titre de la coopération internationale.

L'effort en faveur du développement que nous déclarons est également très marqué par le poids des annulations de dettes qui constituent, selon les années, 10 à 30 % de notre APD.

Enfin, il faut souligner la part croissante des prêts qui représentait en 2009 un milliard d'euros. C'est une somme qui a doublé depuis 2008 et qui correspond aux engagements croissants de l'AFD sous forme de prêts, en particulier dans les pays émergents. L'AFD intervient aujourd'hui à 87 % sous forme de prêts. Il faut savoir que les prêts sont comptabilisés en APD lors de leur engagement et soustraits de notre aide lors du remboursement. Si on se fixe comme objectif d'atteindre les 0,7 % par des prêts, il faut toujours prêter plus qu'on ne nous rembourse et, à long terme, c'est un mécanisme sans fin et c'est bien sûr insoutenable.

Tous ces éléments pour vous dire que l'APD, telle qu'elle est déclarée par l'OCDE, est un indicateur très approximatif de l'aide qui est réellement disponible dans les pays du Sud pour financer des projets de développement.

De ce point de vue, je vous propose de demander à ce que, dans le document de politique transversal, figure la notion d'aide programmable qui comptabilise les crédits qui font l'objet d'un pilotage effectif par le Gouvernement. Cela permettrait d'avoir une vision plus fidèle de l'évolution des crédits de coopération, au-delà de la stricte mission APD, mais en deçà de l'APD déclarée.

Quelques mots sur les grands équilibres de notre aide et d'abord sur l'équilibre entre aide bilatérale et aide multilatérale. Comme vous le savez, la France s'est engagée, depuis une dizaine d'années, dans une montée en puissance de notre aide multilatérale afin de peser sur la programmation des grandes institutions que sont la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, le Fonds européens de développement ou le Fonds Sida.

Ces institutions ont une légitimité, une neutralité politique, des compétences et des capacités financières sans commune mesure avec les nôtres. Dans une certaine mesure, cette stratégie a été payante. Nous avons infléchi la programmation de ces grands fonds vers l'Afrique mais, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises, ce mouvement est allé trop loin. Comme le budget de la coopération n'a pas augmenté de façon significative, la croissance du multilatéral s'est faite au détriment du bilatéral, réduisant considérablement les moyens des agences de l'AFD et des ambassades. De ce point de vue, le budget pour 2011 marque une volonté de redressement qu'il faut souligner. La part de l'aide bilatérale devrait passer de 56 % en 2009 à 64 % en 2012. Je crois qu'il faut s'en féliciter.

Le deuxième équilibre qu'il convient de surveiller est celui qui concerne la part des dons et des prêts. Ces dernières années, la part des dons a eu tendance à diminuer considérablement.

L'ensemble des subventions de l'aide bilatérale est ainsi passé de 2005 à 2009 de 440 millions d'euros à 300 millions d'euros. Parallèlement, le montant des prêts a été multiplié par 4 ou 5. On prévoit que ces derniers passeront de 450 millions en 2008 à 2,5 milliards en 2013.

En soi, le recours à des prêts bonifiés permet d'optimiser la dépense publique. Ils permettent de financer des projets de développement important pour un coût budgétaire limité. C'est ce qu'on appelle l'effet de levier. À partir du moment où on ne contribue pas à ré-endetter des pays qui viennent de sortir d'un processus douloureux de désendettement, le recours aux prêts permet une politique d'influence adaptée aux pays intermédiaires ou aux pays émergents.

En revanche, la diminution des dons est en contradiction avec nos objectifs de concentration sur l'Afrique subsaharienne et sur les 14 pays prioritaires de la coopération française. C'est pour cela que, lorsqu'on regarde précisément les crédits budgétaires consacrés à ces pays, on s'aperçoit qu'ils diminuent de 2005 à 2009.

De ce point de vue, le budget pour 2011 apporte une légère amélioration puisque le redressement de l'aide bilatérale s'effectue au profit de l'aide aux projets, à hauteur de 68 millions, sur le programme 209.

La répartition géographique de notre aide n'évolue, quant à elle, pas de façon très favorable, puisque la part de l'Afrique subsaharienne dans l'aide bilatérale française est passée entre 2005 et 2009, de 54 % à 47 %. On observe la même chose sur les 14 pays qui sont pourtant dits prioritaires. Cette évolution est un peu moins défavorable si l'on prend l'effort budgétaire puisque l'Etat a poursuivi son objectif de concentration de 60 % de l'effort budgétaire sur l'Afrique subsaharienne. Mais, globalement, il faut veiller à ce que cette priorité soit bien maintenue. C'est le coeur de notre coopération, ce sont à la fois les pays qui en ont le plus besoin et où notre influence peut être la plus forte. On a été étonné de voir qu'au Mali, l'ancien « Soudan français », nous sommes maintenant le 10è bailleur de fonds.

Cela sera un des enjeux de la renégociation du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. Je vous rappelle que, lorsque nous avons adopté la loi sur l'action extérieure de l'Etat, nous avons indiqué, à l'article 1er, que les projets de conventions des établissements publics concourant à l'action extérieure avec l'Etat seront soumis, pour avis, aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Je vous propose de le rappeler lors du débat et de nous saisir du projet de convention en cours de négociation.

Un dernier mot sur les documents budgétaires qui nous sont fournis. Comme vous avez pu le constater, les principaux équilibres relatifs à ces politiques concernent la répartition géographique de l'aide, l'équilibre entre l'aide bilatérale et multilatérale, la répartition entre les dons et les prêts, l'équilibre entre l'aide programmable et les dépenses non programmables.

On ne retrouve pas ces données dans le document de politique transversale qui accompagne chaque année le projet de loi de finances. Aujourd'hui, dans ce document, sur 88 pages, il y a 65 pages de description des 23 programmes qui concourent à l'APD qui n'apportent pas grand-chose, 10 pages d'annexes plus intéressantes, dont deux seulement contiennent des informations vraiment pertinentes. On pourrait se fixer comme objectif d'inverser les proportions entre les parties intéressantes et celles qui le sont moins.

Je vous propose donc de demander au Gouvernement une refonte de ce document pour y intégrer un suivi des objectifs du document-cadre et les indicateurs que je viens de vous citer. C'est un élément important du contrôle du Parlement.

Je laisse la parole à mon ami et collègue co-rapporteur, Christian Cambon, et je vous donnerai ensuite mon sentiment sur l'ensemble de la mission.

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