Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 13 janvier 2004, la Commission européenne a présenté une proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, aussi appelée « directive Bolkestein », du nom du commissaire européen qui était alors chargé du marché intérieur.
Ce texte est aujourd'hui en cours d'examen devant le Parlement européen. Les parlementaires français, eux aussi, ont souhaité exprimer leur position sur ce texte. Au Sénat, la délégation pour l'Union européenne a constitué un groupe de travail animé par notre collègue Denis Badré, qui a rendu un rapport d'information très éclairant. Trois propositions de résolution ont été déposées, dont la commission des affaires économiques a été saisie. Elles lui ont permis d'en rédiger une quatrième qui, adoptée le 9 mars dernier, vous est présentée aujourd'hui.
Alors qu'elle a parfois été présentée à Bruxelles, notamment par M. Romano Prodi, comme une avancée décisive, la directive « Emploi et services » - c'est bien de cela qu'il s'agit -, selon l'expression de notre nouveau ministre de l'économie, a été très décriée en France. Elle ne paraît pourtant mériter ni cet honneur ni cette indignité.
Si on l'examine sereinement ce texte, on s'aperçoit d'abord qu'il comprend deux volets bien distincts. Le premier, qui fait globalement l'unanimité, vise à simplifier le droit d'établissement d'une entreprise européenne dans un autre Etat membre, en appliquant bien sûr la totalité des règles du pays d'accueil.
Le second volet tend, quant à lui, à faciliter la prestation de service d'une entreprise établie dans un pays de l'Union européenne à un client situé dans un autre Etat membre.
Ce qui fait débat, en l'espèce, c'est précisément l'application de la règle dite du pays d'origine. Le texte prévoit en effet que certaines des règles juridiques régissant la prestation soient celles du pays où réside l'entreprise et non celles du pays où réside le client.
Bien sûr, lorsqu'on entend cela pour la première fois, on ne peut réprimer certaines craintes !
J'avoue que cela a aussi été mon cas, comme en témoigne la résolution que j'avais déposée à titre personnel avant que je ne sois chargé par la commission des affaires économiques d'approfondir le sujet.
L'analyse du texte et les consultations que j'ai conduites m'ont amené à constater que ce principe du pays d'origine faisait l'objet de tant d'exclusions qu'il était loin d'être d'application générale.
De fait, il ne change pas les garanties actuelles reconnues aux travailleurs détachés. Il faut le souligner et le répéter. Cela signifie que, bien évidemment, un travailleur envoyé en France par une entreprise slovaque continuera d'être soumis aux mêmes règles que les travailleurs français en termes de conditions de travail et de salaire. En avoir conscience permet sans doute d'apaiser de nombreuses inquiétudes.
De plus, le principe du pays d'origine ne s'appliquera pas aux consommateurs : il ne peut concerner que des services vendus par une entreprise à une autre entreprise, et non à un particulier.
Par ailleurs, il ne s'applique pas non plus aux services d'intérêt général, c'est-à-dire aux services non marchands, même si la rédaction de cette exclusion doit, à l'évidence, être améliorée.
Quant aux autres services publics - ceux qui ont un aspect économique -, les plus importants d'entre eux sont aussi exclus par la proposition de la Commission européenne. Il en va ainsi de la distribution d'électricité, de gaz et d'eau, des transports, de la poste, des télécommunications ou d'autres activités plus spécifiques comme le transport de déchets.
Enfin, la liste est longue des autres activités exclues : une vingtaine sont expressément citées, auxquelles s'ajoutent celles qui poseraient à l'Etat membre des problèmes d'intérêt public, d'ordre public, de santé publique.
A y regarder de près, ce principe du pays d'origine ne trouverait donc à s'appliquer que de façon résiduelle. Même si ces limites ne sont pas assez nombreuses pour la commission des affaires économiques du Sénat, il faut reconnaître que l'application limitée de la règle du pays d'origine est conforme à la tradition de la construction du marché européen depuis le traité de Rome de 1957.