Intervention de Roselyne Bachelot-Narquin

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 janvier 2010 : 2ème réunion
Pandémie grippale h1n1 — Audition de Mme Roselyne Bachelot-narquin ministre de la santé et des sports

Roselyne Bachelot-Narquin :

Souhaitant replacer l'éthique au coeur du débat, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a noté qu'au printemps 2009, tous les spécialistes recommandaient la vaccination, à l'exception du professeur Marc Gentilini qui, à partir d'une analyse mondiale, critiquait non pas le principe de la vaccination mais les moyens à lui affecter.

Trois stratégies vaccinales ont été mises en oeuvre à travers le monde : la Pologne, par exemple, a souverainement décidé de ne pas vacciner sa population ; une deuxième catégorie de pays a choisi de proposer la vaccination à une partie seulement de la population : l'Allemagne, l'Italie ou encore l'Espagne ; enfin, une troisième catégorie, dans laquelle se range la France, aux côtés de la Suède, des Etats-Unis, du Royaume-Uni et du Canada, a opté pour un dispositif permettant d'assurer une protection à toute la population.

Le Royaume-Uni avait commandé 130 millions de doses, soit 2,1 par habitant, le Canada 51 millions de doses, soit 1,55 par habitant et les Etats-Unis voulaient commander 600 millions de doses, ce qui excédait la capacité de production des laboratoires. La commande par la France de 94 millions de doses, soit 1,46 dose par habitant, n'avait donc rien d'extravagant. Après résiliation, cette commande est ramenée à 44 millions de doses, soit 0,68 dose par habitant.

Les contrats d'acquisition des vaccins ont été négociés âprement et leur résiliation le sera dans le même souci des intérêts de la collectivité nationale.

Au niveau national, les meilleurs spécialistes ont participé à cette négociation. Outre l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), en charge de la passation des contrats, elle a été conduite avec le concours des experts de l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et du président du comité économique des produits de santé (CEPS), Noël Renaudin.

Au niveau européen, le refus commun opposé par les Etats membres, à l'initiative de la France, à la demande initiale des industriels de faire supporter par les Etats la responsabilité du fait d'éventuels produits défectueux a permis d'aboutir à un partage équilibré des responsabilités, ce qui n'a pas été le cas, par exemple, aux Etats-Unis. La responsabilité assumée par l'Etat est celle des dommages résultant des effets secondaires liés à une vaccination réalisée dans le cadre de la campagne qu'il conduit. Il est, en revanche, regrettable de n'avoir pu susciter une stratégie d'achats mutualisée et coordonnée : le désordre européen dans le processus global de négociation a finalement coûté cher. Les laboratoires ont négocié avec chaque Etat et les Etats ne donnaient pas d'information à leurs partenaires, même si des contacts fructueux mais trop ponctuels ont pu avoir lieu avec certains ministres européens. En l'absence de position commune ou d'achats mutualisés, les pays de l'Union européenne n'ont pas eu de stratégie coordonnée, d'autant que les laboratoires ont fait valoir que la rapidité de la transaction était une des garanties de la rapidité relative des livraisons.

a ensuite rappelé les fondements du choix effectué par le gouvernement français, qui est d'abord un choix éthique, déterminé par l'attachement aux valeurs d'égalité et de solidarité.

Selon l'avis n° 106, du 5 février 2009, du comité consultatif national d'éthique relatif à la survenance d'une pandémie grippale, la protection était due, au titre de l'égalité, à toute la population, la priorisation de certains groupes exposés ou vulnérables étant la réponse, qui ne pouvait être que provisoire, à la contrainte de ne pas disposer tout de suite d'assez de doses de vaccin. Le choix des produits et la définition de leurs conditions d'utilisation ont été effectués suivant les indications de l'Afssaps et de l'agence européenne du médicament. Les recommandations du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ont également été suivies pour déterminer une stratégie vaccinale adaptée.

Le HCSP, dans ses recommandations du 27 août 2008, avait établi que le vaccin était le meilleur moyen de protection contre la grippe en termes d'efficacité et de coût. Il apparaissait donc essentiel de disposer aussi rapidement et en quantité aussi importante que possible de vaccins afin d'assurer la couverture de la totalité de la population.

Le 26 juin 2009, le HCSP a confirmé la pertinence du recours à la vaccination contre le virus A (H1N1) et il a fait, le 7 septembre, une proposition de priorisation des populations à vacciner. Cet avis a été suivi par le Gouvernement et a guidé l'organisation de la campagne de vaccination.

Les commandes de vaccins réalisées au début de l'alerte pandémique, auprès de quatre industriels, représentaient un total de 94 millions de doses. Cette quantité correspondait, dans le cadre du schéma vaccinal à deux injections annoncé par les scientifiques et les industriels pharmaceutiques, à la protection de la population avec un taux d'attrition de l'ordre de 25 % et elle prenait en compte la probabilité qu'une injection pourrait être suffisante pour les sujets âgés de plus de soixante-cinq ans.

L'achat de 94 millions de doses correspondait donc à la prise d'un risque mesuré. Pour la couverture de 100 % de la population, une tranche conditionnelle avait été prévue avec les laboratoires Novartis et Sanofi-Pasteur. La France s'est ainsi donné les moyens d'un combat solidaire. Ce choix peut être discuté, mais il est pleinement assumé, dès lors qu'il a été fait en conscience et éclairé par l'analyse des experts.

La justice impliquait également d'appréhender la question de l'accès aux soins et d'éviter toute discrimination. Dans le souci d'évaluer, jusqu'au dernier moment, la nécessité de la campagne de vaccination, un nouvel avis a été demandé au HCSP avant son lancement. Le 2 octobre 2009, celui-ci a confirmé que l'accès à la vaccination devait être offert in fine à toute la population. Il a également souligné que, même si des travaux préliminaires témoignaient de l'efficacité d'une seule dose pour un des vaccins, il fallait envisager un schéma à deux injections.

Le schéma vaccinal à une dose restait, en effet, une hypothèse très fragile au début d'octobre. A la fin du mois, l'Afssaps soulignait encore la nécessité de disposer des résultats des essais cliniques relatifs à la stabilité dans le temps de la protection développée par le vaccin : face à un virus nouveau et imprévisible, le passage à une seule injection supposait des essais cliniques robustes. Ce n'est qu'au cours du mois de novembre que, peu à peu, les données se sont consolidées, et le 20 novembre, les autorisations de mise sur le marché ont été adaptées à un schéma vaccinal à une injection pour les adultes. Seule cette mesure, prise par l'agence européenne du médicament, permettait, en toute sécurité, de modifier nos orientations.

Evoquant les polémiques auxquelles a donné lieu la gestion de la pandémie grippale, Mme Roselyne Bachelot-Narquin s'est interrogée sur la remise en cause de l'analyse des experts, dont la vocation n'est pas d'exagérer les menaces, redoutant que l'on en arrive à ne se fier qu'à la rumeur ou à des informations fantaisistes. Dès le début de l'épidémie et tout au long de la crise, elle s'est entourée de l'avis des meilleurs spécialistes - virologues, épidémiologistes, infectiologues, neurologues, etc. - dans un souci constant de pluridisciplinarité et de collégialité, et dans celui de ne pas être « instrumentalisée » par des analyses isolées ou, pire, partisanes.

En outre, à sa demande, le Gouvernement n'est pas passé au stade 6 du plan « pandémie grippale », et le dispositif de réponse à la crise a été rééchelonné en permanence, en liaison avec le ministère de l'intérieur et parfois en se démarquant des décisions de l'OMS.

En ce qui concerne la stratégie d'utilisation des excédents potentiels, quatre options ont toujours été défendues : le don, la revente, le stockage stratégique de certains composants de vaccins et l'aménagement des contrats.

Les reventes seront sans doute peu importantes car les laboratoires, dont c'est le métier, sauront commercialiser leurs produits.

La résiliation des contrats pour les doses encore non livrées et donc non payées est un autre élément de cette stratégie. La résiliation unilatérale des contrats administratifs est une prérogative de puissance publique, que l'autorité administrative peut exercer même en l'absence d'une stipulation contractuelle expresse. Dans le cas présent, cette résiliation a pu s'appuyer sur un motif évident d'intérêt général. De plus, l'on est passé d'un schéma vaccinal à deux doses par personne à une injection unique.

Les négociations avec les laboratoires pharmaceutiques sont en cours et se poursuivent pour déterminer le niveau de la compensation qui leur sera notifiée par l'Etat. Contrairement à certaines affirmations publiées dans la presse, ces négociations ne portent absolument pas sur l'élaboration d'un quelconque schéma « partenarial » de long terme avec les laboratoires sous la forme de droits de tirages complémentaires. Il ne pourra s'agir que d'une simple indemnisation, dont le montant final n'est pas encore arrêté.

A titre de comparaison, les autorités allemandes se sont engagées à recevoir et à payer 68 % de la commande initiale, soit trente-quatre millions de doses sur les cinquante millions commandées de façon ferme.

La France a, pour sa part, résilié la commande de cinquante millions de doses de vaccins : trente-deux millions pour GlaxoSmithKline (GSK), onze millions pour Sanofi Pasteur et sept millions pour Novartis. Pour les neuf millions de doses du vaccin Humenza de Sanofi Pasteur commandées, cette résiliation a été faite sans dédit. En effet, l'autorisation de mise sur le marché (AMM) de ce vaccin serait intervenue à une date beaucoup trop tardive. En revanche, l'autre produit commandé à cet industriel français, le vaccin Panenza, a été livré dans les temps, voire avec une légère avance. Il faut, en outre, souligner que tous les vaccins livrés, au vu des résultats connus de la pharmacovigilance, sont des produits de santé sûrs et efficaces.

Enfin, la lutte contre une pandémie grippale ne saurait se limiter à la seule vaccination. Si le nombre des décès a été, à ce jour, relativement limité, les nombreuses actions engagées ont concouru à ce résultat, tels les mesures barrière, la mise en oeuvre des mesures d'isolement, les traitements antiviraux des malades et des sujets à risque ou le développement de la vaccination anti-pneumococcique qui a bénéficié à plus de 300 000 patients, soit six fois plus que les autres années. Par ailleurs, l'observation des formes graves de grippe survenues dans l'hémisphère sud a conduit à renforcer les équipements de lutte contre les atteintes pulmonaires les plus graves : cent respirateurs très spécialisés et trente-quatre appareils d'oxygénation extra corporelle ont été acquis et répartis dans les principales unités de réanimation, et ont permis de sauver des vies.

En conclusion, Mme Roselyne Bachelot-Narquin a rappelé que le choix de l'égalité, excluant la pénurie des moyens et la pratique délétère du passe-droit, a été le fondement de la politique suivie. Pour la première fois, la mise en oeuvre d'une vaccination a pu intervenir avant le pic pandémique. L'absence de recours aux centres de vaccination et l'exigence de vaccins monodoses auraient coûté deux mois de délai : la campagne de vaccination aurait alors démarré en janvier 2010 au lieu de novembre 2009, c'est-à-dire après le premier pic épidémique.

S'il n'y avait qu'une leçon à tirer des crises pandémiques récentes, c'est qu'aucune pandémie ne ressemble à une autre et que l'on ne peut reprendre, pour une nouvelle, les choix effectués pour le traitement d'une précédente. La souplesse est nécessaire, même si les choix reposeront toujours sur les mêmes principes éthiques, opérationnels et politiques.

Un débat a suivi.

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