Intervention de Laurent Wauquiez

Commission des affaires sociales — Réunion du 15 septembre 2010 : 1ère réunion
Réforme des retraites — Audition de M. Laurent Wauquiez secrétaire d'etat chargé de l'emploi

Laurent Wauquiez, secrétaire d'Etat chargé de l'emploi :

Je remercie la commission d'avoir souhaité m'entendre sur un sujet qui me tient tant à coeur, celui de l'emploi des seniors. Je remercie votre rapporteur, Dominique Leclerc, qui s'est investi depuis dès longtemps sur cette question et a contribué, naguère, à des améliorations substantielles sur les dispositifs en faveur de l'emploi des seniors.

Le premier constat à dresser tient à l'incidence de l'âge de départ à la retraite sur le taux de l'emploi. Ainsi, la Suède, qui s'est engagée dès 1999 dans une réforme de son système de retraite, a, en reculant l'âge de départ, vu augmenter le taux d'emploi de ses cinquante-cinq-soixante-cinq ans à 70 %, quand la moyenne de l'Union européenne n'est que de 46 %. Mais au regard de la cristallisation des mentalités dans notre pays, se contenter de citer des chiffres ne suffit pas. C'est un travail de fond qu'il faut entreprendre. J'invite solennellement tous les partis à balayer devant leur porte car le sacrifice de l'emploi des seniors dans notre pays relève d'une responsabilité collective. Trente ans durant, on les a considérés comme une donnée encombrante dans les statistiques du chômage. Mieux valait les pousser dehors, via des dispositifs tous plus imaginatifs les uns que les autres. Tel était le consensus, partagé par les partenaires sociaux, qui reconnaissent que c'étaient là des instruments utiles face à des situations d'ajustement douloureuses, par les entreprises, qui y trouvaient le moyen de recomposer la pyramide des âges de leurs salariés, fût-ce au prix d'une perte de savoir-faire, par la classe politique, enfin, pour les raisons que j'ai dites.

Si une telle logique apporte un soulagement à court terme, elle est, hélas, très douloureuse à moyen et long termes, par l'effet de domino qu'elle suscite. Avec la préretraite à cinquante-huit ans, les entreprises se sont mises à considérer qu'il n'était pas raisonnable d'embaucher au-delà de cinquante-quatre ou cinquante-cinq ans, tant et si bien que, par un effet de contamination, il est devenu très difficile, à partir de cinquante ans, de retrouver un emploi, réalité qui a eu l'impact que l'on sait sur notre taux de croissance et nos régimes de retraite.

Aucun gouvernement n'avait autant fait que ce qui a été fait depuis trois ans, avec des résultats aussi probants sur le taux d'emploi des seniors. Nous avons décidé de mettre fin à tous les dispositifs de sortie artificielle des seniors des statistiques du chômage, comme la surréaliste « dispense de recherche d'emploi » qui conduisait à encourager les chômeurs de plus de cinquante-huit ans à baisser les bras. Tant sur le plan de l'éthique que pour la préservation du lien entre les générations, de telles pratiques sont inacceptables, elles sont suicidaires. Sans compter qu'elles sont onéreuses pour notre système de retraites puisqu'il s'agit en somme de payer pour sortir des gens du marché de l'emploi, au lieu de le faire, plus intelligemment, pour accompagner le maintien dans l'emploi. C'est ainsi qu'entre 1997 et 2000, on a suscité plus de cent mille départs en préretraite et accordé autant de dispenses de recherche d'emploi.

Nous avons entrepris de nous battre sur ce volet, tout d'abord avec les mesures engagées par Xavier Bertrand - système de la surcote, dispositions facilitant, en l'encadrant, le cumul emploi-retraite, suppression progressive de la dispense de recherche d'emploi, mesures visant à transformer le comportement des employeurs.

Nous avons institué l'obligation, pour les branches et les entreprises, de passer, avant le 1er janvier 2010, des accords destinés à changer les habitudes de gestion des ressources humaines. Nous les avons accompagnées, avec l'aide du cabinet Vigeo de Nicole Notat, pour les inciter à rédiger un cahier des bonnes pratiques. Il faut en finir avec l'idée que les seniors nuisent à la compétitivité. L'entreprise a besoin de stabilité, de compétences, de savoir-faire. Les seniors, de ce point de vue, constituent sa colonne vertébrale. Celles qui l'ignorent prennent un gros risque : Areva a failli succomber pour n'avoir pas su anticiper la transmission des savoir-faire en matière nucléaire de la première génération vers les plus jeunes.

Si bien des réserves s'étaient manifestées lorsque nous avons institué cette obligation, force est de constater qu'au 1er janvier 2010, presque toutes les entreprises et les branches ont conclu un accord. Alors que, quelques années auparavant, le mot d'ordre était « comment s'en débarrasser ? », toutes les initiatives, aujourd'hui, sont prises pour favoriser le maintien ou l'embauche des seniors, ouvrir aux plus de cinquante ans l'accès à la formation professionnelle, qui leur était une fois sur deux fermé, gérer les fins de carrière avec plus de souplesse.

Car nous avons enregistré des résultats significatifs. Alors qu'entre 1997 et 2000, six cent mille seniors sortaient du marché du travail, leur taux d'emploi a progressé de cinq points en trois ans, nous plaçant en meilleure position en Europe. Le taux de chômage des plus de cinquante ans est d'ailleurs inférieur à la moyenne nationale : 6,1 % pour les cinquante-soixante ans. Ce sont désormais douze millions de salariés qui sont couverts par quatre-vingts accords de branche et trente-trois mille neuf cents accords d'entreprise, moins de deux cent cinquante d'entre elles ayant préféré payer la pénalité.

Nous entendons aller plus loin, en transposant aux seniors le dispositif du « zéro charges », outil simple, lisible, qui a favorisé l'embauche d'un million de salariés durant la crise. Le dispositif introduit à l'article 32 de ce texte, loin de favoriser la précarité, comme certains en répandent la rumeur, la fait reculer.

Parallèlement, nous entendons favoriser la transmission des savoir-faire par le moyen du tutorat qui, au rebours des logiques qui prévalaient auparavant et qui tendaient à opposer les générations, organise une complémentarité entre le senior et le jeune. Car il est criminel de culpabiliser, comme on l'a trop longtemps fait, les plus de cinquante-cinq ans au motif qu'ils priveraient d'emploi les plus jeunes. Ce n'est pas ainsi que l'on favorise la cohésion sociale. Le tutorat permet de financer l'emploi du senior et d'organiser l'emploi du jeune auquel il transmet ses savoir-faire. Il a été expérimenté avec succès dans une entreprise comme Michelin, qui a prouvé que l'on pouvait sécuriser le déroulement de carrière des anciens tout en assurant la formation des plus jeunes. Le tutorat concerne aujourd'hui deux cent mille personnes. En majorant le plafond de prise en charge des frais, notre but est de le diffuser dans le cadre des contrats de professionnalisation et d'apprentissage.

Nous entendons encourager la diffusion des bonnes pratiques et porter le fer sur les mauvaises. C'est une exigence d'intérêt général autour de laquelle nous pouvons tous nous retrouver. Il n'y a pas de fatalité. En Europe, des pays aux modèles sociaux forts, comme l'Allemagne, le Danemark, la Suède, qui n'ont pas hésité à engager la lutte, sont parvenus à augmenter le taux d'emploi de leurs seniors tout en améliorant celui des jeunes. Des résultats tangibles montrent que cela est possible. Nous vous appelons à consolider collectivement l'édifice, afin que les seniors se sentent soutenus par l'ensemble de la classe politique.

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