Intervention de Marie-Hélène Des Esgaulx

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 7 juillet 2010 : 1ère réunion
Régime de publicité devant les juridictions pour mineurs — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie-Hélène Des EsgaulxMarie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur :

Cette proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 16 février 2010 à l'initiative de MM. François Baroin et Jack Lang, introduit une dérogation au principe de la publicité restreinte des débats devant les juridictions pour mineurs lorsque l'accusé, mineur au moment des faits, est devenu majeur. Pour ses auteurs, il s'agit de renforcer le droit au procès public, « gage d'un bon fonctionnement de la justice, de sa transparence, de la garantie des droits de la défense, du respect dû aux victimes, et de la nécessaire dose de pédagogie que comporte toute procédure judiciaire vis-à-vis de la société ». Je vous proposerai d'adopter ce texte, en limitant son champ aux cours d'assises des mineurs et en adaptant son dispositif afin de mieux respecter la spécificité de la procédure applicable aux mineurs.

La publicité des débats est une garantie de transparence et d'impartialité, et figure parmi les principes fondamentaux de la procédure pénale. Elle est consacrée par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 mars 2004. Ce principe implique l'accès du public à la salle d'audience et autorise les journalistes à diffuser les comptes rendus des débats. Il peut toutefois être aménagé afin d'assurer la sécurité publique, l'équité de la procédure, le respect de la présomption d'innocence ou de la dignité de la personne, comme le prévoit d'ailleurs l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Le Conseil constitutionnel considère également que des « circonstances particulières » peuvent justifier les débats à huis-clos.

Devant les juridictions de droit commun, le huis clos peut être ordonné lorsque la publicité risque de porter atteinte à l'ordre ou aux moeurs, à la sérénité des débats, à la dignité de la personne ou aux intérêts d'un tiers. Il est de droit à la demande d'une victime de viol ou de tortures et actes de barbarie accompagnés d'agressions sexuelles. L'arrêt ou le jugement sur le fond est toujours prononcé en audience publique.

Le principe de la publicité restreinte devant les juridictions pour mineurs découle du principe de spécialité du droit pénal et de la procédure pénale applicable aux mineurs, principe fondamental reconnu par les lois de la République. Il implique notamment que les mineurs soient jugés « par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ». Il s'agit de prendre en compte à la fois le devoir de protection et d'éducation des mineurs délinquants, dont la personnalité est en devenir, et la spécificité de cette délinquance.

Les mineurs auteurs d'infractions relèvent de juridictions spécialisées : le juge des enfants, le tribunal pour enfants, compétent pour les délits et contraventions de cinquième classe et les crimes commis par des mineurs de moins de 16 ans, la cour d'assises des mineurs, compétente pour juger les mineurs de 16 à 18 ans auteurs de crimes.

Publicité restreinte ne signifie pas huis clos. Seul un nombre limité de personnes peuvent assister à l'audience, et le président peut à tout moment ordonner que le mineur ou les témoins se retirent. Corrélativement, la publication du compte rendu des débats ou de l'identité du mineur est interdite. En effet, la présence du public est susceptible de traumatiser les enfants, au point de les empêcher de participer réellement à leur défense, ce qui constitue, pour la Cour européenne des droits de l'homme, une violation des règles du procès équitable. Il s'agit également de protéger les mineurs de l'opprobre et de la vindicte populaire qui pourraient compromettre leur future insertion sociale et leur évolution personnelle. Ces considérations ont d'ailleurs conduit la commission Varinard à préconiser le maintien du principe de la publicité restreinte dans le futur code de la justice pénale des mineurs.

La proposition de loi ne vise que les individus qui, mineurs au moment des faits, sont devenus majeurs le jour de leur comparution. En aucun cas la publicité restreinte ne pourrait être levée si l'un des accusés est toujours mineur le jour de l'ouverture des débats.

En 2008, 233 des 237 personnes jugées par les cours d'assises des mineurs étaient majeures au moment de leur condamnation en premier ressort ; plus aucune n'était mineure au moment du jugement en appel. De fait, le délai entre les faits et la condamnation est de cinq ans en moyenne pour les condamnations prononcées par les cours d'assises des mineurs, de 7,6 ans s'agissant des condamnations en appel. En revanche, seules 44 % des personnes condamnées par un tribunal pour enfants étaient majeures au moment de leur condamnation.

Depuis 2002, le code de procédure pénale permet à l'accusé, comparaissant majeur devant une juridiction pour mineurs, de demander à bénéficier d'un procès public. Ces dispositions, adoptées à l'initiative de notre collègue Jean-Pierre Michel, alors député, visaient à répondre à l'affaire Patrick Dils, rejugé à 31 ans devant la cour d'assises des mineurs. La proposition de loi étend le champ de cette dérogation, en permettant à la cour ou au tribunal d'ordonner la levée de la publicité restreinte à la demande du ministère public, de la partie civile ou d'un autre accusé, sauf s'il existe un autre accusé toujours mineur ou si la personnalité de l'accusé, mineur au moment des faits, rend indispensable que, dans son intérêt, les débats ne soient pas publics. Enfin, les peines encourues en cas de publication de l'identité de l'accusé seraient aggravées.

La plupart des personnes que j'ai entendues se sont montrées réservées, relevant notamment qu'un jeune n'est guère plus mûr à 19 ans qu'à 17, et que ces jeunes majeurs sont tout aussi susceptibles d'être affectés dans leur développement par une publicité donnée à des faits commis dans leur adolescence. Par ailleurs, les magistrats craignent une atteinte au principe d'égalité des citoyens devant la justice, le régime de publicité applicable devenant fonction, non seulement de l'âge de l'accusé au moment des faits, mais également des délais d'instruction des affaires.

Le texte issu de l'Assemblée nationale, qui a considérablement amendé la proposition de loi initiale, paraît relativement équilibré et tend toujours à préserver, sous le contrôle du juge, l'intérêt du mineur devenu majeur. La publicité restreinte demeurerait la règle ; en cas d'opposition de l'une des parties à la publicité, la décision appartiendrait en dernier ressort à la juridiction. In fine, l'intérêt du mineur devenu majeur devrait dicter la décision de la juridiction. Je vous proposerai un amendement afin de réaffirmer ce point.

Au regard des garanties présentées par ce dispositif, il m'a semblé pouvoir être appliqué devant les cours d'assises des mineurs. En revanche, son extension aux tribunaux pour enfants ne me semble pas opportune. Les cours d'assises des mineurs connaissent des affaires les plus graves, qui peuvent justifier, dans un souci de pédagogie envers l'ensemble de la société, que les débats soient publics. Tel n'est pas le cas des affaires portées devant les tribunaux pour enfants.

En outre, lorsqu'une affaire criminelle met en cause à la fois des mineurs âgés de 16 à 18 ans et des majeurs, le juge d'instruction peut renvoyer l'ensemble des accusés devant la cour d'assises des mineurs, afin que l'affaire soit jugée globalement. Dans l'affaire du « gang des barbares », sur les 27 personnes renvoyées devant la cour d'assises des mineurs, seules deux étaient mineures au moment des faits. L'ensemble des coaccusés ont été jugés selon le régime de la publicité restreinte car l'une de ces mineures, devenue majeure depuis, n'a pas souhaité un procès public. En 2008, un tiers des personnes condamnées par une cour d'assises des mineurs étaient majeures au moment des faits, ce qui justifie une dérogation au principe de la publicité restreinte, dès lors que cela ne paraît pas contraire à l'intérêt de l'accusé mineur au moment des faits. À l'inverse, la disjonction des procédures est obligatoire en matière correctionnelle : les tribunaux pour enfants ne jugent que des mineurs et de jeunes majeurs, pour lesquels le maintien de la publicité restreinte conserve toute sa pertinence.

Je vous proposerai donc de limiter le champ de la proposition de loi aux cours d'assises des mineurs, et de réaffirmer l'exigence de protection du mineur devenu majeur au moment de son jugement par la cour d'assises.

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