Intervention de Alain Juppé

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 juin 2011 : 1ère réunion
Situation au moyen-orient — Audition de M. Alain Juppé ministre d'etat ministre des affaires étrangères et européenne

Alain Juppé, ministre d'Etat :

Recevoir la mère de Salah Hamouri était pour moi un geste d'humanité, parce qu'elle me l'avait demandé : rien de plus. Voilà ce que j'ai expliqué à mon auditoire new-yorkais, qui m'a finalement applaudi, mais je ne suis pas sûr que cela vous rassure...

M. Netanyahou est-il incité à rouvrir les négociations ? A court terme, rien ne presse : en Israël, on vit à peu près en sécurité, le taux de croissance est élevé -de l'ordre de 4,5 ou 5 %-, le chômage faible, le taux d'investissement dans la recherche-développement à faire pâlir -4,5 % du PI -, l'économie dynamique et innovante. Le pays commerce avec l'Europe et les États-Unis bien plus qu'avec les pays de la région. Mais il n'est pas interdit à des dirigeants politiques de se projeter à moyen ou à long terme ! Or l'environnement n'est pas favorable à Israël : des manifestations ont eu lieu dans le Golan, la situation en Syrie est instable, l'Égypte change. L'opinion publique israélienne, si elle ne souhaite pas la reprise rapide des pourparlers, est toutefois majoritairement favorable à la solution des deux États. J'ai aussi senti que les dirigeants israéliens étaient mal à l'aise à l'idée que l'Assemblée générale de l'ONU puisse reconnaître unilatéralement un État palestinien.

J'ai d'ailleurs perçu quelques ouvertures dans le discours prononcé par M. Netanyahou devant le Congrès américain, qui est passé pour très dur : il a annoncé qu'Israël devait se préparer à des compromis douloureux, c'est-à-dire à l'abandon de colonies. Il s'est dit prêt à faire preuve de « créativité » -sans s'expliquer sur ce que cela signifiait lorsque je lui ai posé la question. Pour assurer la sécurité dans la vallée du Jourdain, il n'a parlé que d'une présence militaire sur le fleuve, pour une durée limitée.

Dans notre esprit, les deux parties doivent renoncer à la violence. La France s'est toujours refusée à prendre fait et cause pour les uns ou pour les autres : nous sommes les amis des Israéliens comme des Palestiniens, et faisons en sorte qu'ils s'entendent.

Notre attitude en septembre dépendra du succès ou de l'échec de notre initiative de paix, du choix de l'Assemblée générale des Nations unies de prendre ou non une résolution, et du contenu de celle-ci. Nous nous concerterons naturellement avec nos partenaires européens.

Sur l'Afghanistan, M. Boulaud dispose d'informations toutes fraîches, mais notre position est claire : nous demandons que la Surobi entre cette année dans une nouvelle phase du processus de transition ; je l'ai dit à Mme Clinton lors de mon déplacement aux États-Unis. La décision appartient formellement au président afghan, mais le feu vert du commandement américain est évidemment indispensable.

J'ai demandé que la France soit mieux associée au travail des Américains sur quatre sujets : le calendrier de retrait, les pourparlers avec les talibans, le dialogue avec le Pakistan -le Premier ministre pakistanais m'a parlé, le mois dernier, d'un triangle Washington-Kaboul-Islamabad-, et l'après-2014, c'est-à-dire le « partenariat de longue durée » qui fera suite à la transition. Notre demande est légitime, compte tenu de notre effort : 4 000 soldats sur le terrain, et 61 morts. En tant que ministre de la défense, je me suis rendu à trois reprises aux obsèques de soldats français morts en Afghanistan : il faut beaucoup de force de conviction pour persuader les familles du bien-fondé de notre intervention dans ce pays, et encore n'y parvient-on pas toujours...

Quant à l'Inde, au Brésil et à l'Afrique du Sud, on pourrait dire au contraire que, pour se voir accorder un siège permanent au Conseil de sécurité, ils devraient faire preuve de maturité politique sur les grands dossiers du jour.

Comme l'a souligné M. Pintat, une question se pose aux Européens -que M. Robert Gates leur a d'ailleurs posée- : sont-ils capables d'assumer des responsabilités sur la scène internationale ? Aujourd'hui, seuls la France et le Royaume-Uni jouent vraiment un rôle : nos deux pays supportent la plus grande part de l'effort militaire en Libye, l'aide américaine se limitant depuis quelque temps à une assistance logistique et à un soutien moral. Les Européens prennent-ils conscience de la nécessité de relancer la PSDC ? J'aimerais le croire. Nous pressons Mme Ashton de prendre des initiatives en vue du Conseil européen de la fin de l'année, sous la présidence polonaise.

Je vais rassurer M. Cambon sur l'aide européenne à la reconstruction de la Libye : autant les Européens sont réticents à prendre des initiatives politiques, autant ils sont enthousiastes lorsqu'il s'agit de payer... La Commission européenne a annoncé des crédits supplémentaires au titre de la politique de voisinage, et le pacte de Deauville comporte une aide financière de 40 milliards d'euros, dont 20 milliards de la Banque européenne d'investissement (BEI) et de la Berd. On peut regretter qu'une banque d'investissement spécifique à la Méditerranée n'ait pas été créée, mais le champ d'action de la Berd a été élargi. Lors de la réunion du G8, les chefs d'État ont demandé à leurs ministres des affaires étrangères et des finances de mettre au point un plan d'action pour que cette aide se concrétise, à destination de la Tunisie et de l'Égypte, bien sûr, mais aussi du Maroc et de la Jordanie. Mme Clinton et moi-même sommes convenus d'organiser une réunion des ministres concernés à New York en septembre.

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