Intervention de Denis Ranque

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 janvier 2005 : 2ème réunion
Audition de M. Denis Ranque président-directeur général de thales

Denis Ranque, président directeur général de Thales :

A la suite de ces interventions, M. Denis Ranque, président directeur général de Thales, a apporté les précisions suivantes :

- le domaine de l'électronique présente la particularité de connaître une évolution technologique accélérée puisque l'on constate, tous les trois à quatre ans, un doublement des quantités d'informations susceptibles d'être contenues sur une même surface de puce électronique. Dans ces conditions, les progrès de productivité sont tels qu'il n'est pas possible de maintenir l'emploi constant sur des activités dont la croissance, quant à elle, ne suit pas un rythme aussi rapide ;

- pour Thales, cette réalité s'est traduite par le passage de ses effectifs, en France, de 65.000 à 30.000 salariés en quinze ans, alors que, dans le même temps, ses effectifs doublaient à l'étranger en raison de sa démarche multidomestique. Cette évolution s'accompagne toutefois d'un effort très important en matière de formation interne et d'aide au reclassement, de sorte que Thales assure à ses salariés de fortes garanties de « ré-employabilité » sur le marché du travail ;

- la restructuration de Thales Systèmes Aéroportés sur le site d'Elancourt est inévitable, dans la mesure où ce site avait notamment en charge le développement, désormais achevé, des nouveaux grands programmes tels que le Rafale ou le Mirage 2000. Environ 350 emplois doivent ainsi être supprimés à Elancourt avec, en parallèle, des transferts sur d'autres sites de la société, à Brest (133 postes) et à Pessac (116 postes), dans le but de réorganiser les activités de l'entreprise afin de l'adapter au contexte mondial. Comme lors des précédents plans sociaux de Thales, tous les salariés concernés par les suppressions de postes se verront proposer un emploi dans le groupe, sur un autre site, et, si besoin est, un reclassement externe ;

- le partenariat stratégique établi avec DCN ne concerne que la branche française de Thales Systèmes Navals. Il doit permettre de porter l'industrie navale nationale à des standards de productivité et de compétitivité la plaçant en bonne position pour de futures consolidations dans l'industrie européenne de la construction navale ; une alliance européenne pourrait ainsi être envisagée dans une phase ultérieure, à une échéance comprise entre trois et dix ans ; dans le domaine des sous-marins conventionnels, une coopération avec l'Allemagne s'impose ; dans celui des bâtiments de surface, le champ des possibilités est plus large, puisque des pays comme le Royaume-Uni et l'Italie disposent également de capacités industrielles ;

- en ce qui concerne les perspectives d'évolution du groupe Thales, il faut rappeler que l'adossement à un autre groupe européen ne répond nullement à une nécessité puisque Thales suit avec constance une stratégie claire qui lui a permis de se développer au cours de ces dernières années ; les interrogations tiennent plutôt aux intentions de ses principaux actionnaires ; Dassault a en effet déclaré son intention de se défaire, à une échéance non déterminée, de sa participation de 5 % ; Alcatel réfléchit sur le niveau optimal de sa participation en liaison avec le management du Groupe ; quant à l'Etat qui, du fait de son action spécifique, détient un rôle clef sur toute entrée d'un nouveau partenaire au capital, il a clairement indiqué que Thales n'était pas à vendre et il s'est déclaré attaché au maintien du périmètre actuel du groupe Thales, écartant ainsi toute opération qui entraînerait un démembrement du groupe ;

- s'il est légitime de suivre attentivement les réflexions en cours chez les différents actionnaires, il n'est, en revanche, pas acceptable de voir l'image et les salariés de l'entreprise perturbés par les déclarations de certains groupes extérieurs à Thales, a fortiori lorsque ceux-ci possèdent aussi des participations publiques ;

- en tout état de cause, pour la direction de Thales, une éventuelle consolidation du groupe ne serait envisageable qu'à la condition de répondre à une véritable logique industrielle, c'est-à-dire de s'intégrer à la stratégie des ces dernières années, en matière de dualité, de développement international et de priorité donnée à la réalisation de systèmes. En outre, cette consolidation ne pourrait que préserver le périmètre sur lequel l'entreprise fonde aujourd'hui sa forte position industrielle ;

- l'équipe commune « maîtrise d'oeuvre PA2 », constituée par DCN et Thales, dite MOPA2, s'efforce, dans le cadre du contrat d'étude de 20 millions d'euros qui lui a été attribué en fin d'année, de définir dans le détail les éléments qui pourraient être communs entre le second porte-avions français et les deux porte-avions britanniques. Ainsi, l'approche ne consiste pas à partir du principe d'un programme commun aux deux pays, avec, à terme, le risque de difficultés liées à la divergence de certains besoins, mais à tenir compte du besoin propre exprimé par chacun des deux pays et à effectuer des propositions en vue d'y répondre avec un maximum d'équipements communs. D'ores et déjà, il apparaît que les besoins ne sont pas identiques, puisque, par exemple, chaque pays disposera d'un type d'avions différent, ou encore que le porte-avions français participe à la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire. Aux yeux de Thales, les éléments communs pourraient représenter jusqu'à 80 % de l'ensemble. L'accord intervenu, le 24 janvier 2006, entre les ministres britanniques et français de la défense permet désormais de mener les études détaillées sur la base de l'état actuel du design du CVF britannique, l'objectif étant de lancer la réalisation fin 2006, début 2007 ;

- Thales s'est vu confier un contrat d'études-amont pour la recherche de systèmes répondant, comme naguère les mines antipersonnel, au besoin de protection de zone, mais ne produisant en aucun cas les mêmes effets que ces armes dont la France interdit désormais l'usage, la fabrication et le commerce ;

- la maîtrise d'oeuvre du programme de drone tactique Watchkeeper est assurée par Thales UK, qui sous-traite 30 % de la réalisation à la joint venture détenue, à parts égales, par Thales et l'Israélien Elbit ; les accords établis avec Elbit permettent à Thales de réutiliser la technologie et donc de proposer le drone à d'autres pays européens, en effectuant les adaptations nécessaires. Ainsi, dans l'hypothèse ou la France serait intéressée par le Watchkeeper, le programme serait conduit par Thales France et adapté aux besoins français, en réutilisant autant que possible, avec les économies qui en résulteraient, les acquis du programme britannique ;

- la dualité est un impératif dans le domaine de l'électronique plus que dans tout autre. Thales en tient compte en ouvrant largement vers l'extérieur ses activités de recherche, comme en témoignent le regroupement de ses centres de recherche, aux côtés d'autres entreprises, sur le campus de l'école polytechnique, ou encore son implication active dans les recherches soutenues par le programme-cadre de recherche et de développement européen, sans oublier sa présence dans quatre des six pôles de compétitivité français à vocation mondiale ;

- la France a déclaré son intérêt pour le programme AGS de l'OTAN à condition notamment que son coût global, initialement de l'ordre de 4 milliards d'euros, soit diminué et ramené à environ 3 milliards d'euros, la participation française étant de 15 % de l'ensemble ; une solution alliant le Watchkeeper et les moyens associés au programme AGS semble mieux répondre aux besoins de surveillance à l'origine du programme de drone Euromale et pour un coût inférieur ;

- le Rafale est en service opérationnel dans la marine et tout est fait pour que sa mise en service au standard F2, dans l'armée de l'air, intervienne en 2006 ; globalement, le programme n'a pas connu de dérive financière, les surcoûts liés à l'étalement de la phase de développement étant compensés par des gains sur la phase de production de série. Si l'échec intervenu à Singapour est sans doute lié au cours de l'euro et au prix de l'armement proposé par la France, on doit aussi souligner le poids du soutien politique apporté par l'administration américaine ; l'influence des enjeux politique est également perceptible dans la compétition en Arabie Saoudite, l'avantage obtenu par l'Eurofighter n'étant cependant pas décisif puisque le processus de sélection n'est pas achevé. Le Rafale débute sa vie opérationnelle et toute perspective à l'exportation ne lui est pas irrémédiablement fermée ; d'autres compétitions vont, au demeurant, intervenir dans les prochaines années, par exemple en Grèce ou en Suisse. A cet effet, il serait important de pouvoir obtenir, par redéploiement de crédits, un complément d'études visant à intégrer dans les futurs avions de série français certains équipements prévus dans la version proposée aux Singapouriens, notamment le radar à antenne active ;

- en dépit du rachat d'Atlas par le consortium mené par Thyssen, Thales, via sa filiale néerlandaise, entend bien demeurer le premier fournisseur de systèmes navals de la marine allemande, au besoin en coopérant avec Atlas ; Thales Pays-Bas a ainsi vocation à devenir un partenaire stratégique de TKMS, au même titre que Thales France est un partenaire stratégique de DCN ;

- la priorité donnée aux spécifications résultant du besoin capacitaire ne doit en rien freiner l'innovation si, dans le même temps, un effort soutenu en matière d'études-amont permet aux entreprises d'explorer les différentes technologies qui leur permettront, le moment venu, de proposer les solutions répondant à ce besoin ;

- l'intelligence économique constitue une préoccupation essentielle pour un groupe comme Thales ; elle suppose un partenariat étroit avec les services compétents de l'Etat ;

- le programme de systèmes de surveillance des frontières, pour lequel Thales a soumis un projet à l'Arabie Saoudite, reste d'actualité, même si aucune échéance n'est arrêtée pour la décision saoudienne ;

- la compétitivité des entreprises européennes de défense pourrait être considérablement renforcée si les gouvernements levaient certains obstacles administratifs à leur activité. En effet, on a constaté que les échanges internes aux pays membres de l'Union européenne avaient donné lieu à l'instruction, dans ces vingt-quatre pays, de près de 13.000 demandes de licences d'exportation, seuls 15 refus ayant été opposés. Le coût total de ces contraintes administratives, estimé à 3 milliards d'euros dont 250 millions d'euros en coût direct, pourrait être économisé si étaient mises en place des procédures allégées pour les transferts d'équipements de défense internes à l'Union européenne. Cette démarche devrait être engagée, en priorité, parmi les six pays membres de la Letter Of Intent (LOI).

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion