Il faut bien reconnaître que le lancement des Etats généraux de l'industrie pouvait être vu de manière un peu caricaturale au début. En effet, le comité national des Etats généraux de l'industrie à Paris a mis en place une dizaine d'équipes pour réfléchir aux différentes problématiques comme les filières, le financement ou encore la formation. J'ai alors souhaité pousser ce système pour donner véritablement la parole aux régions, qui sont les acteurs incontournables en matière d'industrie. Très vite, ces dernières se sont autosaisies de ces problématiques via la création de correspondants et de quelque cent cinquante comités de réflexion locaux. Cette dynamique a eu la vertu de montrer que les forces vives du pays sont constituées largement par les petites et moyennes entreprises de province et qu'il y a une incompréhension entre ce qu'on pourrait appeler le « monstre » constitué par le regroupement à Paris de l'administration et des sièges sociaux des grandes entreprises, et les régions qui constituent les véritables foyers de vitalité.
Au-delà du rapport remis au nom des Etats généraux de l'industrie, il est nécessaire de poursuivre cette dynamique pour passer du discours aux actes, des « causeux » aux « faiseux ».
Pour dresser un rapide panorama de la politique industrielle dans notre pays, je voudrais dire que ma première réunion sur ce thème s'est déroulée à l'Elysée en 1962. Puis j'ai vécu les présidences du général de Gaulle et de Georges Pompidou : cette période a vu naître une vraie politique industrielle ambitieuse pour le pays, avec de grands projets nationaux, malgré quelques échecs comme par exemple le Plan Calcul en 1967. On a alors assisté à une profonde revitalisation du tissu industriel français. Puis s'est ouverte une période caractérisée par une absence de politique industrielle française et par un libéralisme qui se sont traduit par un retrait de l'Etat des affaires industrielles du pays. Dans les années 1980, des choses ont été faites, notamment grâce à Jean-Pierre Chevènement, mais la succession des nationalisations et des dénationalisations a empêché de fixer de grandes et claires orientations en matière industrielle.
J'ai ensuite monté le groupe Sanofi qui était au départ, je le rappelle, une société semi-publique. Au-delà du minimum de rentabilité qu'il fallait assurer pour mon entreprise, j'ai pu investir de façon conséquente dans la recherche. Sans être favorable aux nationalisations, je dois dire que j'ai pu développer avec l'État une véritable industrie pharmaceutique pour la France.
La construction européenne avait pour but de déplacer nos frontières. Mais les États membres ont très vite été embarqués dans le jeu de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a transformé les frontières de l'Union en une véritable « passoire », exposant ainsi l'industrie française et européenne à une concurrence évidemment inégale, notamment en matière de niveau des salaires et de conditions de travail. Entre 2000 et 2009, nous avons perdu environ 550 000 emplois industriels en France.
Si j'ai accepté la vice-présidence des États généraux de l'industrie, c'est que j'ai toujours été convaincu qu'il était possible de gérer une entreprise d'une certaine manière tout en gagnant de l'argent : une entreprise sert avant tout à faire vivre des femmes et des hommes, et pour cela, il faut gagner beaucoup d'argent. Viennent ensuite des éléments comme la créativité, l'innovation, la solidarité, l'audace et le courage. Et si j'ai réussi à me trouver à la tête d'une entreprise qui cumule aujourd'hui trente milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est que j'ai été stimulé par mes équipes. On m'a souvent reproché en effet d'accorder une trop grande place aux partenaires sociaux dans la gestion de mon entreprise. Ce qui m'a séduit en réalité avec les États généraux de l'industrie, c'est qu'en lieu et place des traditionnels face à face entre d'une part, les patrons et leurs salariés et d'autre part, l'État et les patrons, c'est un système qui a obligé les différents acteurs à parler ensemble pour trouver ensemble des points de convergence. Le principal point de convergence est que l'industrie est extrêmement importante et structurante pour le pays, bien davantage que les services. J'ai entendu dire qu'il était archaïque de parler d'industrie, que l'heure était à la civilisation de l'informatique, à la société des services. Je crois qu'il faut s'inscrire en faux avec de telles déclarations.
Que faut-il alors pour relancer l'industrie ? Je crois qu'il faut avant toute chose des priorités industrielles bien définies, c'est-à-dire qu'il faut éviter au maximum de disperser les efforts en ciblant précisément le financement sur les axes facteurs de développement. Parallèlement, il faut accompagner la disparition d'autres secteurs, qui ne sont plus porteurs de développement. Ces points étaient largement consensuels aux États généraux de l'industrie.
Ne perdons pas de vue par ailleurs que c'est l'industrie qui structure le contexte social : la plupart des progrès sociétaux en effet sont nés dans l'industrie. On observe malheureusement aujourd'hui un décalage complet entre les besoins de l'industrie et la formation dispensée par l'éducation nationale. Le collège unique a tué l'enseignement technique, qui était pourtant un foyer de promotion sociale et qui formait les élites industrielles du pays qui aujourd'hui manquent au pays. Les élites s'auto-recrutent aujourd'hui dans le même milieu social, ce qui crée un manque de dynamisme.