Intervention de Philippe Marini

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 5 juillet 2011 : 1ère réunion
Débat d'orientation des finances publiques — Examen du rapport d'information

Photo de Philippe MariniPhilippe Marini, rapporteur général :

Jusqu'au programme de stabilité 2010-2013, les programmations de finances publiques n'ont quasiment jamais été respectées. L'objectif du Gouvernement est de ramener le déficit public, de 7,1 points de PIB en 2010, à 5,7 points de PIB en 2011, 4,6 points en 2012, 3 points en 2013 et 2 points en 2014.

Jusqu'à la publication par l'Insee, le 13 mai dernier, de la croissance du PIB du premier trimestre, la prévision de solde public pour 2011 pouvait sembler quelque peu optimiste. Du fait de la forte croissance observée, l'objectif de déficit de 5,7 points de PIB en 2011 voit sa crédibilité renforcée. Les principales incertitudes concernent le déficit à partir de 2012.

Historiquement, le non respect des programmations s'explique par des hypothèses de croissance du PIB trop optimistes, mais également par le dépassement des objectifs de dépenses. Or, le rapport du Gouvernement préalable au présent débat d'orientation des finances publiques confirme un dérapage des dépenses publiques en 2011 : leur montant serait supérieur de 2,5 milliards d'euros à celui ayant servi à élaborer la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 (« LPFP 2011-2014 »). Par ailleurs, le montant des dépenses serait supérieur de 7 milliards à celui résultant de l'application de l'article 4 de cette loi. Cet article prévoit en effet que les dépenses publiques ne peuvent être supérieures en 2011 de plus de 6 milliards d'euros à leur montant de 2010. Or, les dépenses ont été en 2010 inférieures de 4,5 milliards d'euros à la prévision. Par conséquent, le plafond de 6 milliards d'euros s'applique à un montant plus faible. La combinaison de ces différents facteurs aboutit à une progression des dépenses par rapport à 2010 qui ne serait pas de 6 milliards comme le prévoit la LPFP, mais de 6 milliards + 2,5 milliards de dérapage + 4,5 milliards dus à l'exécution 2010 meilleure que prévue, soit une augmentation de 13 milliards d'euros (ou 7 milliards de plus que prévu). L'objectif de solde devrait donc être atteint en 2011, mais pas l'objectif de dépenses.

Une incertitude fondamentale pour l'année 2012 est de savoir si les dépenses publiques augmenteront bien de seulement 0,75 % en volume. Dans le cas de l'année 2011, le dérapage attendu de 2,5 milliards d'euros conduirait à une croissance des dépenses publiques de 0,9 % en volume. Mais sans la révision à la hausse de l'hypothèse d'inflation (passée de 1,5 % à 1,8 % dans le programme de stabilité), ce taux serait de 1,2 %.

En ce qui concerne l'effort supplémentaire nécessaire en 2012, il convient de distinguer deux questions :

- celle de l'application de l'article 9 de la LPFP 2011-2014, qui prévoit que les mesures nouvelles sur les recettes de 2012 doivent être d'au moins 3 milliards d'euros, et que le Gouvernement s'est explicitement engagé à respecter ;

- celle de la nécessité éventuelle d'aller au-delà, en matière d'augmentation des recettes et de maîtrise des dépenses. Les commissions des finances des deux Assemblées et la Cour des comptes considèrent en effet que le Gouvernement devrait réaliser un effort supplémentaire de plusieurs milliards d'euros en 2012.

La LPFP 2011-2014 préfigure la règle constitutionnelle à venir : elle comporte, dans son article 9, une trajectoire de mesures nouvelles sur les recettes (au moins 11 milliards d'euros en 2011, et 3 milliards chacune des années suivantes). L'impact en 2012 des mesures votées en loi de finances et en loi de financement de la sécurité sociale initiales pour 2011 permet de réaliser environ 80 % du chemin prévu : 2,4 milliards sur 3. Les deux collectifs de juin 2011 comportent des mesures nouvelles négatives qui dégradent un peu cette performance. Au total, pour atteindre l'objectif 2012 de la LPFP, il est nécessaire de prévoir dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2012 des mesures nouvelles sur les recettes à hauteur d'environ 870 millions d'euros.

Dès lors, la question qui se pose est la suivante : pourra-t-on respecter l'objectif de solde de - 4,6 points de PIB en 2012 ? Et, même si tel était le cas, cet ajustement correspondrait-il à un effort structurel suffisant ? Cela renvoie à la question de la prudence, ou de la neutralité, des hypothèses économiques qui sous-tendent les objectifs de la programmation.

Pour passer d'un déficit de 5,7 % du PIB en 2011 à 4,6 % en 2012, il faut « trouver » 1,1 point de PIB, soit environ 20 milliards d'euros. Selon la décomposition que nous avons effectuée, ces 20 milliards proviendraient, dans le cas de la programmation, pour environ 6 milliards de la conjoncture et du dynamisme des recettes, et 14 milliards de l'effort structurel (et notamment de la maîtrise des dépenses : 11 milliards sur 14). Cependant, si l'on retient pour 2012 une hypothèse de croissance « neutre » de 2 %, correspondant à la croissance potentielle de longue période (et non de 2,25 %, comme celle retenue par la programmation), et une hypothèse d'élasticité des recettes publiques au PIB égale à 1, la contribution de la conjoncture à la réduction du déficit est nulle, et tout doit reposer sur l'effort structurel de 14 milliards d'euros. Dans ce schéma, il « manque » 6 milliards d'euros pour parvenir aux 20 milliards nécessaires.

Ce chiffre est cohérent avec ceux publiés par la Cour des comptes et par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le rapport écrit détaille les différences méthodologiques entre ces approches.

Si, outre l'hypothèse de croissance de 2 %, on suppose également que la programmation est trop optimiste s'agissant de la maîtrise des dépenses, en considérant qu'environ 5 milliards d'euros d'économies restent non documentées, la maîtrise des dépenses contribuera à l'effort structurel non pas pour 11 milliards, mais pour 6 milliards d'euros. Dans ce schéma, il manquerait 11 milliards d'euros pour parvenir aux 20 milliards nécessaires (6 au titre de la conjoncture et 5 au titre de la moindre maîtrise des dépenses). Par conséquent, pour respecter l'objectif de déficit de 4,6 points de PIB en 2012, il faudrait inscrire dans les textes financiers de l'automne prochain entre 6 et 11 milliards d'euros d'économies ou de mesures de recettes supplémentaires.

Après ce cadrage général, qui sera complété par l'analyse de la commission des affaires sociales, il faut se concentrer sur l'examen des seuls éléments du budget 2012 déjà connus au stade du présent débat d'orientation des finances publiques : les plafonds des missions du budget de l'Etat, et donc la norme d'évolution des dépenses de celui-ci.

La budgétisation 2012 respecte la norme de dépenses. De 2011 à 2012, la norme « zéro volume et zéro valeur » est respectée. Les dépenses au sens de la norme élargie s'élèveront à 363,3 milliards d'euros dans le projet de loi de finances pour 2012 et à périmètre constant, soit 6,2 milliards d'euros et 1,75 % de plus qu'en loi de finances initiale pour 2011. Cette progression étant égale à l'inflation prévisionnelle, la norme « zéro volume » est respectée. Hors charge de la dette et pensions et à champ constant, les dépenses soumises à la norme sont stabilisées à 275,6 milliards d'euros entre 2011 et 2012. La norme « zéro valeur » est également tenue. Par rapport à l'annuité 2012 de la loi de programmation, le respect de l'épure est permis par la baisse des prélèvements sur recettes (- 0,8 milliard d'euros) et de la charge de la dette (- 0,5 milliard d'euros), qui autorise une augmentation à due concurrence des autres dépenses du budget général (+ 1,3 milliard d'euros).

Ces 1,3 milliard d'euros d'économies sont absorbées :

- par des charges de pensions supérieures de 0,4 milliard d'euros à la prévision du budget triennal. Cette révision tient au ressaut d'inflation constaté en 2010 (1,5 % réalisé au lieu de 1,2 % anticipé) et prévu en 2011 (1,75 % au lieu du 1,5 % initialement attendu) ;

- par des dépenses de personnel hors pensions supérieures de 0,3 milliard d'euros à cette même prévision ;

- par des « autres dépenses » dépassant de 0,6 milliard d'euros l'estimation du budget triennal.

Les plafonds par mission sont globalement dépassés de 671 millions d'euros (+ 0,3 %) :

- deux missions affichent une dotation inférieure aux plafonds : « Engagements financiers de l'Etat » (- 376 millions d'euros) et « Economie » (- 31 millions d'euros) ;

- seize missions sont en ligne avec la prévision ;

- onze missions dépassent les plafonds (+ 1 078 millions d'euros).

Les dépassements résultent pour moitié de dépenses inéluctables et pour moitié de dépenses discrétionnaires :

- 545 millions d'euros sont dus à des dépenses inéluctables (interventions de guichets, dépenses indexées sur l'inflation, résorptions de sous-budgétisations) ;

- 533 millions d'euros sont imputables à des décisions discrétionnaires ou à des réformes qui n'apparaissent pas toujours urgentes, et en tout état de cause pas plus urgentes que ne l'est le rétablissement de la situation budgétaire de l'Etat. Cela conduit à s'interroger. Les mesures suscitant ces dépassements de plafond sont-elles importantes au point de justifier que l'on s'affranchisse en partie de la trajectoire de convergence ? Sommes-nous en train de renouer avec le « double langage » ?

Le rapport du Gouvernement préparatoire au présent débat d'orientation des finances publiques prévoit 30 401 suppressions de postes - soit le respect de la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux. Ces évolutions, combinées aux effets du « gel » du point de la fonction publique en 2011 et en 2012, devraient permettre une « baisse inédite » en valeur de la masse salariale hors pensions, qui fléchirait de 0,2 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2011, à périmètre constant. Cette inflexion est d'autant plus remarquable que, jusqu'à présent, les suppressions d'effectifs n'avaient permis que de ralentir la progression de la masse salariale, sans la diminuer (en 2010, la masse salariale hors pension progressait encore de 0,7 %).

La baisse des dépenses de fonctionnement et d'intervention reste peu tangible. Ces objectifs d'économies (- 10 % sur 2011-2013) sont calculés sur des assiettes étroites : 10,3 milliards d'euros de fonctionnement courant au lieu de 44 milliards d'euros de fonctionnement au sens du titre 3, et 59,5 milliards d'euros d'interventions sur 66 milliards d'euros d'interventions au sens du titre 6. En 2011, les objectifs n'ont pas été tenus : les économies sur les dépenses de fonctionnement et d'intervention ont été de seulement 0,2 et 0,6 milliard d'euros (pour des objectifs de respectivement 0,5 et 0,8 milliard d'euros). Pour 2012, le rapport du Gouvernement préparatoire au présent débat d'orientation des finances publiques ne précise pas les modalités de budgétisation retenues pour tenir ces objectifs.

Il est nécessaire de limiter « l'agencisation de l'Etat », autrement dit, de soumettre les opérateurs de l'Etat à la « toise ». La prohibition de l'endettement des organismes divers d'administration centrale par l'article 12 de la LPFP 2011-2014 a déjà produit des effets vertueux, comme le montre l'exemple des programmes de rénovation immobilière de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE). L'objectif de diminution des emplois sous plafond de 1,5 % par an a été tenu en 2011, mais il ne porte que sur 42 % des emplois des opérateurs, en raison de l'exonération des opérateurs de la recherche et de l'enseignement supérieur, et la baisse des emplois sous plafond est plus que compensée par la hausse des emplois hors plafond (+ 23 % en 2010 et + 9 % en 2011). Le respect de l'objectif de 10 % de baisse des dépenses de fonctionnement des opérateurs est invérifiable à ce stade, faute de données agrégées.

Pour discipliner les opérateurs de l'Etat, il faut ouvrir le chantier de la fiscalité affectée. Trente opérateurs principaux dépendant de treize missions budgétaires se voient affecter, en 2011, 8,7 milliards d'euros de recettes fiscales (+ 7 % entre 2009 et 2011). Les affectations ont de nombreux effets pervers : elles incitent les opérateurs à thésauriser ou à rendre leurs dépenses aussi dynamiques que leurs ressources ; elles soumettent l'Etat à la tentation d'externaliser la dépense budgétaire vers les opérateurs « prospères » pour mieux tenir sa propre norme ; elles contreviennent au principe d'universalité budgétaire, nuisent à l'analyse consolidée des moyens consacrés à une politique publique et affaiblissent l'autorisation parlementaire sur les recettes et les dépenses. Il faut donc revenir sur ces mécanismes de « sanctuarisation » - comme dans le cas de la rebudgétisation du financement du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) -, qui tendent à constituer autant de « baronnies ».

Il serait utile de prévoir dans la loi que si une recette affectée dépasse un certain montant, le supplément de recettes est reversé au budget général de l'Etat. La commission a ainsi adopté, lors de l'examen du récent projet de loi de finances rectificative, un amendement tendant notamment à instaurer un prélèvement annuel sur les recettes du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), égal à 10 % du montant des ressources affectées à cet organisme. J'ai toutefois dû retirer cet amendement en séance publique.

Les lois financières initiales pour 2011 comportent des dispositions qui accentuent l'imbrication entre les finances de l'Etat et celles de la sécurité sociale. Les deux collectifs du mois de juin dernier comportent également des dispositions en ce sens. Il est utile de revenir, « à froid », sur ces évolutions complexes, avant la préparation des lois financières pour 2012. La réforme des retraites a été financée par un « panier » de recettes affecté à l'Etat, qui reverse une fraction de TVA à l'assurance maladie, laquelle reverse à son tour au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) le produit de la contribution additionnelle à la contribution sociale de solidarité des sociétés et une partie du forfait social. En conséquence de la réforme du financement de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), la branche famille reverse à celle-ci une fraction de cotisation sociale généralisée (CSG) et perçoit en contrepartie le produit des mesures « assurances » de la loi de finances initiale pour 2011. La prime de partage de la valeur ajoutée est créée par le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2011, mais se traduira surtout par d'importantes pertes de recettes fiscales pour l'Etat. Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 comporte un dispositif d'indemnisation des victimes du Médiator, qui pourrait avoir une incidence sur les dépenses de l'assurance maladie via la dotation à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM). Enfin, il faut mentionner la suppression de la compensation automatique des allègements de charges dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, qui suscite un risque de non compensation intégrale pour la sécurité sociale, mais entraîne également la disparition de mouvements complexes et neutres sur le solde maastrichtien.

Ce manque d'intelligibilité pourrait poser de réels problèmes. La seule bonne solution serait de fusionner les parties recettes des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale.

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