Intervention de Nicole Bricq

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 26 octobre 2011 : 1ère réunion
Débat sur les prélèvements obligatoires — Communication

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, rapporteure générale :

Le taux de prélèvements obligatoires est une variable économique qui n'a pas grand sens politiquement, puisque son évolution dépend à la fois des décisions politiques et des évolutions de la conjoncture.

Le président Marini doit se souvenir de ce qu'il appelait en 1999 le « paradoxe de Strauss-Kahn » : « les impôts baissent mais les prélèvements obligatoires augmentent ». Cela s'expliquait à l'époque par la forte croissance qui, compte tenu de l'élasticité des recettes au PIB, permettait d'avoir un taux de prélèvements obligatoires en hausse tout en diminuant les taux des impôts.

Selon la programmation du Gouvernement annexée au présent projet de loi de finances, le « record » de 1999 en matière de taux de prélèvements obligatoires, de 44,9 points de PIB, sera « battu » en 2013, avec un taux de 45 points. J'y reviendrai plus tard.

Le Gouvernement n'aura, en fin de législature, respecté ni son objectif de baisse du ratio dépenses/PIB, ni - pour ce qui nous occupe aujourd'hui - son objectif de baisse du taux de prélèvements obligatoires. Au contraire, celui-ci aura augmenté de 1,1 point de PIB sur la période.

Certes, la crise est passée par là. Mais elle n'explique pas tout, comme nous allons le voir.

La programmation annexée au présent projet de loi de finances contient un élément nouveau par rapport aux précédentes, y compris le programme de stabilité envoyé à Bruxelles en avril dernier. Jusqu'ici les programmations se fixaient l'objectif de ne pas dépasser le taux de prélèvements obligatoires de 2007, ou alors de très peu, et certainement pas à l'horizon 2012. Le présent projet de loi de finances rompt quant à lui avec le « dogme » de la stabilité du taux de prélèvements obligatoires sur la législature, et admet enfin que l'amélioration de la situation de nos finances publiques ne sera pas possible sans augmentation de celui-ci.

Selon une décomposition indicative de la commission des finances, l'évolution du déficit des administrations publiques depuis 2007 peut s'analyser comme la résultante de deux mouvements contraires : une dégradation spontanée, de 3,8 points de PIB ; une amélioration issue de décisions discrétionnaires, pour 2,1 points de PIB.

Les trois première années du quinquennat ont été marquées par l'adoption de dispositions qui ont structurellement dégradé les finances publiques : la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, dite « loi TEPA », la TVA à taux réduit dans le secteur de la restauration, la réforme de la taxe professionnelle. Depuis 2010, mais surtout depuis les « paquets fiscalo-sociaux » de 2011 et 2012, on assiste à un mouvement inverse. Au total, sur la période, le rendement net cumulé des mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires aura été de l'ordre de 12,5 milliards d'euros, augmentant d'autant les recettes de 2012.

Je ferai trois observations. Tout d'abord, on ne peut qu'être saisi du décalage entre ces montants et le discours du Gouvernement se défendant d'augmenter les impôts. Ensuite, moins d'un après le vote de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, dite « LPFP 2011-2014 », on constate que ce texte, qui reposait sur une hypothèse de croissance irréaliste de 2,5 % par an, est périmé puisqu'il prévoyait, pour 2011, 11 milliards de hausse des prélèvements obligatoires (contre 12,3 en réalité) et, pour 2012, 3 milliards (contre 11,2 désormais prévus). Cela montre bien que le projet de révision constitutionnelle, que le Président de la République a renoncé à soumettre au Congrès, et prévoyant l'instauration de « lois-cadres » au dispositif analogue à celui de la LPFP 2011-2014, aurait été inopérant, puisque le même Gouvernement a pu à la fois proposer cette règle et dans le même temps faire voter une LPFP reposant sur des hypothèses qui la vidaient de sa portée pratique.

Le chiffrage de la loi TEPA mérite que l'on s'y arrête. En compilant les données des différents documents budgétaires, on se rend compte que son coût, évalué à 14 milliards d'euros en 2007, avait alors été surestimé. Aujourd'hui, si elle n'avait pas été modifiée depuis l'origine, elle ne dégraderait de manière structurelle nos finances publiques « que » de 10 milliards d'euros par an. En outre, contrairement à ce que l'on pense souvent, les rectifications directes de dispositifs TEPA n'ont pas été si nombreuses depuis 2007. Il y en a eu seulement trois : la « mise en extinction » de la déductibilité des intérêts d'emprunt, le « recentrage » de l'ISF-PME et la suppression, emblématique, du bouclier fiscal. Ces trois mesures réduisent d'un milliard d'euros le coût de la loi TEPA en 2012. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 revient de manière indirecte sur la mesure « heures supplémentaires », en les intégrant dans le calcul des allègements de charges sociales, ce qui rapporte 600 millions d'euros. Mais l'analyse des modifications apportées à la loi TEPA ne serait pas pertinente si elle n'était pas mise en relation avec celle des dispositions de la première loi de finances rectificative pour 2011, et notamment de la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). J'y reviendrai plus loin. Pour l'heure, retenons que l'ensemble des mesures relevant de l' « orbite TEPA » coûtent environ 9,3 milliards d'euros par an.

Si l'on s'intéresse à la répartition du produit des mesures d'augmentation de prélèvements obligatoires entre les différentes catégories d'administrations publiques, on observe que, sur la période, l'augmentation des prélèvements obligatoires a bénéficié pour la quasi-totalité aux administrations de sécurité sociale.

J'en viens maintenant à la question des réductions de niches fiscales et sociales. Le discours du Gouvernement est connu : pas d'« augmentation généralisée » des prélèvements obligatoires, car cela pèserait sur l'activité et augmenterait un taux de prélèvements obligatoires déjà trop élevé ; en revanche, oui aux suppressions de niches qui aident au redressement des comptes publics et améliorent la justice fiscale. Ce discours est fallacieux, parce que les suppressions de niches pèsent sur l'activité et augmentent le taux de prélèvements obligatoires autant que les hausses « faciales » d'impôt. Il est également faux : les mesures discrétionnaires d'augmentation des prélèvements obligatoires prises à compter de l'automne 2010 devraient rapporter 24,1 milliards d'euros en 2012, dont moins de la moitié (10,2 milliards d'euros) proviendraient de niches stricto sensu (au sens des documents budgétaires). Seulement les deux tiers (17,4 milliards d'euros) résulteraient de réductions d'allègements de prélèvements obligatoires. Surtout, la politique de réduction des niches semble de facto abandonnée. En effet, si les textes que nous avons votés en 2011 ou qu'il nous reste à voter - à l'exception du projet de loi de finances rectificative de fin d'année, dont on ne connaît pas encore le contenu - augmentent les prélèvements obligatoires de 2012 de 10,1 milliards d'euros, seulement 5,7 milliards d'euros proviendraient de réductions d'allégements, dont seulement 2,6 milliards d'euros de réductions des niches au sens des documents budgétaires. Les augmentations d'impôts et de prélèvements sociaux (les « augmentations généralisées de prélèvements obligatoires », comme dirait le Gouvernement) représentent 43 % du total. Le Gouvernement ne peut donc pas dire qu'il n'augmente pas les impôts et se contente de réduire des dépenses fiscales.

Bien que prêt depuis la fin du mois de juin, le rapport du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales présidé par Henri Guillaume, dit « rapport Guillaume », prévu par l'article 13 de la LPFP 2011-2014, a été communiqué au Parlement seulement à la fin du mois d'août, avec trois mois de retard. Ce rapport de 6 000 pages évalue de manière détaillée un très grand nombre de niches fiscales et sociales, et leur attribue un score allant de 0 (inefficace) à 3 (efficiente). Evidemment, il s'agit d'un rapport administratif, dont les conclusions ne doivent pas être considérées comme la vérité absolue. Il reste qu'il est piquant de constater que les dix niches auxquelles le Gouvernement s'est attaqué depuis la fin de l'année dernière et qui font l'objet d'une évaluation obtiennent une note moyenne de 2,5 sur 3, et que six d'entre elles obtiennent la note maximale de 3 !

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