Monsieur le rapporteur, je mesure la qualité de votre réponse, et je ne vous ferai pas le reproche de proposer une ouverture au bénéfice d’une profession particulière.
Toutefois, je profite de cette intervention pour souligner qu’aucun d’entre nous n’accepterait une organisation aussi restrictive dans la sphère politique. Jean-Pierre Godefroy l’a rappelé à l’instant, et je crois que tout le monde, ici, partage son avis.
Naturellement, les responsabilités des uns et des autres ne sont pas les mêmes. Ceux qui ont décidé de suivre la position commune en entérinent progressivement toutes les dispositions, ce qui est logique. Je comprends également – ne tournons pas autour du pot ! – que certains syndicats aient intérêt à ce que cette position commune soit appliquée ; je le reconnais d’ailleurs d’autant plus volontiers que je suis proche de l’une des organisations qui l’a approuvée.
Cela dit, je voudrais relever deux points.
Tout d'abord, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que la profession de journaliste soit si particulière que ceux qui l’exercent, lorsqu’ils défendent leurs intérêts catégoriels, incarnent des valeurs plus élevées que, par exemple, les travailleurs du service public.
Je rappelle que le syndicat des journalistes se trouve chargé de défendre les intérêts professionnels de ses membres, et non la liberté de la presse ! De celle-ci, nous sommes tous comptables, et, à maints égards, ceux qui ne travaillent pas pour les médias la défendent souvent mieux que les salariés qui exercent ces métiers, parce qu’ils ne subissent pas les mêmes sujétions.
L’argument de la spécificité de cette profession ne me semble donc pas devoir être retenu, sauf au sens où celle-ci dispose pour se faire entendre, disons-le franchement, de moyens que d’autres n’ont pas ! §Pour justifier cette différence, il est inutile de produire des théories qui, finalement, ne nous grandissent pas.
Ensuite, nous butons pour la deuxième fois sur la difficile articulation de la démocratie sociale et de la démocratie politique.
Je n’aime pas l’expression « démocratie sociale » et je ne la comprends pas : la démocratie ne peut être réduite au champ social ; elle s’étend à la société politique tout entière ou elle n’a aucun sens ! En réalité, on veut opposer ici la logique du contrat et celle de la loi, qui reposent sur des raisonnements différents.
Le législateur délibère en vue de l’intérêt général, et la loi s’applique à chacun parce qu’elle est décidée par tous ; mes chers collègues, nous représentons la tierce partie qui se trouve exclue de l’accord contractuel, c'est-à-dire la société tout entière.
En revanche, dans la relation contractuelle, deux parties seulement s’entendent, et l’accord auxquelles elles parviennent peut se révéler le mieux à même d’assurer la paix sociale tout en étant absurde par rapport à l’idée que nous nous faisons de l’organisation de la société !
Nous tombons sans cesse sur cette difficulté, qui est encore en cause ici. En tant que législateurs, nous n’avons rien à dire sur le pluralisme syndical ; nous y serions plutôt favorables, mais là n’est pas la question. De toute façon, nous sommes contraints par la position commune.
Nous devons réfléchir à ce problème, car c’est la deuxième fois en quelques semaines que nous sommes saisis d’un texte visant à valider une position commune des syndicats. Nous ne pourrons plus nous contenter de slogans et considérer la démocratie sociale comme un bienfait pur et constant pour la démocratie politique, parce que telle n’est pas la vérité !
Ce n’est pas sans raison que nos lointains prédécesseurs ont estimé – je regrette que ce soit à moi de le rappeler ! – que la catégorie du citoyen était plus élevée que celle du prolétaire et comportait, si j’ose dire, une dimension eschatologique.
C’est là toute la différence entre la République, qui instaure le citoyen en l’extrayant de l’humus de ses appartenances, et d’autres systèmes où ce sont les catégories sociales qui font la loi. Cette dernière conception n’est pas conforme à l’idée républicaine !