Après avoir dirigé plusieurs entreprises, notamment dans le secteur de l'emballage, j'ai repris la totalité de la société L'Occitane en 1996. Les pertes représentaient alors 20 % du chiffre d'affaires. Cette entreprise avait toutefois un fort potentiel de développement international. À partir d'une position forte en France, nous avons développé un réseau de filiales dans les grands pays du monde. La part du chiffre d'affaires réalisée à l'étranger est ainsi passée de 15 % à l'époque à 85 % aujourd'hui.
Combien de magasins ouvrez-vous chaque année dans le sud-est asiatique ?
Nous en ouvrons une centaine par an, et même deux cents cette année, soit en direct, soit avec des partenariats.
Lorsque je suis entré dans la société, qui s'appelait alors simplement « L'Occitane », j'ai proposé d'accoler à son nom les mots « en Provence » afin de rappeler ses racines et de tirer parti de l'image forte de cette région en matière de produits de la nature. Nous avons également racheté une société en Ardèche.
Nous bénéficions de la crédibilité de la France s'agissant des produits de cosmétique, qui nous permet d'absorber dans les prix des coûts de production supplémentaires par rapport à d'autres pays. Nous n'envisageons donc pas de faire fabriquer nos produits à l'étranger.
Nous devons toutefois faire face à certains handicaps :
- le taux de change de l'euro face au dollar : un taux de 1 $ à 1,10 $ pour un euro serait mieux adapté à notre activité. L'Europe manque d'une stratégie en ce domaine face aux États-Unis ;
- les relations avec le personnel sont différentes par exemple aux États-Unis, où les personnels ont fait preuve d'une capacité d'adaptation remarquable en temps de crise ; en France, en revanche, nous peinons à satisfaire les partenaires sociaux alors même que nous avons embauché des centaines de salariés et que nous menons une politique de participation aux résultats volontariste ; ces difficultés peuvent être à l'origine de délocalisations dans certains secteurs ;
- le manque de fiabilité du port de Marseille nous oblige à chercher des solutions alternatives mais pénalisantes en termes de délais, par les ports de Rotterdam ou de Barcelone. Ainsi, nous allons réaliser une extension de notre usine de Manosque afin de mettre en place un centre de logistique, mais la pure logique économique aurait pu nous conduire à l'installer plutôt à Rotterdam.
Les charges sont-elles pénalisantes ? Pourquoi avez-vous choisi d'investir dans la société Melvita en Ardèche ?
Les charges sont bien sûr plus élevées qu'aux États-Unis, mais nous en souffrons relativement moins que d'autres secteurs. S'agissant de Melvita, le positionnement de cette société sur la cosmétique bio nous a intéressés car il s'agit d'une niche avec un fort potentiel de croissance. Nous développons ainsi des synergies entre le site de production principal et celui de Melvita. Nous avons l'ambition de devenir l'un des leaders du secteur, grâce à un réseau mondial plus étendu que celui de nos concurrents.
Les difficultés résultant du niveau du taux de change peuvent être une cause de délocalisation. En ce qui nous concerne, nous n'envisageons pas de déplacer nos sites de production actuels, mais nous cherchons actuellement, afin notamment de mieux nous prémunir contre le risque de change, à acquérir des sociétés aux États-Unis ou dans d'autres pays.
Votre marque est très bien positionnée. Quel est votre budget de publicité ?
La promotion représente environ 10 % du chiffre d'affaires. Cela correspondrait à 20 % pour une société qui n'assurerait pas, comme nous, l'essentiel de son chiffre d'affaires par son propre réseau de magasins.
Lorsque vous prospectez de nouveaux marchés, vous appuyez-vous sur les outils proposés par les pouvoirs publics, tels que la COFACE ou les ambassades, ou simplement sur l'image de la France ?
Nous disposions au départ de bons produits, ce qui est indispensable pour fidéliser les clients. Aux États-Unis, nous avons d'abord occupé un simple bureau avec un seul employé, puis nous avons ouvert notre première boutique dans un endroit très prestigieux à Manhattan. Le niveau de loyer était très élevé, mais les clients se sont intéressés rapidement à nos produits malgré notre manque de notoriété. En Asie, où l'image de marque est essentielle, il nous a fallu persévérer plus longtemps avant que le chiffre d'affaires progresse.
Nous n'avons pas eu à nous appuyer sur les systèmes d'aide fournis par les pouvoirs publics. Les services de la COFACE nous ont paru trop coûteux.
Notre stratégie consiste à créer des filiales sur place, car je ne crois pas à un réel développement à travers un réseau de distributeurs. Il faut toutefois reconnaître que je disposais d'un capital de départ, obtenu grâce à une société que j'avais développée précédemment.
Les outils actuels, tels qu'Ubifrance et les postes d'expansion économique, ne sont pas assez efficaces et il serait souhaitable de les entendre dans le cadre de notre mission.
Vous avez donc réalisé votre développement à l'étranger par vos propres moyens.
Nous avons auto-financé notre développement à l'export. Les dispositifs proposés manquaient d'efficacité pour notre activité particulière.
Le rôle du patron d'une PME est essentiel : il doit mener lui-même la stratégie de l'entreprise, notamment à l'export. On pourrait mettre en place un dispositif en deux phases. Dans un premier temps, une aide financière permettrait au patron d'assurer la prospective et l'analyse d'implantation.
Il faudrait en effet donner à un patron qui a fait ses preuves les moyens d'aller faire un diagnostic des activités qu'il pourrait développer.
Le paiement serait réalisé pour moitié au début de la mission et pour moitié après une évaluation. Puis, dans une seconde phase, un accompagnement structurel apporterait un soutien sur le terrain.
Il faut faire réaliser les études par une personne dont c'est le métier plutôt que par un cabinet d'études. On pourrait ainsi attribuer une bourse de 10 000 euros à la personne qui serait chargée de l'étude sur place, les services consulaires apportant une aide pour la mise en place des rendez-vous. Cela pourrait bien fonctionner aux États-Unis.
Dans notre cas, les conditions de concurrence, et parfois les jalousies, ne facilitent pas l'entraide au sein de la filière.
Que pensez-vous des systèmes d'aide publique, qui, me semble-t-il, favorisent trop les grands groupes ?
Les grands groupes n'ont pas réellement besoin d'aide, car ils disposent des moyens suffisants pour se développer à l'international. Pour les autres entreprises, les conseillers dans les ambassades pourraient aider les entrepreneurs à s'orienter dans des pays qu'ils ne connaissent pas.
En Europe, la France a une position dominante. En Amérique, nos concurrents sont les États-Unis, mais également le Japon au Brésil. En Asie, nous nous retrouvons surtout face aux Japonais.
Je vous remercie pour votre intervention. J'en retiens notamment que vous mettez en valeur une région française et que la qualité du personnel est un atout. En revanche, vous souffrez de l'euro fort, des problèmes de fonctionnement du port de Marseille et d'une certaine inadéquation des politiques publiques à l'égard des PME.
Au nom de l'ensemble de mes collègues, je tiens à vous remercier d'avoir accepté notre invitation. En tant que président du comité national des Etats généraux de l'industrie, votre audition dans le cadre de notre mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires - qui s'intéresse aussi bien aux causes de la désindustrialisation qu'aux remèdes à mettre en oeuvre pour une véritable réindustrialisation - est on ne peut plus pertinente. La France a en effet perdu entre 500 000 et 600 000 emplois industriels dans la période récente. Aussi nous souhaiterions vous interroger sur les pistes qu'il faudrait mettre en oeuvre, selon vous, pour donner sa chance à une véritable politique industrielle. Nous avons en effet souvent remarqué, au fil de nos auditions, que les politiques publiques peuvent parfois être en décalage avec la réalité des petites et moyennes entreprises.
Il faut bien reconnaître que le lancement des Etats généraux de l'industrie pouvait être vu de manière un peu caricaturale au début. En effet, le comité national des Etats généraux de l'industrie à Paris a mis en place une dizaine d'équipes pour réfléchir aux différentes problématiques comme les filières, le financement ou encore la formation. J'ai alors souhaité pousser ce système pour donner véritablement la parole aux régions, qui sont les acteurs incontournables en matière d'industrie. Très vite, ces dernières se sont autosaisies de ces problématiques via la création de correspondants et de quelque cent cinquante comités de réflexion locaux. Cette dynamique a eu la vertu de montrer que les forces vives du pays sont constituées largement par les petites et moyennes entreprises de province et qu'il y a une incompréhension entre ce qu'on pourrait appeler le « monstre » constitué par le regroupement à Paris de l'administration et des sièges sociaux des grandes entreprises, et les régions qui constituent les véritables foyers de vitalité.
Au-delà du rapport remis au nom des Etats généraux de l'industrie, il est nécessaire de poursuivre cette dynamique pour passer du discours aux actes, des « causeux » aux « faiseux ».
Pour dresser un rapide panorama de la politique industrielle dans notre pays, je voudrais dire que ma première réunion sur ce thème s'est déroulée à l'Elysée en 1962. Puis j'ai vécu les présidences du général de Gaulle et de Georges Pompidou : cette période a vu naître une vraie politique industrielle ambitieuse pour le pays, avec de grands projets nationaux, malgré quelques échecs comme par exemple le Plan Calcul en 1967. On a alors assisté à une profonde revitalisation du tissu industriel français. Puis s'est ouverte une période caractérisée par une absence de politique industrielle française et par un libéralisme qui se sont traduit par un retrait de l'Etat des affaires industrielles du pays. Dans les années 1980, des choses ont été faites, notamment grâce à Jean-Pierre Chevènement, mais la succession des nationalisations et des dénationalisations a empêché de fixer de grandes et claires orientations en matière industrielle.
J'ai ensuite monté le groupe Sanofi qui était au départ, je le rappelle, une société semi-publique. Au-delà du minimum de rentabilité qu'il fallait assurer pour mon entreprise, j'ai pu investir de façon conséquente dans la recherche. Sans être favorable aux nationalisations, je dois dire que j'ai pu développer avec l'État une véritable industrie pharmaceutique pour la France.
La construction européenne avait pour but de déplacer nos frontières. Mais les États membres ont très vite été embarqués dans le jeu de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a transformé les frontières de l'Union en une véritable « passoire », exposant ainsi l'industrie française et européenne à une concurrence évidemment inégale, notamment en matière de niveau des salaires et de conditions de travail. Entre 2000 et 2009, nous avons perdu environ 550 000 emplois industriels en France.
Si j'ai accepté la vice-présidence des États généraux de l'industrie, c'est que j'ai toujours été convaincu qu'il était possible de gérer une entreprise d'une certaine manière tout en gagnant de l'argent : une entreprise sert avant tout à faire vivre des femmes et des hommes, et pour cela, il faut gagner beaucoup d'argent. Viennent ensuite des éléments comme la créativité, l'innovation, la solidarité, l'audace et le courage. Et si j'ai réussi à me trouver à la tête d'une entreprise qui cumule aujourd'hui trente milliards d'euros de chiffre d'affaires, c'est que j'ai été stimulé par mes équipes. On m'a souvent reproché en effet d'accorder une trop grande place aux partenaires sociaux dans la gestion de mon entreprise. Ce qui m'a séduit en réalité avec les États généraux de l'industrie, c'est qu'en lieu et place des traditionnels face à face entre d'une part, les patrons et leurs salariés et d'autre part, l'État et les patrons, c'est un système qui a obligé les différents acteurs à parler ensemble pour trouver ensemble des points de convergence. Le principal point de convergence est que l'industrie est extrêmement importante et structurante pour le pays, bien davantage que les services. J'ai entendu dire qu'il était archaïque de parler d'industrie, que l'heure était à la civilisation de l'informatique, à la société des services. Je crois qu'il faut s'inscrire en faux avec de telles déclarations.
Que faut-il alors pour relancer l'industrie ? Je crois qu'il faut avant toute chose des priorités industrielles bien définies, c'est-à-dire qu'il faut éviter au maximum de disperser les efforts en ciblant précisément le financement sur les axes facteurs de développement. Parallèlement, il faut accompagner la disparition d'autres secteurs, qui ne sont plus porteurs de développement. Ces points étaient largement consensuels aux États généraux de l'industrie.
Ne perdons pas de vue par ailleurs que c'est l'industrie qui structure le contexte social : la plupart des progrès sociétaux en effet sont nés dans l'industrie. On observe malheureusement aujourd'hui un décalage complet entre les besoins de l'industrie et la formation dispensée par l'éducation nationale. Le collège unique a tué l'enseignement technique, qui était pourtant un foyer de promotion sociale et qui formait les élites industrielles du pays qui aujourd'hui manquent au pays. Les élites s'auto-recrutent aujourd'hui dans le même milieu social, ce qui crée un manque de dynamisme.
Il y a un autre point important qu'il ne faut pas perdre de vue : c'est que la France est connue aujourd'hui pour les produits qu'elle fabrique. L'image d'un pays à l'étranger est en effet très souvent liée à ce qu'il produit.
Le constat est donc évident : une industrie forte est nécessaire. Que faut-il donc voir dans les reculs de l'industrie française ? Je vois pour ma part deux éléments explicatifs principaux. Le premier élément est une très faible dynamique de l'investissement. En effet, pour bâtir des empires industriels, certains ingrédients sont indispensables parmi lesquels l'investissement, l'innovation et l'effort pour le financement industriel. Le second élément réside dans une image considérablement dégradée de l'industrie dans l'opinion publique. Or, pour pouvoir avoir une politique industrielle, il faut que la France aime à nouveau son industrie et que l'argent aille vers le financement de l'industrie et non vers la spéculation. La création d'un livret industriel pourrait à ce titre être utilement envisagée.
Je voudrais aussi vous dire que mon ambition lorsque j'ai commencé à travailler, c'était de devenir le plus gros contribuable français au titre de mon entreprise. C'est ce qui est arrivé et j'en suis fier. Et cela m'a conduit à localiser mes matières premières à 80% en France et non pas en Chine ou en Inde.
Tout cela suppose en réalité que les patrons aient envie de construire des « empires » industriels et pas seulement de faire des « coups » en bourse. Lorsqu'on est animé par ce désir, on sait qu'il est parfois nécessaire de laisser son entreprise stagner pour faire de la valeur demain. Il donc agir sur l'état d'esprit des entrepreneurs : ils doivent être ce que j'appelle des « bâtisseurs d'empires » et non pas seulement de bons gestionnaires.
Quelles sont donc les pistes aujourd'hui ?
La Conférence nationale de l'industrie, présidée par le Premier ministre et dont j'ai l'honneur d'être le vice-président, a été créée par le décret du 3 juin 2010 qui précise le champ d'action de la Conférence.
Concernant la politique industrielle européenne, la stratégie « Europe 2020 » définit trois objectifs principaux : une croissance intelligente, une croissance durable et une croissance inclusive. Ce dernier objectif, sous un nom un peu compliqué, est en réalité très important car c'est la première fois que l'Union européenne évoque des objectifs sociaux dans le domaine industriel.
Un des principaux leviers pour avoir une industrie forte réside - vous l'avez souligné lorsque vous avez évoqué la possibilité d'un livret industriel - dans un système solide de financement de l'industrie et notamment dans une politique d'accès au crédit favorable aux PME et aux TPE. Comment se dote-t-on d'un tel système de crédit ? Peut-on envisager une fiscalité industrielle ?
Jean-François Dehecq. - On me demande un rapport public annuel qui doit comporter plusieurs éléments : un panorama de chacun des secteurs, un inventaire en matière de financement, de budget fiscal, un inventaire des entités de financement national et local, un inventaire des mesures réglementaires et législatives impactant l'industrie prises au cours de l'année écoulée. Ces inventaires doivent également donner lieu à un avis de la Conférence nationale de l'industrie, sachant qu'elle sera, en outre, spécifiquement saisie et consultée pour certaines de ces mesures. Il ne m'est donc pas possible de vous répondre dans l'immédiat. Ce qui est sûr, c'est que cette conférence va constituer un outil intéressant, d'autant qu'elle a été institutionnalisée jusqu'en 2013. Elle est composée de neuf ministres, de dix représentants des syndicats, de quinze représentants de tous les métiers, de personnalités qualifiées, d'un député, de votre collègue Mme Elisabeth Lamure et d'un parlementaire européen. Je compte d'ailleurs demander à ces parlementaires de créer des équipes de réflexion au sein de leur assemblée respective.
Concernant la fiscalité, le crédit impôt recherche (CIR) est un dispositif essentiel et qui a des effets positifs importants pour les petites et moyennes entreprises, même s'il est nécessaire de le modifier afin d'en supprimer les faiblesses et les dérives.
Il y avait à peu près 14 milliards d'euros de recherche et développement en 2008, et avec les 6 milliards du crédit impôt recherche, on est passé à un montant de recherche et développement de seulement 14,8 milliards. L'effet levier n'a pas joué : il a été détourné.
Cette mesure est une bonne mesure mais il n'est pas normal qu'un tiers de ces crédits ait été absorbé par les banques. Il y a par ailleurs eu des effets d'aubaine.
Je suis tout à fait d'accord sur les dérives de ce dispositif qui doit faire l'objet de modifications pour y remédier. Mais il faut à tout prix conserver cette mesure. OSEO par ailleurs accomplit un travail considérable et a préservé le tissu industriel des petites et moyennes entreprises de province ainsi que les artisans.
Votre optimisme est rassurant, d'autant plus qu'il se fonde sur trente ans de réflexion sur l'industrie. Mais lorsque par exemple une entreprise comme les Grands chantiers de l'Atlantique refuse du travail parce qu'il n'y a pas assez de valeur ajoutée en termes de technologies, comment réagir à ce type de comportement de la part de ces dirigeants ?
Au sein du Fonds stratégique d'investissement par exemple, il y a des orientations stratégiques à imposer : il faut privilégier les secteurs porteurs de beaucoup d'emplois. Il faut savoir investir pour créer des emplois sans forcément gagner de l'argent.
Il faut d'ailleurs rappeler que nous sommes le seul pays à faire des investissements et de la spéculation avec le déficit budgétaire. Est-ce que vous pensez que la mission de contrôle du Sénat sur le Fonds stratégique d'investissement est légitime ?
Je dois dire que le Fonds stratégique d'investissement a fait des choses très bien, comme par exemple avec Alcan.
L'idée forte reste le patriotisme industriel : lorsqu'on a la possibilité de défendre notre industrie, il faut la défendre bec et ongles. La stratégie d'investissement qui conduit à aider des entreprises telles que l'équipementier automobile Trèves, alors que celui-ci délocalise, n'est pas bonne.
Les conditions d'aide à l'industrie doivent effectivement être changées. Cela a déjà été écrit, il faut maintenant des hommes pour mettre en oeuvre ces préconisations.
Nous avons pu aller, lors d'un déplacement de la mission, dans la vallée de la Maurienne et nous avons constaté que si l'on arrive pas à trouver, avec les électro-intensifs, des conditions d'achat et d'approvisionnement en électricité à des coûts stables, la délocalisation est assurée pour ces industries.
Je voudrais dire que l'aspect culturel a beaucoup joué : l'absence d'ascenseur social dans le secteur de l'industrie, le désintérêt des étudiants ont aggravé la situation.
C'est pour cette raison que je plaide pour un secrétariat d'Etat à l'enseignement technique.
Je crois que nous avons déjà perdu le combat des hommes de la production contre les gestionnaires qui rassurent les banques et qui ne parlent pas le même langage. Cela fait maintenant sept ou huit ans que je n'ai pas vu des jeunes intéressés par le secteur industriel. Je le répète, les hommes de la production ont perdu le combat face aux hommes de la gestion.
Nous avons tenu à vous entendre pour évoquer les difficultés d'accès au crédit bancaire que connaissent les entreprises de certaines filières industrielles, dont les projets d'investissement sont classés dans les placements à risques par les banques. Quelle est la réalité de ces difficultés ? Quel rôle joue Oséo pour les résoudre ?
Il existe de nombreux dispositifs pour favoriser l'accès au crédit des entreprises, en particulier pour les crédits de trésorerie. Grâce à leur mise en place rapide, on a observé une diminution des tensions de trésorerie. Je pense en particulier aux dispositifs provisoires prévus par l'Etat pour suppléer les banques lorsque elles refusent d'accorder des crédits à certaines entreprises : la garantie d'Oséo peut couvrir jusqu'à 90 % de la somme demandée, dans la limite de 15 millions d'euros, soit un plafond dix fois plus élevé qu'auparavant.
Il est vrai que ce dispositif a été très sollicité en 2009, en particulier au mois de juillet où nous avons dû faire face à un nombre de demandes tel, que nous avons craint de ne pouvoir toutes les honorer. Fort heureusement, on a observé un léger fléchissement en septembre 2009, suivi d'une augmentation à la fin de l'année. Au premier semestre 2010, la demande de crédit a de nouveau diminué jusqu'au mois de juillet, où on a constaté, comme l'an dernier, une forte hausse des demandes de garanties. Aujourd'hui, il semble que la situation se soit normalisée, l'encours des demandes étant 9,5 fois inférieur à celui de juillet 2009 : plus de 380 millions en juillet 2009 contre seulement 44 millions d'euros en septembre dernier, ce qui atteste d'une moindre tension entre entreprises et banques sur les crédits de trésorerie.
Dans ce domaine, l'Etat ne peut se substituer aux banques mais il peut soutenir leurs interventions. Une enquête récente menée par Oséo auprès de 5 000 entreprises témoigne d'ailleurs de l'utilité des mesures qui ont été prises : 52 % des entreprises interrogées ont déclaré qu'elles auraient déposé le bilan si elles n'avaient pas reçu le soutien d'Oséo ; 30 % d'entre elles auraient licencié davantage ou freiné leurs recrutements ; 20 % ont recouru au soutien d'Oséo par précaution.
Au total, nous avons aidé 26 000 entreprises grâce aux moyens puissants mobilisés via le plan de relance. Cet effort sans précédent au profit d'entreprises très fragilisées a représenté une prise de risque très importante pour Oséo et pour l'Etat. Mais, fort heureusement, il n'y a eu que très peu de défaut de paiement alors que la crise financière aurait pu se traduire par un nombre de faillites important.
Il convient de rappeler que, parallèlement aux mesures de soutien financier, l'Etat a également favorisé la mise en place de facilités de paiement transitoires en partenariat avec les Urssaf mais aussi un système avantageux de financement du chômage partiel. L'ensemble de ces mesures a permis d'éviter à de nombreuses entreprises de déposer le bilan.
En octobre 2008, lors de la mise en place des premières mesures de soutien de trésorerie, nous avions anticipé un doublement des défauts de paiement. Or, il y a finalement eu très peu de sinistres.
Toutefois, je me dois de reconnaître que certains secteurs ont été plus touchés que d'autres, en particulier les petites entreprises du BTP et leurs sous-traitants, pour lesquels on a observé de nombreux dépôts de bilan.
Mais, progressivement, la situation des entreprises s'améliorant, les banques jouent mieux leur rôle d'approvisionnement des fonds de roulement.
En ce qui concerne l'investissement, les demandes portent majoritairement sur le financement de restructurations ou de croissances externes et très peu de créations d'entreprise. Pour financer les croissances externes, nous avons développé les prêts participatifs qui ont profité, dans 36 % des cas, à l'industrie, soit une part plus importante que celle que représente ce secteur dans notre économie.
Vous n'avez pas évoqué les difficultés d'accès au crédit des équipementiers automobiles de second rang, alors que celles-ci ont largement été soulignées lors d'une récente table ronde au Sénat, présidée par M. Jean Arthuis, et à laquelle vous participiez. Les interventions d'Oséo et du médiateur du crédit ont manifestement été sans effet pour ces entreprises.
L'accès au crédit demeure possible dès lors que l'entreprise et les projets d'investissement qu'elle propose sont viables. Mais, il est vrai que les toutes petites entreprises ont davantage de difficultés à obtenir des crédits pour financer leurs investissements. Leurs demandes sont souvent mal prises en considération par les agences bancaires dès lors que leur chiffre d'affaires est peu important et que les crédits de trésorerie qu'elles sollicitent rapportent peu aux banques.
Je peux attester des difficultés que les petites entreprises rencontrent pour financer leurs investissements : j'ai dû, en tant que maire, contribuer au montage d'une opération immobilière pour que le projet de développement d'une entreprise puisse aboutir. Son chiffre d'affaires, de l'ordre de 5 à 7 millions d'euros, ne devait pas être suffisant pour susciter l'intérêt des banques... Il me semble également que le secteur de l'automobile est plus touché que d'autres et que, pour ces raisons, les projets d'investissement des équipementiers de ce secteur sont considérés par les banques comme des placements à risque.
Pourtant l'Etat a prévu la mise en place d'une dotation spécifique d'1 milliard d'euros via le fonds de modernisation des équipementiers automobiles (FMEA) qui a été très peu sollicitée.
Je vous prie d'excuser mon retard mais j'ai été retenu par une autre réunion. Je regrette d'ailleurs que plusieurs réunions importantes se déroulent au même moment.
Dans mon département, j'ai eu la chance d'avoir des relations très suivies avec le délégué régional d'Oséo. Mais force est de constater que tout n'a pas été mis en oeuvre pour soutenir les équipementiers automobiles. Il est en effet paradoxal que les fonds dégagés via le FMEA n'aient pas permis de secourir ces entreprises qui ont dû faire face à de très grandes difficultés. Beaucoup d'entre elles ont été contraintes de fermer ou de licencier alors que 600 millions d'euros ont été mobilisés par PSA, Renault et l'Etat pour les soutenir. Comment expliquer cette situation paradoxale ? Il m'a été répondu que l'on « ne soutient pas les canards boîteux ». D'après la préfecture, aucune entreprise du Loiret n'aurait bénéficié du soutien du FMEA ou du FSI. N'a-t-on pas fixé des critères trop contraignants au risque de laisser périr des entreprises stratégiques de ce secteur ? Pourtant, le Président de la République avait donné des instructions fortes pour que l'on ne perde plus d'emplois ni de parts de marché dans ce secteur. Alors que la part des pièces allemandes dans les voitures allemandes reste très importante, celle des pièces françaises dans les voitures françaises ne cesse de diminuer. Les grands constructeurs automobiles se sont d'ailleurs mobilisés pour freiner la disparition des équipementiers automobiles. Mais il aurait fallu une injection forte de liquidités avant que les entreprises de ce secteur ne se trouvent en trop grosses difficultés.
Oséo a en réalité trois métiers : soutien de l'innovation ; garantie des prêts bancaires et octroi de prêts participatifs.
En ce qui concerne la garantie des prêts bancaires, 26 000 entreprises en ont bénéficié dans tous les secteurs. 2 200 ont bénéficié de 861 millions d'euros de concours bancaires.
En ce qui concerne les prêts participatifs, ceux-ci jouent le rôle de « sucres lents » pour les entreprises et leur permettent de financer leurs investissements. Ils constituent des quasi-fonds propres et consolident le haut du bilan des entreprises. Une dotation de 1 milliard d'euros a été prévue pour la période d'octobre 2009 à décembre 2011. A ce jour, 650 millions d'euros ont été consommés. Ces apports ont l'avantage d'entraîner un effet de levier important : lorsque Oséo prête 100 millions d'euros, cela permet aux entreprises d'obtenir auprès des banques 200 millions d'euros de crédits supplémentaires. Ainsi, les 650 millions d'euros injectés par Oséo représentent un investissement global d'environ 2 milliards d'euros.
A ces aides, il faut ajouter la contribution du grand emprunt au renforcement du tissu industriel. Les prêts accordés dans ce cadre ont été principalement orientés vers les investissements en faveur du développement durable. Ainsi, 10 à 15 millions d'euros ont été accordés sous forme de prêts verts bonifiés pour permettre la mise aux normes écologiques des chaînes de production.
Enfin, des prêts en faveur de la réindustrialisation ont été mis en place pour favoriser le retour en France des activités industrielles délocalisées. L'octroi de ces prêts va de pair avec les interventions du fonds national de revitalisation des territoires (FNRT).
L'utilité d'Oséo est aujourd'hui reconnue. Cet outil doit toutefois évoluer pour mieux s'adapter aux enjeux économiques actuels. Un fonctionnement plus souple, garant d'une réactivité accrue, est en particulier requis. À cet égard, les avancées contenues dans le projet de loi de régulation bancaire et financière devraient fournir une impulsion pertinente. Par l'intermédiaire de vos délégations ainsi que des préfectures, pensez-vous possible d'informer plus directement les entreprises ? En effet, les très petites entreprises (TPE) éprouvent des difficultés à s'orienter vers vous d'elles-mêmes, il convient donc d'élaborer une politique de communication plus efficace.
Je partage vos préoccupations. J'observe qu'en dépit de sa taille modeste, Oséo a réalisé, en 2009, 107 209 interventions auprès de 80 000 entreprises. Ces interventions ont conduit à des financements représentant en totalité 25 milliards d'euros (Oséo et prêts bancaires). Sachant que sur les 2 millions de PME inscrites au registre du commerce et des sociétés, seules 900 000 sont réellement actives, Oséo a donc engagé une démarche auprès d'environ une sur dix. Notre travail a lieu le plus souvent en partenariat avec les structures consulaires, ainsi qu'avec les banques auxquelles nous déléguons parfois nos compétences pour accompagner les entreprises. Il reste bien sûr possible d'améliorer notre information et notre communication, surtout que la jeunesse de notre structure doit être soulignée, Oséo ayant été créé il y a seulement six ans. Dans ce contexte, il faut reconnaître que notre notoriété progresse, et je relève que la crise y a d'ailleurs largement contribué.
Par ailleurs, certaines initiatives récentes en matière de communication doivent être mentionnées :
- la création de la communauté « Oséo excellence », qui permet de regrouper les meilleures entreprises, grâce à une sélection, par chaque chargé d'affaires, des trois entreprises les plus dynamiques au sein de son portefeuille ;
- le programme de modernisation de la restauration qui a conduit à écrire à 16 000 restaurateurs pour leur proposer l'aide d'Oséo.
Quelles que soient les améliorations apportées à notre politique de communication, il faudrait ne pas perdre de vue que pour un chef d'entreprise, le meilleur conseil c'est d'abord celui qu'il reçoit de la part d'un autre chef d'entreprise : c'est donc en agissant que nous convaincrons les chefs d'entreprise de notre utilité.
Je m'interroge sur le risque pour les TPE de passer en dehors des filets de vos dispositifs.
Les banques s'intéressent insuffisamment à cette problématique importante, alors que les TPE ont besoin d'être écoutées et conseillées. J'observe toutefois que les médiateurs du crédit et les services de la Banque de France contribuent à faciliter leur accès à un financement adapté.
Pour ce qui concerne le problème particulier des sous-traitants, je souhaite tirer les conséquences de l'expérience du comité stratégique mis en place pour le secteur automobile au premier trimestre 2009. Ce comité, qui réunissait l'ensemble des acteurs de la filière, avait communiqué une liste de sous-traitants de rang 1 et 2 en grave difficulté. Les grands constructeurs ont à cette occasion identifié 75 entreprises qui les inquiétaient réellement. Dans la mesure où certaines de ces dernières avaient un monopole sur la production de certaines pièces, par exemple les colonnes de direction, le risque allait plus loin qu'une simple défaillance : l'incapacité à produire une seule pièce peut en effet mettre en danger l'ensemble de la filière puisqu'elle fait courir le risque d'un blocage de la chaîne de production de chaque constructeur.
A ce sujet, le pôle de compétitivité « Aerospace Valley » me semble représenter un modèle d'équilibre pour les relations entre Airbus et ses sous-traitants au sein de la filière aéronautique. Peut-on envisager de rassembler les acteurs d'une filière au sein d'une structure en vue d'apporter un soutien spécifique aux sous-traitants ? Les appuis en matière de financement ou de garantie représentent pour eux des besoins essentiels mais il me paraît nécessaire d'encourager les sous-traitants à se diversifier et à multiplier leurs débouchés.
Une telle démarche a été adoptée par les équipementiers de la région de Montbéliard, dont les clients sont de plus en plus souvent extérieurs à la filière automobile.
Ce travail de regroupement est en effet nécessaire, il s'agit d'un vrai enjeu pour défendre ces entreprises. J'observe que le grand emprunt mais aussi les états généraux de l'industrie ont encouragé les processus de regroupement de sous-traitants.
Je me demande si Oséo a la possibilité de s'orienter vers une activité de soutien à l'export. Nos performances en matière de commerce extérieur sont en effet mauvaises, surtout pour les TPE.
Vous avez raison. Oséo s'est d'ailleurs doté d'une direction internationale, il y a un an et demi de cela. Je relève que ce volet de notre activité se développe très vite. De même, au sein de la communauté « Oséo excellence », le développement à l'international constitue une priorité croissante. En outre, le travail que nous conduisons en partenariat avec Ubifrance permet de promouvoir Oséo à l'étranger et de plus en plus de pays s'intéressent à nos activités.
Cependant, en dépit de notre politique d'accompagnement à l'export, cet aspect de notre métier reste encore insuffisamment connu des entreprises françaises. Il s'agit d'un point en cours d'amélioration.
Je partage vos préoccupations. J'observe qu'en dépit de sa taille modeste, Oséo a réalisé, en 2009, 107 209 interventions auprès de 80 000 entreprises. Ces interventions ont conduit à des financements représentant en totalité 25 milliards d'euros (Oséo et prêts bancaires). Sachant que sur les 2 millions de PME inscrites au registre du commerce et des sociétés, seules 900 000 sont réellement actives, Oséo a donc engagé une démarche auprès d'environ une sur dix. Notre travail a lieu le plus souvent en partenariat avec les structures consulaires, ainsi qu'avec les banques auxquelles nous déléguons parfois nos compétences pour accompagner les entreprises. Il reste bien sûr possible d'améliorer notre information et notre communication, surtout que la jeunesse de notre structure doit être soulignée, Oséo ayant été créé il y a seulement six ans. Dans ce contexte, il faut reconnaître que notre notoriété progresse, et je relève que la crise y a d'ailleurs largement contribué.
Par ailleurs, certaines initiatives récentes en matière de communication doivent être mentionnées :
- la création de la communauté « Oséo excellence », qui permet de regrouper les meilleures entreprises, grâce à une sélection, par chaque chargé d'affaires, des trois entreprises les plus dynamiques au sein de son portefeuille ;
- le programme de modernisation de la restauration qui a conduit à écrire à 16 000 restaurateurs pour leur proposer l'aide d'Oséo.
Quelles que soient les améliorations apportées à notre politique de communication, il faudrait ne pas perdre de vue que pour un chef d'entreprise, le meilleur conseil c'est d'abord celui qu'il reçoit de la part d'un autre chef d'entreprise : c'est donc en agissant que nous convaincrons les chefs d'entreprise de notre utilité.
Les banques s'intéressent insuffisamment à cette problématique importante, alors que les TPE ont besoin d'être écoutées et conseillées. J'observe toutefois que les médiateurs du crédit et les services de la Banque de France contribuent à faciliter leur accès à un financement adapté.
Pour ce qui concerne le problème particulier des sous-traitants, je souhaite tirer les conséquences de l'expérience du comité stratégique mis en place pour le secteur automobile au premier trimestre 2009. Ce comité, qui réunissait l'ensemble des acteurs de la filière, avait communiqué une liste de sous-traitants de rang 1 et 2 en grave difficulté. Les grands constructeurs ont à cette occasion identifié 75 entreprises qui les inquiétaient réellement. Dans la mesure où certaines de ces dernières avaient un monopole sur la production de certaines pièces, par exemple les colonnes de direction, le risque allait plus loin qu'une simple défaillance : l'incapacité à produire une seule pièce peut en effet mettre en danger l'ensemble de la filière puisqu'elle fait courir le risque d'un blocage de la chaîne de production de chaque constructeur
Vous avez raison. Oséo s'est d'ailleurs doté d'une direction internationale, il y a un an et demi de cela. Je relève que ce volet de notre activité se développe très vite. De même, au sein de la communauté « Oséo excellence », le développement à l'international constitue une priorité croissante. En outre, le travail que nous conduisons en partenariat avec Ubifrance permet de promouvoir Oséo à l'étranger et de plus en plus de pays s'intéressent à nos activités.
Cependant, en dépit de notre politique d'accompagnement à l'export, cet aspect de notre métier reste encore insuffisamment connu des entreprises françaises. Il s'agit d'un point en cours d'amélioration.