Intervention de Roland Ries

Réunion du 15 mars 2005 à 10h30
Services dans le marché intérieur — Discussion des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Roland RiesRoland Ries :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a quelques mois, les chefs d'Etat et de gouvernement ont signé le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Dans le préambule, ils mentionnent leur conviction « que l'Europe (...) entend avancer sur la voie de la civilisation, du progrès et de la prospérité, pour le bien de tous ses habitants, y compris les plus fragiles et les plus démunis ; qu'elle veut demeurer un continent ouvert à la culture, au savoir et au progrès social ; ».

Ce ne sont pas que des mots. Ces termes contiennent un programme politique pour l'Europe de demain. De plus, ils renvoient à une idée européenne qui guide notre action depuis plus de cinquante ans, une idée européenne dont la Constitution est un aboutissement qui permettra de faire avancer l'Europe politique et l'Europe sociale à laquelle nous aspirons.

C'est dans ce contexte que la Commission européenne a soumis au Parlement et au Conseil européens une proposition de directive dont l'objectif affiché est d'organiser la suppression des obstacles à la liberté d'établissement des prestataires de service et à la libre circulation des services entre les Etats membres.

Quels constats peut-on dresser à la lecture de cette proposition de directive ?

D'abord, son champ d'application reste extrêmement flou. La frontière incertaine entre les notions de services d'intérêt général - exclus de la directive - et de services d'intérêt économique général - concernés, eux, par la directive - illustre déjà les difficultés d'application et d'interprétation à venir.

Ensuite, la directive restreint fortement le champ des régimes d'autorisation et la capacité de contrôle des Etats. A titre d'exemple, elle supprime la déclaration préalable au détachement de travailleurs, qui permettait à l'Etat d'accueil de contrôler le respect par l'entreprise étrangère des règles en matière de droit du travail.

Par ailleurs - c'est peut-être le point essentiel -, l'article 16 de la directive dispose que « les Etats membres veillent à ce que les prestataires soient soumis uniquement aux dispositions nationales de leur Etat membre d'origine ». Concrètement, cela signifie qu'une entreprise d'un autre Etat de l'Union venant fournir un service en France resterait soumise au droit de son pays. En cas de contentieux avec le bénéficiaire du service, l'entreprise ne pourra se voir opposer la réglementation française en vigueur, concernant, par exemple, la protection des consommateurs, les normes de qualité, voire l'engagement de la responsabilité contractuelle du prestataire.

Ce principe du pays d'origine - disposition phare de la directive -, octroiera donc une prime à l'Etat le moins exigeant, au risque d'un dumping social, fiscal, environnemental et juridique.

Le Conseil d'Etat lui-même, dont on connaît pourtant la modération, a rendu le 18 novembre 2004 un avis extrêmement critique sur le texte. Il relève que l'application de ce principe serait source d'insécurité juridique et d'actions contentieuses.

Il ajoute : « L'application simultanée de plusieurs droits nationaux, qui sont placés en concurrence sur un même territoire, soulève plusieurs questions de principe. En l'état du projet (...), il y a lieu de relever que sont en cause certains principes fondamentaux de valeur constitutionnelle tels que la souveraineté nationale, l'égalité devant la loi et la légalité des délits et des peines. »

La Commission a-t-elle perçu les faiblesses de son principe fétiche ?

Il est intéressant de noter qu'elle prévoit déjà dans l'article 17 de la directive vingt-trois cas de dérogations générales au principe du pays d'origine et ajoute trois cas de dérogations transitoires.

Quoi qu'il en soit, cette proposition de directive est en nette rupture avec la méthode employée par les institutions communautaires pour développer la construction européenne.

Lors de la mise en place du marché unique, puis du marché intérieur, à travers le traité de Luxembourg de 1986 et le traité de Maastricht de 1993, la méthode retenue pour favoriser la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux était fondée sur la recherche d'une harmonisation entre les législations nationales.

Cette méthode a conduit les institutions européennes à proposer des directives pour mettre fin aux obstacles techniques, juridiques et administratifs à la libre circulation des biens de deux manières : la première, c'est l'adoption d'une législation européenne remplaçant, à terme, les législations nationales ; la seconde, c'est le principe dit de reconnaissance mutuelle. Dans ce cas, les Etats membres décident d'accorder aux lois et aux normes techniques en vigueur dans un autre Etat membre la même validité qu'aux leurs. En d'autres termes, si un produit pouvait être commercialisé légalement dans un pays de l'Union européenne, il pouvait l'être dans les autres.

Cette méthode, initiée par Jacques Delors, est aujourd'hui remise en cause par le principe du pays d'origine.

En effet, la Commission européenne refuse d'harmoniser les législations nationales. Elle se contente d'accepter que les législations nationales d'un Etat s'appliquent dans un autre Etat membre de l'Union.

Cela remet profondément en cause la notion même de marché unique, car nous allons nous retrouver devant vingt-cinq législations différentes s'appliquant les unes chez les autres. Au lieu de construire un modèle de société cohérent et de chercher à niveler la qualité de vie des Européens par le haut, on laisse faire les Etats, sans garantie ni protection pour le citoyen européen. Ainsi, le risque est grand pour les consommateurs de se voir soumis à une insécurité juridique accrue et à de nombreux contentieux.

Le principe du pays d'origine a certes déjà été utilisé, notamment dans la directive « télévision sans frontières », mais il n'est jamais apparu comme un principe de fonctionnement et de méthode de construction communautaires.

A vrai dire, comme vous pouvez le constater, mes chers collègues, c'est l'économie générale du texte qui est défectueuse. Sa logique intrinsèque est condamnable.

La commission des affaires économiques nous soumet aujourd'hui une proposition de résolution demandant des aménagements, des modifications et d'autres améliorations.

Oui, on peut essayer de multiplier à l'infini les exceptions, les exclusions, les dérogations, les mises sous condition ! Mais, il faut se rendre à l'évidence, lorsqu'un principe ou une proposition fait l'objet de tant d'aménagements, d'exceptions et de dérogations, c'est qu'il existe un problème avec le principe ou la proposition elle-même.

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