Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 novembre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission aide publique au développement programmes 110 et 209 - examen du rapport pour avis

Photo de Christian CambonChristian Cambon, co-rapporteur pour avis :

J'en viens aux crédits de la mission Aide publique au développement, qui regroupe 35 % de l'effort de la France en faveur du développement dont André Vantomme vient de parler. Ce n'est que 35 %, mais ce sont là les crédits sur lesquels les pouvoir publics ont une marge de manoeuvre et effectuent des arbitrages géographiques et sectoriels. Ce sont les 35 % stratégiques.

Comme vous le savez, cette mission comporte trois programmes de taille inégale :

- le programme 110, qui est géré par le ministère des finances, qui constitue un tiers des crédits de la mission ;

- le programme 209, qui est le programme géré par le ministère des affaires étrangères, qui comprend 60 % des crédits de la mission ;

- et le programme 301, mis en oeuvre par le ministère de l'immigration, qui ne représente que 1 % des crédits de la mission.

Je ne vais pas vous présenter l'évolution des crédits programme par programme, parce que c'est ennuyeux et parce qu'à vrai dire les deux principaux programmes, le programme 110, dont le responsable administratif est le directeur du trésor, que nous avons entendu, et le programme 209, qui relève du directeur de la mondialisation que nous avons également entendu, ne se distinguent, ni par leurs objectifs, ni par leur zone géographique d'intervention, ni par les instruments utilisés. Ces programmes correspondent à une répartition historique par ministère. Je préfère vous présenter les choses de façon plus thématique.

Je voudrais d'abord évoquer l'ensemble du budget qui diminue à périmètre constant de 0,16 %. Autrement dit, il est stable dans un contexte où la majorité des missions diminue de 10 %.

Cette sanctuarisation des crédits de la mission APD constitue une exception qui mérite d'être soulevée.

Comme l'a indiqué mon collègue André Vantomme, à budget constant, le projet de loi de finances 2011 prévoit une diminution des contributions multilatérales et une augmentation des subventions au titre de l'aide bilatérale.

La diminution du « multilatérale » se traduit par une baisse de la contribution à la Banque mondiale de 70 millions d'euros, une diminution de notre contribution au FED d'une centaine de millions. L'impact de cette réduction pourrait être cependant limité par l'augmentation annoncée de notre contribution au fonds Sida de 60 millions d'euros par an.

Nous participons déjà à hauteur de 300 millions d'euros par an à ce fonds, dont nous sommes le deuxième contributeur. Cette augmentation de 60 millions d'euros n'est pas inscrite dans ce budget. Il est indiqué qu'elle pourrait être financée par la taxe sur les billets d'avion qui, aujourd'hui, contribue au fonds Unitaid en faveur de l'achat de médicaments. En l'état de nos connaissances, de deux choses l'une : soit on prend une part de financement de l'Unitaid pour la verser au fonds Sida, soit on augmente la taxe sur les billets d'avion. Dans le contexte actuel de crise économique, le produit de cette taxe a diminué au cours des deux dernières années. On peut se demander, dès lors, s'il est opportun d'alourdir le prélèvement sur les billets d'avion. Il s'agit d'une taxe qui va de 4 à 40 euros par billet. Je vous propose de demander au ministre ce qu'il en est.

Par ailleurs, du point de vue de la santé publique, la lutte contre le sida ne doit pas faire oublier les autres maladies et, en particulier, les maladies qui sont à l'origine du niveau de mortalité infantile particulièrement élevé de certains pays en voie de développement. Je vous rappelle qu'au Mali, où nous avons été en mission avec André Vantomme, dans ses 5 premières années, un enfant malien à 50 fois plus de risques de mourir qu'un enfant né en France. Or, les principales maladies à l'origine de ces décès sont la pneumonie et la diarrhée qui ont un impact 20 fois supérieur au Sida et 3 fois supérieur au Paludisme. Cela aurait été sans doute moins visible, mais peut être plus pertinent de mettre l'accent sur ces maladies.

En ce qui concerne le FED, la diminution de la clé de répartition nous permet de diminuer notre contribution de 900 millions à 800 millions d'euros jusqu'en 2013.

À partir de cette date, la France souhaite que le FED soit budgétisé au sein de l'Union européenne. Cette budgétisation permettrait une plus grande cohérence avec les autres instruments de la politique européenne de développement. Elle permettrait un plus grand contrôle par le Parlement européen de ses dépenses. Il faut bien prendre conscience que cette budgétisation se traduira pour nous par la disparition du contrôle du Parlement sur cette contribution. En effet, ces dépenses rentreront dans le prélèvement sur recettes au profit de l'Union. Ce prélèvement n'affecte pas les dépenses à des actions particulières. Il reviendra alors entièrement au Parlement européen et à la Commission européenne de déterminer le montant des contributions au Fonds européen du développement. Cela ne doit pas nous empêcher de réclamer cette année encore une évaluation du partenariat entre le France et le FED.

Plus largement, sur la politique européenne de développement, je voudrais insister sur le fait que celle-ci doit servir de catalyseur à une association plus étroite des politiques de coopération des Etats-membres.

À un moment où l'ensemble des finances publiques européennes sont en difficulté, plus que jamais, il nous faut favoriser des programmations conjointes entre les Etats-membres et avec les agences de l'Union européenne. On ne peut plus continuer à avoir 27 politiques de coopération, plus celles de l'Union, faisant plus ou moins les mêmes choses, dans les mêmes pays. Il y a des expériences pilotes dans ce domaine qui mettent en application une division du travail en fonction des avantages comparatifs de chacun. Au Mali, par exemple, nous avons constaté que les principaux partenaires européens étaient prêts à adopter une programmation conjointe où, selon les secteurs, il y a un chef de file qui met en oeuvre, non seulement ses crédits, mais également les crédits que les autres pays souhaitent consacrer à ce secteur. La France et l'AFD sont des éléments moteurs de cette politique. Je crois qu'il faut les soutenir.

En ce qui concerne nos contributions aux Agences des Nations unies, on constate une très forte diminution des contributions volontaires qui ont baissé de 38 % depuis 2008. Le projet de loi de finances pour 2011 prévoit une nouvelle baisse de 12,9 % et une très forte concentration des crédits sur le PNUD, sur le Haut Comité aux réfugiés et sur l'Unicef. Nos contributions volontaires représentent aujourd'hui moins de la moitié des contributions japonaises ou américaines et deux tiers des contributions anglaises. Que les organes des Nations unies puissent être critiqués, qu'il y ait eu par le passé un saupoudrage critiquable, qu'il y a là une sorte de jungle institutionnelle qui gagnerait à une RGPP internationale, j'en suis convaincu, mais nos contributions sont arrivées à un niveau inquiétant pour la place de la France dans les enceintes des Nations unies.

Voilà pour ce qui est des crédits multilatéraux. S'agissant de l'aide bilatérale, qui représente en gros 1 milliard d'euros sur les deux programmes, soit 0,01 % du budget de l'Etat, je rejoins complètement ce qu'a dit André Vantomme sur la nécessité de concentrer les subventions sur les pays d'Afrique subsaharienne et sur les secteurs sociaux, et de réserver nos interventions sous forme de prêts aux pays plus avancés et au secteur productif.

De ce point de vue, nous avons eu une discussion tout au long de l'année avec l'AFD et avec le ministère des affaires étrangères pour savoir s'il était normal que la Chine soit, en 2008, le sixième Etat bénéficiaire des prêts bonifiés. Il nous a semblé que les bonifications devraient être réservées à ceux qui en ont le plus besoin. Un rapport de la Cour des comptes vient également de le relever. Le document-cadre prévoit un plafonnement des engagements dans les pays émergeants à 10 %. Je crois que nous avons été entendus.

Cela ne doit pas empêcher l'AFD d'intervenir avec des prêts non bonifiés en Chine. Mais une réflexion doit s'engager sur la nature de l'intervention de l'AFD dans les pays émergents et ses résultats. Dans des pays comme l'Inde ou la Chine, les besoins de financement sont tellement considérables que les montants susceptibles d'être engagés par l'AFD semblent dérisoires pour espérer avoir une influence sur les modèles de développement de ces pays et leur faire adopter une croissance plus sobre en carbone. Il faut savoir quels sont les objectifs que poursuit concrètement l'AFD dans ces pays. Est-on encore dans l'aide au développement ? Dans de l'aide au commerce extérieur ? Dans une diplomatie d'influence ? Avec quels résultats ? Nous aurons l'occasion d'étudier cette question au cours de la session. C'est assurément une des questions que nous poserons lorsque nous aurons à étudier le contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD.

En ce qui concerne les dons pour des projets de développement, on observe un certain redressement puisque la ligne « dons-projets » du programme 209 augmente de 18 % pour s'établir à 390 millions d'euros.

A quoi vont servir ces crédits ? Ils vont d'abord servir à financer des projets instruits par l'AFD dans les domaines des infrastructures, de l'eau, de l'urbanisme et de l'agriculture. Ce sont ce type de projets que nous avons vus au Mali. Il s'agit d'un objectif de lutte contre la pauvreté et de promotion de la croissance. Ils vont ensuite à des pays en crise. Il est prévu 15 millions pour la zone Afghanistan-Pakistan et 20 pour Haïti. Il s'agit d'aider ces pays à rebâtir des infrastructures.

Ils vont enfin à des projets instruits par des ONG : 45 millions sont prévus à cet effet, ou par des collectivités territoriales : 9 millions sont prévus pour compléter les financements des collectivités locales à destination de projets de coopération décentralisée.

AFD, ONG, collectivité territoriale, nous avons là les principaux acteurs de notre coopération bilatérale.

Parmi les objectifs de cette coopération, on notera, dès cette année, une montée en puissance des crédits consacrés à la lutte contre le réchauffement climatique. 150 millions viendront abonder la mission en provenance de deux nouveaux comptes d'affectation spéciale qui recevront le produit de la vente de nos quotas carbones. Nous contribuons, par ailleurs, à deux fonds pour l'environnement. Je crois qu'il est important de dire que nous ne devons pas reproduire en matière de préservation des biens publics mondiaux la même « jungle institutionnelle » que nous connaissons en matière d'aide au développement. C'est un enjeu de l'agenda international, car depuis Copenhague, nous sommes à la recherche d'un compromis sur la création d'une architecture internationale en charge de la préservation de l'environnement. Sur ce sujet, je compte également interroger le ministre sur le caractère additionnel de nos dépenses. Nous avons en effet pris, dans le cadre des accords de Copenhague, des engagements à hauteur de 420 millions par an dont nous avions compris qu'ils devaient être additionnels. Or on les retrouve ici comptabilisés au titre des 0,7 %. Le ministre nous donnera des précisions sur ce qu'il faut entendre par « additionnels ».

Au-delà de la question des crédits budgétaires, un mot du projet de financements innovants qui est une des priorités de la présidence française du G20 pour souligner la dimension politique de ce projet.

Asseoir le financement des politiques d'aide au développement sur une ressource fiscale mondialisée, c'est jeter les bases d'une politique publique de redistribution à l'échelle mondiale, une redistribution fondée sur la taxation d'activités qui bénéficient de la mondialisation, vers ceux qui n'en profitent pas ou peu. C'est aussi une façon de mieux répartir l'effort en faveur de l'APD. En effet, aujourd'hui, l'Europe représente 30 % du PIB mondial et 60 % de l'APD mondiale. Un financement assis sur les transactions permettrait de réduire ce déséquilibre. C'est un projet vraiment intéressant. Même s'il est présenté à Paris comme un moyen de faire oublier que nous ne serons pas en mesure d'honorer nos engagements pour le 0,7 %, il faut savoir qu'à New-York et à Tokyo, ces financements ont toujours été présentés et ne seront acceptés que comme des financements additionnels par rapport à 0,7 %.

Au-delà des crédits, il y a les résultats. Le sommet de septembre à l'ONU a permis de faire le point et de voir que les politiques menées ont obtenu sur le terrain des résultats encourageants. On parle des échecs, on parle des détournements, il faut être lucide sur tout cela, mais il faut aussi voir les résultats et les évaluer. Nous avons beaucoup insisté sur l'évaluation des résultats au cours de l'année avec le ministère des affaires étrangères. On nous dit : c'est complexe. C'est vrai. Mais l'aide au développement n'a pas le monopole de la complexité. Nous en sommes redevables devant les citoyens et les contribuables. Des outils, des organismes, des évaluations existent. La question, c'est tout autant la difficulté d'évaluer que la difficulté d'en tirer les leçons et d'adapter nos instruments en fonctions des résultats. Le précédent ministre nous avait proposé de nous associer à un exercice d'évaluation de l'ensemble de la politique de coopération. Il faudra répondre présent, c'est bien là une des fonctions du Parlement.

Il y aurait d'autres sujets à aborder. C'est un domaine passionnant, mais je ne voudrais pas abuser de votre temps.

Sur l'ensemble du budget, je vous propose de l'adopter dans la mesure où il manifeste la prise en compte des orientations que nous avions souhaitées sur un certain nombre de points. Alors, évidemment, nous aurions souhaité que la France soit plus riche et le déficit moindre. Mais, dans le contexte actuel, c'est un bon budget. Mais je laisse à mon collègue Vantomme le soin de donner son point de vue et d'éventuellement nuancer mon propos.

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