Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 14 juin 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission examine le rapport de Mme Bernadette Dupont sur le projet de loi n° 534 (2010-2011) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la restauration du patrimoine architectural de la ville de L'Aquila.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernadette Dupont

Vous vous souvenez sans doute que, dans la nuit du 5 au 6 avril 2009, un séisme de magnitude 6 a touché l'Italie centrale, et particulièrement la région des Abruzzes, faisant 308 victimes. A ces pertes humaines se sont ajoutés des dégâts affectant particulièrement la ville de L'Aquila, chef-lieu de la région, riche de nombreux chefs-d'oeuvre d'architecture.

C'est pour permettre à la France de participer à la reconstruction de l'Eglise Sainte-Marie-du-Suffrage, située sur la place centrale de la ville, qu'a été conclu, le 26 octobre 2010 à Rome, le présent accord.

L'Italie est située sur une zone sismique, et un précédent séisme de grande ampleur a touché, le 23 novembre 1980, la Campanie, en Italie du Sud, faisant 2 735 morts, et 8 850 blessés.

Cette catastrophe et l'organisation défaillante des secours provoquèrent alors une crise politique dans le pays, entraînant la création d'un service spécialisé en matière de protection civile pour permettre, à l'avenir, une meilleure organisation des secours.

La ville de L'Aquila elle-même n'a cessé, depuis sa fondation au XIIIe siècle, d'être touchée par des tremblements de terre.

Située sur un plateau des Apennins, L'Aquila, créée au XIIIe siècle, dispose, dès le XVe siècle d'un statut de cité-Etat dont la prospérité économique découlait largement de sa situation clé sur la principale route commerciale de l'Europe vers l'Asie.

Touchée par un fort tremblement de terre en 1703, qui fit 6 000 morts dans la ville et ses environs, L'Aquila fit appel, pour sa reconstruction, aux plus grands architectes romains de l'époque, qui la dotèrent de splendides bâtiments baroques.

Capitale régionale depuis 1860, elle compte aujourd'hui 72 000 habitants, et la région des Abruzzes, 1,3 million.

Le présent accord traduit l'engagement de la France d'aider la restauration du patrimoine architectural de L'Aquila, pris lors du G8 réuni dans cette ville en juillet 2009.

Lors de ce sommet, le Président de la République française a proposé aux autorités italiennes que notre pays participe à la restauration de l'Eglise Sainte-Marie-du-Suffrage.

Une déclaration d'intention a été signée, le 23 octobre 2009, entre le département de la protection civile de la présidence du Conseil des ministres italien et le Gouvernement de la République française pour confirmer leur volonté de procéder conjointement à la restauration de cette église. Cette déclaration d'intention a permis l'ouverture de chantiers-école de l'Institut national italien du patrimoine à L'Aquila.

Pour donner un cadre détaillé et juridiquement solide à cette coopération, un accord intergouvernemental a été négocié et signé le 26 octobre 2010 par les autorités des deux pays.

Le partenariat mis en place consiste à réaliser un projet de restauration de la structure architecturale de l'édifice par le biais de chantiers-école animés par des experts italiens et français. Il porte également sur la restauration des installations fixes qui font partie du décor intérieur de l'édifice. L'Italie et la France prévoient d'organiser, au terme des travaux, un séminaire euro-méditerranéen ayant pour objet l'expérience née de cette coopération comme modèle de référence, accompagné d'une publication sur les activités et travaux effectués.

Les crédits engagés par la France, qui fondent la nécessité de l'autorisation parlementaire de l'accord, s'élèvent à un plafond de 3,25 millions d'euros, provenant pour 1,9 million, du ministère de la culture et de la communication (programme 175 : patrimoines), et du ministère des affaires étrangères et européennes, pour 1,35 million d'euros (programme 185 : rayonnement culturel et scientifique).

Le financement italien sera apporté par le ministère des biens et activités culturels.

Les modalités de travail retenues en commun avec l'Italie conjuguent un travail de restauration et la prise en compte des impératifs de protection civile dans une optique de prévention, par l'application de normes sismiques très élevées. La sécurisation de l'église et de son environnement revêtira un caractère prioritaire.

Le coût a été établi par les deux pays au vu des dépenses estimatives à réaliser pour assurer la reconstruction à l'identique de l'édifice, au moyen des documents d'archives disponibles (plans et photographies). Cette église du XVIIIe siècle se distingue par sa coupole, réalisée au XIXe siècle, après la construction de l'édifice lui-même, par Guiseppe Valadier, architecte romain concepteur de la piazza del Populo.

Outre la France, trois autres pays se sont in fine réellement engagés à participer à la restauration d'édifices patrimoniaux : le Kazakhstan pour 1,7 million d'euros, la Russie pour 7 millions d'euros, l'Allemagne pour 3,2 millions d'euros et l'Espagne, pour la restauration du fort espagnol, sans que le montant de cette contribution soit encore précisé.

Les autorités françaises et italiennes chargées de déterminer les étapes les plus importantes des procédures d'appels d'offres seront l'ambassadeur et le vice-commissaire délégué aux biens culturels.

La procédure proposée par les autorités italiennes est celle d'un appel d'offres restreint à dix entreprises françaises et dix entreprises italiennes, en dérogation du code des marchés publics italiens, conformément au décret législatif n° 163/06 et ses modifications successives, en raison des circonstances exceptionnelles liées à la situation de catastrophe naturelle. Le choix de cette procédure doit être confirmé dans le protocole additionnel. L'Italie souhaite que ces appels d'offres soient limités à la France et à l'Italie, pour ne pas alourdir l'opération. La légalité de cette procédure va être examinée par le service juridique du ministère des affaires étrangères et européennes. Si une difficulté était décelée, la France en informerait l'Italie, et en proposerait la modification. Celle-ci interviendrait, le cas échéant, dans le cadre du protocole additionnel au présent accord, actuellement en négociation entre les deux pays.

Un comité mixte de suivi, co-présidé par le vice-commissaire italien délégué aux biens culturels des Abruzzes et l'ambassadeur de France en Italie, est chargé d'effectuer l'évaluation du diagnostic structurel et architectural de l'édifice.

La Constitution italienne ne requiert pas d'autorisation parlementaire pour cet accord. Il importe donc que notre pays dispose rapidement de cette autorisation, requise en France, pour que les travaux, qui ont déjà commencé, puissent se poursuivre sur une base juridique incontestable.

Par son appui, la France manifeste sa solidarité avec l'Italie, renouvelant un geste qui n'a, comme précédent récent, que sa contribution de deux millions d'euros à l'aménagement du musée de l'Amérique française, édifié en 2008 à l'occasion du 400è anniversaire de la ville de Québec.

Je vous engage donc à adopter le présent accord, et vous suggère que sa discussion en séance publique se fasse sous forme simplifiée.

Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a adopté le projet de loi et proposé que ce texte fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.

La commission examine le rapport de M. René Beaumont sur le projet de loi n° 396 (2010-2011) autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Serbie, d'autre part.

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Nous sommes appelés à nous prononcer sur le projet de loi autorisant la ratification de l'accord de stabilisation et d'association entre la Communauté européenne et ses Etats membres, d'une part, et la Serbie, d'autre part.

Cet accord marque une étape importante dans le processus de rapprochement de la Serbie avec l'Union européenne.

Avant d'évoquer le contenu de cet accord, je voudrais revenir brièvement sur la situation des différents pays des Balkans occidentaux.

Comme vous le savez, la « vocation européenne » des pays des Balkans occidentaux, c'est-à-dire le principe de leur adhésion à l'Union européenne, a été reconnue au Conseil européen de Zagreb en 2000, sous présidence française de l'Union européenne, et a été régulièrement réaffirmée depuis.

La perspective d'adhésion à l'Union européenne est vue comme un instrument majeur au service de la stabilité de la région.

L'Union européenne a lancé, en juin 1999, un processus de stabilisation et d'association destiné aux pays de la région, processus qui repose en particulier sur la conclusion d'accords de stabilisation et d'association (ASA) avec chacun des pays concernés.

Les objectifs de ces accords sont le renforcement du dialogue politique, le rapprochement de la législation de ces pays avec le droit communautaire, l'établissement progressif d'une zone de libre-change et le développement de la coopération régionale.

A ce jour, l'ensemble des pays des Balkans occidentaux, à l'exception du Kosovo, ont signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne.

Tous ces accords ont été ratifiés et sont désormais entrés en vigueur, à l'exception de l'accord avec la Serbie que nous examinons aujourd'hui.

En effet, le processus de ratification de l'ASA avec la Serbie a été initialement bloqué à la demande du Parlement néerlandais, en raison d'une coopération de la Serbie avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) jugée insuffisante, en particulier s'agissant de l'arrestation et de la remise des deux derniers fugitifs recherchés par le tribunal, Ratko Mladic et Goran Hadzic.

A la suite d'une amélioration de cette coopération, constatée par le Procureur du tribunal, M. Serge Brammertz, les Pays-Bas ont accepté de lever leur veto et les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont décidé, le 14 juin 2010, de lancer le processus de ratification de l'accord.

Ratko Mladic a d'ailleurs été arrêté en Serbie le 26 mai dernier et remis depuis au TPIY où il attend son procès. Après la remise de Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic, il ne restera donc qu'un dernier fugitif.

La conclusion d'un accord de stabilisation et d'association constitue une étape importante dans le processus de rapprochement avec l'Union européenne. Il ne s'agit cependant que d'une première étape car la route est longue.

Je rappelle, en effet, qu'avant d'adhérer à l'Union européenne, un pays doit d'abord se voir reconnaître la qualité de « pays candidat ». Ensuite, l'Union européenne doit approuver l'ouverture des négociations. Ces négociations, chapitre par chapitre, durent en règle générale plusieurs années.

Après la clôture des négociations, un pays ne peut adhérer à l'Union qu'après la signature et la ratification du traité d'adhésion.

Chacune de ces étapes est soumise à une décision prise à l'unanimité par tous les Etats membres.

Le processus prend donc plusieurs années, en fonction de l'état de préparation du pays.

L'adhésion est soumise au respect des critères dits de Copenhague :

- critères politiques : être une démocratie respectueuse de l'Etat de droit, des droits de l'homme, des minorités ;

- critères économiques : disposer d'une économie de marché viable capable de faire face à la pression concurrentielle du marché ;

- critère tenant à la reprise de l'acquis communautaire.

S'y ajoute la « capacité d'absorption » de l'Union européenne, c'est-à-dire la capacité de l'Union européenne à intégrer de nouveaux membres tout en maintenant la dynamique de l'intégration.

A la différence de l'élargissement aux pays d'Europe centrale et orientale, l'adhésion des pays des Balkans occidentaux à l'Union européenne devrait se faire de manière différenciée, en fonction de l'état de préparation de chaque pays.

Comment se présente la situation des pays des Balkans occidentaux aujourd'hui ?

La Croatie est le pays le plus avancé dans son rapprochement avec l'Union européenne, puisqu'elle espère achever les négociations d'adhésion dans les prochaines semaines. Le rapport de nos collègues MM. Jacques Blanc et Didier Boulaud y reviendra plus longuement.

L'Ancienne république yougoslave de Macédoine et, plus récemment, le Monténégro, se sont vu reconnaître la qualité de « pays candidat » sans toutefois ouvrir les négociations d'adhésion.

L'Albanie, la Bosnie-Herzégovine et la Serbie restent, quant à eux, des « candidats potentiels », c'est-à-dire qu'ils ne remplissent pas encore suffisamment les conditions requises pour être reconnus comme candidats.

Enfin, reste le cas du Kosovo, qui a proclamé son indépendance en février 2008, et qui est reconnu à ce jour par 75 Etats, dont 22 des vingt-sept Etats membres de l'Union européenne (tous à l'exception de l'Espagne, de Chypre, de la Grèce, de la Roumanie et de la Slovaquie) mais pas par la Serbie.

Où en est la Serbie ?

La Serbie a officiellement présenté sa demande de candidature à l'Union européenne le 22 décembre 2009.

La transmission de cette candidature à la Commission européenne afin qu'elle rende son avis a été bloquée par certains Etats membres, comme les Pays-Bas, qui y voyaient un acte politique et un levier pour contraindre Belgrade à une position plus souple sur le Kosovo.

Ces réserves ayant été levées, le Conseil a pu transmettre, le 25 octobre 2010, la demande serbe à la Commission européenne, tout en soulignant l'obligation que constituait la pleine coopération avec le tribunal pénal international et la coopération régionale, et en invitant Belgrade à s'engager sans délai dans un dialogue direct avec Pristina.

La Commission européenne devrait rendre ses recommandations sur l'octroi ou non du statut de « pays candidat » à la Serbie à l'automne prochain.

Quelles sont les principales difficultés ?

Nous nous étions rendus en Serbie, avec notre collègue Bernard Piras, en décembre dernier, dans le cadre d'une mission de la commission, et nous vous avions présenté une communication le 2 février.

Le principal enseignement que nous avions retiré de notre déplacement était que, si la Serbie a réalisé des avancées, il reste à ce pays des progrès importants à accomplir avant d'être en mesure d'adhérer à l'Union européenne.

En matière politique, depuis la chute du régime de Milosevic, en octobre 2000, la Serbie a fait du rapprochement avec l'Union européenne la première priorité de sa politique étrangère.

Le Président de la Serbie M. Boris Tadic et le gouvernement sont très favorables au rapprochement avec l'Union européenne, qui recueille un large consensus au sein de la classe politique et de l'opinion publique.

Toutefois, de nombreux progrès restent à accomplir, notamment concernant l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement et l'exécutif, la liberté de la presse, le retour des réfugiés ou encore la question de la propriété.

Ainsi, lors de nos entretiens à l'Assemblée nationale de Serbie, nous étions alors mi-décembre, nous avons eu la surprise d'apprendre que le projet de budget pour 2011 n'avait toujours pas été présenté par le Gouvernement et que le Parlement ne disposerait que de quelques jours pour l'adopter.

Nous avons également été très surpris par le mode d'élection des députés. En effet, le système électoral actuel est basé sur un scrutin proportionnel de liste. Les électeurs votent pour un parti qui désigne ensuite les députés élus sur la liste des candidats, sans tenir compte ni de leur rang, ni de leur base territoriale.

En outre, la possibilité prévue par la Constitution pour les partis politiques de demander aux députés une démission en blanc est une pratique très répandue. Une réforme du mode d'élection est actuellement à l'étude.

De manière générale, le Parlement serbe se caractérise par la faiblesse de ses moyens, ce qui peut poser des difficultés en matière de reprise de l'acquis communautaire.

Le Parlement serbe serait d'ailleurs très désireux de nouer une coopération administrative avec le Parlement français, notamment en matière européenne. La Commission européenne a lancé un appel d'offres et l'ambassadeur de France à Belgrade a émis le souhait que le Parlement français se porte candidat. Il me semble que, compte tenu des liens traditionnels d'amitié et de coopération entre la France et la Serbie, mais aussi des enjeux en termes de francophonie et d'influence française, il serait opportun que le Sénat français se porte candidat pour répondre à cet appel d'offres européen afin d'accompagner et de conseiller le Parlement serbe en matière législative et de transposition du droit communautaire. Un tel jumelage européen représenterait un coût financier réduit pour notre assemblée, mais aurait un effet très positif en termes d'influence et de rayonnement de notre langue et de notre système juridique en Serbie.

En matière économique, la Serbie est loin d'être considérée comme une économie de marché viable capable de faire face aux pressions concurrentielles. Le PNB par habitant est d'environ 7 500 dollars, soit moitié moindre que celui de la Croatie et représente un tiers de la moyenne européenne.

La ratification de l'Accord de stabilisation et d'association devrait permettre à la Serbie d'attirer davantage d'investisseurs étrangers et de bénéficier d'un meilleur accès au marché européen, grâce à une libéralisation asymétrique des échanges et des droits de douanes.

Cette libéralisation des échanges devrait également bénéficier à l'Union européenne, qui connaît un excédent commercial avec la Serbie.

Pour le vin et les produits agricoles, la libéralisation se fera de manière progressive avec une période transitoire de six ans.

Enfin, comme le relève la Commission européenne, malgré d'importantes réformes, dont celle de la justice, les capacités administratives et judiciaires restent encore très insuffisantes et la corruption demeure un problème sérieux.

En dépit de ces obstacles, la Serbie reste un pays clé de la région, du fait de sa position géographique, de son poids démographique, de son potentiel économique et administratif et de son influence sur les pays voisins.

La Serbie a d'ailleurs largement normalisé ses relations avec ses voisins, à l'exception du Kosovo.

La Serbie a ainsi amélioré ses relations avec la Croatie et avec la Bosnie-Herzégovine. Le Parlement serbe a adopté en 2010 une déclaration condamnant le massacre commis à Srebrenica. Le Président serbe s'est lui-même rendu à Srebrenica et à Vukovar où il a présenté les excuses au nom de la Serbie pour les exactions à l'encontre des civils.

La Serbie a également normalisé ses relations avec l'Albanie.

Reste le cas du Kosovo, dont la Serbie n'a pas reconnu l'indépendance.

Une clause de l'ASA stipule d'ailleurs que cet accord ne s'applique pas au Kosovo.

Saisie par la Serbie, la Cour internationale de justice a rendu, le 22 juillet 2010, un avis consultatif d'après lequel la déclaration d'indépendance du Kosovo n'était pas contraire au droit international.

Le 9 septembre 2010, l'Assemblée générale des Nations unies a adopté, par consensus, une résolution proposée conjointement par la Serbie et l'Union européenne, prenant acte de cet avis et ouvrant la voie à de nouvelles discussions entre Serbes et Kosovars sous l'égide de l'Union européenne.

Ce « dialogue » entre Belgrade et Pristina devrait permettre de résoudre les difficultés pratiques rencontrées par les citoyens (comme la reconnaissance des documents par exemple) et faciliter le travail de la mission EULEX de l'Union européenne déployée au Kosovo. Les premières réunions ont déjà permis de réaliser des avancées.

Si la Serbie n'est pas disposée à reconnaître l'indépendance du Kosovo, Belgrade semble faire preuve d'une réelle volonté et d'une grande ouverture concernant ce dialogue avec Pristina, avec l'objectif de parvenir in fine à une « normalisation » des relations.

Même la publication du rapport du député suisse Dick Marty, dans le cadre du Conseil de l'Europe, qui accuse la guérilla albanaise de l'UCK et le Premier ministre kosovar Hashim Thaçi, de s'être livrés à un trafic d'organes sur des prisonniers serbes au cours du conflit, a suscité une réaction plutôt mesurée de la part des autorités serbes.

Si la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo n'est pas, en tant que telle, une condition de l'adhésion, puisque cette indépendance n'a pas été reconnue par cinq Etats membres (l'Espagne, Chypre, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie), la normalisation des relations constitue néanmoins une nécessité pratique et politique.

Il s'agit pour l'Europe d'éviter d'importer des conflits en son sein, à la lumière du précédent chypriote.

Or, une certaine ambigüité demeure en Serbie puisque l'idée d'une partition du Nord du Kosovo est souvent évoquée à Belgrade, ce qui serait susceptible d'entraîner des tensions dans la région, notamment en Macédoine ou en Bosnie-Herzégovine.

Enfin, après avoir remis Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic, la police serbe a arrêté, le 26 mai dernier, Ratko Mladic, qui a été transféré à La Haye. Il reste donc un dernier fugitif recherché par le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

Dans ce contexte, quelle doit être la politique de la France à l'égard de la Serbie ?

Le sentiment que nous avions retiré de notre déplacement est que la France doit soutenir la Serbie dans sa volonté de rapprochement avec l'Union européenne et encourager ses efforts de modernisation.

Comme nous avons pu le mesurer au cours de notre visite, la France jouit d'un capital important de sympathie en Serbie. Le souvenir de la fraternité des armes lors de la Première et lors de la Deuxième Guerre mondiale demeure, en dépit du souvenir douloureux des bombardements de l'OTAN sur Belgrade, comme en témoigne notamment le monument à la gloire de la France, situé dans le parc Kalemegdan, en plein centre de la ville.

Cette relance de nos relations a d'ailleurs été consacrée à l'occasion de la visite officielle en France du Président de la Serbie, M. Boris Tadic, le 8 avril dernier, avec la signature d'un accord de « partenariat stratégique » entre la France et la Serbie, à l'image des accords signés avec d'autres pays d'Europe centrale et orientale.

A cette occasion, le Président de la République et le Président serbe ont adopté une déclaration commune qui souligne le soutien de la France à l'adhésion de la Serbie à l'Union européenne et qui prévoit un renforcement de notre coopération bilatérale dans plusieurs les secteurs, en particulier en matière économique et de défense.

Si nos deux pays sont liés par une longue tradition d'amitié, en matière économique, notre pays occupe une place encore très modeste en Serbie.

La part de marché de la France est faible, avec seulement 3,4 % en 2009. La France est le 5e fournisseur, après la Russie, l'Allemagne, l'Italie et la Chine et le 12e client de la Serbie.

La présence économique française est limitée, avec deux grandes usines Michelin et Lafarge. Elle est surtout concentrée dans le système bancaire, l'agroalimentaire et les services.

Le montant des investissements français s'élève à environ 500 millions d'euros, sur un total de 16 milliards d'euros d'investissements étrangers. La France enregistre la 8e position, loin derrière l'Autriche et l'Allemagne.

Une nouvelle chambre de commerce franco-serbe a été créée en octobre 2009 qui devrait permettre d'attirer davantage d'entreprises françaises. Un grand projet intéresse notamment les entreprises françaises : la construction du métro léger de Belgrade.

La ratification de l'accord de stabilisation et d'association, qui a déjà été ratifié par la Serbie et par quinze autres Etats membres, constituerait un encouragement aux autorités serbes pour poursuivre les réformes.

Il existe une forte attente de la Serbie à l'égard de la France et je crois qu'il va de notre devoir mais aussi de notre intérêt d'y répondre.

C'est la raison pour laquelle je vous recommande l'adoption du présent projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Lors de votre déplacement en Serbie, avez-vous perçu un ressentiment de la part des Serbes à l'égard de la France en raison de l'intervention de l'OTAN en 1999 et de la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo ?

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Les bombardements de l'OTAN sur Belgrade en 1999 ont laissé des traces, avec non seulement des bâtiments détruits, qui sont encore visibles à Belgrade, mais aussi dans les esprits.

L'attitude de la France avait alors été largement incomprise par l'opinion publique serbe et elle reste un souvenir douloureux, d'autant plus que la France et la Serbie avaient été unies par la fraternité des armes, lors de la ·Première et de la Deuxième Guerre mondiale. Ainsi, le monument à la gloire de la France avait été recouvert par un voile noir lors des bombardements de l'OTAN sur Belgrade. Pour autant, les Serbes sont très reconnaissant à la France et au Président Jacques Chirac d'avoir empêché la destruction des ponts de Belgrade lors des bombardements de l'OTAN.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Je voudrais remercier notre collègue pour son rapport. C'est une bonne chose que la Serbie se rapproche de l'Union européenne. La Serbie reste, en effet, le pays le plus peuplé et doté du plus grand potentiel économique des Balkans occidentaux et il n'y aurait pas de sens que ce pays reste à l'écart du processus de rapprochement des autres pays de la région de l'Union européenne. Au contraire, il est important que tous ces pays marchent de concert, même si la route sera longue et difficile avant l'intégration de tous ces pays dans l'Union européenne.

La plupart de ces Etats sont d'une taille modeste, avec une population peu nombreuse et un potentiel économique assez faible, à l'image du Kosovo ou du Monténégro. En revanche, la Serbie est peut être le pays qui a le plus grand potentiel de la région, en raison de son poids démographique, de ses institutions et de son économie. Il est donc important que ce pays ne reste pas à l'écart et se rapproche également de l'Union européenne.

Vous avez mentionné dans votre intervention la faible présence économique française en Serbie. C'est malheureusement un phénomène que l'on retrouve dans l'ensemble des pays de la région des Balkans occidentaux. En effet, je regrette que les entreprises françaises se montrent peu intéressées d'investir dans la région, à la différence des entreprises allemandes et italiennes. Ainsi, alors que l'Albanie a décidé récemment de rénover l'ensemble de ses routes, ce qui représente plusieurs milliers de kilomètres, aucune entreprise française ne s'est portée candidate pour cet important marché. Or, il existe d'importants marchés dans ces pays, par exemple en matière d'infrastructures, de gestion des déchets ou encore de travaux d'assainissement. Il me semble donc qu'il serait utile que le gouvernement encourage les entreprises françaises à s'intéresser davantage aux pays de la région. Ainsi, la présence économique française en Serbie mériterait d'être renforcée. En tout état de cause, je suis favorable à la ratification de cet accord qui permettra à la Serbie de se rapprocher de l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

La Serbie a toujours entretenu des rapports affectifs complexes avec la France et je crois que les Serbes n'ont toujours pas surmonté leur ressentiment à l'égard de l'attitude de la France lors des conflits dans l'ex-Yougoslavie et pendant l'intervention de l'OTAN.

Je me souviens ainsi de l'attitude surréaliste de Slobodan Milosevic en 1991, lors de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, qui s'attendait à ce que la France entre en guerre aux côtés de la Serbie face à la Croatie et à la Slovénie, soutenues par l'Allemagne, en souvenir de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale et pour empêcher une domination allemande dans les Balkans. Je lui avais alors répondu que, depuis la Deuxième Guerre mondiale, la France s'était heureusement réconcilié avec l'Allemagne, ce qui avait permis le lancement de la construction européenne, dont Sarajevo, ville multiethnique, était précisément le symbole.

Parmi les pays de la région des Balkans occidentaux, la Serbie se distingue par son poids démographique, sa taille relativement grande, son potentiel économique et la stabilité de ses institutions. Ce pays n'est pas confronté, comme d'autres, aux défis de la viabilité institutionnelle et économique.

Même s'il reste de nombreux progrès à accomplir, la Serbie a vocation à adhérer à l'Union européenne et on ne peut que se féliciter de son rapprochement avec l'Union européenne.

Il reste toutefois la question de la non-reconnaissance du Kosovo par la Serbie. La position serbe, qui continue de considérer que le Kosovo fait partie intégrante de la Serbie, ne me paraît pas tenable à long terme, car, comme dans la vie conjugale, le consentement des deux époux est un préalable pour vivre sous un même toit. Or, en raison du passé, les Kosovars ont depuis longtemps renoncé à l'idée d'un rattachement à la Serbie. Il me semble donc qu'à terme la Serbie sera contrainte de reconnaître l'indépendance du Kosovo, mais qu'elle utilisera cette carte comme contrepartie à son adhésion à l'Union européenne.

Enfin, je me félicite de l'arrestation de Ratko Mladic et de sa remise au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. L'histoire nous enseigne que, même plusieurs années après, tous les criminels finissent pas être jugés et doivent rendre compte de leurs actes devant la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je crois qu'on peut saluer à cette occasion le courage et la détermination du Président serbe, M. Boris Tadic, sans lequel la Serbie n'aurait peut-être pas livré Ratko Mladic au tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Je rappelle, en effet, qu'un ancien Premier ministre serbe, M. Zoran Djindjic, a payé de sa vie sa volonté de juger les criminels de guerre et de coopérer avec la justice internationale.

Puis la commission adopte le projet de loi et recommande son examen en séance publique sous forme simplifiée.

Puis la commission examine le rapport de MM. Jacques Blanc et Didier Boulaud sur l'adhésion de la Croatie à l'Union européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Vous nous avez chargés d'une mission d'information à « quatre mains », ou plutôt cet après-midi à deux voix, sur l'état de préparation de la Croatie à la veille de son entrée dans l'Union européenne. Didier Boulaud et moi-même nous sommes rendus à Zagreb les 18 et 19 mai derniers, à un moment crucial des négociations d'adhésion, et nous avons pu y constater, au cours d'entretiens de très haut niveau, la formidable mobilisation de ce petit État, tout entier tourné vers son destin européen. Nous vous présentons aujourd'hui notre rapport alors que la décision se prend ces jours-ci à Bruxelles entre les 27 États membres : notre commission est dans le coeur brûlant de l'actualité.

Je cède tout de suite la parole à Didier Boulaud, qui va tout d'abord dresser un tableau de l'état de préparation de la Croatie, pays moteur dans l'ensemble des Balkans occidentaux qu'il connait remarquablement bien. Je reviendrai ensuite sur le contexte et le calendrier de l'adhésion.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Dix fois plus petite que la France, peuplée de 4,5 millions d'habitants, d'origine slave, de religion catholique à 87 % et utilisant un alphabet de caractères latins, au carrefour des influences de la Méditerranée, de l'Europe centrale et des Balkans, la Croatie, ancienne république de la Fédération Yougoslave, a une histoire douloureuse, n'acquérant son indépendance qu'aux termes d'un conflit meurtrier au début des années 90.

Le système politique croate issu de la Constitution de 1991 était à l'origine présidentiel et marqué par les pratiques semi autoritaires du président Tudjman. Il a été rééquilibré en 2000, en faveur d'un régime parlementaire. Le HDZ de Tudjman s'est mué en un parti de droite classique, affilié au PPE. Les élections ont amené l'alternance et le pays vit aujourd'hui en système de cohabitation entre un Président social-démocrate Josipovic, aux prérogatives limitées mais à la grande autorité morale, et un premier ministre de droite conservatrice Mme Kosor. Le Gouvernement a trois priorités : adhérer à l'Europe, redresser l'économie et lutter contre la corruption, avec l'arrestation de plusieurs hauts responsables, dont l'ancien premier ministre Sanader. La cohabitation est constructive ; les deux têtes de l'exécutif oeuvrent de concert pour ancrer la Croatie à l'Europe.

Sur le plan économique, la Croatie est, après la Slovénie, la plus avancée de la région, avec un revenu moyen par habitant égal à 65 % de la moyenne européenne, deux fois supérieur à celui de la Roumanie. La monnaie, la Kuna, est stable et arrimée à l'euro dans une bande de change étroite, ce qui force le pays à réaliser des réformes structurelles et à améliorer sa compétitivité. Le tissu industriel croate est toutefois limité et le secteur public encore hypertrophié : 67 entreprises publiques représentent le quart du PIB, et seule une vingtaine sont bénéficiaires. L'économie est marquée depuis 2008 par la crise et les restructurations du secteur public. Le Gouvernement a lancé 30 grands projets pour relancer l'investissement. La présence française reste insuffisante, avec moins de 3 % de parts de marché, loin derrière les Allemands et les Italiens, et au 6ème rang en termes d'investissements, concentrés dans le secteur bancaire et agroalimentaire.

Membre de l'OTAN depuis 2009, la Croatie a un contingent de 350 hommes en Afghanistan et soutient les opérations en Libye. Elle est membre depuis l'origine de l'Union pour la Méditerranée.

La géographie et l'histoire placent la Croatie, bien qu'elle s'en défende et revendique sa pleine identité européenne, au coeur des Balkans, région dont notre collègue Robert Badinter a coutume de rappeler qu'elle « produit plus d'histoire qu'elle n'en peut consommer ». Même si la Croatie s'est résolument engagée dans la réconciliation et la coopération régionales, les relations bilatérales avec les voisins restent empreintes de l'héritage douloureux des conflits des années 1990. N'oublions pas que la guerre date de 15 ans seulement, et qu'elle a fait des centaines de milliers de morts, déplacés et réfugiés : entre 1991 et 2001, la population de la Croatie a baissé de 6 %....

Le Président Josipovic s'est courageusement engagé dans une démarche de réconciliation, en posant des gestes forts en particulier envers la Serbie, puisqu'il s'est rendu à Belgrade dès juillet 2010 et a ouvert la voie à une normalisation des relations. Comme nous l'a dit notre collègue Beaumont, le Président serbe Tadic a ensuite présenté, dans la ville martyre de Vukovar, des « excuses » pour les crimes commis par le régime de Milosevic pendant la guerre, en particulier lors du siège et de la chute de la ville. La coopération entre les deux anciens ennemis est en bonne voie pour le traitement du retour des réfugiés : plus de 250 000 Serbes de nationalité croate avaient quitté la Croatie au moment du conflit, il en reste plus de 65 000 et la question du relogement, qui est traitée de façon très volontariste par les Croates, est toujours cruciale...

Pourtant, des plaintes respectives pour génocide déposées par la Croatie et la Serbie sont toujours pendantes devant la Cour internationale de Justice, ce qui montre combien ce rapprochement reste difficile. L'opinion publique croate est sous le choc du verdict du procès Gotovina : le 15 avril dernier, le Tribunal pénal pour l'ex-Yougoslavie a condamné à 24 et 18 ans de prison deux généraux croates de l'opération « Tempête » de reconquête de l'enclave serbe de la Krajina, perçue par les Croates comme une « guerre patriotique ». A contrario, le transfert de Ratko Mladic à la Haye pourrait atténuer un peu l'amertume ressentie, même si certains estiment, à Zagreb, que son acte d'inculpation devrait être élargi aux crimes commis en Croatie.

S'agissant de la Slovénie, c'est l'arrivée au pouvoir de Mme Kosor en juillet 2009 qui a permis de dénouer une situation figée depuis 2008 autour d'un différend frontalier relatif au golfe de Piran ; cette question qui a empoisonné les relations bilatérales et bloqué pendant plus d'un an les négociations d'adhésion croates sera réglée par un recours à l'arbitrage après l'entrée de la Croatie dans l'Union européenne. Son principal sujet de préoccupation dans la région reste la Bosnie-Herzégovine. Soucieuse de ne pas faire d'ingérence et de défendre l'intégrité du pays, la Croatie observe toutefois avec inquiétude la marginalisation des Croates de Bosnie et défend l'égalité entre ses trois peuples constitutifs.

La Croatie, qui a reconnu le Kosovo, soutient tous ses voisins dans leur intégration aux institutions euro-atlantiques. Elle leur a d'ailleurs offert à titre gracieux les centaines de milliers de pages de traduction de l'acquis communautaire. Il faut reconnaître que la Croatie parait à bien des égards très en avance sur ses voisins et qu'elle est en quelque sorte à la fois le modèle et le moteur de l'ensemble des Balkans occidentaux.

Malgré son avance et ses efforts pour la réconciliation, le contexte régional a ralenti le processus d'adhésion croate. Ce n'est qu'après l'arrestation, à Madrid en 2005, du Général Gotovina que les négociations d'adhésion ont été ouvertes. Longtemps, la collaboration avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de La Haye, le TPIY, a été un blocage à l'ouverture du fameux chapitre 23 « Justice et droits fondamentaux », qui n'a pu être réalisée qu'en juin 2010, après la levée d'un veto principalement britannique et néerlandais, motivé par l'incapacité de la Croatie à fournir à son procureur les « carnets d'artillerie » de l'opération Tempête. Une équipe dédiée, ou « task force » a depuis été mise en place par les autorités croates et le Procureur Brammertz dans son intervention devant le conseil de sécurité de l'ONU, le 6 juin dernier, a dressé un bilan nuancé mais plutôt positif de la collaboration des autorités croates.

L'élan européen, qui recueillait il y a quelques années 80 % d'avis favorables au sein de la population croate, s'est un peu essoufflé, même s'il est toujours porté par un fort consensus de la classe politique dans son ensemble. Les derniers sondages donnent une courte victoire du « oui », qui devrait recueillir entre 50 et 60 % au référendum qui sera organisé en Croatie pour ratifier le traité d'adhésion, dans les 30 jours suivant sa signature.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Quel va être, justement, le calendrier de cette adhésion ?

La Croatie a obtenu le statut de pays candidat en juin 2004 et a entamé ses négociations d'adhésion en octobre 2005. Aujourd'hui dans la dernière ligne droite, elle est très impatiente de conclure un processus de longue haleine qui a connu plusieurs phases d'accélération et de ralentissement.

Je ne reviendrai pas sur le cadre général des négociations, issu du « consensus renouvelé sur l'élargissement » de 2006, puisque notre collègue René Beaumont nous l'a rappelé. La rigueur du processus a été renforcée, il n'est plus question de fixer des dates butoirs ou d'envisager des adhésions par « paquet », chaque pays devant être jugé selon ses propres mérites et apte à assumer toutes ses obligations dès le jour de son entrée dans l'Union européenne.

Cette sévérité accrue, qui découle du sentiment que les derniers élargissements (et peut-être surtout dans le cas roumain et bulgare) n'ont pas été assez rigoureux, s'applique pour la première fois à la Croatie : le nombre de critères d'adhésion, les fameux « chapitres » est passé de 30 à 35, et le nombre de critères et sous-critères a augmenté.

Sur les 35 chapitres de négociation, dont vous trouverez le détail dans le rapport écrit, 31 sont désormais clos. Cela signifie que la Commission et l'unanimité des États membres considèrent que la Croatie remplit tous les critères et sous critères de l'acquis communautaire sur chacun d'entre eux. Certains n'ont pas été sans difficulté, comme celui de la pêche par exemple, clos le 6 juin. A noter que le chapitre 34 relatif aux institutions a prévu de donner à la Croatie 12 députés européens, un commissaire et 7 voix au Conseil.

Les chapitres 33 (paquet financier) et 35 (dispositions finales) sont toujours négociés en dernier. Restent les chapitres 8 « concurrence » et 23 « justice et état de droit » sur lesquels se concentre l'essentiel des difficultés.

En matière de concurrence, le problème est celui de la restructuration des chantiers navals, afin de mettre un terme aux subventions publiques incompatibles avec le droit européen de la concurrence. La Croatie a choisi de passer par une privatisation, mais le processus a pris du temps car de nombreux emplois sont concernés. Les derniers plans de restructuration ont été approuvés par la Commission il y a quelques jours, et le dossier avance bien. Moyennant peut-être une clause de suivi renforcé, le chapitre pourrait être clos d'ici dix jours.

Le chapitre 23 sur la justice et l'état de droit, qui n'existait pas en tant que tel pour les précédents élargissements, est de loin le plus sensible politiquement et le plus exigeant, avec 10 critères et 21 sous-critères. Un rapport intermédiaire de la Commission en mars dernier, plutôt critique bien que saluant la masse d'efforts engagés, a amené les autorités croates à jeter toute leur énergie pour accélérer les réformes et convaincre de leur caractère durable.

Lors de notre entretien avec le Président de la République Josipovic, éminent juriste, et le ministre de la Justice, nous avons pu mesurer les progrès accomplis en matière de formation et de nomination des juges, de professionnalisation des nouveaux conseils supérieurs des juges et des procureurs, de responsabilité disciplinaire des magistrats, de réduction des arriérés judiciaires, de spécialisation des tribunaux en matière de crimes de guerre, de lutte anti-corruption, de relogement des réfugiés, de droits des minorités.... La Croatie a fait en quelques mois un bond en avant gigantesque. Nous avons aussi rencontré des ONG spécialisées dans la défense des droits de l'homme et les crimes de guerre, et même si elles sont plus critiques, en particulier sur le retard initial à engager les réformes, elles ont toutes souligné l'immense chemin parcouru.

Mais, nous le savons bien, les réformes législatives ne produisent tout leur effet que dans la durée. Quand on change la formation des magistrats, l'effet commence à se faire sentir quand ils sont en poste deux ou trois ans après...

C'est pourquoi quand nous sommes arrivés à Zagreb mi mai, la Croatie peinait à convaincre du caractère irréversible de ces changements massifs mais tardifs. Et plus le temps passait, plus la perspective d'une clôture des négociations en juin, objectif de la présidence hongroise de l'Union, et des autorités croates, s'éloignait... avec le risque, à la longue, d'un essoufflement de l'opinion publique sur le projet européen.

C'est dans ce contexte que la France a pris l'initiative de présenter le 11 mai une proposition de suivi renforcé, entre la clôture des négociations et l'adhésion, des engagements croates, accompagné d'une clause de sauvegarde, afin d'emporter l'adhésion des États membres les plus récalcitrants et de précipiter la fin des négociations. Cette initiative a pu être mal comprise par certains média français qui y ont vu une manoeuvre de retardement alors que c'était tout le contraire : il s'agissait d'accélérer tout en offrant des garanties sérieuses. Nous avons pu voir à Zagreb qu'elle était bien reçue, et comprise comme un facteur de facilitation et d'encouragement, et d'ailleurs c'est le message que nous avons délivré.

De fait, cette initiative a été un véritable catalyseur de la décision.

Le 30 mai, La France a modifié sa proposition pour qu'elle puisse recueillir un plus large assentiment, notamment en enlevant la possibilité d'un report éventuel de l'adhésion. Le 2 juin, l'Allemagne nous a rejoints pour présenter une proposition conjointe franco-allemande de suivi renforcé.

Le 7 juin, le Président Baroso déclarait que la Commission allait proposer aux 27 États membres la clôture des 4 derniers chapitres, ce qui fut fait vendredi dernier 10 juin.

La situation évolue de jour en jour. A l'heure qu'il est on peut la résumer ainsi : la Commission a un avis positif et estime que les critères de clôture sont satisfaits. La balle est désormais dans le camp des 27 États membres, qui ont encore 9 jours pour boucler les négociations.

Un « suivi pré-adhésion » est bien proposé, qui reprend partiellement les propositions franco-allemandes, avec une périodicité différente pour les rapports de suivi, (tous les 6 mois au lieu de 3) et la possibilité de lettres d'avertissement de la Commission. Ce suivi serait focalisé en priorité sur le chapitre 23 mais porterait aussi sur les chapitres 8 voire 24 (libertés). Une « clause Schengen » est proposée, avec un rapport spécifique de la Commission avant l'entrée dans Schengen de la Croatie d'ici quelques années et une décision des actuels États membres.

Tout cela doit être discuté et complété dans les jours qui viennent, d'abord au COREPER et dans le groupe de travail « élargissement » cette semaine, puis lors d'une Conférence intergouvernementale qui pourrait se tenir le 21 juin, permettant au Conseil européen, dans 10 jours, d'entériner formellement la fin des négociations.

Il faudra ensuite l'approbation du Parlement européen (qui est acquise), la signature du traité, le référendum en Croatie, et la ratification par chacun des 27 États membres avant que l'adhésion ne soit effective, vraisemblablement au 1er juillet 2013.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

En conclusion, Monsieur le Président, mes chers collègues, je me félicite que notre visite à Zagreb ait pu permettre de lever les ambigüités sur l'initiative française, et montrer que la France s'inscrivait bien dans une logique de soutien, d'accompagnement et d'accélération des efforts croates pour conclure les négociations d'adhésion.

Vous comprendrez que, sur un plan plus politique, il nous apparaisse souhaitable de clôturer ces négociations solennellement lors du Conseil européen des 23 et 24 juin, date particulièrement symbolique puisque nous fêterons le 25 juin les 20 ans d'indépendance de ce jeune État.

Quelle que soit la date finalement retenue, je souhaite que la France, qui a eu un rôle très actif dans les négociations, soit parmi les premiers États membres à adopter, le moment venu, le projet de loi de ratification du traité d'adhésion, dont notre commission sera saisie puisque la révision constitutionnelle a prévu que l'adhésion croate serait la dernière à être ratifiée suivant la procédure parlementaire classique, à la majorité simple.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Si la Croatie est si marquée par l'influence allemande, c'est en raison de la forte diaspora croate qui vit en Allemagne et en Autriche et qui joue un rôle politique important. Les investisseurs français devraient marquer plus d'intérêt pour ce marché prometteur ; il faudrait renforcer notre présence.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

400 000 touristes français visitent chaque année la Croatie.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Nous nous inquiétons de la réorganisation en cours des services français d'appui aux entreprises et en particulier aux PME : jusqu'alors implantés à Zagreb, ils sont sur le point d'être relocalisés à Vienne et mutualisés sur plusieurs pays des Balkans, ce qui ne nous paraît pas être une bonne chose.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Quel est le niveau de développement de la Croatie par rapport à ses voisins, et en particulier par rapport à la Serbie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Le revenu moyen par habitant de la Croatie est dans la moyenne haute de l'Union européenne (65 % du revenu moyen européen), les Serbes ayant quant à eux un revenu moyen par habitant inférieur de moitié à celui des Croates. Les Slovènes sont comme les « Suisses des Balkans », disposant d'un niveau de revenu plus élevé.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Les Slovènes sont en réalité au même niveau de développement que les régions autrichiennes les moins avancées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Pays méditerranéen, la Croatie est prête à s'engager dans l'Union pour la Méditerranée.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

J'ai pu mesurer la susceptibilité, dans cette région, de certaines questions, notamment linguistique.... On considère à Zagreb, par exemple, que la langue croate n'a rien à voir avec la langue serbe...

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Madrelle

Comment s'est résolu le différend sur les eaux territoriales ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

La Slovénie et la Croatie s'en remettent à l'arbitrage d'un tribunal international, qui interviendra après l'adhésion croate à l'Union européenne. J'aimerais insister sur la difficulté de la restructuration en cours des chantiers navals, un seul chantier étant rentable sur les six. Des milliers d'emplois sont concernés. C'est un sujet très sensible.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Boutant

Je m'interrogeais également sur les différents niveaux de développement économique des Balkans occidentaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Blanc

Les États des Balkans occidentaux sont tous désireux d'entrer dans l'Union européenne. En Croatie par exemple, la seule divergence entre la majorité et l'opposition sur ce point porte sur la séquence chronologique entre le référendum pour l'adhésion et les élections législatives.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Majorité et opposition s'opposent en effet sur ce sujet, le Gouvernement qui est en très mauvaise situation dans l'opinion publique souhaiterait organiser le référendum avant les élections législatives qui doivent se tenir au plus tard mi mars 2012.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Le différend historique entre les Serbes et les Croates mettra au moins une génération à disparaître. Les responsabilités dans les atrocités commises sont d'ailleurs largement partagées : n'oublions pas les agissements croates pendant la seconde guerre mondiale, en soutien du régime nazi. Le clivage religieux s'y ajoute, la Croatie étant fervente catholique et les Serbes orthodoxes. En outre, les deux influences s'affrontent en Bosnie-Herzégovine. L'adhésion à l'Union européenne permettra à ces États d'élargir leur champ de vision et de dépasser ce lourd contentieux. Rétrospectivement, on ne peut que déplorer la reconnaissance peut être un peu hâtive du nouvel État croate par les Allemands qui, précipitant l'écroulement de la Fédération yougoslave -qu'il serait naturellement difficile de regretter dans sa configuration politique de l'époque !-, a donné le signal de l'égorgement réciproque.

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

La reconnaissance par le chancelier Kohl, sans égard excessif pour la France à cet instant là, a précipité non pas l'éclatement de la Fédération yougoslave, qui était engagé, mais bien plutôt la guerre civile. Elle était toutefois inéluctable. Les Croates n'ont pas été en reste en matière de crimes contre l'humanité, même si leurs cimes peuvent apparaitre moins nombreux en quantité par rapport à ceux commis par les Serbes. Dans nos sociétés, nous avons le culte de la mémoire des victimes des actes barbares davantage que celui des actes héroïques. Cette culture de la mémoire des martyrs est très difficile à surmonter : se serrer la main à Verdun est plus facile que de faire ce que Willy Brandt a fait à Auschwitz...

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Je partage votre avis, n'oublions pas que l'ancien Président croate Tudjman a réhabilité des figures croates de la Seconde Guerre mondiale qui étaient plus que contestables.

La commission approuve ensuite ces conclusions et autorise leur publication sous forme d'un rapport d'information.

La commission auditionne M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation au Moyen-Orient.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Merci, monsieur le ministre d'Etat, d'être venu devant nous, malgré un emploi du temps chargé, pour évoquer la crise libyenne, la situation en Syrie, les relations israélo-palestiniennes, et peut-être la mission internationale en Afghanistan.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'Etat

L'actualité internationale est dense. En ce qui concerne la Libye, le groupe de contact s'est réuni jeudi dernier à Abu Dhabi et les choses avancent. Au plan militaire, l'étau se resserre sur Kadhafi, dont les capacités de résistance s'amenuisent. L'emploi des hélicoptères français et britanniques est un succès. Benghazi est définitivement dégagée, le siège de Misrata s'est relâché, plusieurs villes ont été libérées et la pression s'accentue sur Tripoli ; un foyer de résistance est apparu dans le djebel Nefoussa. Nous ne relâchons pas nos efforts : l'Otan a décidé de poursuivre l'opération, et un accord a été trouvé à Abu Dhabi entre des partenaires nombreux, membres de l'Otan et pays arabes. Kadhafi est de plus en plus isolé, à mesure que des responsables civils et militaires font défection : le régime se fissure de l'intérieur, lentement mais sûrement. La Russie, la Chine, mais aussi le Gabon, l'Éthiopie, la Mauritanie, le Sénégal et même l'Afrique du Sud considèrent que Kadhafi n'a plus de légitimité : d'après les comptes rendus disponibles de leur rencontre, M. Zuma lui a adressé un message très clair.

A Abu Dhabi, le groupe de contact a conclu que le temps était venu d'ouvrir un nouveau chapitre dans l'histoire de la Libye, sans Kadhafi. Le Conseil national de transition (CNT) s'offre comme le seul interlocuteur valable : l'Allemagne a reconnu hier qu'il était le seul titulaire de l'autorité gouvernementale. La France fut la première à prendre cette décision, et se félicite d'être suivie par ses alliés. Le CNT se structure : le gouvernement de fait s'est dissocié de l'organe législatif, ce qui jette les bases d'un futur Etat démocratique. Il apprend aussi à s'exprimer au plan international, par la voix notamment de M. Jibril. Le Conseil a adopté une feuille de route politique prévoyant l'adoption d'une nouvelle constitution et des élections, avec un calendrier. Il faut aller de l'avant, et mettre fin aux souffrances du peuple libyen.

Le CNT a besoin d'argent pour fonctionner et subvenir aux besoins des populations : M. Jibril a lancé un appel au secours. La France s'emploie à débloquer 290 millions d'euros gelés dans une banque française au nom du Fonds de développement économique et social libyen : une procédure juridique complexe est en cours. D'autres pays ont promis des contributions, notamment les Etats du Golfe, et l'on cherche aussi à dégeler des fonds déposés à Londres.

A Abu Dhabi ont été formulées quatre exigences claires pour envisager une sortie de crise. Primo, un cessez-le-feu véritable, et non pas un gel des positions militaires sur le terrain, qui ferait courir le risque d'une partition du pays. Les forces favorables à Kadhafi doivent rentrer dans leurs casernes, et le respect du cessez-le-feu faire l'objet d'un contrôle international. Secundo, que Kadhafi renonce publiquement à tout pouvoir civil et militaire. On entend dire étrangement qu'il ne détiendrait aucun pouvoir, mais serait seulement le Guide... Tout cela n'a pas de sens. Tertio, une convention nationale sous l'égide du CNT, ouverte aux autorités traditionnelles et aux anciens responsables du régime qui auraient pris leurs distances avec Kadhafi. Quarto, l'application de la feuille de route du CNT. La sortie de crise peut être coordonnée par l'envoyé spécial de l'ONU M. Al-Khatib.

La construction de la Libye nouvelle est de la responsabilité des Libyens, mais la communauté internationale doit être prête à les accompagner durant la phase de stabilisation et de reconstruction : l'ONU et les organisations régionales -au premier rang desquelles la Ligue arabe- seront appelées à jouer leur rôle. D'ores et déjà, nous soutenons la mise en oeuvre des premières mesures du CNT : des experts français ont été détachés, dans le cadre d'une mission européenne, pour évaluer les besoins de la reconstruction dans le domaine de la sécurité. La France a repris sa coopération sanitaire avec les Libyens, et s'apprête à quadrupler l'effectif de sa représentation à Benghazi, emmenée par l'envoyé spécial M. Sivan. Nous ne sommes pas au bout du chemin, car les capacités de résistance de Kadhafi ne sont pas encore réduites à néant.

En Syrie, la répression s'accentue, et de violents combats ont eu lieu ces derniers jours à Jisr Al-Chougour entre l'armée et la population. Pour la France, ce qui est inacceptable en Libye l'est aussi en Syrie : il n'y a pas deux poids, deux mesures. Dès le premier jour, nous avons condamné l'usage de la force contre des manifestants pacifiques, et appelé à la mise en oeuvre des réformes annoncées. Les premiers, nous avons réclamé des sanctions contre Bachar Al-Assad, adoptées depuis par l'Union européenne, puis par les États-Unis. Nous demandons à présent un nouveau train de sanctions et soutenons le Conseil des droits de l'homme dans son enquête. Mais nous sommes confrontés à un blocage au Conseil de sécurité de l'Onu : or la France ne peut et ne veut agir que dans le cadre de la légalité internationale. Avec les Britanniques et les Américains, nous avons saisi le Conseil de sécurité d'une résolution assez modérée, qui se heurte toutefois à l'hostilité de la Russie et de la Chine, au nom du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat. Cet argument, selon nous, ne tient pas, car la région entière subit les conséquences de la crise syrienne : des milliers de Syriens fuient leur pays, en direction de la Turquie notamment ; des incidents ont eu lieu à la frontière israélo-syrienne, et des affrontements dans les camps de réfugiés palestiniens de Syrie. L'attitude du régime constitue donc une menace pour la paix et la sécurité dans la région, qui entre incontestablement dans le champ d'action du Conseil de sécurité. L'Afrique du Sud, le Brésil et l'Inde demeurent réticents : ces pays émergents sont eux aussi attachés au principe de non-ingérence et montrent qu'ils n'ont pas encore pleinement assimilé le principe de la responsabilité de protéger. Nous avons déjà réuni une majorité de neuf voix, mais nous voulons en réunir onze, pour mettre la Russie et la Chine devant leurs responsabilités. Ces grands pays resteront-ils silencieux face à la répression des aspirations légitimes d'un peuple ?

J'en viens enfin au conflit israélo-palestinien. Il y a urgence, car le statu quo est devenu intenable, et l'on peut craindre une escalade de la violence si les négociations de paix ne reprennent pas bientôt. Des incidents ont eu lieu sur le plateau du Golan les 15 mai et 5 juin. Tout a changé depuis le printemps arabe : l'Égypte n'est plus ce qu'elle était sous Moubarak, et la Syrie est en crise. Nous ne pouvons pas soutenir l'aspiration des peuples à la liberté et dénier aux Palestiniens le droit à un État viable et souverain, les Israéliens ayant droit de leur côté à la sécurité et à l'intégration régionale. Personne n'a intérêt à une confrontation, en septembre aux Nations unies, sur la reconnaissance de l'Etat palestinien : c'est le sentiment que m'ont laissé mes entretiens avec M. Abbas à Rome, avec M. Salam Fayyad à Ramallah et avec MM. Netanyahou et Barak et Mme Livni à Jérusalem. Israël n'en serait que plus isolé sur la scène internationale, et les conditions de vie des Palestiniens ne s'en trouveraient pas améliorées, d'autant que des mesures de rétorsion seraient probables. L'Europe se diviserait très certainement, et la reconnaissance d'un État palestinien pourrait difficilement passer pour un succès diplomatique de l'administration Obama. Les frustrations et les tensions en seraient exacerbées.

Il faut donc ouvrir une perspective crédible de reprise des pourparlers avant le mois de septembre : c'est d'ailleurs le souhait des opinions publiques israélienne et palestinienne. Je me suis rendu dans la région à la demande du Président de la République pour plaider cette cause. De nouveaux arguments s'offrent à nous. Tout d'abord, le discours du 19 mai du Président Obama marque un tournant dans la diplomatie américaine : c'est la première fois qu'un président américain dit explicitement que les frontières de 1967 devront servir de base aux négociations de paix -ce qui n'exclut pas des échanges de territoires mutuellement consentis. L'autre condition de la paix doit être la sécurité d'Israël.

Il fallait tirer parti de cette ouverture, sans doute la dernière avant septembre, et de la convergence des positions américaine et européenne, qui s'était aussi manifestée au sommet du G8 à Deauville. J'ai donc proposé à MM. Abbas et Netanyahou de renouer le dialogue, sur la base d'une « plateforme de paramètres de négociations » énonçant des principes clairs, internationalement reconnus : la renonciation à la violence, la reconnaissance mutuelle de deux États pour deux peuples, le respect des accords antérieurs, et la conclusion d'un accord global mettant fin à toute réclamation. Ces principes sont équilibrés : Israël est très attaché à la reconnaissance des accords antérieurs et à l'idée d'un end to all claims, tandis que les Palestiniens tiennent à l'existence de deux États.

La « plateforme » suggère aussi de commencer par le problème des frontières et celui de la sécurité, avant de passer à ceux des réfugiés et de Jérusalem : non pas qu'il doive y avoir deux accords, mais deux temps dans la négociation, rien n'étant conclu avant que tous les points ne soient réglés.

J'ai remis ce document à MM. Abbas et Netanyahou. Le premier m'a fait part de son accord sous vingt-quatre heures ; le document prévoyant que les parties s'abstiendraient de toute provocation pendant la durée des pourparlers, il m'a demandé si de nouvelles colonisations seraient considérées comme des provocations, et je lui ai répondu que, dans notre esprit, c'était bien le cas. Quant à M. Netanyahou, il n'a pas dit non, ce qui m'a semblé une grande victoire, étant donné l'entretien fort peu encourageant que j'avais eu la veille avec son ministre des affaires étrangères.

A Washington, deux jours plus tard, j'ai consulté Mme Clinton sur notre proposition -nous avions d'ailleurs déjà pris langue avec nos partenaires du Quartet et du G8. Pour être tout à fait franc, la secrétaire d'État américaine n'a pas témoigné un enthousiasme débordant à l'idée d'une nouvelle conférence internationale pour la paix, considérant sans doute que ces grandes cérémonies n'apportaient pas grand-chose. Mais elle a reconnu qu'une opportunité se présentait, et accepté de travailler avec nous. La Conférence des donateurs, fin juin à Paris, pourrait donc s'accompagner d'une réunion du Quartet et d'une rencontre entre les deux protagonistes. La semaine dernière, à Abu Dhabi, je me suis entretenu avec les homologues turc, égyptien, jordanien et italien, qui ont soutenu notre proposition -certains l'ont même fait publiquement. La récente réunion du Comité politique et de sécurité (Cops), à Bruxelles, a montré qu'une grande majorité de pays de l'Union européenne l'approuvaient aussi.

Les chances d'aboutir sont minces, mais non nulles. Le cas échéant, nous sommes prêts à accueillir cette réunion à Paris. Encore une fois, à la suite des soulèvements arabes, le statu quo n'est plus tenable. Seule la reprise des pourparlers peut éviter que la situation ne se dégrade de manière incontrôlée. Nous avons jusqu'au mois de septembre pour y travailler. Comme je l'ai dit à Mme Clinton, l'administration Obama ne prend aucun risque, car si notre initiative est couronnée de succès, cela passera pour une prouesse de la diplomatie américaine, mais, dans le cas contraire, on y verra un échec de la diplomatie française... (Sourires)

Faute d'une reprise des négociations, nous prendrons nos responsabilités au mois de septembre, au moment où l'Assemblée générale des Nations unies devra se prononcer sur la reconnaissance d'un État palestinien. Notre position à ce sujet n'est pas encore arrêtée, la réflexion se poursuit.

Debut de section - PermalienPhoto de Monique Cerisier-ben Guiga

J'admire votre persévérance, monsieur le ministre : après 18 ans d'échecs répétés, il faut du courage pour vouloir relancer des pourparlers de paix entre Israéliens et Palestiniens... Merci d'avoir reçu à Jérusalem la mère de Salah Hamouri : ce fut la fin d'une longue injustice, car Salah Hamouri était le seul prisonnier politique français détenu pour délit d'opinion que la France ne défendît pas.

Quelle raison M. Netanyahou peut-il avoir de rejoindre la table des négociations ? Lorsque je me suis rendue en Israël en 2009 avec M. François-Poncet, j'ai eu le sentiment qu'il ne manquait pas grand-chose aux Israéliens : ils vivent dans la sécurité et le confort, comme on vit à Nice ou à San Francisco, et bien peu se soucient de se qui se passe à 25 kilomètres de chez eux...

Vous avez parlé de statu quo, mais la colonisation se poursuit, c'est-à-dire la conquête. Il reste de moins en moins de terre aux Palestiniens, et les frontières de 1967 ont disparu depuis longtemps dans la vallée du Jourdain, où le nettoyage ethnique est presque achevé.

Vous exigez la renonciation à la violence, mais de la part de qui ? Ce sont les Israéliens qui tuent des Palestiniens, brûlent leurs maisons et emprisonnent leurs enfants.

Que se passera-t-il si l'initiative française échoue ? Et encore une fois, pourquoi M. Netanyahou ne la ferait-elle pas échouer ?

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

J'aimerais vous interroger sur l'avenir des nos militaires déployés en Afghanistan. Je reviens de Kaboul et de Kandahar. En Surobi, la situation est à peu près stabilisée, et l'on peut espérer passer à la phase 2 du processus de transition. J'ai rencontré le général américain qui commande les opérations, l'ambassadeur de France et le général Fugier, chef d'état-major. De l'avis à peu près général, il serait possible de retirer nos troupes de Surobi pour les transférer en Kapisa ; mais le général américain ne m'a pas laissé grand espoir. La décision de faire passer une région d'une phase à l'autre appartient formellement au Président Karzaï, qui consulte naturellement le général Petraeus. Les États-Unis ne cherchent-ils pas à nous empêcher de retirer nos troupes, alors même que le Président Obama s'apprête à annoncer un retrait de troupes américaines dont nul ne connaît encore l'ampleur -5000 soldats ? 10 000 ? 15 000 ? La France attendra-t-elle la décision américaine pour rapatrier quelques centaines de soldats ? Ce suivisme m'inquiète. On dit d'ailleurs que les Américains envisagent de rattacher le nord de la Kapisa à un autre secteur, ce qui serait une grave erreur, car le gouverneur actuel, qui est pourtant un tadjik, délaisse le sud tadjik du secteur ; ce sera pire encore en cas de partition.

Parmi les membres du Conseil de sécurité, le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud ne nous aident guère. N'est-ce pas par rétorsion, parce qu'on leur refuse un siège permanent ?

M. Panetta, directeur de la CIA, s'est rendu récemment au Pakistan où il a sans doute noué des contacts avec les renseignements pakistanais. Dans le même temps, le Président Karzaï a demandé aux dirigeants pakistanais de faciliter ses pourparlers avec les talibans. Sommes-nous associés à ces initiatives ? Il semble que, dans cette « guerre américaine », comme l'ont appelée beaucoup de mes interlocuteurs, chacun agisse à sa guise et sans trop se concerter avec ses alliés.

Debut de section - PermalienPhoto de Xavier Pintat

L'opération en Libye est d'un genre nouveau, puisqu'elle se déroule dans le cadre de l'Otan, mais que les Européens, emmenés par la France et le Royaume-Uni, y assument le premier rôle. Peut-être est-ce le signe qu'ils doivent s'habituer à ne plus trop compter sur l'aide illimitée des États-Unis, surtout à la périphérie de l'Europe. Mais cela montre aussi les limites des capacités militaires européennes. Cette crise fait-elle prendre conscience aux Européens que leur politique de défense et de sécurité commune (PSDC) devrait être plus ambitieuse ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Sans attendre que les opérations militaires soient terminées en Libye, il faut renforcer notre coopération avec ce pays et les autres pays touchés par le printemps arabe. Or, après le sommet de Deauville, il semble que l'initiative européenne consistant à créer une banque méditerranéenne de développement ait fait long feu : on s'est finalement tourné vers la Banque européenne pour la reconstruction et le développement qui, il est vrai, a fait la preuve de son efficacité en Europe de l'Est. Les Européens n'ont-ils pas manqué une occasion ? Eux qui supportent pour une part importante la charge des opérations militaires, ils semblent rétifs à financer la coopération. Peut-être les pays du Nord de l'Europe se sentent-ils peu concernés par ce qui se passe sur les rives de la Méditerranée...

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'Etat

Comme l'a dit Mme Cerisier ben-Guiga, j'ai reçu à Jérusalem la mère de Salah Hamouri. Les associations juives que j'ai rencontrées à New York m'ont amèrement reproché de l'avoir traitée sur le même pied que les parents de Gilad Shalit, mais je ne confonds pas les deux situations : dans un cas il s'agit d'une prise d'otage, violation insupportable des droits les plus élémentaires, dans l'autre, d'une condamnation par la justice israélienne, que nous ne remettons pas en cause.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'Etat

Recevoir la mère de Salah Hamouri était pour moi un geste d'humanité, parce qu'elle me l'avait demandé : rien de plus. Voilà ce que j'ai expliqué à mon auditoire new-yorkais, qui m'a finalement applaudi, mais je ne suis pas sûr que cela vous rassure...

M. Netanyahou est-il incité à rouvrir les négociations ? A court terme, rien ne presse : en Israël, on vit à peu près en sécurité, le taux de croissance est élevé -de l'ordre de 4,5 ou 5 %-, le chômage faible, le taux d'investissement dans la recherche-développement à faire pâlir -4,5 % du PI -, l'économie dynamique et innovante. Le pays commerce avec l'Europe et les États-Unis bien plus qu'avec les pays de la région. Mais il n'est pas interdit à des dirigeants politiques de se projeter à moyen ou à long terme ! Or l'environnement n'est pas favorable à Israël : des manifestations ont eu lieu dans le Golan, la situation en Syrie est instable, l'Égypte change. L'opinion publique israélienne, si elle ne souhaite pas la reprise rapide des pourparlers, est toutefois majoritairement favorable à la solution des deux États. J'ai aussi senti que les dirigeants israéliens étaient mal à l'aise à l'idée que l'Assemblée générale de l'ONU puisse reconnaître unilatéralement un État palestinien.

J'ai d'ailleurs perçu quelques ouvertures dans le discours prononcé par M. Netanyahou devant le Congrès américain, qui est passé pour très dur : il a annoncé qu'Israël devait se préparer à des compromis douloureux, c'est-à-dire à l'abandon de colonies. Il s'est dit prêt à faire preuve de « créativité » -sans s'expliquer sur ce que cela signifiait lorsque je lui ai posé la question. Pour assurer la sécurité dans la vallée du Jourdain, il n'a parlé que d'une présence militaire sur le fleuve, pour une durée limitée.

Dans notre esprit, les deux parties doivent renoncer à la violence. La France s'est toujours refusée à prendre fait et cause pour les uns ou pour les autres : nous sommes les amis des Israéliens comme des Palestiniens, et faisons en sorte qu'ils s'entendent.

Notre attitude en septembre dépendra du succès ou de l'échec de notre initiative de paix, du choix de l'Assemblée générale des Nations unies de prendre ou non une résolution, et du contenu de celle-ci. Nous nous concerterons naturellement avec nos partenaires européens.

Sur l'Afghanistan, M. Boulaud dispose d'informations toutes fraîches, mais notre position est claire : nous demandons que la Surobi entre cette année dans une nouvelle phase du processus de transition ; je l'ai dit à Mme Clinton lors de mon déplacement aux États-Unis. La décision appartient formellement au président afghan, mais le feu vert du commandement américain est évidemment indispensable.

J'ai demandé que la France soit mieux associée au travail des Américains sur quatre sujets : le calendrier de retrait, les pourparlers avec les talibans, le dialogue avec le Pakistan -le Premier ministre pakistanais m'a parlé, le mois dernier, d'un triangle Washington-Kaboul-Islamabad-, et l'après-2014, c'est-à-dire le « partenariat de longue durée » qui fera suite à la transition. Notre demande est légitime, compte tenu de notre effort : 4 000 soldats sur le terrain, et 61 morts. En tant que ministre de la défense, je me suis rendu à trois reprises aux obsèques de soldats français morts en Afghanistan : il faut beaucoup de force de conviction pour persuader les familles du bien-fondé de notre intervention dans ce pays, et encore n'y parvient-on pas toujours...

Quant à l'Inde, au Brésil et à l'Afrique du Sud, on pourrait dire au contraire que, pour se voir accorder un siège permanent au Conseil de sécurité, ils devraient faire preuve de maturité politique sur les grands dossiers du jour.

Comme l'a souligné M. Pintat, une question se pose aux Européens -que M. Robert Gates leur a d'ailleurs posée- : sont-ils capables d'assumer des responsabilités sur la scène internationale ? Aujourd'hui, seuls la France et le Royaume-Uni jouent vraiment un rôle : nos deux pays supportent la plus grande part de l'effort militaire en Libye, l'aide américaine se limitant depuis quelque temps à une assistance logistique et à un soutien moral. Les Européens prennent-ils conscience de la nécessité de relancer la PSDC ? J'aimerais le croire. Nous pressons Mme Ashton de prendre des initiatives en vue du Conseil européen de la fin de l'année, sous la présidence polonaise.

Je vais rassurer M. Cambon sur l'aide européenne à la reconstruction de la Libye : autant les Européens sont réticents à prendre des initiatives politiques, autant ils sont enthousiastes lorsqu'il s'agit de payer... La Commission européenne a annoncé des crédits supplémentaires au titre de la politique de voisinage, et le pacte de Deauville comporte une aide financière de 40 milliards d'euros, dont 20 milliards de la Banque européenne d'investissement (BEI) et de la Berd. On peut regretter qu'une banque d'investissement spécifique à la Méditerranée n'ait pas été créée, mais le champ d'action de la Berd a été élargi. Lors de la réunion du G8, les chefs d'État ont demandé à leurs ministres des affaires étrangères et des finances de mettre au point un plan d'action pour que cette aide se concrétise, à destination de la Tunisie et de l'Égypte, bien sûr, mais aussi du Maroc et de la Jordanie. Mme Clinton et moi-même sommes convenus d'organiser une réunion des ministres concernés à New York en septembre.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

On dit la situation humanitaire en Libye très dégradée : les gens manqueraient d'eau et de nourriture. Or notre intervention militaire en Libye -que je soutiens sans réserve- se justifie par la nécessité de secourir les populations ; soyons attentifs à ses effets indirects.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Berthou

Le nouveau gouvernement libanais comprend beaucoup de membres issus du Hezbollah. On peut d'ailleurs s'interroger sur les conséquences de la crise syrienne pour sa stabilité. Faut-il considérer le Hezbollah libanais comme un parti de gouvernement, que sa participation au pouvoir éloigne du terrorisme ?

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

La France envisage de retirer ses troupes du Kosovo, où elle participe à la mission Eulex. La situation y est-elle suffisamment stabilisée ?

Debut de section - PermalienPhoto de Robert Badinter

Où en est la transition démocratique en Égypte ?

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'Etat

Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez raison : la situation humanitaire en Libye est très difficile. M. Jibril, plaidant à Abu Dhabi pour une mise en oeuvre rapide des aides financières, a parlé de famine, de « starvation ». La France s'apprête à débloquer 290 millions d'euros ; j'ai reconnu que le CNT était investi de l'autorité gouvernementale qui lui permet de récupérer ces fonds, mais la banque française qui les détient réclame d'autres garanties. Mon ministère y travaille, en collaboration avec Bercy. Les pays du Golfe font aussi des efforts, comme les Européens qui essaient de dégeler d'autres fonds, mais les juristes britanniques sont pointilleux... L'Union européenne apporte une aide humanitaire massive. M. Jibril évalue les besoins à 4 ou 5 milliards de dollars. Outre Benghazi et les autres villes cernées par les combats, la situation est préoccupante à la frontière tunisienne où les réfugiés affluent.

Monsieur Berthou, nous sommes disposés à reconnaître le Hezbollah libanais comme un parti de gouvernement ayant renoncé à la violence, s'il évolue en ce sens. C'est dans le même esprit que nous avons salué la réconciliation entre le Fatah et le Hamas. Mais nous jugerons sur pièces : nous exigeons du Hezbollah qu'il respecte les engagements internationaux du Liban, qu'il préserve l'indépendance et la souveraineté du pays, qu'il permette au Tribunal spécial pour le Liban de travailler en le dotant des moyens financiers nécessaires, et qu'il garantisse la sécurité de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la Finul. Nous parlons d'ailleurs avec le Hezbollah, et non avec le Hamas.

Au Kosovo, monsieur Vantomme, la situation s'améliore -ce qui n'est pas le cas en Bosnie. Nous incitons les dirigeants serbes à mener un dialogue constructif avec les Kosovars : au-delà de l'arrestation de Radko Mladic, c'est une condition de l'intégration de la Serbie à l'Union européenne. Nous pouvons donc sans dommages réduire notre présence militaire sur place. Le ministère de la défense cherche autant que possible à rapatrier ses soldats à l'étranger : ce fut le cas pour les gendarmes mobiles, et ce sera bientôt le cas pour la force Licorne de Côte-d'Ivoire.

La transition démocratique en Égypte est en bonne voie, monsieur Badinter. Le Conseil suprême des forces armées contrôle la situation, tout en tenant compte du mécontentement qui s'exprime dans la rue. Un référendum a permis l'adoption d'une constitution. Le calendrier électoral est critiqué, parce qu'il prévoit des élections législatives d'ici la fin de l'année, avant l'élection présidentielle, ce qui, selon certains, ne laisse pas le temps nécessaire aux forces démocratiques de s'organiser, et ouvre la voie à un affrontement entre les Frères musulmans et ce qui reste du parti de Moubarak. Mais le Conseil supérieur des forces armées et le référendum ont validé ce calendrier. Certains candidats à l'élection présidentielle sont déjà en campagne, comme l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa.

Je suis donc confiant, à condition que nous sachions accompagner la reprise économique. Pour l'heure, tous les ingrédients d'une crise économique majeure sont réunis : effondrement du tourisme, afflux de réfugiés de Libye, non-rapatriement des salaires des travailleurs égyptiens de Libye, frilosité des investisseurs internationaux et fortes attentes sociales de la population. Un plan d'aide est indispensable. Se pose aussi le problème des Frères musulmans. D'après M. Moussa, si des forces démocratiques parviennent à s'organiser, les Frères ne réuniront que 20 % des voix environ. Mais on ne sait pas encore très bien quel est leur programme. J'ai dit qu'il fallait parler avec tous ceux qui ne franchissaient pas la ligne rouge, c'est-à-dire qui ne versaient pas dans le terrorisme et la violence et qui acceptaient le principe de l'alternance politique. Il est essentiel que la transition se déroule dans de bonnes conditions, car un Arabe sur quatre vit en Égypte.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Les Français de l'étranger s'inquiètent du débat sur la double nationalité, lancé par des parlementaires et d'autres personnalités, et du projet de taxer les habitations que possèdent en France les non-résidents. La double nationalité est un enrichissement, et elle permet à beaucoup de nos concitoyens de vivre et de travailler dans de bonnes conditions à l'étranger. La France ne doit pas remettre en cause ses engagements internationaux, notamment la convention de Strasbourg.

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'Etat

En tant que président de l'Assemblée des Français de l'étranger, je m'intéresse de près à ces questions. Sur la double nationalité, je ne sais pas quelle est la position du Gouvernement, mais je partage votre avis -même si les États-Unis et d'autres pays ne la reconnaissent pas. Ce sont des parlementaires qui ont lancé ce débat. Quant à la taxation des habitations des non-résidents, elle est destinée à compenser d'autres allègements fiscaux, mais je viens d'écrire au ministre du budget pour lui faire part des inquiétudes de nos compatriotes expatriés : j'entends parler de cette question chaque fois que je me rends à l'étranger.

Je déjeunais ce matin avec les ambassadeurs d'Amérique latine, qui s'interrogent sur le rôle des futurs députés des Français de l'étranger : auront-ils tendance à se substituer aux ambassadeurs ? Je suis sûr que chacun trouvera son rôle.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Pour ma part, je suis certain que les relations entre députés et sénateurs des Français de l'étranger seront excellentes !

Quel est le rôle de l'Algérie dans la crise libyenne ? L'attentisme des dirigeants algériens n'explique-t-il pas le fait qu'ils n'aiment pas voir les pays occidentaux s'ingérer dans les affaires du Maghreb ? Ou ont-ils des accointances avec le régime de Kadhafi, qu'ils préféreraient à une démocratie ? J'ai reçu le ministre des affaires étrangères du Mali, qui s'est dit très inquiet qu'Al-Qaïda au Maghreb islamique (l'Aqmi) profite de la situation pour se procurer des armes sans difficultés et en user contre les Maliens, les Nigériens ou nos propres ressortissants. J'ai eu le sentiment qu'il déplorait un manque de coopération des Algériens dans la lutte contre l'Aqmi. Il est assez habile de la part de l'Algérie de repousser vers le sud cette organisation dont les dirigeants sont algériens... C'est pour nous un grave sujet de préoccupation, car l'Aqmi détient des otages français !

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'Etat

J'ai la tentation de réserver ma réponse, monsieur le président, car je me rends en Algérie mercredi soir -une première depuis trois ans pour un ministre des affaires étrangères français. Je puis toutefois vous dire qu'au cours des opérations en Libye, le CNT nous avait avertis que des centaines de camions chargés d'armes arrivaient d'Algérie à destination des forces de Kadhafi ; les autorités algériennes ont démenti vivement. En sens inverse, il est presque certain que des armes transitent de Libye vers le Sahel. Dans cette région, nous cherchons à coordonner les efforts des pays intéressés -Mauritanie, Nigel, Mali, Algérie, Tchad peut-être- dans la lutte contre le terrorisme. Les pays les plus coopératifs, jusqu'à présent, ont été la Mauritanie et le Niger. L'Algérie a eu tendance à se désintéresser de ce qui se passait au-delà de ses frontières, mais les choses changent, comme l'a montré la première réunion de coordination il y a quelques jours. J'en saurai plus à mon retour.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Demessine

Le plan européen d'aide aux plus démunis, qui existe depuis 1987, est doté de 500 millions d'euros à destination de tous les pays européens ; la France en reçoit 80 millions. Mais la Cour de justice de l'Union européenne vient de donner raison à des États -Royaume-Uni, Allemagne, pays scandinaves- qui s'y opposaient. A l'origine, ce plan reposait sur les surplus alimentaires, mais comme ceux-ci ont été réduits par la réforme de 2005, on y a ajouté une subvention budgétaire. Que se passera-t-il donc l'an prochain ? La France ne devrait plus toucher que 15 millions d'euros. Les associations humanitaires sont très inquiètes, et évaluent à un million le nombre de personnes qui n'auraient plus accès à ces aides. Les États bénéficiaires comptent-ils faire appel de cette décision ? La France prendra-t-elle des initiatives pour pérenniser le plan d'aide ? Quand sera reconnu l'objectif de sécurité alimentaire des populations européennes ?

Debut de section - Permalien
Alain Juppé, ministre d'Etat

N'ayant pas aujourd'hui les éléments nécessaires, je vous répondrai par écrit très prochainement.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Monsieur le ministre d'Etat, merci. Nous nous reverrons en séance publique le 12 juillet, lorsque nous serons appelés à autoriser le prolongement des opérations militaires en Libye.

La commission auditionne M. Staffan de Mistura, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies pour l'Afghanistan.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Nous avons le plaisir d'accueillir M. Staffan de Mistura, représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU en Afghanistan et chef de la mission d'assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA). Représentant l'ONU depuis 40 ans au service de la paix, au Soudan, au Liban, en Albanie et dans l'ensemble des Balkans, M. de Mistura perpétue avec élégance la grande tradition diplomatique suédoise initiée par le comte Bernadotte et Dag Hammarskjöld.

Monsieur le représentant spécial, vous avez mis au service de l'Afghanistan votre expérience exceptionnelle, caractérisée par un nombre incomparablement plus élevé de missions en zone de guerre qu'en zone tranquille.

Fin 2009, nous avons conduit sur place une mission portant sur les dimensions régionales de la crise afghane. Dans notre rapport - intitulé Afghanistan, quelle stratégie pour réussir ? - nous estimions perfectible la coordination entre la Manua et la force internationale d'assistance et de sécurité (Fias). La situation a-t-elle évolué sur ce point ?

Depuis, notre commission a participé au déplacement que le président du Sénat a fait en Afghanistan avec les présidents des groupes d'amitié. M. Didier Boulaud était sur place la semaine dernière, dans le cadre d'une mission de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Nous avons reçu ici M. Abdullah Abdullah, ancien ministre afghan des affaires étrangères. C'est dire l'intérêt porté par notre commission à cette région du monde. La prochaine mission en Afghanistan commencera dimanche ; elle se déroulera sous le signe de la transition des missions de sécurité, qui doit permettre à terme le désengagement des forces occidentales et le début de la reconstruction.

L'élimination de Ben Laden conduit l'opinion publique à s'interroger sur la pertinence du maintien de notre engagement. Nous voulons un Afghanistan souverain, indépendant, démocratique, sûr et stable. S'il redevenait instable, ce pays menacerait ses voisins, voire toute la région et le monde entier si, d'aventure, il accordait l'asile à des terroristes. Comment voyez-vous la transition d'ici 2014 ? Ma question s'insère dans une approche globale ne se limitant pas aux forces de sécurité, car il convient d'assurer le progrès économique, le développement et l'indépendance de la justice, il faut combattre la drogue et la corruption.

Le processus de réintégration a-t-il quelque chance de succès ?

Debut de section - Permalien
Staffan de Mistura

Heureux d'être accueilli par cette commission, je m'exprimerai directement et avec franchise. Le moment actuel est véritablement crucial pour l'Afghanistan et je commencerai par faire le point de la situation dans ce pays.

Le premier sujet concerne la sécurité. J'ai perdu sept collègues, des soldats français et des soldats allemands sont morts récemment. J'étais là quand le général allemand Marcus Kneip a été blessé.

La version officielle est que les choses vont mieux. C'est exact, mais qu'en résultera-t-il ? Le sursaut militaire américain du général Petraeus, le Surge, est efficace, mais il n'a pas encore poussé les talibans à rejoindre sérieusement la table des négociations. Le nombre de combattants tués n'est nullement un indicateur de succès, car les talibans sont moins sensibles à ce sujet que nous ne le sommes : les madrasas ne désemplissent pas. L'organisation des attentats suicides en Afghanistan même surclasse très largement ce que j'ai observé en Irak. Quatre attaques suicides simultanées viennent d'avoir lieu à Hérat, contre nous. L'organisation du réseau suicidaire est remarquable. L'amélioration de la sécurité doit déboucher sur un résultat politique au cours des mois à venir. Comme la plupart d'entre vous, j'ai été indigné par le 11 septembre.

Au demeurant, Mme Clinton a déclaré, le 18 février, que le Surge devait aussi être politique. La question est de savoir si les talibans veulent discuter. Ils subissent en ce moment une pression militaire très vive, pas seulement parce que nous sommes entrés dans la saison traditionnelle des combats. En juillet, M. Obama doit annoncer une réduction de l'engagement militaire américain, mais les talibans font tout pour démontrer, par des gestes spectaculaires, que la situation sécuritaire ne s'améliore pas. C'est classique dans une négociation. Les villes de Haiphong et Hanoï ont subi les pires bombardements américains, précisément pendant la Conférence de Paris qui vit entamer des négociations destinées à établir la paix au Vietnam. Mutatis mutandis, la situation est comparable en Afghanistan, où une pression s'exerce des deux côtés avant de s'engager dans une voie politique. Et la négociation n'a pas encore commencé ...

J'en viens ainsi à ma deuxième interrogation : une solution politique est-elle envisageable ? Les pays de l'OTAN sont tous fatigués ; les États-Unis consacrent chaque année à ce conflit 120 milliards de dollars ; les morts se comptent par milliers, les blessés -souvent très graves- sont encore bien plus nombreux. Conclusion : l'OTAN cherche sincèrement une solution politique. Mais les talibans la veulent-ils ?

Les talibans peuvent être classés en plusieurs catégories : les durs, ceux qui ne veulent pas discuter. Le plus célèbre est le mollah Omar. Leur vie est rendue difficile par les nombreuses opérations que les forces spéciales américaines conduisent en Afghanistan : il y en a au moins 40 chaque nuit. J'ajoute que l'élimination des chefs par les forces spéciales américaines a aussi pour conséquence la relève par des gens bien plus jeunes et moins raisonnables, avec qui toute discussion est extrêmement difficile. La deuxième catégorie est formée par des groupes violents et efficaces. Et j'achèverai cette énumération par Gulbuddin Hekmatyar, une vieille connaissance qui a tenté de me tuer il y a 22 ans. Il avait à l'époque miné la route que je devais emprunter avec des réfugiés de son ethnie rentrant chez eux après la fin de l'intervention soviétique. Il ne voulait pas qu'ils reviennent, mais ne pouvait pas le dire. Ce personnage imprévisible surveille en permanence la direction du vent.

Concluons sur ce point : je veux croire propice au dialogue une situation marquée par l'énorme pression exercée sur les talibans. Ces derniers ne peuvent espérer le retour au statu quo ante. C'est pourquoi j'ai des contacts avec eux, sans négocier.

La « transition » est une décision particulièrement brillante prise à la Conférence de Lisbonne. Ce terme éloigné interdit aux talibans l'espoir de se terrer dans les caves en attendant le départ de l'OTAN, car les Américains continueront les attaques quotidiennes de leurs forces spéciales, et l'OTAN aura très probablement encore la faculté de mener ces opérations, à défaut de maintenir des centaines de milliers d'hommes.

Le Président Karzaï est pris entre deux syndromes : celui de Najibullah et celui du nationalisme afghan. J'ai connu Mohammad Najibullah ; je comprends pourquoi le président Karzaï y pense. Après tout, les Afghans ont déjà été lâchés à deux reprises et craignent de l'être une troisième fois... Il est naturel que M. Karzaï cherche un accord militaire avec l'OTAN et les États-Unis, mais cela suscite plus que des réticences dans la région : l'installation de bases militaires américaines permanentes inquiète l'Iran, pays crucial ; elle ne suscite aucun enthousiasme en Russie, ni en Chine ; l'Inde et le Pakistan s'intéressent également au sujet. Pourquoi ne pas leur substituer des centres d'entraînement destinés aux forces afghanes ? Si les Iraniens ont l'impression que les Américains veulent s'installer pour longtemps, ils peuvent compliquer la transition.

Mon sentiment est que la transition se poursuivra malgré les attaques conduites à Mazar-e Charif. La seule conclusion que je tire de ces attentats est la nécessité de renforcer la police et de poursuivre la transition, une sortie graduelle modestement destinée à faire évoluer l'Afghanistan, non à en faire une nouvelle Suisse. Y a-t-il une formule idéale ? Je ne sais. L'important est que la transition se poursuive, quels que soient les hauts et les bas, malgré toutes ses imperfections, pour parvenir en 2014 à un pays ou des accords locaux respectés évitent la guerre civile, tout comme la domination par les talibans.

En ce domaine, une question est cruciale pour les Nations unies : que deviendront les droits de l'homme, en l'espèce surtout les droits des femmes, si les talibans entrent dans un gouvernement d'union nationale ? Pour obtenir que 68 sièges au Parlement soient garantis aux femmes -qui en ont en définitive obtenu 69 grâce à l'élection d'une candidate ne bénéficiant d'aucune disposition particulière-, il m'a fallu sept heures de discussions avec le gouvernement afghan actuel, celui formé par les « modernes » ! Nous avions en effet observé que de nombreuses femmes élues éprouvaient des difficultés d'ordre personnel conduisant à leur démission. Dans les deux cas, elles étaient remplacées par des messieurs. Je voulais que toute femme démissionnaire soit remplacée par une femme. Pour obtenir gain de cause, j'ai discuté pendant toute une semaine. Pour l'emporter, j'ai dû menacer mes interlocuteurs d'un retrait onusien de l'organisation des élections. La difficulté en ce domaine est donc loin de se limiter aux talibans. Si nous apparaissions comme voulant imposer une révolution culturelle, tous les Afghans se retourneraient contre nous ; si nous renoncions, à quoi auront servi tant de sacrifices ?

La solution à laquelle nous aboutissons est la suivante : l'élaboration de garanties constitutionnelles et l'impossibilité de les revoir, sauf par une procédure démocratique. Songez à certains pays d'Europe occidentale pendant la guerre froide, où les partis communistes inféodés à Moscou voulaient transformer la société, ce qui était leur droit, mais à la condition expresse de gagner des élections. De même, le Hezbollah est représenté au Parlement libanais et participe au gouvernement. Hassan Nasrallah n'a rien d'un interlocuteur facile. Il veut changer ce pays, mais échoue depuis 20 ans. En Afghanistan, nous voulons que la Constitution soit appliquée, mais aussi qu'elle reste en place, sauf changement démocratique. D'autre part, rien ne s'oppose à l'entrée des talibans au gouvernement, à condition de ne contrôler ni le pays, ni le Parlement, ni les régions. En outre, le cessez-le-feu doit être général. Dans le Nord, les seigneurs de la guerre sont restés en place.

Une solution militaire est hors de portée. J'espère qu'au lieu de la guerre civile, nous aurons, l'an prochain, les premiers accords entre Afghans.

La mort de Ben Laden a-t-elle eu des effets positifs ? Oui, car les Afghans ont ressenti un choc. Cet homme était devenu un symbole, dont on ne savait pas s'il était vivant ou déjà immortel. Et on le découvre tranquillement logé dans une habitation à 1 million de dollars, avec ses trois épouses, ses treize enfants ! Ce dernier détail, notamment, a choqué les combattants qui se terrent dans des caves pour échapper aux forces spéciales. Il est vrai que l'action de celles-ci cause également des victimes civiles, ce contre quoi nous protestons, mais n'oubliez pas que 72 % des victimes civiles sont imputables aux talibans.

L'année en cours est réellement cruciale pour l'Afghanistan, avec l'annonce que doit faire le Président Obama, les discussions sur les bases américaines et sur la transition politique.

Debut de section - PermalienPhoto de André Vantomme

Vous avez rappelé les efforts financiers et humains déployés par la communauté internationale pour trouver une solution au problème afghan.

Au moment où l'on voit poindre les prémices d'une solution négociée, je suis surpris que l'on persiste à ignorer la production et le trafic de drogue, qui procurent des ressources considérables aux talibans, mais aussi à une véritable mafia. On oublie également les ravages provoqués par la consommation de stupéfiants dans les pays occidentaux. Pourquoi les Nations unies n'ont-elles pas plus le souci d'éradiquer la production de drogue en Afghanistan ? Je pose la même question pour la corruption.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Dans le même esprit, la gouvernance de l'administration fait-elle des progrès en Afghanistan ? Est-elle crédible, ou dominée par les seigneurs de la guerre et par des gens corrompus ? L'entourage du président Karzaï comporte des personnes à la moralité douteuse.

Debut de section - Permalien
Staffan de Mistura

Je doute que la gouvernance s'améliore suffisamment. La corruption reste présente. Toutefois on observe des signes positifs, comme le choix des gouverneurs en fonction de leurs mérites, mais j'ai quitté Kaboul avec bien des interrogations sur la Kabul Bank, où 887 millions de dollars ont disparu. Les deux principaux actionnaires de l'établissement sont M. Hassem Fahim -frère du vice-président Mohammed Fahim- et M. Mahmoud Karzaï, frère du président Hamid Karzaï. Les sommes en cause ont été investies dans des villas. Le FMI a exigé des garanties de remboursement. L'aide au gouvernement afghan sera examinée en juillet. Il faudra au moins engager des poursuites judiciaires. Le gouverneur de la banque centrale a publié la liste des actionnaires de la Kabul bank. Pour faire partie de ces actionnaires, on sollicitait un prêt, afin d'en obtenir un encore plus considérable. C'était le comble du non-professionnalisme ! Cette affaire est une sorte de test des mauvaises pratiques.

Les élections ont certes été imparfaites, mais les deux commissions électorales ont résisté aux pressions -parfois très vives- exercées sur leurs membres, dont certains ont perdu leur travail.

Malgré les interdits musulmans à ce sujet, qu'ils sont censés respecter, les talibans gagnent 327 millions de dollars grâce à l'opium, sur un total avoisinant 1,2 milliard de dollars. Ce chiffre a augmenté depuis dix ans, car l'instabilité est propice à ce genre d'activité. Hélas, la production ne baissera pas. Vouloir éradiquer la culture de la drogue en Afghanistan reviendrait à mobiliser 20 millions de combattants contre les Occidentaux, alors que les talibans sont quelques dizaines de milliers. Songez que les attaques baissent de 70 % en avril, à cause des récoltes ! L'ONU peut observer, voire attirer l'attention. Mais pousser à éradiquer la drogue aurait pour seul effet de doubler les attaques dont les troupes de l'OTAN sont les cibles.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Boulaud

Merci pour votre exposé passionnant. À mon retour d'Afghanistan, dans le cadre d'une mission de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, j'ai l'impression que nous y installons un monstre. En effet, les revenus du budget s'établissent à 1,3 milliard de dollars, alors qu'il faudrait 6 milliards pour financer sa police et ses forces militaires, dont l'effectif avoisine celui de l'armée française. Qui va payer ?

D'autre part, le président Karzaï semble vouloir convoquer une Loyah Jirga pour entériner le protocole militaire avec les États-Unis. Tentera-t-il à cette occasion d'obtenir un troisième mandat ?

Debut de section - Permalien
Staffan de Mistura

Vos questions sont très pertinentes. D'ailleurs, les meilleurs experts de l'Afghanistan étaient traditionnellement français.

L'armée afghane compte presque 400 000 hommes, dont 1 200 femmes. Pour quoi faire ? À quel coût ? Les réponses sont renvoyées à plus tard. Les plus optimistes observent qu'en se retirant, les Américains économiseront 120 milliards de dollars par an, si bien que verser 6 milliards leur paraîtra négligeable. Les autres comptent sur les richesses du sous-sol afghan, les minerais, le gaz, le cuivre. Pour moi, la réponse est simple : un Afghanistan pacifié n'a pas besoin de 400 000 militaires. Conclusion : ou bien il y aura une guerre civile -ce qui bouleverserait les termes du problème- mais c'est improbable, ou bien un accord interviendra et réduira les besoins. Au demeurant, les Américains payeront pour avoir une armée à même de stabiliser durablement la situation.

J'en viens à la Loyah Jirga. Cette assemblée où toutes les tribus afghanes sont représentées est surtout un lieu de palabres facile à manipuler. Sa convocation est une manoeuvre habile du président, qui veut contourner le Parlement. Ne pouvant obtenir du Parlement tout ce qu'il veut, le chef de l'État est tenté de convoquer une Loyah jirga. Ce n'est pas une bonne nouvelle pour la démocratie parlementaire afghane.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Le Pakistan est-il disposé à favoriser la réconciliation ? Poursuit-il son jeu ambigu consistant à rechercher la paix d'un côté, tout en encourageant de l'autre les talibans pour éviter l'émergence d'un Afghanistan allié à l'Inde et conserver une profondeur stratégique face à ce pays ?

Debut de section - Permalien
Staffan de Mistura

Parler de profondeur stratégique a quelque chose d'irréel face à ce qui se trouve de l'autre côté de la frontière. Pourtant, ce sujet fait partie de la culture pakistanaise, où l'on est obsédé par la crainte d'être pris en tenaille entre l'Afghanistan et l'Inde. Le rôle du Pakistan est donc crucial pour aboutir à une solution. Le négliger garantirait un échec.

En réalité, l'affaire Ben Laden montre que certains milieux pakistanais jouent sur deux tableaux. J'estime nécessaire de lui offrir des contreparties politiques effectives en Afghanistan, car les Pakistanais ne croient ni aux garanties internationales, ni aux accords écrits. La condition à poser ? Qu'ils cessent de jouer à la politique du pire. La volonté commune de 47 pays de retirer leurs soldats dans la dignité offre au Pakistan une vraie carte à jouer. L'histoire de Ben Laden a provoqué un réveil. Les Américains veulent en parler avec les Pakistanais. Mais il ne faut pas seulement leur dire qu'on a compris leur jeu : il faut aussi se mettre à leur place, comme toujours en politique : ils n'ont aucune raison d'abattre leur dernière carte sans contrepartie.

Aucune solution n'est envisageable en Afghanistan sans le Pakistan. On peut le regretter, non l'ignorer.

Debut de section - PermalienPhoto de Josselin de Rohan

Nous vous remercions pour l'explication brillantissime d'une situation inextricable. J'espère qu'aucun Gulbuddin Hekmatyar ne vous empêchera jamais d'écrire vos mémoires, que je lirai avec un grand intérêt ! (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent M. le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU en Afghanistan.)