Intervention de Jean-François Cordet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 juillet 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-François Cordet directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides ofpra candidat à la reconduction de son mandat

Jean-François Cordet, directeur général de l'OFPRA :

L'Office s'efforce de maîtriser l'évolution de la demande d'asile. Celle-ci a en effet connu ces dernières années deux pics : 61 000 demandes en 1989, puis 52 000 en 2003. Nous sommes en voie d'atteindre un nouveau pic, alors qu'entre 2004 et 2007, la décrue avait été de presque 50 % au total : moins 36 % en 2006 et moins 10 % en 2007. Depuis août/septembre 2008, la courbe s'est inversée et l'augmentation a été cette année-là de, 20 %. Cette poussée s'est poursuivie en 2009 - avec une augmentation de 12 % - et se poursuit en 2010 avec, cependant, une certaine décélération de la hausse : 8% au premier semestre.

En trois ans, la structure de la demande s'est également modifiée. Cette dernière se décompose en effet en premières demandes, demandes de réexamen et demandes des mineurs isolés. Alors que la demande globale augmentait de 20 % en 2008, le nombre des premières demandes ne croissait que de 12 %. En 2009, inversion de tendance : une hausse de 12 % de la demande globale mais de 23 % pour les premières demandes. Au premier semestre de 2010, celles-ci augmentent encore de 15 %. Aujourd'hui, 70 % des instructions concernent des premières demandes, et 30 % des réexamens. Il y a une dizaine d'années les proportions étaient respectivement de 55 % et 45 %. Cette évolution de la structure de la demande, ainsi que les évolutions législatives, augmentent le travail d'instruction de l'Office.

Nous sommes donc redevenus, et pour la deuxième année consécutive, le premier pays européen pour les demandes d'asile. Mais, pour le premier semestre de 2010, l'augmentation se vérifie également dans d'autres pays : 50 % en Suède, 23 % en Allemagne et 24 % en Belgique ; je ne parle pas de la Grande-Bretagne où les statistiques sont tenues de façon différente.

Des procédures nouvelles nous ont été imposées du fait de la législation, française ou européenne. Auparavant, nous avions un grand nombre de dossiers à traiter selon la procédure normale, dont la durée moyenne est d'environ 100 jours. Depuis 2009, les procédures prioritaires se sont multipliées, qui nécessitent une instruction en 15 jours. D'où une modification structurelle de notre travail où s'introduit une culture de l'urgence.

Cette hausse des procédures prioritaires résulte notamment de l'augmentation du nombre de pays d'origine considérés comme sûrs. Et, lorsque nous voulons utiliser EURODAC, nous devons faire face à un nouveau phénomène : l'effacement des empreintes digitales, de plus en plus fréquent chez les réfugiés originaires d'Afrique et notamment de la Corne de l'Afrique.

En 2010, le nombre de demandeurs d'asile en provenance de ce continent augmente, alors qu'il était en diminution en 2009. Cela n'empêche pas que figurent aux premiers rang de notre liste le Kosovo - en légère diminution - puis la Russie - 47 % de hausse -, la République démocratique du Congo, la Guinée /Conakry - 56 % -, le Bangladesh - 60 %, puis le Sri-Lanka, la Chine etc.

Sur les cinq premiers mois de 2010, après deux années de diminution, le nombre de mineurs isolés augmente à nouveau de 35 %.

J'en viens à notre activité et à notre capacité de traitement. En décembre 2008, nous avons conclu un contrat d'objectifs et de moyens visant à mieux réguler le traitement des demandes d'asile et à répondre à leurs fluctuations. Lors de la conclusion de ce contrat, les demandes étaient en phase de diminution et l'hypothèse retenue était celle d'une augmentation modérée de 7 % par an de 2008 à 2010, et même d'une stabilisation en 2011. Nos efforts de gestion ont parfaitement réussi et nous avons même dépassé les objectifs fixés : pendant trois années consécutives, notre activité a augmenté de 11%. Mais cela ne suffit pas car l'augmentation de la demande est bien supérieure.

En 2009, l'Office a pris 46 000 décisions mais les demandes sont passées à 47 700. Si nous extrapolons, elles seront de 51 à 52 000 en 2010 et de 52 à 55 000 en 2011, alors que notre administration est formatée pour en traiter environ 46 000. Nous accumulons donc chaque année des stocks non traités. A la fin de 2010, le stock sera d'environ 12 000 dossiers, ce qui risque d'aboutir à un retour aux « pics » que l'on avait connus en matière de durée de traitement des dossiers.

Nous négocions donc avec Bercy et je pense que nous obtiendrons des postes supplémentaires d'officiers de protection, sans pour cela être en mesure d'assurer la gestion des flux en 2011. Malgré tous nos efforts de productivité, nous nous retrouverons au début de cette année-là avec un déficit dans le traitement des flux, et un nouveau stock se constituera, ce qui est inacceptable. Il faut adapter les moyens au nombre de demandes d'asile si nous voulons tenir les délais d'instruction des dossiers. A la fin de 2008, ce délai était de 100 jours -c'était le record européen-, en 2009 il est passé à 118 jours, il passera en 2010 à 130 ou 135 jours. Or, cet allongement de quelques semaines implique autant de temps supplémentaire d'hébergement, lequel coûte au total de 15 à 17 millions d'euros chaque mois. Mais, l'asile, c'est aussi la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) ... L'augmentation globale du délai d'instruction, entre les deux institutions, garantit au demandeur environ deux années de séjour. Mais les comparaisons internationales -qui sont importantes dans l'optique d'une communautarisation de l'asile - montrent cependant que nous sommes les plus rapides- certains voisins, la Grande-Bretagne par exemple, ne comptabilisent pas les stocks dans leurs statistiques...

Le budget de l'OFPRA est de 31 millions. L'ajout d'une trentaine d'officiers de protection coûterait 1,5 million - 1,8 avec leurs ordinateurs -, à comparer avec les 15 à 17 millions d'euros que coûte un mois d'hébergement supplémentaire...

L'asile à la frontière diminue depuis 2008 : il a diminué de 36 % en 2009 et de 40 % au premier semestre 2010. Alors que notre contrat d'objectifs et de moyens en prévoyait 5 000 par an, nous en serons à 2 500 à la fin de l'année. C'est important, car une partie de ces demandes d'asile à la frontière deviennent des demandes d'asile classiques à traiter comme telles.

Dans les départements d'outre-mer, l'augmentation du nombre des demandes est plus importante encore qu'au niveau national : 40 % de hausse dans les départements français d'Amérique et à Mayotte. En Guyane, il a doublé depuis 2009 et désormais c'est la Martinique - et non plus la Guadeloupe - qui reçoit l'essentiel de la demande haïtienne.

Pour Mayotte, nous avons pu en 2009 réguler la demande en temps réel. Pendant longtemps l'instruction des dossiers y était fort longue ; d'où l'intérêt des requérants d'y déposer leurs demandes. Le délai d'instruction ayant diminué, le nombre des demandes a lui aussi diminué, avant de remonter à nouveau - en provenance de la Grande-Comore et non plus d'Anjouan. L'augmentation en provenance des pays africains est plus faible et représente 30 % du total. Il s'agit de réfugiés du Rwanda ou du Burundi et ce sont des dossiers difficiles à analyser. Un système de visioconférence permet de traiter les dossiers en temps réel. En outre, nous envoyons sur cette île des missions d'instruction.

Pour les départements français des Amériques, nous avons maintenant une antenne en Guadeloupe, un système de visioconférence est installé dans chacun de ces départements et, malgré cela, nous devons y envoyer de plus en plus de missions spécifiques, notamment en Guyane.

La Turquie, l'Arménie -autrefois présente dans le haut de notre liste -et la Serbie ont rejoint la liste des pays d'origine sûrs. D'où une diminution des demandeurs en provenance de ces pays. Le travail d'instruction se partage par moitié entre les procédures prioritaires - moins de 15 jours d'instruction - et les procédures normales.

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