Intervention de Jean-François Pilliard

Commission des affaires sociales — Réunion du 14 septembre 2010 : 1ère réunion
Réforme des retraites — Audition de M. Jean-François Pilliard président de la commission protection sociale du mouvement des entreprises de france medef

Jean-François Pilliard, président de la commission Protection sociale du Medef :

La réforme des retraites est essentielle pour l'avenir de notre protection sociale. Le Medef considère que cette réforme doit obéir à un principe d'équité sociale et garantir à nos concitoyens une retraite décente. Il est également convaincu que le problème de l'équilibre des régimes de retraite est avant tout d'ordre démographique : l'espérance de vie augmente, les jeunes entrent de plus en plus tard sur le marché du travail, et la proportion des actifs et des inactifs s'inverse. Il était donc indispensable d'augmenter la durée de cotisation - c'est chose faite depuis la loi Fillon de 2003 - et de relever l'âge du départ à la retraite et de la retraite à taux plein, sans renoncer à prendre en compte les spécificités de certaines catégories de salariés. Le rythme choisi par le Gouvernement nous paraît satisfaisant, et le rapprochement des régimes des secteurs public et privé équitable.

Quant à la pénibilité, c'est un sujet que je connais bien puisque je suis issu du milieu industriel. Je vous encourage à allier la forme au fond et à adopter des textes clairs et opérationnels, afin que les entreprises puissent effectivement les appliquer. Or, à ce stade, les solutions retenues paraissent relativement complexes au regard de leur mise en oeuvre. Il faut distinguer entre ce que j'appellerai, faute d'un autre terme, la réparation du travail pénible et sa prévention. S'agissant de la réparation, le dispositif relatif aux carrières longues, introduit dans la loi Fillon et qui concerne près de cent mille personnes chaque année, constitue une première réponse : les salariés ayant commencé à travailler tôt sont aussi ceux qui sont le moins qualifiés et sont le plus souvent confrontés à un environnement pénible. En outre, la prise en charge de l'incapacité au travail par la collectivité regarde cent vingt mille personnes par an. Le Gouvernement prévoit d'abaisser de 20 % à 10 % le taux d'invalidité au-delà duquel les employés pourront partir à la retraite dès soixante ans sans décote, au terme d'une procédure individualisée devant une commission pluridisciplinaire. En tout, près de deux cent cinquante mille personnes partant à la retraite sur huit cent mille seraient concernées chaque année par des mesures de réparation : peu de pays nous égalent.

La prévention est essentielle car, à terme, elle rend la réparation moins nécessaire. Le Medef est très attaché à ce que se poursuive l'amélioration des conditions de travail observée depuis vingt ans, et qui s'est traduite par la diminution du nombre d'accidents du travail. Il est possible d'aller plus loin, tout en ménageant les fragiles équilibres des entreprises. Nous sommes favorables à ce que les partenaires sociaux se réunissent périodiquement dans le cadre des branches professionnelles, comme l'ont proposé MM. Méhaignerie et Jacquat, afin de donner l'impulsion nécessaire. Les thèmes prioritaires de leur réflexion devraient être l'ergonomie du poste de travail et, plus généralement, l'environnement de travail, l'aménagement des carrières - dans la plupart des pays européens, la prévention des risques fait partie de la politique des ressources humaines et l'on se soucie qu'aucun salarié ne reste durablement affecté à un poste pénible alors qu'en France, on se contente généralement de verser des primes qui incitent à rester dans l'environnement de pénibilité - et celui des fins de carrières. Toutefois, le Medef est hostile à l'extension des cessations anticipées d'activité, alors même que les partenaires sociaux, encouragés par l'Etat, tentent d'inverser une tendance vieille de trente ans qui consiste à mettre les seniors à la retraite prématurément. Le relèvement de l'âge du départ à la retraite doit absolument s'accompagner d'une hausse du taux d'emploi des seniors !

Nous sommes très réservés, pour ne pas dire plus, sur la pénalité d'un montant égal à 1 % de la masse salariale imposée aux entreprises n'ayant pas conclu d'accord sur l'emploi des seniors. C'est une forme de mépris pour la capacité des acteurs sociaux à progresser. Quand une loi ou un accord est adopté, on se laisse généralement un certain délai avant d'apprécier si l'objectif est atteint et, dans le cas contraire, on recherche les moyens d'inverser la tendance avant d'envisager des sanctions. Mais la France est le pays où le nombre des lois, règlements et accords d'entreprises est le plus élevé et leur efficacité la plus faible, par exemple en ce qui concerne l'égalité entre les hommes et les femmes.

La création de fonds de mutualisation au niveau des branches ne nous paraît pas souhaitable. Ce sont les entreprises qui les alimenteront ; or, les secteurs d'activité où le travail est pénible sont aussi ceux où les marges sont les plus réduites. Rappelons que la France caracole en tête des pays de l'OCDE pour le niveau des charges pesant sur les entreprises. Ne croyons pas que l'Etat pourra lui-même abonder ces fonds : nous connaissons tous l'état des finances publiques et la nécessité de réduire les déficits. L'Etat n'a-t-il pas décidé, sans même consulter les partenaires sociaux, de prélever 300 millions d'euros sur le fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP), alimenté par les entreprises ? Quant au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, il sert trop souvent à faire bénéficier d'une cessation anticipée d'activité des gens qui n'ont jamais été exposés à l'amiante !

Au sujet de la prévention, notre démarche est constructive. N'oublions pas que sur les 10 milliards d'euros de la banche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la sécurité sociale, 300 millions y sont consacrés. Il faut concevoir des mesures simples et opérationnelles, à coût constant, et éviter la superposition des dispositifs.

J'en viens à la question du financement de l'assurance vieillesse. On ne peut pas se déclarer attaché à la retraite par répartition, qui consiste en ce que les cotisations d'une année financent les pensions de la même année, et vouloir que la fiscalité devienne la première source de financement ! Le Medef, cependant, n'est pas hostile à une réforme systémique, passé le temps de la réforme paramétrique destinée à répondre à l'urgence ; une telle réforme globale est d'ailleurs inéluctable. Aucun régime de la sécurité sociale n'est à l'équilibre. Ce n'est pas avec quelques recettes supplémentaires et conjoncturelles que l'on résoudra un problème structurel. Toute nouvelle taxation rendrait nos entreprises moins compétitives et augmenterait le taux de chômage qui oscille, selon les statistiques officielles, entre 7 % en période de croissance et 10 % en période de crise, voire entre 15 % et 20 % si l'on excepte la fonction publique.

On parle de taxer les revenus tirés de l'intéressement et de la participation. Mais alors qu'un système de retraite par répartition est par essence aléatoire, il importe d'encourager l'épargne retraite. Si les PME, contrairement aux grands groupes, rechignent à développer ces formes de rémunération, c'est en raison de la complexité de la réglementation, et parce qu'elles sont exposées au risque permanent d'un relèvement de la taxation de ces dispositifs. Celle-ci a déjà augmenté récemment, et la relever de deux points ne nous paraît pas aller dans le bon sens.

S'agissant des stock-options, comme je le disais à l'Assemblée nationale, on pourrait aussi bien les taxer à 100 % : cela rapporterait un milliard d'euros la première année, puis plus rien. Je crois nécessaire en revanche que les revenus tirés des stock-options dépendent non seulement du cours des actions, mais aussi des performances économiques à moyen terme des entreprises. N'oublions pas que ce type de rémunération permet à des start up d'attirer des talents alors qu'elles ne peuvent pas mener la même politique salariale que les grands groupes ! Les entreprises doivent d'ailleurs s'adapter à leur environnement international.

Pour ce qui est des « retraites chapeaux », terme impropre, il convient de distinguer deux catégories de bénéficiaires : des dirigeants d'entreprises, aux émoluments élevés, et de nombreux salariés, qui ne sont pas tous des cadres et n'ont souvent droit qu'à de modestes pensions de base. En tout cas, le Medef a toujours dit qu'il estimait légitime que les entreprises et les bénéficiaires des « retraites chapeaux » acquittent une contribution.

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