Intervention de Christian Babusiaux

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 25 octobre 2011 : 1ère réunion
Bilan de la fusion de la direction générale de la comptabilité publique dgcp et de la direction générale des impôts dgi — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Christian Babusiaux, président de la Première chambre de la Cour des comptes :

Votre demande était toute naturelle, puisque l'administration objet de cette réforme est une colonne vertébrale de la gestion de l'État et des collectivités locales, un élément majeur de la présence territoriale des services publics, un acteur important de la vie économique du pays. Si ce bilan paraît prématuré à certains, il vient néanmoins à son heure, car nous sommes à une période charnière. La fusion a été réalisée, il faut s'interroger sur ce qui doit être fait à partir d'aujourd'hui.

Un bilan de cette fusion appelle des réponses à quatre questions : les objectifs ont-ils été atteints ; quelles en sont les incidences budgétaires ; quelle est la portée réelle de la fusion sur la manière dont les missions confiées à la DGFiP sont dorénavant exercées ; quelles sont les perspectives ouvertes par cette réforme et quels sont les principaux problèmes encore à traiter ?

La réalisation, tout d'abord, a été bien ordonnée. De multiples actions devaient être menées de manière interdépendante : mettre en place une nouvelle structure administrative, à l'échelon central comme à l'échelon territorial, instaurer de nouvelles procédures, des langages communs, réaliser la fusion des corps de fonctionnaires, gérer le nouvel ensemble. Les calendriers ont été tenus. Les opérations nécessaires (juridiques, statutaires, d'organisation, d'immobilier) ont été menées à bien et selon un schéma rationnel. Il faut souligner les efforts consentis, l'efficacité du pilotage et la qualité de l'exécution.

L'acceptation de la réforme par les agents était une condition majeure du succès. Les cadres, et notamment les cadres supérieurs, ont été motivés en tant qu'acteurs du changement. En revanche, parmi les autres agents, la fusion pouvait susciter des craintes. Crainte, d'abord, de perdre leurs repères, car les identités professionnelles étaient fortes, au sein de chacune des entités. Surtout, la fusion, lancée après plusieurs années de réduction des effectifs, pouvait être ressentie comme le moyen de poursuivre, voire d'accentuer cette tendance, en y fournissant une justification. Elle pouvait être appréhendée comme le point de départ d'une vague de changements susceptibles de toucher personnellement les agents.

Ces craintes ont été anticipées. Un dialogue a été engagé à la fois à l'échelon central et à l'échelon déconcentré. Les garanties données aux agents ont circonscrit les effets immédiats de la fusion : absence de mobilité géographique forcée au-delà des limites d'une commune, respect du métier, maintien dans la spécialité professionnelle. En outre, des avantages ont été consentis en termes de rémunération et de statut. Les organisations syndicales, tout en dénonçant un fait accompli, se sont concentrées sur la négociation des modalités et des compensations. Malgré des réticences propres à certaines catégories d'agents et des conflits localisés, il n'y a pas eu de mouvement social de grande ampleur. Les agents ont pu considérer qu'à terme, dans un contexte de changements que chacun savait inéluctables, la constitution d'une plus grande entité, occupant une place essentielle dans l'État, allait dans leur propre intérêt et pouvait renforcer leur poids collectif.

En même temps, le souci de mener à bien la fusion a eu des contreparties, qui en ont limité la portée immédiate et ont ralenti le calendrier des changements. L'appropriation complète de la fusion par les agents prendra du temps, et sera parachevée à travers la relève des générations et grâce à l'unification de l'appareil de formation, déjà bien engagée. Le maintien de la cohésion du nouvel ensemble nécessite un suivi attentif et serait facilité par la mise en place d'une charte du dialogue social.

Les coûts, ensuite. La fusion a eu des coûts budgétaires directs. Il est malaisé d'identifier tous les coûts afférents à la fusion faute de véritable comptabilité analytique, ainsi que la Cour l'a regretté de longue date. Ces coûts ont comporté deux volets principaux. En matière immobilière, l'installation des nouvelles directions locales et surtout des services des impôts des particuliers (SIP) a entraîné des travaux évalués à 213 millions d'euros. Ce montant n'est certes pas négligeable, mais une partie de ces travaux aurait été réalisée en l'absence de fusion, et les dépenses ont été pour une part couvertes par des produits de cession et des économies de loyers. Ces dépenses seront amorties à un horizon de plusieurs années. Nous ne critiquons donc pas un coût immobilier excessif de la fusion.

L'impact sur les rémunérations doit en revanche retenir davantage l'attention. La majeure partie des coûts est imputable aux avantages statutaires et indemnitaires accordés aux agents, qui ont été généreux : alignement sur la situation la plus favorable prévalant dans les deux directions fusionnées, reclassements, généralisation et pérennisation des primes et indemnités, dans de très nombreux cas sans justification fonctionnelle, c'est-à-dire sans que le travail des agents ait été modifié. Le coût cumulé des mesures directement liées à la fusion est évalué à 590 millions d'euros sur la période 2007-2012 - 890 millions d'euros avec les mesures catégorielles non directement liées à la fusion dont les agents ont bénéficié. Constituant des acquis, elles entraîneront des coûts récurrents de l'ordre de 209 millions d'euros par an, et se répercuteront pour partie dans le calcul des pensions de ces agents.

La norme fixée pour la RGPP, un retour aux agents de 50 % des gains tirés des réductions d'effectifs, a été dépassée sur les années 2009-2011, mais elle serait quasiment respectée sur la période 2008-2012. Ce taux général de 50 % nous paraît excessif dans la mesure où il ne nous parait pas compatible avec l'indispensable maîtrise de la masse salariale. Le gain moyen par agent a d'ailleurs été majoré du fait que les réductions d'effectifs ont été plus fortes à la DGFiP qu'en moyenne, puisqu'il y a eu non-remplacement de deux fonctionnaires partant à la retraite sur trois.

En regard de ces coûts avérés, le montant des économies permises par la fusion est plus difficile à évaluer. Encore à venir, donc incertains, les gains dépendent surtout de la réduction des effectifs. Or, le rythme de réduction d'emplois, certes plutôt élevé, est resté depuis la fusion exactement sur la même pente que depuis 2006, c'est-à-dire dès avant la fusion. Il est donc impossible de dire si les suppressions de postes survenues depuis la fusion en sont un effet.

Logiquement, c'est dans les fonctions transverses - gestion des ressources humaines, fonctions informatiques et immobilières - que la fusion devrait permettre d'économiser des postes de travail. La DGFiP estime que ces gains devraient se concrétiser assez rapidement. Dans ces métiers spécifiques, les évolutions dépendront notamment de l'adaptation des systèmes d'information.

Pour l'avenir, la visibilité reste limitée. Le fait qu'il soit impossible de disposer d'un calendrier, même approximatif, de l'évolution et de la répartition des effectifs marque la difficulté à mesurer les besoins par tâches et à anticiper leur évolution. La Cour n'est pas en mesure de savoir si la DGFiP n'évalue pas ses propres marges de manoeuvre, ou si elle préfère ne pas en faire état, tant en interne que vis-à-vis de l'extérieur...

L'impact sur l'exercice des missions, enfin, reste limité. Les méthodes retenues pour gagner l'adhésion des agents, voire rassurer certains partenaires, dont les collectivités locales, ont conduit à figer certaines situations, y compris sur le plan de l'implantation géographique. En termes fonctionnels, au-delà de la constitution d'une administration centrale unifiée et des nouvelles directions départementales, les modifications ont été centrées sur l'offre de guichets fiscaux uniques aux particuliers et la création de services de la fiscalité directe locale dans les directions départementales. En application de la règle du respect des métiers préexistants, l'établissement des nouvelles structures a souvent consisté en la juxtaposition d'agents continuant à exercer leurs tâches antérieures.

Des synergies ont commencé à se manifester ; la formation des pôles de recouvrement spécialisé - en partie engagée avant la fusion - a permis des rapprochements entre les activités de recouvrement et de contrôle fiscal ; la création des services de la fiscalité directe locale a eu également des premiers effets positifs ; l'action économique des services de la DGFiP a été renforcée, comme on l'a constaté dans la gestion du plan de relance.

Reste que des pans entiers des secteurs d'activité de la DGFiP n'ont pas été touchés : par exemple les relations avec les entreprises, le contrôle fiscal, le pôle foncier et domanial. De plus, les services aux collectivités territoriales n'ont pas été sensiblement accrus. Les évolutions de l'exercice des fonctions sont venues beaucoup plus des politiques déjà engagées avant la fusion (Chorus ; opérateur national de paye). Cependant, la DGFiP, en dépit de la fusion qu'elle avait à gérer, a su faire face à ces évolutions externes.

Des tâches de grande ampleur restent à mener. La fusion a consisté à créer un nouvel outil, non à en définir les conditions d'emploi à terme. Le parti a été pris de ne mener qu'une réforme à la fois, ce qui est sans doute sage. Cette méthode a permis d'atteindre l'objectif poursuivi, ce qui n'était pas gagné d'avance. Néanmoins, elle a limité la portée de la fusion et la DGFiP doit se doter d'une véritable capacité de réflexion stratégique. Certes, elle a élaboré un document d'orientation stratégique dont la période de référence se termine en 2012 et elle a lancé une démarche de réingénierie des processus bien utile mais à finalité technique et de portée limitée. Elle doit dorénavant accorder le plus haut degré de priorité à une indispensable démarche prospective intégrant les secteurs laissés en dehors de la fusion stricto sensu, et qui permette de repenser l'exercice des métiers, d'améliorer les relations avec les usagers, de fédérer et d'articuler un ensemble très vaste et composite, en le dotant d''une gouvernance adaptée à sa taille, et d'objectifs précis assortis de réels indicateurs de performance.

Pour conclure, le message de la Cour est simple : des chantiers majeurs ont été accomplis, mais des chantiers majeurs restent à ouvrir qui devront mobiliser encore cette direction essentielle pour le fonctionnement de l'État pendant des années. Le moment est venu aujourd'hui d'engager cette nouvelle étape.

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